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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : PF Résolu Canada inc. c. Hydro‑Québec, 2020 CSC 43, [2020] 3 R.C.S. 789

Appel entendu : 21 janvier 2020

Jugement rendu : 11 décembre 2020

Dossier : 38544

 

Entre :

PF Résolu Canada inc.

Appelante

 

et

 

Hydro-Québec et Compagnie d’électricité Gatineau

Intimées

 

 

 

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 177)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown et Martin)

 

Motifs dissidents :

(par. 178 à 279)

La juge Côté (avec l’accord du juge Rowe)

 

 

 


 


pf résolu canada inc. c. hydro‑québec

PF Résolu Canada inc.                                                                                  Appelante

c.

Hydro-Québec et

Compagnie d’électricité Gatineau                                                                  Intimées

Répertorié : PF Résolu Canada inc. c. Hydro-Québec

2020 CSC 43

No du greffe : 38544.

2020 : 21 janvier; 2020 : 11 décembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Contrats — Cession — Contrat d’approvisionnement en électricité conclu en 1926 entre une entreprise forestière et une société privée d’approvisionnement d’électricité — Contrat de vente de biens meubles et de location d’immeubles conclu en 1965 entre la société privée et Hydro‑Québec dans le contexte de la nationalisation de l’électricité au Québec — Le contrat de 1965 a‑t‑il fait d’Hydro‑Québec la cocontractante de l’entreprise forestière par l’effet d’une cession du contrat de 1926, permettant ainsi à Hydro‑Québec de réclamer à l’entreprise le paiement de prélèvements qui lui sont imposés par deux lois québécoises?

                    En 1926, l’entreprise qui a précédé PF Résolu Canada inc. (« Résolu ») et la Compagnie d’électricité Gatineau (« Électricité Gatineau ») signent un contrat synallagmatique et à exécution successive d’approvisionnement en électricité. Ce contrat prévoit, à l’art. 20, que Résolu acceptera les majorations du prix de l’électricité découlant de futures augmentations des taxes ou des redevances imposées par le gouvernement provincial ou fédéral sur l’énergie électrique produite par les forces hydrauliques. Au début des années 1960, le gouvernement du Québec acquiert le capital‑actions de plusieurs sociétés privées de production d’électricité, dont Électricité Gatineau, qui devient une filiale en propriété exclusive d’Hydro‑Québec. En 1965, Hydro‑Québec conclut avec Électricité Gatineau un contrat bilatéral visant à unifier la gestion et les opérations de cette dernière. Ce contrat prévoit la vente de tous les biens meubles d’Électricité Gatineau à Hydro‑Québec, ainsi que la location à celle‑ci de tous les immeubles de la première pour un terme de 25 ans. Hydro‑Québec recevra les bénéfices des contrats d’alimentation d’Électricité Gatineau et pourra exploiter les lieux loués de celle-ci comme elle le ferait s’ils étaient les siens. En 1982, Résolu et Hydro‑Québec concluent un contrat d’électricité pour la fourniture d’une puissance additionnelle. Entre 2005 et 2009, Électricité Gatineau cède à Hydro‑Québec trois centrales d’électricité qu’elle lui louait et qui, avant la nationalisation, alimentaient Résolu.

                    À partir de 2007, Hydro‑Québec se voit imposer deux prélèvements par des lois provinciales : un nouveau montant fixé par l’art. 32 de la Loi sur Hydro‑Québec (« LHQ »), et celui prévu à l’art. 68 de la Loi sur le régime des eaux (« LRE »), dont elle était auparavant exemptée. Les sommes prélevées sont versées dans le Fonds des générations, un fonds visant à réduire la dette publique créé en 2006 par le gouvernement du Québec. En 2011, Hydro‑Québec fait parvenir à Résolu une facture d’électricité s’élevant à plus de trois millions de dollars. S’appuyant sur la clause d’ajustement de prix du contrat de 1926, Hydro‑Québec réclame à Résolu l’augmentation du prix de l’électricité découlant des prélèvements qu’elle paie au gouvernement du Québec. Résolu acquitte sous protêt cette facture et demande à la Cour supérieure de déclarer qu’elle ne doit ni à Hydro‑Québec, ni à Électricité Gatineau le montant qui lui est réclamé.

                    La Cour supérieure accueille la requête introductive d’instance en jugement déclaratoire de Résolu. Elle refuse de conclure que, par l’effet du contrat de 1965, Électricité Gatineau a cédé à Hydro‑Québec ses droits et obligations découlant du contrat de 1926, et déclare qu’Hydro‑Québec ne pouvait pas réclamer à Résolu le paiement des prélèvements. La Cour d’appel accueille en partie l’appel d’Hydro‑Québec, et déclare que les prélèvements en question constituent des taxes ou redevances payables par Résolu à Hydro‑Québec en application du contrat de 1926.

                    Arrêt (les juges Côté et Rowe sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Martin et Kasirer : Le contrat de 1965 a effectué une cession du contrat de 1926. En conséquence, Hydro‑Québec est partie au contrat de 1926 et peut donc invoquer l’art. 20 de ce contrat à l’égard de Résolu. Puisque les deux prélèvements litigieux sont une « taxe ou redevance » sur l’hydroélectricité au sens de ce même art. 20, ils sont visés par le contrat de 1926 et sont donc payables par Résolu à Hydro‑Québec suivant cette entente.

                    La Cour d’appel était justifiée d’intervenir en l’espèce. Elle a pris bonne note de l’argument de Résolu selon lequel Hydro‑Québec et Électricité Gatineau auraient admis qu’il n’y a pas eu de cession. Tout en constatant qu’Hydro‑Québec a présenté ses arguments différemment en appel, la cour rejette ce moyen à bon droit. La juge de première instance a compris qu’Hydro‑Québec soutenait essentiellement qu’elle était la cocontractante de Résolu et qu’il y avait eu cession du contrat de 1926. Dans son analyse, non seulement la juge se réfère‑t‑elle à cet argument, mais elle en tient aussi compte et le rejette formellement.

                    En fait, Résolu a spécifiquement plaidé sur l’interprétation du contrat de 1965 en première instance. De plus, la position d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau a toujours été que l’art. 20 du contrat de 1926 trouve application et qu’Hydro‑Québec peut demander la majoration du prix. Tout porte à croire que la juge de première instance a compris qu’Hydro‑Québec n’avait fait aucune concession à cet égard. Le rôle de la Cour à cette étape du litige consiste à décider si la première juge a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’interprétation du contrat de 1965, et non si elle a commis exactement l’erreur identifiée par la Cour d’appel.

                    Il faut, dans l’interprétation d’un contrat, rechercher la commune intention des parties, en tenant compte de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages (art. 1425 et 1426 C.c.Q.). Les clauses s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte du contrat dans son ensemble (art. 1427 C.c.Q.). En l’espèce, aucun de ces éléments ne tend à indiquer qu’Électricité Gatineau et Hydro‑Québec ont voulu réaliser autre chose que la cession envisagée par le texte du contrat de 1965.

                    La cession de contrat est connue en droit civil québécois. Elle est bien ancrée dans la vie commerciale et permet aux parties contractantes de réaliser des objectifs complexes. Il s’agit d’une technique d’affaires, qui jouit d’une plasticité légitime, soutenue par le principe de l’autonomie de la volonté. La cession du contrat — vue comme le transfert à la partie cessionnaire non seulement des droits et des obligations, mais également du contrat lui‑même — peut être réalisée tout en protégeant les intérêts de la partie cédée, dans le respect des principes de la force obligatoire et de l’effet relatif du contrat. Ainsi, aucun empêchement conceptuel ou moral ne s’oppose à la cession d’un contrat, considéré comme une valeur patrimoniale en lui-même, pour autant que l’opération protège les intérêts de la partie cédée. Bien que, selon la conception subjective du contrat, celui-ci se conçoive comme un lien de droit, il est également possible de considérer le contrat sous un autre angle, c’est‑à‑dire comme un élément patrimonial. C’est cette conception du contrat qui permet de mieux comprendre qu’il peut être l’objet d’une cession.

                    En l’espèce, les articles clés du contrat de 1965 ont pour effet d’opérer cession du contrat de 1926 et contredisent l’essence même de la notion de mandat et de l’administration du bien d’autrui. Le contrat de 1965 confie certes certains pouvoirs d’administration à Hydro‑Québec; toutefois, en vendant ses meubles à la société d’État et en lui louant ses immeubles, Électricité Gatineau a transféré à Hydro‑Québec des droits subjectifs que celle-ci peut exercer dans son propre intérêt, ce que ne peut pas faire un mandataire ou un administrateur du bien d’autrui. De surcroît, Hydro‑Québec assume des obligations personnelles qui sont incompatibles avec les fonctions incombant à un mandataire ou à un administrateur du bien d’autrui qui, règle générale, ne s’engage pas en son propre nom. Cette opération fait du contrat de 1965 ce qui pourrait être qualifié de contrat de vente, location, cession et mandat, dont le volet cession s’est avéré nécessaire par la réalisation de l’objectif de nationalisation d’électricité énoncé dans le préambule.

                    En l’absence de toute preuve contemporaine de la formation du contrat de 1965 qui indiquerait l’intention commune des parties, le préambule de l’entente prend une importance particulière pour déterminer les objectifs des parties contractantes, Électricité Gatineau et Hydro‑Québec. Un préambule ne vise certes pas, en règle générale, à créer des obligations; toutefois, il demeure utile d’établir des liens entre, d’une part, les engagements d’Hydro‑Québec et, d’autre part, les attentes d’Électricité Gatineau. Les objectifs des parties énoncés dans le préambule de l’entente permettent de comprendre l’économie fondamentale du contrat : Hydro‑Québec s’engage à assumer la responsabilité des obligations d’Électricité Gatineau et, en retour, Hydro‑Québec contrôlera la production d’énergie aux termes des contrats de fourniture d’électricité d’Électricité Gatineau pendant la durée de l’entente et en recevra les bénéfices. Conclure qu’Hydro‑Québec agit seulement au nom d’Électricité Gatineau et dans l’intérêt de celle‑ci dans l’administration de ses biens et la gestion de ses contrats contredit les objectifs énoncés dans le préambule. Le contrat s’inscrit dans la démarche de nationalisation de l’électricité : c’est Hydro‑Québec qui est chargée de produire, d’acquérir, de vendre, de transporter et de distribuer l’énergie et le courant électriques dans toute la province de Québec, ce qu’elle fait en son propre nom, aux termes de la loi, et non au nom ou dans l’intérêt d’autrui; elle le fait en exerçant des droits dont elle est titulaire et non en exerçant des pouvoirs dans l’intérêt d’Électricité Gatineau.

                    En conséquence, le contrat de 1965 ne constitue pas Hydro‑Québec mandataire d’Électricité Gatineau pour ce qui est de ses contrats d’alimentation. Il y a plutôt eu cession de l’ensemble du contrat de 1926 par l’effet des dispositions pertinentes du contrat de 1965, interprétées au regard des objectifs énoncés dans le préambule et de l’ensemble du contrat de 1965. À la lecture du contrat dans son ensemble, l’interprétation selon laquelle Hydro‑Québec administre les biens d’Électricité Gatineau et gère ses contrats ne peut être retenue. Au contraire, pour la durée du bail, Électricité Gatineau ne s’est pas contentée d’accorder à Hydro‑Québec des pouvoirs à l’égard du contrat de 1926, elle lui a plutôt transféré des droits et obligations assujettis à un terme extinctif. Par suite de la conclusion du contrat de 1965, Hydro‑Québec s’est engagée personnellement à exécuter les obligations prévues dans le contrat de 1926, y compris celle de fournir l’électricité aux clients d’Électricité Gatineau. Par la même occasion, Hydro‑Québec a obtenu le droit à tous les avantages du contrat de 1926, y compris le droit d’être payée, personnellement, pour l’électricité qu’elle a l’obligation contractuelle de fournir à Résolu.

                    Par ailleurs, le terme imposé par les parties au contrat de 1965 ne fait pas obstacle à l’existence d’une cession de contrat. Rien ne s’oppose juridiquement à ce qu’une cession de contrat soit limitée dans le temps si les parties en conviennent, sous réserve des règles relatives au consentement de la partie cédée la cession de contrat obéit aux conditions générales de validité des contrats et est soumise, comme tout contrat, aux dispositions générales du C.c.Q., notamment en ce qui concerne le terme du contrat (art. 1508 et suiv.). Même si une cession constitue un acte translatif de droits et d’obligations d’un patrimoine à un autre qui a, d’ordinaire, un caractère absolu, rien n’empêche, en droit civil, les parties de concevoir un acte translatif ou d’aliénation qui ne soit pas permanent dans ses effets. La liberté contractuelle est un élément clé : la cession de contrat ne suit pas un seul et unique modèle, mais peut au contraire, comme tout contrat, être modulée pour réaliser l’intention des parties, pour autant qu’elle respecte les règles régissant sa validité. En l’espèce, les parties étaient donc libres de limiter l’effet translatif de la cession dans le temps afin de l’adapter au modèle d’affaires qui tenait compte de leurs objectifs. La cession du contrat de 1926 produit son plein effet translatif — la cédante Électricité Gatineau transfère tous ses droits et toutes ses obligations en vertu de ce contrat d’électricité à la cessionnaire Hydro‑Québec — mais seulement pendant la durée de l’entente.

                    Les éléments extrinsèques au contrat de 1965 confirment également qu’il y a eu cession du contrat de 1926 et que celle-ci a toujours cours. La cession du contrat de 1926 ne peut avoir pris fin par suite de la vente des trois centrales sur la rivière Gatineau, car malgré cette vente, le bail prévu au contrat de 1965 sur lequel la cession est fondée continue puisqu’Électricité Gatineau loue l’ensemble de ses immeubles à Hydro‑Québec. De plus, l’entente de 1965 transfère toutes les créances et toutes les obligations d’Électricité Gatineau sans faire de distinction entre les contrats selon qu’ils se rapportent à l’une ou l’autre de ses centrales. L’usine de Résolu est désormais alimentée par le réseau intégré d’Hydro‑Québec, sans qu’il soit possible de dire que son électricité provient d’une centrale en particulier. Le bail est toujours en vigueur en 2011, au moment où Hydro‑Québec réclame, à titre de cessionnaire du contrat de 1926, le prix convenu pour l’électricité, majoré en vertu de l’art. 20 de ce contrat.

                    Le consentement de Résolu, nécessaire pour qu’il y ait cession de contrat valide, a été donné dans le contrat de 1926. Il est évident, suivant les termes mêmes de l’art. 22 de ce contrat, que les parties ont consenti à l’avance à toute cession éventuelle de celui‑ci. En effet, le consentement de la partie cédée s’impose lorsqu’on adopte la conception de la cession du contrat comme un tout. Quand la cession est considérée comme la transmission du contrat lui‑même, ce qui implique le transfert de la qualité de partie à la cessionnaire, le consentement de la partie cédée est nécessaire, du point de vue de l’effet relatif de la cession, d’une part, et de la force obligatoire du contrat cédé, d’autre part. Le transfert du contrat existant à une nouvelle partie contractante exige, par respect du principe de l’effet relatif du contrat, le consentement d’une partie qui se voit imposer un nouveau vis-à-vis possédant des qualités que la partie cédante n’avait pas. Le principe de la force obligatoire du contrat amène lui aussi à conclure que la partie cessionnaire ne peut s’imposer comme nouvelle cocontractante de la partie cédée sans le consentement de cette dernière. Le consentement de la partie cédée s’exige même quand la cession de contrat est imparfaite, dans le respect des principes généraux du droit des contrats, afin de protéger la partie cédée. Le consentement de la partie cédée peut être donné à l’avance, comme en l’espèce : ce consentement ayant été donné d’avance par le prédécesseur de Résolu dans le contrat de 1926, Électricité Gatineau a valablement transmis à la cessionnaire Hydro‑Québec sa qualité de partie au contrat. Par conséquent, Électricité Gatineau joue un rôle de sûreté personnelle contre l’inexécution éventuelle par Hydro-Québec de ses obligations. Le caractère imparfait de la cession en l’espèce ne change rien à l’issue du litige, car c’est tout de même Hydro‑Québec qui, à titre de débitrice principale possédant de surcroît la qualité de partie, fournit l’électricité et de ce fait peut en majorer le prix en vertu de l’art. 20.

                    Toutefois, dans le cas d’un consentement donné à l’avance, la cession de contrat ne saurait être opposable à la partie cédée si elle n’en est jamais informée. En l’absence de règles explicites sur la cession de contrat, le régime de la cession de créance est instructif quant aux conditions d’opposabilité applicables. La cession de créance est opposable à la partie cédée dès qu’elle y a acquiescé ou a reçu une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession ou, encore, une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant. En l’espèce, la preuve indique que le prédécesseur de Résolu et Hydro‑Québec ont signé en 1982 un nouveau contrat de distribution de puissance additionnelle par rapport à celle prévue au contrat de 1926. Ainsi, Résolu sait qu’elle fait affaire avec Hydro‑Québec, depuis bien avant la naissance du litige, et y acquiesce. La cession lui est donc opposable.

                    La cession du contrat de 1926 n’enfreint pas la règle voulant qu’une cession de créance (et donc, par extension, une cession de contrat) ne puisse pas porter atteinte aux droits du débiteur, ni rendre son obligation plus onéreuse (art. 1637 al. 2 C.c.Q.). L’augmentation du prix de l’électricité ne résulte pas de la cession de contrat, mais plutôt de changements d’ordre législatif. Les parties au contrat de 1926 avaient explicitement prévu qu’elles seraient assujetties aux futures lois de la province, et que ces lois auraient une incidence sur leurs relations contractuelles. La cession du contrat de 1926 a donc plein effet à l’égard de Résolu et Hydro‑Québec, en tant que partie au contrat, est en droit de lui réclamer le paiement des taxes et des redevances visées à l’art. 20.

                    Les prélèvements prévus à l’art. 32 de la LHQ et à l’art. 68 de la LRE sont visés par l’art. 20 du contrat de 1926 et Hydro‑Québec peut donc en réclamer le paiement à Résolu. Premièrement, bien qu’Hydro‑Québec soit une mandataire de l’État, elle n’en reste pas moins une entité séparée et le législateur peut donc lui imposer une taxe ou une redevance. Les montants perçus se distinguent des revenus perçus par l’État lorsqu’Hydro‑Québec déclare des dividendes, même si toutes les actions d’Hydro‑Québec appartiennent à l’État; on ne peut pas les amalgamer. Ensuite, les sommes payables en vertu de l’art. 68 de la LRE de même que le prélèvement prévu à l’art. 32 de la LHQ constituent une taxe ou une redevance, et non une affectation de revenus de l’État. Que le législateur ait décidé d’affecter les montants perçus au Fonds des générations ne change pas la nature du prélèvement. Il importe de ne pas confondre la nature du prélèvement avec l’endroit où il doit être versé. De plus, la lecture du contrat tend à indiquer que l’intention des parties était que le prix de l’électricité reste stable, sous réserve de l’imposition de nouvelles taxes et redevances, de sorte que le revenu net de la société vendeuse demeure constant, mais que celle‑ci ne soit pas pénalisée si ses coûts de production augmentent en raison d’une taxe ou d’une redevance non anticipée sur l’électricité. Enfin, il n’y a pas eu prescription ou renonciation tacite à réclamer le paiement de la taxe prévue par la LRE.

                    Les juges Côté et Rowe (dissidents) : Le pourvoi devrait être accueilli et la décision de la Cour supérieure rétablie. La juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en concluant qu’Électricité Gatineau n’a pas cédé à Hydro‑Québec le contrat de 1926 et que le contrat de 1965 a plutôt constitué Hydro‑Québec mandataire d’Électricité Gatineau. La qualité de cocontractante d’Électricité Gatineau au contrat de 1926 n’a donc pas été transmise à Hydro‑Québec et cette dernière est un tiers à ce contrat. L’effet relatif du contrat de 1926 empêche Hydro‑Québec d’invoquer la clause d’ajustement de prix afin de refiler les taxes ou redevances auxquelles elle peut être tenue. Par conséquent, Résolu n’est pas tenue de payer la redevance de l’art. 32 LHQ ni celle de l’art. 68 LRE. La Cour d’appel n’aurait pas dû intervenir en analysant le dossier sous un nouvel angle et sans égard aux conclusions factuelles de la Cour supérieure et au contrat judiciaire dont elle était saisie.

                    La qualification d’un contrat doit être considérée comme une question mixte de fait et de droit lorsqu’elle implique l’examen d’une multitude d’éléments factuels tels que les circonstances entourant la formation du contrat et la manière dont les parties l’ont ensuite appliqué. Dans un tel cas, c’est la norme de l’erreur manifeste et déterminante qui s’applique à l’intervention en appel, à moins qu’on puisse isoler une erreur de droit. Les questions mixtes doivent être abordées avec une grande déférence par les cours siégeant en appel, puisque la réponse à ces questions est tributaire du poids accordé à la preuve par le juge de première instance, lequel occupe une position beaucoup plus avantageuse qu’une cour d’appel pour les évaluer et les apprécier. En l’espèce, pour déterminer si les motifs de la juge de première instance sont entachés d’une erreur révisable, il incombe à la Cour de réviser la décision de la Cour supérieure et de se pencher sur les arguments qui lui ont été soumis et la manière dont elle en a disposé.

                    Premièrement, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en rejetant les trois arguments relatifs à la cession avancés par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont jamais prétendu devant la Cour supérieure que le contrat de 1965 aurait opéré cession du contrat de 1926. Elles ont plutôt prétendu que la cession aurait eu lieu soit en 1982 lorsqu’Hydro‑Québec et Résolu ont conclu un contrat pour la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité, soit en 1997 lorsqu’Hydro‑Québec est devenue le distributeur exclusif d’électricité en vertu de la Loi sur la Régie de l’énergie, soit en 2005‑2006 lorsqu’Électricité Gatineau a transféré la propriété de ses centrales à Hydro‑Québec. La juge de première instance a bien saisi que le débat était de savoir s’il y avait eu cession du contrat soit en 1982, soit en 1997, ou encore en 2005‑2006. Elle a disposé du débat tel qu’il lui était présenté. Elle n’a pas commis d’erreur révisable en interprétant le contrat de 1982 comme n’opérant pas cession, en ne retenant pas l’argument voulant que l’entrée en vigueur de la Loi sur la Régie de l’énergie en 1997 ait affecté l’effet relatif du contrat de 1926, ou en rejetant l’argument voulant que le transfert de la propriété des centrales en 2005‑2006 ait opéré cession du contrat de 1926, vu l’absence de preuve d’opposabilité et le fait qu’une lecture de ces actes de transfert ne révèle aucune soi‑disant cession de contrat.

                    Ensuite, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en acceptant l’argument de Résolu — alors non contesté — à l’effet que le contrat de 1965 n’a pas opéré cession. La preuve au dossier lui permettait de tirer une telle conclusion et il était tout à fait approprié de donner effet au contrat judiciaire liant les parties en faisant droit à l’argument non contesté de Résolu, après avoir rejeté les trois arguments d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau.

                    La conduite postérieure des parties confirme la conclusion de la première juge à cet égard. L’article 1426 du C.c.Q. invite à tenir compte de la conduite subséquente des parties afin d’interpréter le contrat. Cette règle s’appuie sur la prémisse suivante : les parties sont présumées vouloir exécuter leurs obligations plutôt que de les éviter et leur comportement jusqu’au jour où un litige naît est un indicateur de leur intention commune qui a été antérieurement cristallisée dans leur contrat. La conduite postérieure des parties prend une importance encore plus grande lorsqu’il s’agit de contrats de longue durée, puisque plus le temps court, plus la conduite postérieure des parties s’imposera comme preuve de leur intention initiale. La juge de première instance s’est appuyée dans une large mesure sur les éléments factuels qui lui ont été présentés et elle n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en s’appuyant sur la conduite postérieure des parties. En effet, l’absence de preuve d’opposabilité de la cession s’additionnait aux états financiers ne référant aucunement à une quelconque cession, aux avis de renouvellement tous adressés à Électricité Gatineau, aux factures qui distinguaient l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926 de celle fournie aux termes du contrat de 1982, au témoignage d’un cadre d’Hydro‑Québec confirmant l’absence de cession et à la réinterprétation opportuniste de la situation juridique prévalant entre les parties afin d’y voir une cession du contrat de 1926.

                    La juge de première instance était également liée par le contrat judiciaire intervenu entre les parties, dans lequel la qualification du contrat de 1965 n’était pas contestée. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, sur qui le fardeau reposait, n’ont pas contesté que le contrat de 1965 constituait Hydro‑Québec mandataire et n’opérait pas cession du contrat de 1926. Leur position était plutôt que le contrat de 1965 est un contrat de mandat, vente et louage et que la cession aurait eu lieu postérieurement, soit au plus tôt en 1982. Seule Résolu a abordé l’interprétation des termes du contrat de 1965, et ce, afin de démontrer qu’il n’a pas opéré cession, alors que le fardeau de preuve ne lui appartenait pas. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont offert aucune interprétation des termes du contrat de 1965 qui contredirait la portée du contrat qu’avançait Résolu. Il est justifié de la part d’un juge du procès de faire droit à un argument non contesté et de ne pas entreprendre un exercice d’interprétation inutile. Exiger autrement minerait les fondements mêmes du système contradictoire. L’article 10 du Code de procédure civile réitère le caractère contradictoire du système de justice civile. Ce sont les parties qui ont la maîtrise de leur dossier et non les tribunaux (art. 19 al. 1 C.p.c.). Les tribunaux ne peuvent donc pas fonder leur décision sur des arguments ou justifications qui ne font pas l’objet d’un débat (art. 17 al. 2 C.p.c.). Le principe de la proportionnalité et de la saine administration des ressources judiciaires n’en demande pas moins (art. 18 C.p.c.).

                    La contestation entre les parties devient liée lorsque les parties de part et d’autre ont présenté leurs arguments; le contrat judiciaire reflète alors le lien d’instance entre les parties quant aux questions qui sont en litige et celles qui ne sont pas disputées. Ce contrat judiciaire lie également le juge du procès. Le juge du procès ne peut donc passer outre à celui‑ci et décider d’un moyen ou d’un argument qui n’est pas en litige. Ceci vaut même lorsque le contrat judiciaire porte sur une question de droit, à moins qu’il ne s’agisse d’une matière d’ordre public qui permettrait au juge de s’écarter du consentement des parties. Bien que l’admission en droit ne lie pas les tribunaux à proprement parler, il n’empêche que les tribunaux doivent prendre acte de la décision d’une partie de ne pas contester, et donc de reconnaître, l’existence d’une situation juridique. La tâche du juge consiste d’abord à rechercher là où les parties lui demandent de rechercher et non de recadrer le débat. Le rôle du tribunal devant rendre un jugement déclaratoire se limite à trancher la difficulté réelle qui oppose les parties quant à la portée d’un acte juridique précis; le tribunal doit donc veiller à respecter les paramètres délimités du débat qui est devant lui afin de ne pas causer préjudice aux futurs moyens de droit soulevés par les parties ou aux intérêts des tiers non‑parties à l’instance.

                    En l’espèce, le cœur de la contestation formant le contrat judiciaire entre les parties portait sur la cession à l’un ou l’autre des trois moments suggérés. Le lien d’instance entre les parties n’incluait pas la qualification du contrat de 1965. La juge de première instance a concentré son analyse sur le cœur de cette contestation. Après avoir rejeté les arguments d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau, il ne restait plus que l’argument non contesté de Résolu à l’effet que le contrat de 1965 n’aurait pas non plus opéré cession, une situation juridique qui, selon la juge de première instance, était confirmée par l’absence de preuve d’opposabilité et par la preuve au dossier relative à la conduite postérieure des parties. Par conséquent, la juge de première instance n’avait pas à se pencher de manière approfondie sur l’interprétation du contrat de 1965 et il n’est pas approprié de se livrer en appel à un exercice dont la juge de première instance n’a pas été pleinement saisie en analysant de manière fouillée le contrat de 1965.

                    La juge de première instance n’ayant pas commis d’erreur révisable en concluant que le contrat de 1926 n’a pas été cédé en faveur d’Hydro‑Québec, Électricité Gatineau n’a pas transmis sa qualité de partie contractante au contrat de 1926 à Hydro‑Québec. N’étant pas partie au contrat de 1926, Hydro‑Québec ne peut donc pas majorer le prix de l’électricité fournie à Résolu. En effet, c’est le statut de partie contractante au contrat de 1926 qui permet d’invoquer la clause d’ajustement de prix afin de refiler les « taxes » ou « redevances » payées. Le principe de l’effet relatif des contrats fait en sorte qu’un contrat ne produit d’effet qu’entre les parties contractantes et qu’il n’en a point quant aux tiers (art. 1440 C.c.Q.). Par conséquent, les tiers ne peuvent invoquer le contenu d’un contrat pour leur propre bénéfice, hormis quelques exceptions fort limitées, qui ne sont pas ici applicables. Les termes du contrat de 1926 prévoient que les seules parties contractantes sont Résolu et Électricité Gatineau. L’effet relatif du contrat de 1926 empêche donc Hydro‑Québec d’invoquer la clause d’ajustement de prix qui y est prévue afin de refiler les redevances qu’elle a payées en vertu de la LHQ et de la LRE.

Jurisprudence

Citée par le juge Kasirer

                    Arrêt appliqué : Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59; arrêt approuvé : N.C. Hutton Ltd. c. Canadian Pacific Forest Products Ltd., 1999 CanLII 13538; arrêt examiné : Modern Concept d’entretien inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28, [2019] 2 R.C.S. 406; arrêts mentionnés : Quebec (Attorney General) c. Algonquin Développements Côte‑Ste‑Catherine inc. (Développements Hydroméga inc.), 2011 QCCA 1942, [2011] R.J.Q. 1967; Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729; Pincourt (Ville de) c. Construction Cogerex ltée, 2013 QCCA 1773; Groupe Sutton‑Royal inc. (Syndic de), 2015 QCCA 1069; Aqueduc du Lac St. Jean c. Fortin, [1925] R.C.S. 192; General Accident Insurance Co. c. Cie de chauffage Gaz naturel, [1978] C.S. 1160; Banque royale du Canada c. P.G. du Québec, [1976] C.S. 634; Hamel c. Banque de Montréal, 2008 QCCS 3603; Nesterenko c. Skierka, 2010 QCCS 3613, [2010] R.J.Q. 2007; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963; Place Québec inc. c. Desmarais, [1975] C.A. 910; Denis Cimaf inc. c. Caisse populaire d’Amos, 1997 CanLII 10252; Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec c. Modern Concept d’entretien inc., 2017 QCCA 1237, conf. par 2019 CSC 28, [2019] 2 R.C.S. 406; Lee c. Pointe of View Developments (Encore) Inc., 2010 ABQB 558, 35 Alta. L.R. (5th) 42; Immobilière Natgen inc. c. 2897041 Canada inc., [1998] R.D.I. 545; Caisse populaire de Maria c. Beauvais et Verret Inc., [1994] R.D.J. 592; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 132.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Hydro‑Québec c. Matta, 2020 CSC 37, [2020] 3 R.C.S. 595; Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59; 3091‑5177 Québec inc. (Éconolodge Aéroport) c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2018 CSC 43, [2018] 3 R.C.S. 8; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro‑Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352; J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167; Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729; Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138; Skyline Holdings Inc. c. Scarves and Allied Arts Inc., 2000 CanLII 9274; Richer c. Mutuelle du Canada (La), Cie d’assurance sur la vie, [1987] R.J.Q. 1703; Rainboth c. O’Brien (1915), 24 B.R. 88; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287; Compagnie d’assurances générales Co-Operators c. Coop fédérée, 2019 QCCA 1678, conf. par 2020 CSC 41, [2020] 3 R.C.S. 785; Gervais c. Association canadienne de protection médicale, 2007 QCCS 4564; Janacek c. Bell Canada, [2001] R.J.Q. 584; Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, [2017] 1 R.C.S. 283; Droit de la famille — 871, [1990] R.J.Q. 2107; Apple Canada Inc. c. St‑Germain, 2010 QCCA 1376, [2010] R.J.Q. 1627; Sunoco inc. c. Église Vie et Réveil inc., les ministères d’Alberto Carbone, 2002 CanLII 62388; Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2015 QCCA 152, conf. par 2016 CSC 52, [2016] 2 R.C.S. 521; 4077334 Canada inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté, 2013 QCCS 2859.

Lois et règlements cités

Code civil du Bas‑Canada, art. 1138, 1571, 1619, 1655, 2577, 2578.

Code civil du Québec, art. 1110, 1113, 1114, 1310, 1425, 1426, 1427, 1434, 1439, 1440, 1508 et suiv., 1517, 1637, 1641, 1671, 1870 à 1873, 2130, 2138 al. 1 et 2, 2475, 2476.

Code civil (France), art. 1216, 1216‑1.

Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 10, 17 al. 2, 18, 19 al. 1, 79, 142.

Loi concernant la Commission hydroélectrique de Québec, S.R.Q. 1941, c. 98A [mod. 1944, c. 22], art. 4, 10, 29, 40.

Loi modifiant la Loi pour assurer le progrès de l’éducation, S.Q. 1947, c. 32, art. 9.

Loi pour assurer le contrôle budgétaire de certaines dépenses, S.Q. 1961, c. 8, art. 13, 18.

Loi pour assurer le progrès de l’éducation, S.Q. 1946, c. 21, art. 2, 3, 19 al. 1 et 2.

Loi sur Hydro‑Québec, RLRQ, c. H‑5, art. 3.1.1, 3.1.2, 3.1.3, 16, 32.

Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, L.Q. 2006, c. 24.

Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, RLRQ, c. R‑2.2.0.1, art. 2.

Loi sur la Régie de l’énergie, L.Q. 1996, c. 61, art. 62.

Loi sur le régime des eaux, RLRQ, c. R‑13, art. 68.

Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S‑31.1, art. 227.

Doctrine et autres documents cités

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Vauclair, Marcotte et Roy), 2019 QCCA 30, [2019] AZ‑51560250, [2019] J.Q. no 56 (QL), 2019 CarswellQue 102 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision de la juge Le Bel, 2016 QCCS 3862, [2016] AZ‑51315251, [2016] J.Q. no 10288 (QL), 2016 CarswellQue 7668 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Côté et Rowe sont dissidents.

                    Yves Martineau, Patrick Girard et Guillaume Boudreau‑Simard, pour l’appelante.

                    Dominique Ménard, Max R. Bernard et Nicolas Roche, pour les intimées.

Le jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Martin et Kasirer a été rendu par

                    Le juge Kasirer —

I.               Survol

[1]                             En 2011, l’appelante PF Résolu Canada inc. (« Résolu ») — une entreprise forestière — reçoit une facture d’électricité inattendue. S’appuyant sur une clause d’un contrat d’approvisionnement datant de 1926, l’intimée Hydro‑Québec cherche à augmenter substantiellement le prix de l’électricité que Résolu achète d’elle, invoquant des taxes ou redevances qu’Hydro‑Québec paie au gouvernement du Québec et qu’elle peut, selon le contrat de 1926, réclamer à Résolu.

[2]                              Résolu y voit une injustice. Elle affirme que, comme Hydro‑Québec n’a été constituée que dans les années 1940, cette dernière n’a pas signé le contrat de 1926, qui demeure en vigueur et lierait plutôt Résolu à la Compagnie d’électricité Gatineau (« Électricité Gatineau »), une société privée de production d’électricité. Hydro‑Québec répond qu’il n’en est rien, car même si Électricité Gatineau existe toujours, elle lui aurait cédé ce contrat en 1965 lors d’une étape de la nationalisation de l’électricité au Québec, cession à laquelle la Canadian International Paper Company (« CIP »), l’entreprise qui a précédé Résolu, a consenti d’avance dans le contrat initial.

[3]                             Résolu conteste à son tour : bien lu, le contrat entre Électricité Gatineau et Hydro‑Québec fait de cette dernière une simple mandataire pour la gestion du contrat de 1926 plutôt qu’une véritable partie contractante en son propre nom. De surcroît, il serait inacceptable de considérer comme une cession de contrat valide l’arrangement conclu en 1965 par Électricité Gatineau et Hydro‑Québec à l’insu de l’appelante. Cela lui imposerait, sans son consentement, un vis-à-vis pour le contrat de 1926 avec qui elle n’a pas accepté de faire affaire. Résolu dit ne rien devoir à Hydro‑Québec à ce titre, puisqu’elle est débitrice d’Électricité Gatineau seulement. Elle recherche donc une déclaration portant que les taxes ou redevances qui sont demandées par Hydro‑Québec et qui ont pour effet de majorer le prix de l’électricité ne peuvent lui être réclamées, déclaration qui lui est d’abord accordée en première instance (2016 QCCS 3862), puis refusée en appel (2019 QCCA 30).

[4]                             Dans le présent pourvoi, la Cour est invitée à revoir les conditions et effets de la cession de contrat, opération juridique par laquelle, selon la conclusion de la Cour d’appel, la cédante Électricité Gatineau, partie contractante, transfère entre vifs à la cessionnaire Hydro‑Québec les créances et les dettes issues du contrat conclu en 1926 avec la cédée, devenue depuis Résolu[1].

[5]                             Conçue tantôt comme l’addition d’une cession de créances à un transfert de dettes, tantôt comme la transmission du contrat comme un tout, la cession conventionnelle de contrat est depuis longtemps source d’incertitudes chez les juristes. Ces incertitudes, d’ordre conceptuel et moral, découlent en partie, peut-on le supposer, de l’absence de régime nommé dans les codes civils. En effet, bien que le Code civil du Bas Canada (« C.c.B.-C. ») et le Code civil du Québec (« C.c.Q. ») réglementent certaines formes particulières de cessions de contrat (p. ex., la cession de bail aux art. 1870 à 1873 C.c.Q. et aux art. 1619 et 1655 C.c.B.-C.; la cession du contrat d’assurance aux art. 2475 et 2476 C.c.Q. et aux art. 2577 et 2578 C.c.B.-C.), ils ne prévoient pas de régime général explicite à l’égard de cette technique commerciale pourtant bien connue.

[6]                             Ainsi, les civilistes s’interrogent depuis longtemps sur la cession de contrat, parce que, selon la conception subjective du contrat, celui-ci est « un lien, pas un bien » et « un lien contractuel ne peut pas se céder car, comme la dette, il n’a pas de valeur patrimoniale » (voir la description de J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations, vol. 3, Le rapport d’obligation (8e éd. 2013), no 400 (italique omis)). Sur le plan moral — et en ceci on rejoint directement les griefs de Résolu en appel — l’absence du consentement de la partie cédée à la cession intervenue entre la partie cédante et la partie cessionnaire est au cœur des préoccupations. D’aucuns ont soulevé le caractère potentiellement injuste de l’imposition à la partie cédée d’une nouvelle débitrice qui pourrait se révéler non fiable, voire insolvable à la suite de la cession d’un contrat. Plus fondamentalement encore, les principes de la force obligatoire et de l’effet relatif du contrat sont parfois vus comme des obstacles dirimants à la circulation du contrat dans la mesure où la cession imposerait à la partie cédée une nouvelle partie contractante ainsi que de nouveaux engagements auxquels elle n’a pas consenti (voir les explications de F. Levesque, Précis de droit québécois des obligations : contrat, responsabilité, exécution et extinction (2014), par. 928 et 1019; et de J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.-G. Jobin et N. Vézina, no 1042).

[7]                             Or, malgré ces incertitudes et les silences apparents du droit commun, la cession de contrat est bien ancrée dans la vie commerciale et permet aux parties contractantes de réaliser, comme ici, des objectifs complexes (voir, p. ex., D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 3227). Le présent pourvoi confirme la riche vocation de la cession de contrat comme technique d’affaires, puisqu’étant elle-même un contrat, la cession jouit d’une plasticité légitime, soutenue par le principe de l’autonomie de la volonté. Ici, les parties ont mis au point un mécanisme de cession original — avec effet translatif des droits et des obligations prévus au contrat, effet qui est toutefois limité dans le temps par un bail auquel la cession est accessoire. En l’espèce, la technique de la cession a permis de mettre en équilibre, lors d’une étape de la nationalisation de l’électricité, les intérêts de la cédante Électricité Gatineau et de ses créanciers garantis, les intérêts de l’État et d’Hydro‑Québec, et même, malgré ses objections aujourd’hui, les intérêts de Résolu dans le contrat cédé.

[8]                             Le litige entre les parties permet justement de voir comment la cession du contrat — vue comme le transfert à la partie cessionnaire non seulement des droits et des obligations, mais également du contrat lui-même — peut être réalisée tout en protégeant les intérêts de la partie cédée, dans le respect des principes de la force obligatoire et de l’effet relatif du contrat. En plus de constituer une technique composite formée de deux mécanismes visant le transfert respectivement de créances et de dettes contractuelles, la cession représente d’abord et avant tout, en l’espèce, un mécanisme juridique par lequel une partie au contrat de 1926, la cédante Électricité Gatineau, transfère sa « qualité de partie contractante »[2] à une tierce partie, la cessionnaire Hydro‑Québec, de manière à respecter le fondement moral de l’effet relatif du contrat d’origine. Dans l’ensemble, les objections avancées par Résolu, notamment quant à l’absence de consentement de sa part à l’opération, trouvent réponse dans des règles de droit qui protègent les intérêts de la partie cédée en exigeant le consentement de celle‑ci pour que la cession soit valide. L’interprétation que je propose ici rejoint donc un courant important de la doctrine et de la jurisprudence québécoises, ainsi que le droit français récemment réformé, autant d’autorités qui reconnaissent désormais qu’aucun empêchement conceptuel ou moral ne s’oppose à la cession d’un contrat, considéré comme une valeur patrimoniale en lui-même, pour autant que l’opération protège les intérêts de la partie cédée.

II.            Contexte

[9]                             En 1926, CIP et Électricité Gatineau signent un contrat synallagmatique et à exécution successive d’approvisionnement en électricité aux termes duquel Électricité Gatineau s’engage à fournir mensuellement 40 000 kW d’électricité à CIP, qui s’engage en retour à en acquitter le prix. Dans le préambule du contrat, les parties notent qu’Électricité Gatineau construit des installations hydroélectriques sur la rivière Gatineau et que CIP souhaite obtenir de l’électricité en provenance de ces installations pour exploiter ses usines. Le terme initial du contrat est fixé à 40 ans, terme renouvelable au choix de CIP pour des périodes additionnelles de 10 ans. Il est admis que le contrat de 1926 a été renouvelé plusieurs fois et qu’il est toujours en vigueur. Il est également admis que, par suite de diverses transactions qui ne sont pas ici en cause, Résolu est titulaire des droits et obligations de CIP prévues au contrat de 1926.

[10]                         Le prix de l’électricité est stabilisé par le contrat de 1926. L’article 20 de celui-ci prévoit toutefois que CIP acceptera les majorations du prix de l’électricité découlant de futures augmentations des taxes ou des redevances imposées par le gouvernement provincial ou fédéral sur l’énergie électrique produite par les forces hydrauliques :

[traduction] L’acheteur convient que si, pendant la durée de la présente entente, une taxe ou redevance fédérale ou provinciale future est prélevée sur l’énergie électrique produite par les forces hydrauliques et a pour effet d’augmenter les taxes et redevances actuellement applicables, le montant de la taxe ou redevance en question, mais pas plus que le montant de l’augmentation, sera alors ajouté aux factures d’énergie électrique émises en vertu de la présente entente.

(d.a., vol. I, p. 174)

Cette clause d’ajustement du prix n’est cependant jamais invoquée par Électricité Gatineau.

[11]                         Le contrat comporte diverses stipulations ayant trait aux quantités d’électricité à être livrées par Électricité Gatineau et aux modalités de paiement du prix de cette électricité, y compris même une clause donnant à Électricité Gatineau la faculté d’en demander paiement [traduction] « en monnaie d’or » (art. 15). On y trouve également des engagements mutuels connexes à la vente d’électricité, comme des clauses de renouvellement (art. 21), de règlement des différends (art. 18 et 19), ainsi qu’une clause portant sur la responsabilité civile des parties en cas de dommage aux personnes ou aux biens (art. 7). Outre l’art. 20, qui traite de la fixation du prix, deux dispositions méritent une attention particulière relativement aux questions en litige. À l’article 17, les parties acceptent que le contrat soit soumis à la réglementation provinciale et fédérale, tant présente que future. À l’article 22, elles stipulent que [traduction] « [l]es successeurs ou ayants droit des deux parties bénéficient de la présente entente et sont liés par celle-ci ».

[12]                         Au début des années 1960, le gouvernement du Québec acquiert le capital‑actions de plusieurs sociétés privées de production d’électricité, dont Électricité Gatineau. Depuis, cette dernière est devenue une « filiale en propriété exclusive » d’Hydro‑Québec (m.a., par. 7). Cette phase du processus de nationalisation de l’électricité survient après la création d’Hydro‑Québec et l’expropriation d’une entreprise montréalaise en 1944, expropriation qui comprenait tous les biens meubles et immeubles servant à la production d’électricité ainsi que l’essentiel des contrats de l’entreprise expropriée. Dans cette nouvelle phase visant Électricité Gatineau, le gouvernement du Québec n’emploie plus la voie de l’expropriation, mais procède plutôt par voie d’achat d’actions des entreprises visées, une méthode préconisée par la loi (voir Loi concernant la Commission hydroélectrique de Québec, S.R.Q. 1941, c. 98A (insérée dans les Statuts refondus par S.Q. 1944, c. 22), art. 40, loi à laquelle le contrat de 1965 fait référence).

[13]                         Ainsi, en 1965, Hydro‑Québec conclut avec Électricité Gatineau un contrat bilatéral qui s’inscrit dans une opération plus large visant à unifier la gestion et les opérations de cette dernière et des autres entreprises privées dont Hydro‑Québec a déjà acheté les actions. Ce contrat prévoit la vente de tous les biens meubles d’Électricité Gatineau à Hydro‑Québec, ainsi que la location à celle-ci de tous les immeubles de la première pour un terme de 25 ans. Le contrat stipule qu’Hydro‑Québec assumera certaines responsabilités envers les créanciers d’Électricité Gatineau, notamment à l’égard d’obligations souscrites en vertu d’un acte de fiducie auquel renvoie le contrat. Le contrat doit être approuvé par les [traduction] « détenteurs des obligations » en question. Hydro‑Québec recevra les bénéfices des contrats d’alimentation d’Électricité Gatineau et pourra exploiter les lieux loués de celle‑ci comme elle le ferait s’ils étaient les siens.

[14]                         Selon la convention d’admissions des parties, ce contrat est toujours en vigueur. Jusqu’en 2011, année du début du débat opposant les parties, les états financiers d’Électricité Gatineau indiquent en effet que le contrat de location de 1965 continue toujours de s’appliquer, ayant été renouvelé tacitement.

[15]                         La question suivante est au cœur du litige : Le contrat de 1965 a-t-il fait d’Hydro‑Québec la cocontractante de Résolu par l’effet d’une cession du contrat de 1926?

[16]                         Pour ce qui est du contexte entourant la formation du contrat de 1965, la preuve au dossier est quasi-inexistante; quant au comportement des parties à la suite de la conclusion du contrat, elle est fragmentaire. On sait toutefois que, depuis au moins 1999, toutes les factures pour l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926 sont émises par Hydro‑Québec. En 1986, 1996 et 2006, les avis de renouvellement du contrat de 1926 sont envoyés à « Gatineau Power Company a/s Hydro‑Québec ». Selon l’extrait daté de 2012 du registre des entreprises du Québec et une preuve testimoniale non contestée, Électricité Gatineau est inactive, n’a aucun salarié travaillant activement pour elle et n’a même pas de compte en banque. Elle a son domicile au siège social d’Hydro‑Québec et c’est cette dernière qui nomme les dirigeants et administrateurs d’Électricité Gatineau.

[17]                         En 1982, CIP et Hydro‑Québec concluent un contrat d’électricité pour la fourniture d’une puissance additionnelle. Le nouveau contrat identifie Hydro‑Québec comme « [l]e fournisseur [qui] fournit déjà à l’abonné une puissance de 40 000 kilowatts » et renvoie explicitement à l’entente initialement « intervenue entre Gatineau Power et Canadian International Paper Company » en 1926 (art. 4a)). Électricité Gatineau n’intervient pas dans cette entente. Le contrat lie Résolu en tant que successeur de CIP.

[18]                         En 1996, la province adopte la Loi sur la Régie de l’énergie, L.Q. 1996, c. 61, qui confère à Hydro‑Québec, sauf pour quelques exceptions, le monopole sur la distribution de l’électricité au Québec (art. 62).

[19]                         Entre 2005 et 2009, Électricité Gatineau cède à Hydro‑Québec trois centrales d’électricité sur la rivière Gatineau qu’elle lui louait et qui, avant la nationalisation, alimentaient CIP. Après la cession de ces trois centrales, Électricité Gatineau est toujours propriétaire d’immeubles, comme en témoignent ses états financiers. En 2011, Électricité Gatineau déclare que ces immobilisations corporelles ont une valeur non consolidée d’environ 18 millions de dollars. Selon l’admission des parties, Électricité Gatineau possède une centrale de production d’hydroélectricité sur la rivière des Outaouais.

[20]                         À partir de 2007, Hydro‑Québec se voit imposer deux prélèvements : un nouveau montant fixé par l’art. 32 de la Loi sur Hydro‑Québec, RLRQ, c. H‑5 (« LHQ »), et celui prévu à l’art. 68 de la Loi sur le régime des eaux, RLRQ, c. R‑13 (« LRE »), dont elle était auparavant exemptée. Les sommes prélevées sont versées dans le Fonds des générations, un fonds visant à réduire la dette publique créé en 2006 par le gouvernement du Québec.

[21]                         Le 30 novembre 2011, Hydro‑Québec fait parvenir à AbiBow Canada inc., successeur de CIP et devenue aujourd’hui Résolu, une facture d’électricité s’élevant à plus de trois millions de dollars. La lettre accompagnant cette facture fait état du contrat de 1926, y compris de la clause d’ajustement de prix. Une partie substantielle du montant qu’Hydro‑Québec réclame maintenant à Résolu correspond à l’augmentation du prix de l’électricité découlant des prélèvements imposés à Hydro‑Québec, au cours des trois dernières années en vertu de l’art. 32 de la LHQ et l’art. 68 de la LRE.

[22]                         Résolu s’oppose à cette augmentation. Elle acquitte sous protêt la facture envoyée par Hydro‑Québec et dépose devant la Cour supérieure une action en jugement déclaratoire et en remboursement. Elle demande à la cour de déclarer qu’elle ne doit ni à Hydro‑Québec, ni à Électricité Gatineau le montant qui lui est réclamé.

A.           Le jugement de la Cour supérieure du Québec (la juge Le Bel), 2016 QCCS 3862

[23]                         La Cour supérieure accueille la requête introductive d’instance en jugement déclaratoire amendée de Résolu. Elle déclare qu’Hydro‑Québec ne pouvait pas réclamer à Résolu les prélèvements prévus à l’art. 32 de la LHQ et à l’art. 68 de la LRE, et qu’elle ne pouvait pas non plus réclamer les arrérages ou les frais d’administration liés à ces prélèvements. La juge ordonne le remboursement des sommes payées en trop.

[24]                         La juge refuse de conclure que, par l’effet du contrat de 1965, Électricité Gatineau a cédé à Hydro‑Québec ses droits et obligations dont elle a convenus en 1926. Elle note que rien n’indique que le contrat de 1965 a été porté à l’attention de Résolu. Elle rappelle aussi que Résolu continue à ce jour de bénéficier du contrat de 1926, dont l’existence a été confirmée en 1982 lorsqu’elle a contracté avec Hydro‑Québec pour obtenir de la puissance énergétique additionnelle.

[25]                         « Il est difficile de comprendre à quel moment précis une cession de contrat serait intervenue », écrit-elle, ajoutant que, depuis la nationalisation de l’électricité, Hydro‑Québec détient la totalité des actions d’Électricité Gatineau et qu’elle « administre ses biens et gère ses contrats » (par. 53 (CanLII)). La juge souligne qu’Hydro‑Québec a décidé d’acquérir les trois centrales d’Électricité Gatineau situées sur la rivière Gatineau et visées par les actes de cession conclus dans les années 2000. Si ces transactions devaient avoir quelque effet sur l’application et l’interprétation du contrat de 1926, poursuit la juge, Hydro‑Québec « n’en a jamais informé PF Résolu en temps utile [et il] est difficile de conclure que ces transactions ont eu pour effet d’opérer une cession de contrat » (par. 54).

[26]                         Même si l’art. 22 du contrat de 1926 autorise une cession du contrat, ajoute la juge, un tel changement ne peut être opposé à la contractante « sans être porté d’abord à sa connaissance » (par. 55). À tout événement, s’il y avait eu cession de contrat, elle n’aurait pas libéré Électricité Gatineau de ses obligations (par. 56).

[27]                         La juge conclut que les parties au contrat de 1926 sont toujours Électricité Gatineau et Résolu, et qu’Hydro‑Québec ne peut se prévaloir de l’art. 20 du contrat de 1926 (par. 60).

[28]                         La juge est également d’avis que les sommes exigées par Hydro‑Québec ne constituent pas une [traduction] « taxe ou redevance » visée par l’art. 20 du contrat de 1926, mais plutôt des sommes appartenant déjà à l’État affectées à la réduction de la dette publique (par. 65-66). Dans ce contexte, elle conclut qu’on ne saurait dire que les sommes ainsi prélevées auprès d’Hydro‑Québec, qui appartiennent déjà à la province, constituent une « taxe ou redevance » au sens du contrat de 1926 (par. 67).

B.            L’arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Vauclair, Marcotte et Roy), 2019 QCCA 30

[29]                         Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel accueille en partie l’appel d’Hydro‑Québec. Elle déclare que les prélèvements prévus à l’art. 32 de la LHQ et à l’art. 68 de la LRE constituent des taxes ou redevances payables par Résolu à Hydro‑Québec en application de l’art. 20 du contrat de 1926. Par ailleurs, elle confirme qu’Hydro‑Québec ne pouvait réclamer des arrérages avant le mois d’octobre 2011 et que, comme la Cour supérieure l’a décidé, elle doit rembourser les sommes perçues en trop.

[30]                         Dans un premier temps, la Cour d’appel examine la question de savoir si les prélèvements en cause sont des taxes ou redevances au sens de l’art. 20 du contrat de 1926. Elle écrit qu’il faut ici donner aux termes [traduction] « taxe ou redevance » leur sens usuel (par. 12 (CanLII)). Elle propose de suivre l’arrêt Quebec (Attorney General) c. Algonquin Développements Côte-Ste-Catherine inc. (Développements Hydroméga inc.), 2011 QCCA 1942, [2011] R.J.Q. 1967, dans lequel il a été jugé que « les sommes payables en vertu de l’article 68 de la Loi sur les régimes des eaux constituent une taxe » (par. 13). Quant au prélèvement imposé par l’art. 32 de la LHQ, la Cour d’appel retient qu’il n’est pas nécessaire de déterminer s’il s’agit d’une taxe ou d’une redevance, puisque toutes deux sont visées par le contrat de 1926 (par. 15).

[31]                         La Cour d’appel écarte l’argument de Résolu selon lequel les prélèvements sont une « affectation » des revenus de l’État plutôt qu’une « taxation », étant d’avis que Résolu « confond la nature juridique des frais payables à l’État — taxe ou redevance — et l’endroit où les sommes prélevées sont versées » (par. 16). Sur ce point, la Cour d’appel conclut donc que la juge de première instance a commis une erreur révisable en statuant que le contrat de 1926 ne s’appliquait pas aux prélèvements payables en vertu de l’art. 68 de la LRE et de l’art. 32 de la LHQ (par. 19).

[32]                         La Cour d’appel cherche ensuite à déterminer quelles sont les parties à l’entente de 1926, à la lumière de l’argument d’Hydro‑Québec selon lequel le contrat de 1965 effectue une cession de ce contrat d’Électricité Gatineau (cédante) à Hydro‑Québec (cessionnaire).

[33]                         La cour passe en revue des dispositions du contrat de 1965. À son avis, le mandat ne vise que les immeubles, puisqu’Hydro‑Québec achète les biens meubles d’Électricité Gatineau. Citant l’art. 6 du contrat de 1965, les juges d’appel écrivent que le contrat de 1926, y compris le droit d’exiger la fourniture d’électricité et l’obligation d’en payer le prix, a été vendu en tant que bien meuble, soulignant que « [l]es parties ont prévu que les contrats, instruments négociables, font partie de la vente » et que l’argent et l’électricité sont des biens meubles (par. 26). La Cour d’appel note aussi qu’Hydro‑Québec conserve tous les revenus des contrats d’approvisionnement, « alors qu’un mandataire les aurait perçus pour les remettre à son mandant » (par. 28).

[34]                         S’appuyant sur l’arrêt N.C. Hutton Ltd. c. Canadian Pacific Forest Products Ltd., 1999 CanLII 13538 (C.A. Qc), la cour souligne que les parties au contrat de 1926 avaient consenti à l’avance à la cession éventuelle de leur contrat.

[35]                         En somme, la cour est d’avis que la juge de première instance « a commis une erreur révisable en décidant que le contrat de 1926 n’avait pas été cédé à Hydro‑Québec » (par. 40). Ainsi, Hydro‑Québec peut facturer à Résolu le montant des redevances payées à l’État en application de l’art. 20 du contrat de 1926. Elle ne peut cependant facturer les redevances pour ce qui concerne la période antérieure à octobre 2011, la juge de première instance n’ayant commis aucune erreur quant à la rétroactivité et aux arrérages. Cette conclusion sur les arrérages n’est pas portée en appel devant notre Cour.

III.         Analyse

[36]                         Résolu oppose deux moyens principaux à la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle les prélèvements prévus à l’art. 32 de la LHQ et à l’art. 68 de la LRE constituent des taxes ou des redevances payables à Hydro‑Québec en application de l’art. 20 du contrat de 1926. 

[37]                         Dans un premier temps, Résolu nie qu’Hydro‑Québec puisse invoquer l’art. 20, étant donné que les parties à ce contrat ne sont à son avis qu’elle-même et Électricité Gatineau. Elle conteste la qualification retenue par la Cour d’appel au terme de son analyse du contrat de 1965 à savoir qu’il s’agit d’une cession de contrat , insistant que la juge de première instance n’a commis aucune erreur révisable dans l’interprétation de cette entente. De toute manière, même si l’on devait conclure que la qualification de l’entente comme étant une cession de contrat est la bonne, Résolu dit n’y avoir jamais consenti, de sorte que la prétendue cession ne serait ni valide, ni opposable à son endroit. Par ailleurs, cette cession ne pourrait rendre ses obligations plus onéreuses, ce qui serait le cas si, comme le dit Résolu, le prix fixé en 1926 était majoré ainsi que le demande Hydro‑Québec.

[38]                         Dans un deuxième temps, Résolu soutient que, même si Hydro‑Québec était partie au contrat de 1926, les prélèvements visés par l’art. 32 de la LHQ et l’art. 68 de la LRE ne sont pas une [traduction] « taxe ou redevance » sur l’hydroélectricité au sens de l’art. 20 de ce contrat.

[39]                         Il convient de noter que les deux contrats au cœur du litige ont été conclus avant l’entrée en vigueur du C.c.Q. Pour l’essentiel, les parties s’entendent sur le fait que l’application du C.c.B.-C. ou du C.c.Q. n’influe pas sur le sort du litige. Elles se sont peu attardées à cette question, tout comme la Cour supérieure et la Cour d’appel n’ont pas jugé nécessaire de préciser les différences entre les deux codes pour résoudre le dossier.

A.           Hydro‑Québec est-elle partie au contrat de 1926 et peut-elle l’invoquer à l’égard de Résolu?

[40]                         Résolu attaque la conclusion de la Cour d’appel. Pour Résolu, Hydro‑Québec est, comme l’a affirmé la première juge, mandataire et non cessionnaire d’Électricité Gatineau aux termes du contrat de 1965. Puisqu’Hydro‑Québec fait affaire avec Résolu comme représentante d’Électricité Gatineau, elle ne pourrait pas invoquer l’art. 20 du contrat de 1926 en son propre nom pour majorer le prix de l’électricité.

[41]                         Résolu avance, au soutien de l’interprétation du contrat de 1965 que fait la juge de première instance, trois arguments que je propose de traiter tour à tour : (1) Hydro‑Québec n’a pas allégué la cession de contrat et elle a même plaidé le contraire en première instance; (2) la Cour d’appel est intervenue sur la question hautement factuelle de l’interprétation du contrat sans relever d’une erreur manifeste et déterminante commise par la première juge; (3) la Cour d’appel a erronément conclu que la vente des biens meubles d’Électricité Gatineau à Hydro‑Québec emportait cession du contrat de 1926. Je traiterai ensuite des arguments subsidiaires de Résolu sur son premier moyen d’appel : (4) l’absence de consentement à la cession; (5) l’inopposabilité de la cession; (6) l’alourdissement de ses obligations aux termes du contrat de 1926 par l’effet de la cession de contrat.

(1)          La position d’Hydro‑Québec en première instance

[42]                         Résolu affirme qu’Hydro‑Québec n’a pas allégué la cession du contrat de 1926 en première instance et que, lors de sa plaidoirie devant la première juge, son avocat a même reconnu l’absence de cession.

[43]                         Cet argument a à bon droit été rejeté par la Cour d’appel (par. 39). La première juge — devant qui la preuve a été administrée et qui a entendu les plaidoiries — a compris qu’Hydro‑Québec soutenait essentiellement qu’elle était la cocontractante de Résolu et qu’il y avait eu cession du contrat de 1926 (voir par. 34 et 44). Dans son analyse, non seulement la juge se réfère-t-elle à cet argument à plusieurs reprises, mais elle en tient aussi compte et le rejette formellement (par. 59 et 60).

[44]                         En fait, Résolu a plaidé sur ce point en première instance (Plan d’argumentation de la demanderesse du 26 avril 2016, d.i., par. 3 et 23‑80; voir aussi d.a., vol. VI, p. 137-172). Une des questions fondamentales que soulève la présente affaire, selon elle, est celle de savoir « qui est la cocontractante de Résolu? ». Un peu plus loin, elle souligne que « c’est une question d’interprétation de D-1 [le contrat de 1965] qui nous amène ici aujourd’hui ». Elle résume bien les deux possibilités : « cession ou mandat ».

[45]                         La Cour d’appel prend bonne note de l’argument de Résolu selon lequel les intimées auraient admis qu’il n’y a pas eu de cession. Tout en constatant qu’Hydro‑Québec a présenté ses arguments « différemment », la cour rejette ce moyen (par. 39). Je partage son avis. Signalons que la position des intimées a toujours été que l’art. 20 du contrat de 1926 trouve application et qu’Hydro‑Québec peut demander la majoration du prix (voir, p. ex, d.a., vol. VII, p. 118-119, 124, 126 et 144; voir aussi d.a., vol. VIII, p. 27 et 39; Plan d’argumentation des défenderesses du 4 mai 2016, d.i., par. 1, 7, 20, 25, 29-34, 85, 106 et 109). En fait, un cadre d’Hydro‑Québec a même témoigné au procès qu’il n’avait aucune connaissance de la compagnie Électricité Gatineau ou de ses activités avant de commencer à s’occuper du dossier qui fait l’objet du présent débat en 2011.

[46]                         Lorsqu’on analyse la transcription de l’audience en première instance, il est possible de conclure que l’existence d’une certaine confusion quant à la portée de la convention d’admissions explique, en partie, le flottement apparent des positions des parties (voir, sur ce débat, d.a., vol. VIII, p. 1-19). L’avocat des intimées au procès semblait tenir pour acquis que le contrat de 1926 « produit ses effets entre AbiBow Canada inc. et Hydro‑Québec ». L’opposition des avocats de Résolu sur ce point l’avait pris « par surprise » en pleine plaidoirie. Après cet échange, les parties se sont entendues sur le fait que la question de savoir « qui est une partie contractante? » au regard du contrat de 1926, pour citer l’avocat de Résolu, demeurait en jeu. C’est également ce qu’on retient de la déclaration d’appel d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau.

[47]                         Logiquement, on comprend qu’Hydro‑Québec peut seulement se prévaloir de la clause de majoration du prix prévue dans le contrat de 1926 si elle est une cocontractante de Résolu. Tout porte à croire que la juge de première instance a compris qu’Hydro‑Québec n’avait fait aucune concession à cet égard, que ce soit dans ses actes de procédures ou dans sa plaidoirie. En effet, dans leur défense, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau nient formellement l’allégation suivante faite par Résolu dans sa requête introductive d’instance : « À la connaissance de PF Résolu, le Contrat n’a pas été cédé par Gatineau Power à [Hydro‑Québec], mais c’est cette dernière qui veille à son administration et perçoit les sommes payables à Gatineau Power au nom de celle‑ci ». Au final, la première juge a bien saisi que l’enjeu de la cession était au cœur du débat et elle a disposé de ce moyen dans son jugement.

(2)          L’intervention de la Cour d’appel

[48]                         Résolu soutient que, comme la Cour d’appel n’a pas relevé d’erreur manifeste et déterminante commise par la juge de première instance, elle ne pouvait pas infirmer son interprétation du contrat de 1965. Selon Résolu, la Cour d’appel se contente de proposer une interprétation différente de ce contrat, omettant ainsi de faire preuve de déférence envers l’interprétation retenue au procès.

[49]                         Résolu a certes raison de plaider que, sauf démonstration d’une erreur manifeste et déterminante, l’interprétation du contrat de 1965 proposée par la première juge doit être retenue, et ce, selon les enseignements de la Cour dans l’arrêt Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59. Regardons de plus près les démarches respectives de la Cour supérieure et de la Cour d’appel pour voir si une intervention de notre Cour s’impose en l’espèce.

[50]                         La juge de première instance cite dans son énoncé des faits diverses clauses du contrat de 1965 (les art. 3, 4, 5, 8, 9a), 9b) et 9g)) sans les analyser explicitement. Chose certaine, elle ne reproduit pas les art. 6 et 7 de ce contrat. En fait, la citation reproduisant les dispositions susmentionnées du contrat de 1965 est « tirée du mémoire de la demanderesse [Résolu] » (par. 15, n. 6), et est précédée d’une phrase liminaire, ajoutée dans ce même mémoire, qui qualifie ce contrat de « Bail/Mandat (D‑1) » (par. 15). On constate également que la première juge se préoccupe davantage de la question du « moment précis [où] une cession de contrat serait intervenue » que du fondement, dans le contrat de 1965, qui confirmerait ou infirmerait une telle conclusion (par. 53). Cela dit, elle affirme néanmoins que, de par le contrat de 1965, Électricité Gatineau « constitue [Hydro‑Québec] mandataire de la gestion de ses opérations et contrats » (par. 51) et que c’est Hydro‑Québec qui « administre [les] biens et gère [les] contrats » d’Électricité Gatineau (par. 53). Compte tenu des conclusions de la juge de première instance sur le sens à donner au contrat, on peut présumer qu’à son avis, les articles qu’elle cite consacrent le mandat de gérer le contrat de 1926 et s’opposent à l’interprétation selon laquelle une cession d’Électricité Gatineau à Hydro‑Québec est établie. Par ailleurs, la juge s’appuie sur certains éléments extrinsèques au contrat de 1965 au soutien de son interprétation, par exemple la nationalisation de l’électricité et le comportement post-contractuel des parties (voir par. 51). Forte d’une preuve intrinsèque et extrinsèque au contrat, elle se situe alors, dans son analyse, à la deuxième étape de l’exercice d’interprétation décrite par la Cour aux par. 36-37 de l’arrêt Uniprix, soit la recherche de l’intention commune des parties en l’absence de termes clairs.

[51]                         Les intimées invoquent des erreurs de « qualification » du contrat de 1965 ayant mené la juge à conclure à l’existence d’un mandat plutôt que d’une cession de contrat, laissant entendre que la norme d’intervention en l’espèce serait celle de l’erreur de droit. Or, j’estime, comme le plaide Résolu, que la norme demeure celle de l’erreur manifeste et déterminante. Avant de qualifier un contrat, il faut souvent l’interpréter (voir Uniprix, par. 39‑40). Même si la question ultime touche à la qualification du contrat — son rattachement à la bonne catégorie normative, c’est-à-dire une cession de contrat ou un mandat — il me semble évident qu’en l’espèce cette démarche est en grande partie le résultat d’un « exercice d’interprétation », pour employer l’expression des juges Wagner (maintenant juge en chef) et Gascon dans l’arrêt Uniprix (par. 43). Ce résultat dépend nécessairement du sens à donner aux clauses du contrat qui conditionnent l’exercice des droits et des obligations par Hydro‑Québec. 

[52]                         En conséquence, la Cour d’appel ne pouvait intervenir qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante commise par la première juge. Or, si Résolu a raison à l’égard de la norme applicable, elle se méprend toutefois quand elle soutient que la Cour d’appel n’était pas justifiée d’intervenir en l’espèce.

[53]                         Précisons que rien ne tend à indiquer que la Cour d’appel a identifié la mauvaise norme ici, c’est-à-dire qu’elle recherchait une erreur de droit et non une erreur manifeste et déterminante. Il est vrai que la Cour d’appel parle d’« erreur révisable » entachant la conclusion de la juge de première instance portant que le contrat de 1926 n’a pas été cédé à Hydro‑Québec (par. 40). Cette expression — qui englobe toute erreur permettant l’intervention d’une cour d’appel — est parfaitement adéquate pour indiquer que la juge a commis une erreur du type identifié dans l’arrêt Uniprix (voir aussi, p. ex., Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, par. 40-42).

[54]                         Il ressort d’une lecture attentive des motifs de la Cour d’appel que celle-ci est d’avis que la juge de première instance a commis une erreur manifeste en concluant, sur la base de son interprétation du contrat de 1965, que le mandat établi par ce contrat ne se limitait pas à la gestion des immeubles, mais incluait la gestion des contrats (voir par. 25 et 28). De plus, la cour relève, dans la lecture du contrat de 1965 ainsi que dans l’appréciation du comportement post-contractuel des parties, des erreurs qui confirment que, contrairement à l’interprétation retenue par la première juge, le contrat de 1926 a été cédé en 1965 (voir par. 32). Ces erreurs ont été déterminantes, aux yeux de la Cour d’appel, dans la mesure où elles ont mené la juge de première instance à conclure que le contrat de 1926 n’avait pas été cédé par le contrat de 1965 (voir par. 40). Je rejette donc l’argument de Résolu selon lequel la Cour d’appel serait intervenue sans avoir dégagé d’erreur manifeste et déterminante de la part de la première juge.

[55]                         Quant au rôle de notre Cour à cette étape du litige, il est également façonné par la norme d’intervention en appel. Tel qu’il est expliqué dans l’arrêt Uniprix :

En l’espèce, le rôle de notre Cour se limite justement à déterminer si [la] juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’application des principes d’interprétation pertinents [au contrat]. [par. 44]

[56]                         Ainsi, notre tâche consiste à décider si la première juge a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’interprétation du contrat de 1965, et non si elle a commis exactement l’erreur identifiée par la Cour d’appel.

[57]                         Comme je l’expliquerai plus loin, je m’écarte de la lecture que propose la Cour d’appel à l’égard de certaines clauses du contrat, mais je partage son point de vue selon lequel l’entente de 1965 effectue une cession du contrat de 1926 et — ceci dit avec beaucoup d’égards — que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante dans son interprétation de cette entente lorsqu’elle a affirmé qu’Électricité Gatineau constituait Hydro‑Québec « mandataire de la gestion de ses opérations et contrats » (par. 15 et 51). Cette erreur ressort également de l’affirmation de la juge de première instance voulant qu’Électricité Gatineau n’ait pas cédé ses droits et obligations à Hydro‑Québec (voir par. 53). Les conclusions de la juge de première instance sont incompatibles avec le texte du contrat de 1965 et font abstraction de clauses qui portent directement sur la question en litige, à savoir la cession des droits et obligations issus du contrat de 1926. Soit dit en tout respect, la facture du jugement porte à croire que l’ensemble du contrat de 1965 n’a pas été pris en compte. Plus précisément, compte tenu des objectifs énoncés dans le préambule de ce contrat et du contexte dans lequel il a été conclu, le contrat de 1926 a été cédé par l’effet combiné des art. 4 à 8 de celui de 1965.

[58]                         Conclu suite à l’acquisition de l’ensemble du capital-actions d’Électricité Gatineau par Hydro‑Québec dans le cadre d’une phase de la nationalisation de l’électricité, le contrat de 1965 porte sur un vaste éventail de rapports entre les deux sociétés sans traiter nommément du contrat de 1926. La première juge décrit le contrat de 1965 comme un « contrat de mandat, vente et louage » (par. 51). Il est vrai que ce contrat présente des caractéristiques de chacune de ces trois opérations juridiques. Le fait que le contrat de 1965 comporte, entre autres, un volet vente, un volet bail et un volet mandat n’est nullement contesté. Bien entendu, rien non plus ne s’oppose à ce qu’une filiale vende des biens à sa société mère ou qu’un bail ou un mandat existe entre des sociétés ainsi affiliées. Or, c’est l’équilibre entre ces éléments qui, je crois, a été mal cerné en première instance en raison d’une erreur manifeste et déterminante. Comme je m’efforcerai de l’expliquer, la juge de première instance se méprend quand elle affirme, en parlant des opérations d’Électricité Gatineau comme société de production d’électricité, qu’Hydro‑Québec « administre ses biens et gère ses contrats » depuis la nationalisation de l’électricité (par. 53).

[59]                         La conclusion de la juge laisse croire que, dans l’administration des biens et dans la gestion des contrats visés par le contrat, Hydro‑Québec agit au nom d’Électricité Gatineau comme mandataire et dans l’intérêt de cette dernière comme administrateur du bien d’autrui. Avec égards pour l’opinion contraire, dire sans bémols qu’Hydro‑Québec administre les biens d’Électricité Gatineau ne tient pas compte de l’ensemble du contrat et de la démarche voulant que les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat.

[60]                         J’estime que ces erreurs justifient une intervention en appel pour infirmer la conclusion de la première juge portant qu’il n’y a pas eu cession de contrat par l’effet du contrat de 1965.

(3)          L’interprétation du contrat de 1965

(a)            Survol des principes juridiques applicables

[61]                         Il est opportun de rappeler qu’il faut, dans l’interprétation d’un contrat, rechercher « la commune intention des parties » (art. 1425 C.c.Q.), en tenant compte, pour reprendre le langage du C.c.Q., « de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages » (art. 1426 C.c.Q.). Les clauses s’interprètent « les unes par les autres », en donnant à chacune le sens qui résulte du contrat dans son ensemble (art. 1427 C.c.Q.). En l’espèce, aucun de ces éléments ne tend à indiquer qu’Électricité Gatineau et Hydro‑Québec ont voulu réaliser autre chose que la cession envisagée par le texte du contrat.

[62]                         Signalons d’entrée de jeu que le mandat est un contrat par lequel le mandant donne au mandataire le pouvoir de le représenter dans « l’accomplissement d’un acte juridique » (art. 2130 C.c.Q.; voir aussi C. Fabien, « Le nouveau droit du mandat », dans La réforme du Code civil, t. 2, Obligations, contrats nommés (1993), 881, p. 887 et 889; A. Popovici, La couleur du mandat (1995), p. 17-18). Un aspect essentiel du contrat de mandat est que le mandataire n’engage sa responsabilité personnelle envers les tiers que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il agit en son propre nom, outrepasse ses pouvoirs ou commet une faute dans l’exécution de son mandat (Fabien, p. 908-912).

[63]                         La loi impose également deux devoirs au mandataire. Celui-ci doit : (1) « agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt du mandant et éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de son mandant » (art. 2138 al. 2 C.c.Q.; voir aussi Fabien, p. 895-896; Pincourt (Ville de) c. Construction Cogerex ltée, 2013 QCCA 1773, par. 180-181 (CanLII)); et (2) « agir avec prudence et diligence » dans l’exécution de son mandat (art. 2138 al. 1 C.c.Q.). Quant au premier devoir, il importe de souligner que même un mandataire chargé de la pleine administration du bien d’autrui ne peut utiliser les biens du mandant pour ses propres besoins ou ses propres fins (art. 1310 C.c.Q.; voir aussi Groupe Sutton-Royal inc. (Syndic de), 2015 QCCA 1069, par. 122 (CanLII)). En effet, comme le mentionne la professeure Cantin Cumyn, l’obligation de loyauté « interdit d’utiliser les pouvoirs dans l’intérêt personnel de celui qui en est investi » (« Le pouvoir juridique » (2007), 52 R.D. McGill 215, p. 231; voir aussi M. Cantin Cumyn et M. Cumyn, Traité de droit civil : L’administration du bien d’autrui (2e éd. 2014), nos 301 et suiv.). Quant au second devoir, la professeure Cantin Cumyn explique que la conduite d’un administrateur du bien d’autrui sera prudente et diligente « lorsqu’elle correspond à celle attendue de la personne qui [. . .] agit pour autrui ou dans un autre intérêt que le sien » (Cantin Cumyn (2007), p. 233 (je souligne); voir aussi Cantin Cumyn et Cumyn, nos 272 et suiv.).

[64]                         Mentionnons en outre que la cession de contrat est connue en droit civil québécois et que tout indique que cette opération faisait partie du droit positif en 1965. Il est vrai qu’avant l’arrêt Hutton, d’aucuns prétendaient que l’idée de céder un contrat — en tant que lien de droit — était conceptuellement problématique, et que la cession de dettes soulevait des difficultés compte tenu du principe de l’effet relatif du contrat. Cela dit, expliquant comment la cession du contrat peut se réaliser en droit québécois par l’effet conjugué de la cession de créance et le transfert de la dette, le juge Baudouin n’a pas inventé dans l’arrêt Hutton une nouvelle opération juridique pour le droit québécois. Par son explication pédagogiquement utile, la Cour d’appel dans cette affaire s’est tout simplement prononcée plus complètement sur le sujet que ne l’avaient fait d’autres tribunaux avant elle, puisque la jurisprudence avait eu « peu souvent l’occasion de se prononcer sur la question » (p. 8). J’ajoute que le contrat initial dans cette dernière affaire — qui comportait une clause autorisant une cession de contrat — avait été conclu en 1959 (p. 2). La cession de contrat, elle, avait été réalisée en 1990 (p. 4-5). Comme dans le présent pourvoi, le tout s’est donc fait alors que le C.c.B.-C. était encore en vigueur.

[65]                         Le juge Baudouin a notamment cité des décisions qui avaient reconnu l’autonomie et la viabilité de la cession de contrat, y compris un arrêt unanime de notre Cour rendu en 1925 sous la plume du juge Mignault, soit un an avant la conclusion du contrat de 1926 et bien avant celle du contrat de cession de 1965, lesquels font tous deux l’objet du présent litige (voir Aqueduc du Lac St. Jean c. Fortin, [1925] R.C.S. 192). Dans cet arrêt, le juge Mignault explique, en parlant d’un des cessionnaires, que celui-ci a été mis « à la place [du cédant] quant à ces contrats » (p. 195). Toujours dans l’arrêt Hutton, le juge Baudouin cite la Cour supérieure, qui note que « [l]a jurisprudence a reconnu une opération plus étendue qui s’intitule “cession de contrat” », et que cette opération implique que « tout est cédé, i.e., les obligations et les droits inhérents au contrat » (General Accident Insurance Co. c. Cie de chauffage Gaz naturel, [1978] C.S. 1160 (Qc), p. 1164; voir aussi Banque royale du Canada c. P.G. du Québec, [1976] C.S. 634 (Qc), p. 635).

[66]                         De fait, devant notre Cour, Résolu ne conteste pas véritablement la notion de cession de contrat, mais suggère plutôt que le contrat de 1965 renferme un mandat en l’espèce. À titre de moyen subsidiaire, elle propose que, s’il y a cession de contrat, celle-ci n’est pas valide et ne lui est pas opposable. Je ne vois donc pas d’obstacle juridique à l’application possible de la cession de contrat aux faits de l’affaire qui nous occupe. Je rappelle, par ailleurs, que l’art. 22 du contrat de 1926 accorde aux parties le droit de céder leur contrat — une clause similaire à celle analysée dans Hutton —, ce qui tend fortement à indiquer que les parties à cette entente considéraient la cession de contrat comme une opération juridique valide.

[67]                         Il est vrai, comme le rappelle Résolu, que selon la conception subjective du contrat, celui-ci se conçoit comme un lien de droit. Mais il est également possible de considérer le contrat sous un autre angle, c’est-à-dire comme un élément patrimonial. C’est cette conception du contrat qui permet de mieux comprendre qu’il peut être l’objet d’une cession. Comme l’expliquent les auteurs de Quebec Civil Law, commentant le droit sous l’ancien Code :

[traduction] La plupart des règles énoncées au titre troisième [du livre relatif aux obligations du Code civil du Bas Canada] envisagent une obligation en tant que relation entre un débiteur et un créancier. Cependant, une obligation est également une sorte de bien, susceptible d’avoir une existence et une valeur indépendantes de l’exécution en nature qu’elle commande. Envisagée sous cet angle, la réclamation que l’obligation représente peut être transférée, comme peut l’être tout type de bien. Le Code envisage trois opérations distinctes par lesquelles des réclamations peuvent être transférées : la cession d’un contrat, la cession de créances et la délégation. [Je souligne.]

(J. E. C. Brierley et R. A. Macdonald, dir., Quebec Civil Law : An Introduction to Quebec Private Law (1993), no 555)

[68]                         Au même effet, les auteurs Lluelles et Moore concluent, après avoir observé qu’une doctrine minoritaire s’oppose à voir le contrat comme un bien cessible, qu’« [e]n tant qu’élément patrimonial, le contrat peut être cédé, d’autant plus que cette cession se met au service du contrat, en assurant la survie de sa force obligatoire » (no 3226; voir aussi Aqueduc du Lac St. Jean, p. 195). Bref, tout en acceptant que le contrat se conçoive aisément comme un lien de droit, je considère que, conceptuellement, rien ne fait obstacle à la conclusion de la Cour d’appel à cet égard.

[69]                         Bien que le contrat de 1965 établisse, à l’art. 9, un mandat visant d’autres objectifs, nous verrons sous peu que les articles clés de ce contrat, qui ont pour effet d’opérer cession du contrat de 1926, contredisent l’essence même de la notion de mandat et de l’administration du bien d’autrui. C’est notamment le cas parce qu’Hydro‑Québec s’oblige personnellement et agit dans son propre intérêt dans l’exercice de ses droits au regard du contrat de 1926. Il est plus facile de bien saisir la source du désaccord entre les parties en l’espèce si on rappelle la distinction fondamentale en droit civil entre la notion de « pouvoir » et celle de « droit subjectif ». Le pouvoir, tel celui accordé à un mandataire ou à un administrateur du bien d’autrui, « se définit comme une prérogative conférée à une personne dans l’intérêt d’autrui ou pour la réalisation d’un but ». Le droit subjectif, y compris le droit réel et le droit personnel, « est une prérogative conférant à son titulaire un avantage dans son intérêt propre » (Cantin Cumyn (2007), p. 225; voir aussi Cantin Cumyn et Cumyn, nos 79 et suiv.). Les pouvoirs d’un administrateur du bien d’autrui l’habilitent donc « à accomplir de manière autonome des actes juridiques dont les effets se produisent à l’égard d’une autre personne ou dans un patrimoine qui n’est pas le sien » (Cantin Cumyn (2007), p. 230‑231 (je souligne); voir aussi p. 223). Un droit subjectif, au contraire, produit des effets à l’égard de son titulaire ou dans le patrimoine de ce dernier. Bref, alors qu’un droit subjectif est considéré comme étant une prérogative « égoïste », le pouvoir a plutôt un caractère « altruiste » (p. 225). Comme le souligne le professeur Popovici, la différence entre la cession de contrat et le mandat est une différence d’espèce : « En matière de cession de contrat, chaque partie agit pour ses intérêts personnels, alors que le mandataire et le mandataire substitué agissent pour les intérêts du mandant » (p. 138).

[70]                         Comme nous le verrons, le contrat de 1965 confie certains pouvoirs d’administration à Hydro‑Québec. Toutefois, en vendant ses meubles à la société d’État et en lui louant ses immeubles, Électricité Gatineau a transféré à Hydro‑Québec des droits subjectifs que celle-ci peut exercer dans son propre intérêt, ce que ne peut pas faire un mandataire ou un administrateur du bien d’autrui. De surcroît, Hydro‑Québec assume des obligations personnelles qui sont incompatibles avec les fonctions incombant à un mandataire ou à un administrateur du bien d’autrui qui, règle générale, ne s’engage pas en son propre nom. Cette opération fait du contrat de 1965 ce qu’on pourrait qualifier de contrat de « vente, location, cession et mandat », dont le volet cession s’est avéré nécessaire pour la réalisation de l’objectif de nationalisation d’électricité énoncé dans le préambule.

(b)          Les éléments intrinsèques au contrat de 1965

[71]                         Regardons de plus près ce qu’énoncent les parties dans le texte du contrat lui-même.

[72]                         En l’absence de toute preuve contemporaine de la formation du contrat qui indiquerait l’intention commune des parties, les quatre attendus du préambule de l’entente prennent une importance particulière pour déterminer les objectifs des parties contractantes, Électricité Gatineau et Hydro‑Québec. Un préambule ne vise certes pas, en règle générale, à créer des obligations. Dans le cas qui nous occupe, toutefois, il demeure utile d’établir des liens entre, d’une part, les engagements d’Hydro‑Québec et, d’autre part, les attentes d’Électricité Gatineau.

[73]                         Le préambule fait d’abord état du statut et de la vocation d’Hydro‑Québec. Il renvoie à la loi constitutive d’Hydro‑Québec et énonce que cette dernière a été constituée aux fins de produire, d’acquérir, de vendre, de transporter et de distribuer de l’électricité dans toute la province (voir aussi Loi concernant la Commission hydroélectrique de Québec, art. 29).

[74]                         Le deuxième attendu énonce un objectif fondamental du contrat : [traduction] « unifier la gestion de la Compagnie et des autres compagnies d’électricité dont [Hydro-Québec] a acheté les actions » (d.a., vol. III, p. 96). Électricité Gatineau s’intégrera au réseau provincial de la société d’État. Cette unification souhaitée est confirmée par le quatrième attendu : « afin de réaliser l’unification souhaitée », Électricité Gatineau s’engage, par le contrat, à vendre ses biens meubles à Hydro‑Québec et à lui louer ses [traduction] « immeubles, constructions, appareils et usines » (p. 97). Cet arrangement permettra à Hydro‑Québec d’exploiter ces installations comme bon lui semble en vue de s’acquitter de ses obligations. Le troisième attendu complète le tableau en soulignant le fait que, par ce contrat, Hydro‑Québec s’engage envers les créanciers d’Électricité Gatineau, notamment en ce qu’elle et la province « garantissent inconditionnellement le remboursement du capital, de l’intérêt et de la prime, s’il en est, des obligations émises par la Compagnie » (p. 96). Le contrat énonce un ensemble d’obligations qu’Hydro‑Québec accepte d’exécuter, engageant ainsi sa responsabilité personnelle.

[75]                         Bref, le préambule annonce ce que les clauses du contrat confirmeront : l’arrangement entre Électricité Gatineau et Hydro‑Québec unira la filiale Électricité Gatineau à la société mère Hydro‑Québec avec l’accord de certains créanciers garantis d’Électricité Gatineau ([traduction] « les détenteurs des obligations de la Compagnie conformément aux dispositions de l’Acte de fiducie ») qui, par ailleurs, devront approuver l’entente (d.a., vol. III, p. 102, art. 16). Les objectifs des parties énoncés dans le préambule de l’entente permettent de comprendre l’économie fondamentale du contrat. Hydro‑Québec s’engage à assumer la responsabilité des obligations d’Électricité Gatineau. En retour, Hydro‑Québec contrôlera la production d’énergie aux termes des contrats de fourniture d’électricité d’Électricité Gatineau pendant la durée du contrat de 1965 et en recevra les bénéfices. Dans l’exposé des engagements d’Électricité Gatineau tiré de ses états financiers, cet arrangement est décrit comme un échange :

Aux termes d’un contrat en vigueur depuis le 1er janvier 1966, la société mère s’est engagée à mettre à la disposition de la Société les fonds nécessaires pour qu’elle s’acquitte de ses obligations. En contrepartie, la Société s’est engagée à louer ses immobilisations corporelles à la société mère et à permettre à celle-ci de bénéficier des produits en découlant pendant une période de 25 ans, moyennant un loyer annuel d’un montant correspondant à l’amortissement de ses actifs. [Je souligne.]

(d.a., vol. III, p. 92; voir aussi p. 41-92.)

[76]                         Conclure qu’Hydro‑Québec agit seulement au nom d’Électricité Gatineau et dans l’intérêt de celle-ci dans l’administration de ses biens et la gestion de ses contrats contredit les objectifs énoncés dans le préambule. Le contrat s’inscrit dans la démarche de nationalisation de l’électricité : c’est Hydro‑Québec qui est chargée [traduction] « de produire, d’acquérir, de vendre, de transporter et de distribuer l’énergie et le courant électriques dans toute la province de Québec » (d.a., vol. III, p. 96). Elle le fait en son propre nom, aux termes de la loi, et non au nom ou dans l’intérêt d’autrui; elle le fait en exerçant des droits dont elle est titulaire et non en exerçant des pouvoirs dans l’intérêt d’Électricité Gatineau, sauf exception.

[77]                         Le contrat de 1965 confirme cette réalité commerciale : sur le plan opérationnel, Électricité Gatineau ne peut plus produire, acquérir, vendre, transmettre ou distribuer de l’électricité, puisqu’elle ne dispose plus des ressources pour le faire. De fait, les biens nécessaires à la production et la vente de l’électricité sont dorénavant contrôlés par Hydro‑Québec. Comme le précise le contrat, l’unification des opérations d’Électricité Gatineau et du reste du réseau se fait principalement par deux moyens : la vente des biens meubles d’Électricité Gatineau à Hydro‑Québec ainsi que la location à cette dernière des immeubles de l’entreprise. Le préambule ne mentionne pas le mandat à cet égard, mandat qui existe mais qui, dans l’esprit des parties, ne traduit pas le rapport fondamental établi entre elles par le contrat.

[78]                         L’article 1 du contrat prévoit que le bail accordé par Électricité Gatineau à Hydro‑Québec porte sur [traduction] « l’ensemble de ses immeubles, constructions, appareils et usines », définies par la suite comme les « lieux loués ». Les parties excluent du bail certains biens corporels servant à la production d’électricité qui sont vendus à la société d’État (art. 2). Hydro‑Québec opère les lieux loués « comme elle le ferait s’il s’agissait des siens »; elle a la pleine jouissance et l’usage complet des lieux loués pendant la durée du bail, en plus d’assumer l’entière responsabilité de leur entretien (p. 97, art. 4). À diverses reprises dans le contrat, les parties précisent qu’Hydro‑Québec est chargée de la gestion, de l’exploitation et de l’entretien des lieux loués (voir les art. 4, 5 et 14).

[79]                         Le terme initial du bail des lieux loués est fixé à 25 ans (art. 3) et le loyer annuel correspond à la valeur annuelle de l’amortissement des immobilisations d’Électricité Gatineau [traduction] « majoré de l’intérêt à payer sur la dette consolidée pour cette même année » (d.a., vol. III, p. 101, art. 13). Selon les états financiers consolidés d’Électricité Gatineau datés du 31 décembre 2011, le bail, qui a été « renouvelé par tacite reconduction », est toujours en vigueur lorsqu’Hydro‑Québec émet sa facture majorée (d.a., vol. III, p. 92). Rappelons que, malgré la vente des centrales sur la rivière Gatineau, Électricité Gatineau demeure à ce jour propriétaire d’immeubles visés par le bail, y compris une centrale sur la rivière des Outaouais, comme l’atteste la convention d’admissions déposée par les parties au procès.

[80]                         La location des immeubles prive le locateur des forces hydrauliques requises pour produire l’hydroélectricité. En effet, ce n’est pas Électricité Gatineau qui a la pleine jouissance des immeubles, puisque la toute première clause du contrat rappelle qu’Hydro‑Québec [traduction] « a la pleine jouissance et l’usage complet des lieux loués ». Voilà ce qui est conforme à la nature du contrat de louage en droit civil : au regard de l’usage et de la jouissance du bien loué, le locateur n’accorde pas de simples pouvoirs au locataire, il s’engage à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance du bien pendant la durée du bail. Le locataire a donc vis-à-vis du locateur un droit personnel de créance qu’il exerce dans son propre intérêt; du point de vue de l’usage et de la jouissance, il n’exerce pas de pouvoirs dans l’intérêt de son locateur.

[81]                         Bref, pour ce qui est du site opérationnel de la production d’électricité — l’usage et la jouissance des lieux loués — Hydro‑Québec n’administre pas les biens au nom d’Électricité Gatineau. Les mots [traduction] « gérer » et « gestion » employés aux art. 4 et 5 du contrat de 1965 ne sauraient renvoyer à l’idée de gestion au cœur du mandat ou de l’administration du bien d’autrui. Un locataire gère les lieux loués, comme Hydro‑Québec le fait ici, dans son propre intérêt et non dans l’intérêt d’un quelconque mandant ou administré. Comme l’enseignent les professeures Cantin Cumyn et Cumyn, il ne faut pas confondre la qualité de locataire avec celle d’un administrateur du bien d’autrui :

Plan du sous-titre. Est administrateur du bien d’autrui la personne qui est investie de pouvoirs sur un bien ou un patrimoine qui n’est pas le sien. Il s’ensuit que cette qualité ne s’applique pas à ceux qui exercent un droit sur le bien d’autrui. Elle ne concorde pas non plus avec les rapports juridiques nés de contrats pour la prestation de services ne comportant pas l’exercice de pouvoirs de représentation ou de pouvoirs propres.

. . .

Le locataire et l’emprunteur. La qualité d’administrateur du bien d’autrui est, a fortiori, inapplicable aux titulaires d’un droit personnel de jouissance de la chose d’autrui résultant d’un bail, d’un prêt à usage ou d’autres conventions produisant des effets juridiques de même nature. Ces contrats ne rendent le locataire, l’emprunteur ou tout autre usager que créanciers de la jouissance de la chose (jus ad rem). Leurs droits s’exercent contre le cocontractant; ils ne confèrent pas de prérogatives directes sur la chose d’autrui susceptibles d’amener à confondre leur situation juridique avec celle d’un administrateur du bien d’autrui. [Je souligne; notes en bas de page omises; nos 153 et 155.]

[82]                         Quant aux biens meubles, ils sont vendus et transférés à Hydro‑Québec comme le précise l’art. 6. Sont inclus des biens corporels et incorporels qui sont exclus du bail, dont les comptes clients. Hydro‑Québec est propriétaire des meubles qui sont essentiels à la production d’électricité à la suite du contrat de 1965; elle ne les administre pas au nom d’Électricité Gatineau. Ces meubles risquaient, en l’absence d’une vente, d’être qualifiés d’immeubles par destination et de rester dans le patrimoine du propriétaire des immeubles. Or, le jour où Hydro‑Québec a pris possession des lieux loués, elle a acquis tous les droits de jouissance à l’égard des moyens de production de l’électricité, droits qu’elle exerce en son propre nom et non au nom ou dans l’intérêt d’autrui. La vente des biens meubles est incompatible avec l’existence d’un quelconque mandat ou pouvoir d’administration au nom d’autrui portant sur ces mêmes biens. On comprend que le fait qu’Hydro-Québec soit propriétaire des biens meubles nécessaires à la production d’électricité, conjugué au contrôle effectif qu’elle exerce sur les immeubles en application du bail, permettra à Hydro‑Québec de produire l’électricité sur les lieux d’Électricité Gatineau en exécution du contrat de 1926, et ce, dans son propre intérêt.

[83]                         Hydro‑Québec assume également d’autres engagements personnels envers Électricité Gatineau (art. 15), ainsi qu’envers le personnel (art. 11) et les créanciers (art. 10, 13 et 16) de celle-ci, engagements qui sont à première vue incompatibles avec l’existence d’un rapport mandant‑mandataire.

[84]                         L’engagement d’Hydro‑Québec envers les créanciers garantis aux termes de l’acte de fiducie accordé par Électricité Gatineau est manifestement un aspect fondamental du contrat de 1965. L’intérêt des [traduction] « détenteurs des obligations » et de leur fiduciaire dans l’entente est la garantie de protection de leur investissement dans Électricité Gatineau. Or, cette dernière, dans une transaction avec lien de dépendance conclue avec sa société mère, lui vend tous ses biens meubles qui, de ce fait, pourraient échapper à la garantie. Électricité Gatineau retient les biens immeubles, mais les loue à Hydro‑Québec à un prix correspondant au montant de l’amortissement annuel. En vue de protéger l’intérêt des créanciers en question dans les circonstances, Hydro‑Québec leur garantit qu’Électricité Gatineau respectera ses obligations (art. 10). Cet engagement durera « jusqu’au remboursement des obligations de la Compagnie » (art. 13; voir aussi art. 15). L’article 15 stipule explicitement qu’Hydro‑Québec « s’engage à avancer à [Électricité Gatineau] les sommes d’argent qui seront nécessaires [. . .] pour lui permettre de s’acquitter de toutes ses obligations, notamment celles relatives aux obligations émises » (p. 101). Fait essentiel à noter, les détenteurs des obligations doivent approuver l’entente entre Électricité Gatineau et Hydro‑Québec (art. 16).

[85]                         L’engagement pris par Hydro-Québec envers les créanciers d’Électricité Gatineau est donc de taille. On comprend donc aisément que pour y satisfaire la société d’État a exigé, en contrepartie et comme il est convenu à l’art. 8, de [traduction] « bénéficier de tous les revenus provenant des lieux loués », et ce, pendant la durée de l’entente (d.a., vol. III, p. 99).

[86]                         Compte tenu de l’engagement personnel pris par Hydro‑Québec en faveur d’Électricité Gatineau et de ses créanciers garantis, il est impensable que ces revenus lui soient versés à titre de mandataire. Vu son engagement personnel, Hydro‑Québec doit bénéficier des revenus d’Électricité Gatineau, dont ceux produits par le contrat de 1926, pour la durée de son engagement (ou, comme le stipule l’art. 8, [traduction] « pendant la durée de la présente entente » (p. 99)). De plus, le versement direct de ces sommes à Hydro‑Québec, si celles-ci appartenaient à Électricité Gatineau, porterait atteinte au principe que l’administrateur ne doit pas confondre les biens administrés avec ses propres biens.

[87]                         Sur cette toile de fond, que dit le contrat de 1965 au sujet d’une éventuelle cession du contrat de 1926? Pour la Cour d’appel, le contrat de 1926 a été vendu, avec les biens meubles utiles à la production d’électricité, en application de l’art. 6 du contrat de 1965. Elle raisonne que les contrats, des instruments négociables, font partie de la vente et que les biens visés par cette transaction — l’argent et l’électricité — sont des biens meubles. Cette interprétation est contestée par Résolu, qui rappelle à juste titre que les droits liés aux [traduction] « contrats d’électricité » sont expressément visés par l’art. 5, et que « toutes les obligations auxquelles [Électricité Gatineau] est ou peut être tenue », y compris l’obligation de fournir l’électricité, sont visées par l’art. 4.

[88]                         Je partage l’opinion de Résolu selon laquelle la cession du contrat de 1926 n’est pas visée uniquement par la vente des biens meubles à l’art. 6. Selon ma lecture du contrat de 1965, l’art. 6 ne vise explicitement que les créances dues en application du contrat de 1926, et ce, à titre de [traduction] « comptes clients », un point qui n’est pas contesté par Résolu. À mon avis, d’autres dispositions prévoient aussi la cession de droits ou d’obligations liés au contrat, dont l’art. 5 qui mentionne explicitement les « contrats d’électricité ». Toutefois, à l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis que le contrat de 1965 ne constitue pas Hydro‑Québec mandataire d’Électricité Gatineau pour ce qui est de ses contrats d’alimentation. Il y a plutôt eu cession de l’ensemble du contrat de 1926 par l’effet conjugué des art. 4 à 8 du contrat de 1965, interprétés au regard des objectifs énoncés dans le préambule et de l’ensemble du contrat de 1965.

[89]                         Conclure qu’Hydro‑Québec a été mandatée par Électricité Gatineau pour gérer le contrat de 1926 comme représentante de celle-ci est en effet incompatible avec les art. 4 à 8 du contrat de 1965, lesquels dérogent au mandat général énoncé à l’art. 9. Par ces clauses, Électricité Gatineau, partie cédante, transfère à Hydro‑Québec la créance relative au prix de l’électricité vendue à Résolu, ainsi que l’obligation d’alimenter cette dernière en électricité. Elle fait ces transferts pour la durée de l’entente, notamment du bail établi par le contrat de 1965. Le transfert de créances et d’obligations témoigne d’une volonté plus large de céder le contrat à un tiers, cession à laquelle, comme nous le verrons, la partie cédée — devenue Résolu — a consenti et acquiescé, et qui n’alourdit pas ses obligations.

[90]                         D’abord, pour ce qui est des créances exigibles en 1965 mais non encore acquittées par la clientèle d’Électricité Gatineau, les « comptes clients », il y a bien cession de créance à l’art. 6, ce que Résolu concède.

[91]                         Ensuite, on constate que le contrat de 1965 prévoit explicitement le transfert à Hydro‑Québec de certaines dettes déjà exigibles. Aux termes de l’art. 7 de l’entente, Électricité Gatineau transfère à Hydro‑Québec [traduction] « tous les dépôts qu’elle détient de ses clients pour garantir le paiement de leurs comptes ». Ces dettes sont explicitement prises en charge par Hydro‑Québec : « La Commission accepte d’assumer les obligations de la Compagnie relativement à ces dépôts ». L’article 7 n’est pas une simple indication de paiement, comme ce serait le cas dans un mandat où le mandataire n’est pas tenu personnellement (voir Popovici, p. 278; Hamel c. Banque de Montréal, 2008 QCCS 3603, par. 67-70 (CanLII)) : ici, Hydro‑Québec doit honorer ces dettes personnellement, sous réserve de la validité d’un tel transfert.

[92]                         En conséquence, on trouve dans le contrat de 1965 un premier indice de l’existence d’une cession relativement aux dettes et créances exigibles, cession qui est incompatible avec un mandat. Cela dit, les transferts réalisés aux art. 6 et 7 ne visent que les éléments d’actif ou de passif qui étaient déjà dans le patrimoine d’Électricité Gatineau. Or, le contrat de 1926 est un contrat synallagmatique à exécution successive, qui produit ses effets au fil de sa durée. Par conséquent, qu’en est-il des créances et des dettes à venir d’Électricité Gatineau, c’est-à-dire ses créances futures pour le prix de l’électricité vendue à Résolu et son obligation de fournir l’électricité en question à cette dernière?

[93]                         La réponse se trouve aux art. 5 et 8 pour ce qui est du transfert des créances, et à l’art. 4 pour ce qui est du transfert des dettes à venir.

[94]                         Les parties ont convenu, à l’art. 5, d’une disposition précise portant notamment sur les contrats de fourniture d’électricité, tel celui en litige :

[traduction] En vue de contribuer à la gestion, à l’exploitation et à l’entretien des installations louées, il est convenu par les présentes que la Compagnie mettra à la disposition de la Commission et fournira à celle‑ci tous les droits, franchises et privilèges qu’elle possède ainsi que tous les avantages dont elle jouit en vertu de l’ensemble des ententes, conventions d’achat, contrats d’électricité et autres contrats de quelque nature et de quelque type que ce soit auxquels elle est partie, mais uniquement dans la mesure où elle peut légalement le faire sans contrevenir à l’une quelconque de leurs dispositions. [Je souligne.]

(d.a., vol. III, p. 98)

[95]                         L’article 5 vise tous les droits, avantages et privilèges liés aux contrats d’électricité. Cette description est, suivant ses termes mêmes, assez large pour englober les créances futures payables par Résolu pour le prix de l’électricité achetée en application du contrat de 1926. Si on se réfère à l’art. 4, on comprend que cet engagement vise à aider Hydro‑Québec à faire usage et à jouir des lieux loués à titre de locataire : il s’agit d’une extension des droits prévus au bail. Ceci permet à Hydro‑Québec de satisfaire personnellement à l’engagement qu’elle a accepté d’exécuter aux termes de l’art. 4.

[96]                         Plus loin, l’art. 8 précise qu’Hydro‑Québec bénéficiera de tous les revenus découlant de l’exploitation des lieux loués, ce qui inclut les revenus provenant de la vente d’électricité. Le prix payé appartient à Hydro‑Québec, cessionnaire de la créance; elle ne le perçoit pas en tant que mandataire d’Électricité Gatineau. La mention dans cette clause des [traduction] « relevés de compteur » aide à comprendre que les revenus tirés des « contrats d’électricité » dont il est question à l’art. 5 appartiennent à Hydro‑Québec et lui sont payés directement et non par l’entremise d’Électricité Gatineau. Rien n’indique que ces sommes sont versées à Hydro‑Québec en qualité de représentante d’Électricité Gatineau. Au contraire, le contrat prévoit, en faveur d’Hydro‑Québec, un droit à ces revenus qu’elle pourrait, en cas de non-paiement, faire valoir directement et en son propre nom à l’encontre des débiteurs. Ajoutons qu’un mandataire ou un administrateur ne doit pas, en principe, confondre ses biens avec ceux du mandant ou de l’administré. Or, l’interprétation proposée par Résolu à l’égard de ces clauses contredit ce principe fondamental qui vise à empêcher les conflits d’intérêts.

[97]                         Ainsi, tant que les art. 5 et 8 du contrat de 1965 s’appliquent, Hydro‑Québec est la créancière du prix que Résolu doit acquitter en contrepartie de l’électricité qu’elle achète aux termes du contrat de 1926, sous réserve des règles de validité et d’opposabilité de cette cession.

[98]                         L’article 4 du contrat de 1965 porte quant à lui sur les obligations assumées par Hydro‑Québec pendant la durée de l’entente :

[traduction] La Commission doit, pendant la durée de la présente entente, gérer, exploiter et entretenir les installations louées comme elle le ferait s’il s’agissait des siennes, effectuer l’ensemble des réparations, reconstructions, améliorations et ajouts aux installations louées, et exécuter dans toute la mesure du possible et de manière à en décharger complètement la Compagnie toutes les obligations auxquelles la Compagnie est ou peut être tenue. [Je souligne.]

(d.a., vol. III, p. 97)

[99]                         Par cette stipulation contractuelle, les parties énoncent l’engagement personnel d’Hydro‑Québec à exécuter toutes les obligations d’Électricité Gatineau, ce qui correspond à un transfert des dettes, présentes et futures. Ici aussi, le contrat brosse large. En effet, pendant la durée de l’entente, Hydro‑Québec s’engage en son nom à exécuter [traduction] « toutes les obligations auxquelles la Compagnie est ou peut être tenue » (art. 4). Cela comprend les prestations dues à Résolu en vertu du contrat de 1926. Tant que l’art. 4 s’applique, Hydro‑Québec est donc la débitrice de cette obligation. Encore ici, puisqu’Hydro‑Québec s’engage personnellement à exécuter des obligations d’Électricité Gatineau, il y a un véritable transfert de dettes et non une simple indication de paiement par Électricité Gatineau envers un mandataire (voir Lluelles et Moore, no 3111). Hydro‑Québec est donc cessionnaire, voire déléguée, de cette obligation, sous réserve, bien entendu, des règles portant sur la validité et l’opposabilité d’un tel transfert.

[100]                     L’emploi du mot [traduction] « exécuter » à l’art. 4 du contrat de 1965 ne suffit pas pour conclure qu’il y a plutôt un mandat en l’espèce. Le contexte plus large de cette clause et du contrat milite contre l’existence d’un mandat. Premièrement, je note qu’il ne faut pas non plus oublier les mots « de manière à en décharger complètement la Compagnie » qui confirment qu’Hydro‑Québec s’engage personnellement et agit en son propre intérêt, signe fort que l’engagement d’Hydro‑Québec dépasse la charge qui incombe à un mandataire. Il convient de rappeler que le contrat de cession analysé dans l’arrêt Hutton utilisait également l’expression [traduction] « de manière à décharger complètement le cédant » (p. 4). Deuxièmement, il faut situer la cession opérée par le contrat de 1965 dans son contexte particulier, soit celui d’une cession imparfaite. Je reviendrai sur cette notion, mais, pour l’instant, il suffit de dire que le mot « exécuter » n’est pas incompatible avec la relation tripartite qui découle de la cession imparfaite, comme le démontrent les motifs de la juge Abella dans l’arrêt Modern Concept d’entretien inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28, [2019] 2 R.C.S. 406 (« Modern Concept (CSC) »), par. 39-42.

[101]                     J’ajouterais que les droits et obligations que cède Électricité Gatineau par l’effet de ces articles sont vastes, et ne se limitent pas aux seules créances (prix à percevoir) et dettes (électricité à fournir). Tout porte à croire que, pour ce qui est des « contrats d’électricité » visés, Électricité Gatineau transfère à Hydro‑Québec l’ensemble du contrat, de telle sorte que cette dernière prend par le fait même la responsabilité de tout le contrat ainsi que de tous les droits y afférents et reçoit, d’Électricité Gatineau, la qualité de partie contractante du contrat de 1926.

[102]                     Qu’en est-il cependant du mandat énoncé à l’art. 9? À cet article, les parties prévoient un mandat général habilitant Hydro-Québec à agir pour le compte d’Électricité Gatineau [traduction] « à l’égard de toutes choses, affaires, conventions, actions et opérations », et dressent une liste non exhaustive d’activités qu’Hydro‑Québec pourra entreprendre au nom d’Électricité Gatineau, dont percevoir des revenus « appartenant à la Compagnie », encaisser des chèques, signer des documents et acheter des immeubles. Il est vrai que la portée de ce mandat est généreuse. Mais force est de constater que le contrat de 1926 n’est pas nommément visé par ce mandat général. Certains des pouvoirs y mentionnés portent sur les lieux loués, par exemple le pouvoir de donner mainlevée d’une créance hypothécaire sur un immeuble appartenant à Électricité Gatineau (art. 9d)) ou encore le droit de vendre « les installations louées qui ne sont plus nécessaires ou utiles » (art. 9f)). Il va de soi que ces pouvoirs doivent être exercés dans l’intérêt d’Électricité Gatineau. Toutefois, ce mandat général n’écarte pas l’obligation fondamentale qui incombe à Électricité Gatineau en application du bail, à savoir procurer à Hydro‑Québec la jouissance des lieux loués, et n’empêche pas cette dernière d’exercer son droit de jouissance dans son seul intérêt.

[103]                     Autrement dit, on ne peut nier que le contrat de 1965 accorde un mandat à Hydro‑Québec mais, contrairement à ce que plaide Résolu, malgré sa portée, le mandat général accordé par Électricité Gatineau ne l’emporte pas sur les règles spéciales qui dérogent à ce mandat et qui sont prévues au contrat et visent nommément les [traduction] « contrats d’électricité » et les droits et obligations s’y rattachant. En effet, comme Résolu le plaide elle-même, l’art. 5 du contrat énonce un régime particularisé pour les « contrats d’électricité » pendant la durée du bail. Ce régime particulier n’est pas le même que celui qui porte sur les [traduction] « choses, affaires, conventions, actions et opérations » auxquelles on fait référence à la clause générale : specialia generalibus derogant (les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales : G. Cornu, dir., Vocabulaire juridique (13e éd. 2020), p. 1090; F. Gendron, L’interprétation des contrats (2e éd. 2016), p. 91 (« les clauses particulières l’emportent sur les clauses générales, de la même manière que l’exception l’emporte sur la règle à laquelle elle déroge »)).

[104]                     Bref, quand on lit le contrat dans son ensemble, en tenant compte des objectifs énoncés dans le préambule, l’interprétation de la juge de première instance selon laquelle Hydro‑Québec « administre » les biens d’Électricité Gatineau et « gère » ses contrats ne peut être retenue. Cette conclusion ne tient pas compte de plusieurs clauses du contrat que la juge n’a pas analysées et, à cet égard, sa lecture de l’entente — particulièrement son affirmation que le mandat prévu par le contrat de 1965 s’étend à l’administration du contrat de 1926 — est entachée d’erreurs manifestes. Ces erreurs ont fait en sorte que la juge n’a pas vu que, pour la durée du bail, Électricité Gatineau ne s’est pas contentée d’accorder à Hydro‑Québec des pouvoirs à l’égard du contrat de 1926, elle lui a plutôt transféré des droits et obligations assujettis à un terme extinctif. Par suite de la conclusion de l’entente de 1965, Hydro‑Québec s’est engagée personnellement à exécuter les obligations prévues dans le contrat de 1926, y compris celle de fournir l’électricité aux clients d’Électricité Gatineau. Par la même occasion, Hydro‑Québec a obtenu le droit à tous les avantages du contrat de 1926, y compris le droit d’être payée, personnellement, pour l’électricité qu’elle a l’obligation contractuelle de fournir à Résolu.

(c)           Le terme du contrat de 1965

[105]                     Qu’en est-il maintenant du terme de l’entente?

[106]                     Je note que ni la juge de première instance ni la Cour d’appel ne se sont prononcées sur cette question. La présence d’un terme extinctif n’était pas considérée comme un facteur pertinent pour les besoins de l’analyse, peut-être parce que, malgré la vente des trois centrales sur la rivière Gatineau, le bail constaté par le contrat de 1965 s’applique toujours. Je tiens néanmoins à expliquer pourquoi le terme imposé par les parties ne fait pas obstacle à l’existence d’une cession de contrat en raison des arguments soulevés par Résolu devant notre Cour.

[107]                     Tant que l’entente demeure en vigueur, le contrat est cédé — il s’agit d’un acte d’aliénation qui transfère, à tout le moins pendant la durée du bail, les créances et dettes issues du contrat de 1926. Aux articles 4 et 8, le terme est explicite [traduction] « pendant la durée de la présente entente », alors que l’art. 5 indique que le transfert des créances est fait « [e]n vue d’aider à la gestion [. . .] des lieux loués ». Or, selon Résolu, une cession de contrat est, de par sa nature, un acte d’aliénation permanente. Elle avance dans son mémoire que « [l]a durée limitée de la prise en charge des obligations de Gatineau [Power] par Hydro‑Québec est un empêchement dirimant à l’existence d’une cession ».

[108]                     À mon avis, contrairement à ce que soutient Résolu, rien ne s’oppose juridiquement à ce qu’une cession de contrat soit limitée dans le temps si les parties en conviennent, sous réserve des règles relatives au consentement de la partie cédée. L’autonomie de la volonté des parties au contrat leur permet d’organiser leurs affaires ainsi.

[109]                     Il est vrai qu’une cession de contrat se présente d’ordinaire comme un acte d’aliénation opérant un transfert définitif des droits et obligations du patrimoine de la partie cédante vers celui de la partie cessionnaire et que, « [p]ar la cession de contrat, le cédant transfère habituellement l’intégralité des droits de créance dont il bénéficie » (Baudouin et Jobin, no 1046 (je souligne)). Conséquemment, le mot « cession » est souvent considéré comme synonyme de vente, laissant place à un effet translatif que Résolu qualifie de « permanent » (m.a., par. 55; s’appuyant sur sa lecture de M. Tancelin, Des obligations en droit mixte du Québec (7e éd. 2009), no 1268).

[110]                     Toutefois, je souligne d’abord que la doctrine insiste sur l’autonomie de la cession de créance par rapport à la vente dans le C.c.Q. et que, à cet égard, le modèle de la vente de droit personnel ne s’impose pas (voir P.‑G. Jobin et M. Cumyn, La vente (4e éd. 2017), no 1). Lluelles et Moore affirment également que, dans le cas d’une cession de créance, la relation entre le cédant et le cessionnaire est « principalement réglée par les stipulations de [leur] entente » (no 3184; voir aussi Nesterenko c. Skierka, 2010 QCCS 3613, [2010] R.J.Q. 2007, par. 68‑70, citant notamment Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, par. 22 et 35). Ce principe s’appliquait également lorsqu’on utilisait le vocable de « vente » de créance dans le C.c.B.-C. (voir Place Québec inc. c. Desmarais, [1975] C.A. 910 (Qc), p. 912; General Accident, p. 1164; Denis Cimaf inc. c. Caisse populaire d’Amos, 1997 CanLII 10252 (C.A. Qc), p. 7-9; L. Sarna, « Assignments of Book Accounts, Assignor’s Warranties and Standing to Sue » (1978), 56 R. du B. can. 626, p. 636 et 643-647).

[111]                     Bien que la cession de contrat soit habituellement un acte d’aliénation définitive, rien ne s’oppose, sur la base de la liberté contractuelle, à la modulation d’un tel arrangement. En réalité, comme le note la doctrine, la cession de contrat obéit aux conditions générales de validité des contrats (voir Lluelles et Moore, no 3230; voir aussi Baudouin et Jobin, no 1041). Les règles particulières quant à sa validité ne portent pas sur sa durée, et la cession est soumise, comme tout contrat, aux dispositions générales du C.c.Q., notamment en ce qui concerne le terme du contrat (art. 1508 et suiv. C.c.Q.). Ainsi, à mon avis, les parties étaient libres de limiter l’effet translatif de la cession dans le temps afin de l’adapter au modèle d’affaires qui tenait compte de leurs objectifs, et de protéger l’intérêt des [traduction] « détenteurs des obligations » d’Électricité Gatineau qui devaient approuver l’arrangement.

[112]                     D’ailleurs, même si une cession constitue un acte translatif de droits et d’obligations d’un patrimoine à un autre qui a, d’ordinaire, un caractère absolu, rien n’empêche, en droit civil, les parties de concevoir un acte translatif ou d’aliénation qui ne soit pas « permanent » dans ses effets, pour reprendre le mot utilisé par Résolu. Le transfert peut être pur et simple, mais l’acte translatif peut être assorti de conditions ou de toute autre stipulation conforme à l’ordre public. Une condition résolutoire affectant l’acte de transfert contractuel d’un droit de propriété est un exemple utile : lorsque la condition résolutoire se réalise, l’acte translatif de propriété est anéanti avec effet rétroactif (voir M. Cantin Cumyn, « Essai sur la durée des droits patrimoniaux » (1988), 48 R. du B. 3, p. 12-13). Le C.c.Q. reconnaît, aux art. 1110, 1113 et 1114, qu’une propriété superficiaire peut résulter de la cession du droit d’accession et que ceci peut être fixé pour un terme extinctif. Sans me prononcer davantage sur le sujet, je prends note que, selon certains auteurs, un transfert de propriété peut être assorti d’un terme extinctif et ainsi être considéré comme créant l’équivalent d’une « propriété temporaire » : « Le principe est que la propriété fera retour au propriétaire originaire, qui avait aliéné à terme extinctif . . . » (J. Carbonnier, Droit civil (2004), vol. II, no 751; voir aussi W. de Montmollin Marler, The Law of Real Property — Quebec (1932), no 64 : [traduction] « Une personne peut être temporairement propriétaire [. . .] La propriété est alors incomplète dans l’un ou l’autre des cas suivants : 1o la propriété prend fin à un moment déterminé ou lorsque se produit un événement; 2o la chose due fait l’objet d’un droit réel en faveur d’une autre personne »; l’auteur donne, comme exemple, le transfert temporaire des biens dans une substitution au grevé, biens destinés à l’appelé à l’ouverture de la substitution).

[113]                     À titre d’exemple portant spécifiquement sur une cession de contrat, l’on peut penser à l’arrêt Modern Concept (CSC), dans lequel notre Cour a analysé une cession de contrat entre une entreprise de fourniture de services ménagers et un franchisé. Dans cette affaire, le contrat d’entretien ménager avec la banque cliente avait été cédé au franchisé avec le consentement préalable de celle-ci. L’entreprise cédante s’était contractuellement réservé le droit de reprendre le contrat en cas d’inexécution par le franchisé (voir Modern Concept (CSC), par. 48; Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec c. Modern Concept d’entretien inc., 2017 QCCA 1237 (« Modern Concept (C.A.) »), par. 197, note 63 (CanLII)). On peut y voir, donc, une cession de contrat qui n’était pas « permanente » en vue de répondre à la volonté des parties de permettre au besoin la rétrocession du contrat. De même, le cédant conservait « d’importants pouvoirs de contrôle sur tout éventuel transfert, par le franchisé, des contrats d’entretien à un tiers » (Modern Concept (C.A.), par. 197). Par conséquent, malgré la cession, on ne pouvait pas affirmer, sans nuance, que le contrat d’entretien « appart[enait] » au cessionnaire ou qu’il pouvait en disposer librement (ibid.).

[114]                     Cet exemple illustre bien que la cession de contrat ne constitue pas toujours un acte translatif emportant aliénation définitive, contrairement à ce que prétend Résolu. Il sert à démontrer la plasticité de la cession de contrat. La liberté contractuelle est donc un élément clé : la cession de contrat ne suit pas un seul et unique modèle, mais peut au contraire, comme tout contrat, être modulée pour réaliser l’intention des parties, pour autant qu’elle respecte les règles régissant sa validité.

[115]                     En l’espèce, la cession du contrat de 1926 produit son plein effet translatif — la cédante Électricité Gatineau transfère tous ses droits et toutes ses obligations en vertu de ce [traduction] « contrat d’électricité » à la cessionnaire Hydro‑Québec — mais seulement pendant la durée de l’entente. L’économie du contrat est limpide : pour la durée du bail des lieux loués, Électricité Gatineau cède ses droits et avantages liés aux « contrats d’électricité » à Hydro‑Québec et, en même temps et pour la même durée, Hydro‑Québec exécute toutes les obligations d’Électricité Gatineau, dont celle de fournir l’électricité aux clients de cette dernière (voir les art. 4 et 5 du contrat de 1965). Concrètement, le contrat de 1926 est cédé par Électricité Gatineau à Hydro‑Québec pour la durée du bail des immeubles (voir les art. 4, 5 et 8, et notamment l’expression « pendant la durée de la présente entente » aux art. 4 et 8). Tant qu’Hydro‑Québec est locataire des « lieux loués », elle a un droit personnel à tous les revenus et avantages des « contrats d’électricité », mais elle doit aussi « exécuter dans toute la mesure du possible et de manière à en décharger complètement [Électricité Gatineau] toutes les obligations auxquelles [cette dernière] est ou peut être tenue ». Ce sont des attributs d’une cession de contrat — les droits appartiennent au cessionnaire, dont la responsabilité pour les obligations est personnelle — et non d’un mandat. Mais ces droits et obligations lui sont transférés seulement pour la durée du bail. Ce terme extinctif met fin au bail et au transfert des droits et obligations issus des « contrats d’électricité » qui sont accessoires au bail. Ce résultat est logique : pendant le bail, Hydro‑Québec contrôle tous les moyens de production d’électricité et Électricité Gatineau ne pourrait en conséquence s’acquitter personnellement de ses obligations. Les « détenteurs des obligations » sont rassurés du fait qu’Hydro‑Québec s’engage personnellement à le faire.

[116]                     Ce mécanisme convient parfaitement à la vente d’électricité à exécution successive mise sur pied en 1926 : chaque mois, à partir de la cession, Hydro‑Québec aura l’obligation de livrer l’électricité à Résolu à la place d’Électricité Gatineau et le droit d’en recevoir le prix en son propre nom. Toutefois, la prise en charge des obligations par Hydro-Québec et le droit de celle-ci à tous les revenus, tout comme sa qualité de partie contractante, sont temporaires et accessoires au bail et aux obligations d’Hydro‑Québec envers les « détenteurs des obligations » (sur le rapport entre un contrat principal et un contrat accessoire « affecté au service d’une autre convention », voir G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé (1969), p. 75).

[117]                     Que se passe-t-il à l’expiration du contrat de 1965, particulièrement à la fin du bail? Le C.c.Q. prévoit que l’obligation est éteinte, notamment par l’arrivée d’un terme extinctif (art. 1517 et 1671; voir aussi Baudouin et Jobin, no 559; art. 1138 C.c.B.-C.). Si la cession prend fin, l’objet de la cession — le contrat de 1926 — ne cesse pas pour autant d’exister et il y aurait alors, peut-on supposer, rétrocession de plein droit du contrat de la cessionnaire, Hydro‑Québec, à la cédante, Électricité Gatineau. Bien qu’en toute logique la fin du contrat de 1965 devrait mettre fin à la cession, il s’agit d’une question qui n’est pas devant la Cour et à laquelle je me garde de donner une réponse définitive. Comme le dossier démontre que le bail court toujours, la cession de contrat continue de produire ses effets. Même en acceptant l’interprétation de Résolu selon laquelle la durée de « l’entente » invoquée aux art. 4 et 8 du contrat de 1965 est limitée à la durée du bail, je conclus que la cession de contrat est encore effective[3].

(d)          Les éléments extrinsèques au contrat de 1965

[118]                     On ne peut conclure que la cession du contrat de 1926 a pris fin par suite de la vente des trois centrales sur la rivière Gatineau, au motif que ce sont précisément ces centrales qui alimentaient CIP à l’époque. On sait que, malgré cette vente, le bail prévu au contrat de 1965 sur lequel la cession est fondée continue puisqu’Électricité Gatineau loue [traduction] « l’ensemble de ses immeubles » à Hydro‑Québec. De plus, l’entente de 1965 transfère toutes les créances et toutes les obligations d’Électricité Gatineau sans faire de distinction entre les contrats selon qu’ils se rapportent à l’une ou l’autre de ses centrales. Rappelons aussi l’objectif d’unification et l’offre d’électricité énoncés au contrat de 1965. L’usine de Résolu est désormais alimentée par le réseau intégré d’Hydro‑Québec, sans qu’il soit possible de dire que son électricité provient d’une centrale en particulier.

[119]                     J’ajoute, à l’instar de la Cour d’appel, que d’autres éléments extrinsèques au contrat confirment qu’il y a eu cession de contrat et que celle-ci a toujours cours (par. 32-38). Par exemple, la preuve révèle que, depuis au moins 1999, toutes les factures pour l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926 sont émises par Hydro‑Québec.

[120]                     De plus, en 1982, un contrat de distribution de puissance additionnelle est conclu entre Hydro‑Québec et CIP. Il s’agit d’un nouveau contrat auquel Électricité Gatineau n’intervient pas, et qui renvoie expressément au contrat de 1926. Comme les intimées, j’y vois un élément extrinsèque qui tend à confirmer l’existence d’une cession opérée par l’effet du contrat de 1965. Il est vrai que la facture émise par Hydro‑Québec distingue l’électricité fournie aux termes du contrat de 1926. Cette distinction s’explique toutefois du fait qu’il y a deux tarifs distincts, l’un pour le bloc original de 1926 et l’autre pour le bloc additionnel de 1982.

[121]                     Signalons aussi deux éléments factuels dont ne traite pas la juge de première instance, mais que soulève à bon droit la Cour d’appel. D’abord, Résolu s’est prévalue de l’option d’électricité interruptible — une compensation financière uniquement offerte aux clients d’Hydro‑Québec — et elle l’a fait tant pour la puissance fournie suivant le contrat de 1926 que pour celle fournie en vertu du contrat de 1982. Bref, comme l’explique la Cour d’appel, Résolu n’aurait pu obtenir cette compensation si Hydro‑Québec n’était pas sa cocontractante (par. 35). Ensuite, il convient de souligner qu’en réponse à la réclamation d’Hydro‑Québec en 2011, Résolu n’invoque pas qu’Électricité Gatineau serait toujours sa cocontractante (motifs de la C.A., par. 38). Le motif de contestation est plutôt que les redevances en cause ne seraient pas des [traduction] « taxe[s] ou redevance[s] », ce qui implique qu’elles « ne sont pas envisagées par l’article 20 du Contrat [de 1926] ». Je vois dans ces éléments d’autres signes extrinsèques d’une intention de céder le contrat de 1926 lors de l’entente convenue en 1965.

[122]                     Par conséquent, le bail est toujours en vigueur en 2011, au moment où Hydro‑Québec réclame, à titre de cessionnaire du contrat de 1926, le prix convenu pour l’électricité, majoré en vertu de l’art. 20 de ce contrat. Soit dit en tout respect, le texte du contrat de 1965 n’indique pas qu’Électricité Gatineau a mandaté Hydro‑Québec pour gérer le contrat de 1926, contrairement à ce qu’affirme la première juge, mais stipule plutôt qu’Électricité Gatineau a cédé ce contrat à la société d’État, du moins pour la période du bail de location des immeubles.

(4)          Le consentement à la cession de contrat

[123]                     Je note que dans leurs arguments, notamment sur le rôle du consentement, les parties se sont appuyées tant sur la conception dualiste que sur la conception unitaire de la cession de contrat pour expliquer la nécessité, ou non, du consentement de la partie cédée à la validité d’une telle opération. À mon avis, quelle que soit la conception que l’on choisisse, l’issue du litige est la même. Or, puisque le va-et-vient entre les deux conceptions de la cession de contrat a été un thème récurrent de ce litige, thème qui se reflète également dans la doctrine et dans la jurisprudence, il me semble pertinent d’expliquer brièvement la légitimité de la conception unitaire de la cession de contrat en droit québécois et son utilité pour comprendre le sort du litige.

[124]                     Rappelons que des juristes adoptent parfois une conception dualiste de la cession de contrat, où celle-ci est définie comme l’addition d’une cession de créance et d’une cession de dette ou délégation de paiement (voir Baudouin et Jobin, no 1034). D’autres considèrent plutôt la cession de contrat comme la transmission du contrat lui-même à un tiers, mettant ainsi l’accent sur l’objet du contrat, sa cause économique, et ils estiment que la cession de contrat permet « le maintien de la force obligatoire du contrat en dépit du changement de la personne de l’un des contractants » (L. Aynès, La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes (1984), p. 21; voir aussi p. 170).

[125]                     Au Québec, on cite parfois l’arrêt Hutton de la Cour d’appel à titre d’exemple de l’analyse dualiste, en soulignant que, dans ses explications sur la cession du contrat, le juge Baudouin décompose l’opération entreprise par les parties en une cession de créance et une cession de dette. Il le fait afin de mieux exposer pourquoi, de son point de vue, la transmission des dettes exige notamment le consentement de la partie cédée. Je trouve utile l’exercice auquel se livre le juge Baudouin pour expliquer à la fois pourquoi ce consentement est nécessaire et pourquoi il peut être donné à l’avance. Mais il ne faut pas perdre de vue que, même lorsqu’il décompose l’entente dans l’arrêt Hutton, le juge Baudouin se penchait sur la cession du contrat dans son ensemble — une conception compatible avec celle retenue par notre Cour dans l’arrêt Aqueduc du Lac St. Jean en 1925.

[126]                     L’analyse unitaire met l’accent, justement, sur la transmission du rapport contractuel comme un tout — créances, dettes, droits potestatifs et autres engagements. Considérée suivant cette perspective, on comprend que l’opération implique la transmission de la qualité de partie contractante à la partie cessionnaire, tout en laissant le contrat d’origine intact. Cette analyse est particulièrement adaptée dans des circonstances où les parties débattent non seulement de la transmission des créances et dettes, mais aussi d’autres engagements pris dans le contrat d’origine. En l’espèce, outre les dispositions du contrat de 1926 portant sur la fourniture de l’électricité et le prix de celle-ci, les parties s’intéressent notamment, étant donné leur pertinence pour la demande d’Hydro‑Québec fondée sur la clause de majoration du prix, à l’art. 17 du contrat (l’application des lois provinciales et fédérales, présentes et futures), ainsi qu’à l’art. 22 (la transmissibilité du contrat). Résolu affirme dans son mémoire que, relativement à la question centrale de son appel — celle de savoir si son consentement est nécessaire à la cession entre Électricité Gatineau et Hydro‑Québec —, il importe peu que l’on adopte l’analyse dualiste ou unitaire. J’en prends acte, tout en soulignant que l’analyse unitaire aide particulièrement à comprendre que, si la qualité de partie au contrat de 1926 est passée à Hydro‑Québec, cela lui permettait d’exiger, en son nom et en raison de son statut, le prix majoré des deux prélèvements.

[127]                     Les circonstances mettent en lumière le fait que la cession effectue « le remplacement d’une partie par une tierce personne » (Lluelles et Moore, no 3214 (note en bas de page omise); voir aussi Modern Concept (C.A.), par. 149-150, conf. par 2019 CSC 28, [2019] 2 R.C.S. 406; ou, dans le cas d’une cession imparfaite, l’adjonction d’une nouvelle partie, Lluelles et Moore, no 3217). Envisagée sous cet angle, la conception unitaire est une solution élégante qui permet d’accentuer la liberté contractuelle des parties et de rapprocher le droit de la réalité des faits. Pour reprendre les mots du juge Mignault dans l’arrêt Aqueduc du Lac St. Jean, le cessionnaire est donc mis « à la place » du cédant (p. 195). Cette approche trouve également écho dans la manière dont le droit français, lors d’une réforme récente, intègre la cession du contrat à son Code civil. En effet, depuis la réforme de 2016, le législateur français adopte explicitement la conception unitaire de la cession de contrat, permettant à une partie de « céder sa qualité de partie au contrat » (Code civil français, art. 1216; voir J. Colliot, « La cession de contrat consacrée par le Code civil » (2016), 4 R.J.O. 31, p. 40).

[128]                     En l’espèce, il est plus utile d’examiner, suivant la conception unitaire, l’ensemble du lien contractuel de 1926 cédé par Électricité Gatineau à Hydro‑Québec, plutôt que de s’attacher uniquement à l’addition des créances et des dettes, suivant la conception dualiste. La cession comprend non seulement la créance de Résolu — l’alimentation en électricité — et sa dette — le paiement du prix de ce service —, mais aussi l’art. 17 aux termes duquel les parties acceptent que le contrat soit soumis à la réglementation provinciale et fédérale, tant présente que future, ainsi que l’art. 22 où les parties prévoient que [traduction] « [l]es successeurs ou ayants droit des deux parties bénéficient de la présente entente et sont liés par celle-ci ».

[129]                     Je passe maintenant aux arguments de Résolu.

[130]                     Résolu est d’avis que la cession de contrat dont ont convenu la cédante Électricité Gatineau et la cessionnaire Hydro‑Québec en 1965 ne peut être valide sans son consentement, quelle que soit la conception choisie. Elle raisonne qu’en tant que partie cédée, c’est elle qui subirait au premier chef les effets de la cession du contrat de 1926. L’opération lui imposerait une partie contractante — Hydro‑Québec — avec laquelle elle n’a pas contracté, situation qui porte atteinte au principe de l’effet relatif des contrats en l’exposant à des risques qu’elle n’a jamais acceptés. Dans les faits, la substitution d’Hydro‑Québec comme partie contractante — substitution à laquelle Résolu n’aurait pas consenti — ferait augmenter le prix de l’électricité et entraînerait ainsi une conséquence inattendue d’une cession réalisée à son insu. Or, dit Résolu, toute cession de contrat, qu’elle soit considérée comme la cession d’un tout ou comme la transmission de créances et de dettes, requiert le consentement de la partie cédée.

[131]                     Les intimées soumettent au contraire que la cession de contrat ne requiert pas le consentement de Résolu puisqu’elle est imparfaite. Comme Électricité Gatineau demeure tenue à titre de sûreté personnelle, la cession ne cause donc aucun préjudice à Résolu. Les intimées soutiennent que, de toute façon, le contrat de 1926 contient une clause de consentement à la cession éventuelle du contrat.

[132]                     Le désaccord entre les parties reflète un débat important qui a cours dans la doctrine relativement à la nécessité du consentement de la partie cédée pour qu’il puisse y avoir cession de contrat. Pour certains auteurs, le consentement de la partie cédée est essentiel à la validité de la cession, alors que pour d’autres, il n’est requis que pour libérer la partie cédante de ses obligations envers la partie cédée. La cession de créance, quant à elle, peut se faire validement sans le consentement de la partie cédée (voir, sous le C.c.Q., art. 1637). Or, dans le cas des dettes, la question de la nécessité du consentement de la partie créancière est l’objet de débats. Selon une approche, l’intérêt du créancier en ce qui a trait à l’identité de son débiteur, et particulièrement à la solvabilité de celui-ci, fait en sorte qu’il est inapproprié de transférer une dette sans son consentement. Or, pour d’autres, une cession de dette (ou une délégation de paiement) imparfaite sans le consentement du créancier est envisageable, puisque la partie cédée, ou créancière-délégataire, conserve son recours contre sa partie cocontractante d’origine (voir, sur ce débat, M. Cumyn, « La délégation du Code civil du Québec : une cession de dette? » (2002), 43 C. de D. 601).

[133]                     Le même débat existe si la cession de contrat est analysée comme la transmission de l’ensemble du rapport contractuel. Vu l’absence d’une règle formelle dans le Code civil du Québec sur ce point, plusieurs auteurs sont d’avis que le consentement de la partie cédée est nécessaire afin de protéger la force obligatoire du contrat initial transféré. D’autres estiment que le consentement du cédé n’est exigé que dans les cas où le cédant cherche à se libérer de sa dette. Pour les tenants de cette approche, une cession de contrat imparfaite peut être réalisée sans le consentement de la partie cédée, étant donné que cette dernière garde son recours contre son cocontractant initial (voir les explications de Lluelles et Moore, nos 3234 et suiv.).

[134]                     Cela étant, le consentement de Résolu est-il nécessaire à la validité de la cession?

[135]                     Il convient de commencer l’analyse en soulignant une concession majeure qu’a faite Hydro‑Québec et qui permet de préciser le débat. Devant notre Cour, cette dernière a reconnu que ni CIP ni Résolu n’ont consenti à libérer Électricité Gatineau de ses obligations aux termes du contrat de 1926. Une cession de contrat qui ne libère pas la partie cédante de ses obligations est qualifiée d’imparfaite (voir Modern Concept (CSC), par. 41‑43). Dans la mesure où la cession est valide, elle est non libératoire pour ce qui est d’Électricité Gatineau : Résolu a donc deux débitrices tenues de l’alimenter en électricité, puisqu’il y a adjonction d’une nouvelle partie contractante (Hydro‑Québec), plutôt que remplacement définitif de la partie contractante d’origine (Électricité Gatineau) (voir Lluelles et Moore, no 3217).

[136]                     La véritable question est donc celle de savoir si le consentement de Résolu est nécessaire à la validité d’une cession imparfaite du contrat de 1926.

[137]                     Dans l’arrêt Hutton, le juge Baudouin souligne ce désaccord doctrinal quant à l’exigence du consentement et s’inspire du droit français pour résoudre la question. Il retient que le consentement de la partie cédée est nécessaire à la validité d’une cession de contrat, mais que, dans le cas de la cession imparfaite, « le consentement à une éventuelle cession peut être donné d’avance, par exemple, lors de la conclusion de l’engagement primitif » (p. 9). La Cour d’appel adopte cette position en analysant la cession de contrat de manière dualiste; on comprend qu’elle en vient à cette conclusion puisqu’il y a une cession de dette. 

[138]                     À mon sens, le raisonnement du juge Baudouin incite à conclure que le consentement de la partie cédée s’impose lorsqu’on adopte la conception de la cession du contrat comme un tout. En effet, quand la cession est considérée comme la transmission du contrat lui-même, ce qui implique le transfert de la qualité de partie à la cessionnaire, on comprend aisément que, du point de vue de l’effet relatif de la cession d’une part, et de la force obligatoire du contrat cédé d’autre part, le consentement de la partie cédée est nécessaire (du moins, en l’absence d’une disposition législative à l’effet contraire).

[139]                     Il est vrai que la cession de contrat n’implique pas la création d’un nouveau lien, mais plutôt la transmission du contrat original. Cela dit, le transfert du contrat existant à une nouvelle partie contractante exige, par respect du principe de l’effet relatif du contrat (voir art. 1440 C.c.Q.), le consentement d’une partie comme Résolu, qui se voit imposer un nouveau vis-à-vis possédant des « qualités » que la partie cédante n’avait pas, pour reprendre le mot employé par le juge Baudouin (Hutton, p. 9). Le principe de la force obligatoire du contrat amène lui aussi à conclure que la partie cessionnaire ne peut s’imposer comme nouvelle cocontractante de la partie cédée sans le consentement de cette dernière (voir art. 1434 et 1439 C.c.Q.).

[140]                     Certes, la simple adjonction d’Hydro‑Québec comme débitrice, dans une cession de contrat imparfaite, où Électricité Gatineau demeure liée par le contrat de 1926, ne pose pas grand danger pour la créancière Résolu. En effet, celle-ci obtient un recours éventuel contre deux débitrices, dont celle avec qui elle avait contracté au départ, et se trouve ainsi protégée en cas d’insolvabilité de sa nouvelle cocontractante. Or la cession, même imparfaite, fait d’Hydro‑Québec la débitrice principale de Résolu, ce qui n’est pas sans conséquence pour cette dernière. Une telle cession peut nécessiter des ajustements de la part de la cédée, qui transige maintenant avec une nouvelle cocontractante avec qui elle n’a jamais fait affaire. Notre cas de figure indique qu’il est préférable d’exiger le consentement de la partie cédée même quand la cession de contrat est imparfaite, dans le respect des principes généraux du droit des contrats et afin de protéger la partie cédée. Bien qu’Électricité Gatineau demeure présente comme débitrice, Résolu doit composer avec une nouvelle partie contractante qui, en raison de son statut, peut demander une majoration du prix.

[141]                     Il me semble donc préférable de suivre l’arrêt Hutton et de maintenir la nécessité du consentement de la partie cédée pour qu’une cession de contrat soit valide, comme le propose un fort courant doctrinal (voir, p. ex., Levesque, par. 1017; Lluelles et Moore, no 3236).

[142]                     Le droit français continue d’ailleurs de retenir cette solution, même après la réforme de son droit des obligations en 2016. La cession de contrat, désormais prévue au Code civil français, requiert l’« accord » de la partie cédée, accord qui peut être donné par avance (art. 1216)[4]. Le fait d’exiger l’accord de la partie cédée permet de respecter les principes de la force obligatoire du contrat et de la relativité des conventions (voir Colliot, p. 35). Le Code civil français requiert également le consentement exprès de la partie cédée pour libérer la partie cédante, répondant du même coup à la préoccupation légitime que la cédée fera face à une nouvelle partie débitrice insolvable ou non fiable (art. 1216-1). Je prends bonne note que le nouveau droit français emploie le terme « accord » et non « consentement » de la partie cédée, indiquant ainsi que cette autorisation peut être donnée à l’avance et qu’elle n’entraîne pas forcément la libération de la partie cédante (Colliot, p. 44). Selon ce point de vue, la partie cédée ne donne pas son consentement à la cession au sens étroit du terme — en ce qu’elle ne souscrit pas formellement à la cession comme acte juridique —, elle l’autorise. Cela dit, en droit québécois, c’est le vocable « consentement » qui est presque uniformément utilisé par la doctrine et la jurisprudence. Pour éviter toute confusion, c’est le terme que je retiens dans les présents motifs.

[143]                     J’estime que, même en l’absence de réglementation explicite de la cession de contrat dans le C.c.Q., en raison des principes généraux du droit des contrats, les mêmes justifications sont pertinentes au Québec pour ce qui est du consentement de la partie cédée. Par conséquent, Résolu a raison de soutenir que son consentement est nécessaire pour valider la cession du contrat de 1926, compte tenu qu’elle a pour effet de transférer la qualité de partie à Hydro‑Québec, un tiers à ses yeux. 

[144]                     Je prends soin toutefois de souligner que, selon l’arrêt Hutton, le consentement de la partie cédée peut être donné à l’avance. Dans cette affaire, il avait été donné sous forme d’un consentement à une éventuelle cession lors de la conclusion du contrat initial. C’était d’ailleurs le cas également dans l’arrêt Modern Concept (CSC), comme en témoignent les faits de cette affaire (voir par. 42). En l’espèce, le débat entre les parties sur la nécessité du consentement de Résolu est théorique, puisqu’il est évident, suivant les termes mêmes de l’art. 22 du contrat de 1926, que les parties ont consenti à l’avance à toute cession éventuelle de celui-ci.

[145]                     Résolu soutient que cet article n’est pas un chèque en blanc donné à Électricité Gatineau pour toute cession de contrat, mais un simple « rappel de la règle de la transmissibilité des droits personnels aux ayants cause ». Elle nous demande de ne pas suivre l’arrêt Hutton sur ce point, nous renvoyant à un jugement albertain, Lee c. Pointe of View Developments (Encore) Inc., 2010 ABQB 558, 35 Alta. L.R. (5th) 42, où la Cour du Banc de la Reine a jugé qu’une clause prévue au contrat original ne constituait pas un consentement à la cession de celui-ci. Or, à la différence du cas qui nous occupe, les parties dans cette affaire n’avaient prévu la possibilité de céder le contrat qu’à des [traduction] « parties cessionnaires autorisées » (par. 3 et 15). Cette affaire n’est donc aucunement comparable au cas qui nous occupe.

[146]                     À l’inverse, l’arrêt Hutton présente de fortes similarités avec le présent cas[5]. Je trouve l’explication du juge Baudouin dans cette affaire particulièrement utile : en donnant son consentement à une future cession, le cédé « a assumé le risque de se voir éventuellement lié à un contractant dont il n’appréciait peut-être pas toutes les qualités! » (p. 9). C’est le risque — négocié et assumé — que courait l’entreprise CIP en 1926 en acceptant l’art. 22 de son contrat avec Électricité Gatineau.

[147]                     Bref, Résolu a raison d’insister que son consentement est nécessaire pour qu’il y ait cession de contrat valide. Or, ce consentement a été donné d’avance par CIP dans le contrat de 1926. Électricité Gatineau a donc valablement transmis à la cessionnaire Hydro‑Québec sa qualité de partie au contrat. Par conséquent, elle joue un rôle de sûreté personnelle contre l’inexécution éventuelle par Hydro‑Québec de ses obligations (voir Lluelles et Moore, no 3114). En l’espèce, le caractère imparfait de la cession ne change rien à l’issue du litige, car c’est tout de même Hydro‑Québec qui, à titre de débitrice principale possédant de surcroît la qualité de partie, fournit l’électricité et, de ce fait, peut en majorer le prix en vertu de l’art. 20.

(5)          L’opposabilité de la cession de contrat

[148]                     Puisque la partie cédée peut avoir consenti à l’avance à une éventuelle cession de contrat, sans participer à l’acte de cession si celle-ci se concrétise, il faut s’interroger sur les conditions d’opposabilité de cette opération. Il est évident que, si la partie cédée participe à l’acte de cession ou y consent de façon contemporaine, la cession est du même coup rendue opposable. Or, dans le cas d’un consentement donné à l’avance, la cession de contrat ne saurait être opposable à la partie cédée si elle n’en est jamais informée. C’est ce que Résolu plaide de façon subsidiaire : à supposer qu’il y a eu cession de contrat, elle n’en a pas été informée avant 2016, lors de l’inscription en appel. Ainsi, la cession ne pouvait lui être opposable avant cette date. Or, selon ma lecture du dossier, la cession lui est opposable depuis bien avant la naissance du litige.

[149]                     En l’absence de règles explicites sur la cession de contrat, le régime de la cession de créance nous permet de comprendre les conditions d’opposabilité applicables. La cession de créance est opposable à la partie cédée « dès [qu’elle] y a acquiescé ou [. . .] a reçu une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession ou, encore, une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant » (art. 1641 C.c.Q.). Lluelles et Moore expliquent que « [l]’acquiescement n’exige pas de forme particulière. Il peut donc être implicite, mais la simple connaissance de la cession ne suffit pas » (no 3170 (notes en bas de page omises)). Le C.c.B.-C. utilisait un vocable un peu différent, mais suivait la même logique, exigeant la signification et la délivrance de l’acte de vente à la débitrice cédée, ou l’acceptation de la cession par cette dernière (art. 1571; voir Immobilière Natgen inc. c. 2897041 Canada inc., [1998] R.D.I. 545 (C.A. Qc), p. 548).

[150]                     En l’espèce, la preuve ne révèle pas à quel moment CIP a été mise au courant de la cession de 1965, mais elle indique tout de même que celle-ci sait qu’elle fait affaire avec Hydro‑Québec, depuis bien avant la naissance du litige, et y acquiesce. Comme je l’ai mentionné précédemment, CIP et Hydro‑Québec ont signé en 1982 un nouveau contrat pour la distribution de puissance additionnelle — additionnelle par rapport à celle prévue au contrat de 1926. La Cour d’appel souligne, à juste titre, au par. 32 de son arrêt que « [c]’est Hydro‑Québec qui fournit l’électricité à Résolu depuis 1965, c’est elle qui facture, c’est à elle que Résolu effectue les paiements et c’est vers elle que CIP s’est tournée pour obtenir de la puissance additionnelle et conclure une nouvelle entente en 1982 ».

[151]                     Je conclus donc que la cession de contrat est opposable à Résolu.

(6)          L’alourdissement des obligations par l’effet de la cession de contrat

[152]                     Toujours sur le thème de l’injustice que lui causerait la cession de contrat, Résolu soutient que, même si la cession est valide et lui est opposable, elle ne peut pas avoir pour effet de permettre à Hydro‑Québec de réclamer le prix majoré pour l’électricité qu’elle lui fournit. Cela rendrait, dit-elle, ses obligations plus onéreuses que celles auxquelles CIP a consenti en 1926, puisqu’Électricité Gatineau ne paie pas les taxes en question. Résolu s’appuie sur la règle voulant qu’une cession de créance (et donc, par extension, une cession de contrat) ne puisse pas « porter atteinte aux droits du débiteur, ni rendre son obligation plus onéreuse » (art. 1637 al. 2 C.c.Q.; voir aussi, sous le régime du C.c.B.-C., Caisse populaire de Maria c. Beauvais et Verret Inc., [1994] R.D.J. 592 (C.S. Qc), p. 596).

[153]                     Ce moyen d’appel doit être rejeté. L’augmentation du prix de l’électricité ne résulte pas de la cession de contrat, mais plutôt de changements d’ordre législatif. Ainsi, toute possible différence entre la règle prévue par le C.c.Q. et celle du C.c.B.-C. est sans pertinence, étant donné que l’argument de Résolu est de toute façon infondé dans tous les cas.

[154]                     On sait que les parties au contrat de 1926 avaient explicitement prévu, à l’art. 17, qu’elles seraient assujetties aux futures lois de la province, et que ces lois auraient une incidence sur leurs relations contractuelles. En 2007, Hydro‑Québec a perdu le bénéfice de l’exemption énoncée à l’art. 68 de la LRE, et un autre prélèvement a été établi dans la LHQ. L’augmentation des tarifs d’électricité découlant de ces changements législatifs est un risque que CIP a clairement accepté de prendre aux termes des art. 17 et 20 du contrat de 1926. En d’autres mots, la cause de l’augmentation du prix n’est pas la cession du contrat en 1965, mais les modifications apportées à la loi en 2007. La cession, en soi, ne rend pas l’obligation de Résolu plus onéreuse.

[155]                     Je conclus que la cession du contrat de 1926 a plein effet à l’égard de Résolu, et qu’Hydro‑Québec, en tant que partie à ce contrat, est en droit de lui réclamer le paiement des taxes et des redevances visées à l’art. 20.

B.            Hydro‑Québec peut-elle réclamer le paiement des prélèvements prévus à l’art. 32 de la LHQ et à l’art. 68 de la LRE?

[156]                     Hydro‑Québec réclame, en application de l’art. 20 du contrat de 1926, une somme majorée pour l’électricité fournie à Résolu, expliquant que les prélèvements prévus à l’art. 68 de la LRE et à l’art. 32 de la LHQ ont été ajoutés à la facture de cette dernière datée du 30 novembre 2011, ainsi qu’à ses factures des trois dernières années.

[157]                     Selon Résolu, la Cour d’appel se méprend lorsqu’elle conclut que ces prélèvements sont des taxes ou des redevances au sens du contrat de 1926. Premièrement, dit Résolu, en raison du statut d’Hydro‑Québec — c’est-à-dire mandataire de l’État —, les sommes prélevées en vertu de l’art. 32 de la LHQ et de l’art. 68 de la LRE constituent une affectation de fonds publics qui appartiennent déjà à l’État, et non des taxes ou des redevances au sens juridique. Deuxièmement, Résolu soutient que les prélèvements en question ne peuvent être considérés comme des taxes ou des redevances au sens de l’art. 20 du contrat de 1926, cette qualification étant incompatible avec l’intention des parties au moment de la conclusion de cette entente. Troisièmement, toujours selon Résolu, il y aurait eu soit prescription soit renonciation tacite par les intimées à réclamer le paiement des sommes prélevées sous le régime de la LRE, puisqu’en 65 ans, Électricité Gatineau n’a jamais refilé la facture à sa cocontractante.

[158]                     Comme l’explique la Cour d’appel, la juge de première instance a d’abord exprimé l’avis que la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, RLRQ, c. R-2.2.0.1, n’a pas imposé une nouvelle taxe, puisque la taxe en question existait déjà avant qu’Hydro‑Québec y soit assujettie en 2007. Le prélèvement en cause serait donc une « taxe » selon cette conclusion de la Cour supérieure (voir motifs de la C.A., par. 11). Toutefois, la première juge a ensuite accepté l’argument de Résolu selon lequel le prélèvement en cause ne serait pas une « taxe », car il s’agirait, selon elle, d’une affectation de fonds publics. Devant ces contradictions apparentes, la Cour d’appel était justifiée d’intervenir. De toute façon, comme l’explique la cour, il n’était pas essentiel que la juge de première instance tranche la question de savoir si le prélèvement en cause est une « taxe », l’art. 20 du contrat de 1926 visant à la fois les taxes et les redevances (par. 14).

[159]                     Regardons chacun des trois arguments de Résolu.

(1)          Le statut d’Hydro‑Québec

[160]                     Résolu soutient que l’État ne peut pas taxer Hydro‑Québec, car cela reviendrait à se taxer lui-même. Cet argument doit être rejeté.

[161]                     Les mandataires de l’État doivent, si la loi l’impose, payer des taxes. Comme l’écrivait Gérard V. La Forest avant son accession à la magistrature, [traduction] « [u]ne province peut taxer ses propres intermédiaires, par exemple des sociétés de la Couronne et des municipalités » (The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution (2e éd. 1981), p. 175). Dans l’arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, notre Cour a également confirmé qu’une province peut taxer ses mandataires (par. 40). De plus, l’art. 16 de la LHQ précise explicitement qu’Hydro‑Québec paie certaines taxes. Ajoutons que, suivant une admission au dossier, le gouvernement du Québec a facturé à Hydro‑Québec le montant des prélèvements prévus aux deux lois en question.

[162]                     L’argument de Résolu selon lequel l’État ne génère aucun revenu en taxant Hydro‑Québec fait abstraction de la personnalité juridique distincte de la société d’État. En effet, bien qu’Hydro‑Québec soit une « mandataire de l’État » (LHQ, art. 3.1.1), elle n’en reste pas moins une entité séparée (voir, p. ex., LHQ, art. 3.1.2 et 3.1.3). Les montants perçus en taxant Hydro‑Québec se distinguent des revenus perçus par l’État lorsqu’Hydro‑Québec déclare des dividendes, même si toutes les actions d’Hydro‑Québec appartiennent à l’État. On ne peut pas, comme le propose Résolu, amalgamer l’État et Hydro‑Québec.

[163]                     Par ailleurs, Résolu ne relève pas d’erreur dans la conclusion de la Cour d’appel portant que les sommes payables en vertu de l’art. 68 de la LRE constituent une taxe (par. 13). En l’absence d’indication qu’un sens particulier est donné au mot [traduction] « taxe » dans le contrat, c’est à bon droit que la Cour d’appel est intervenue en s’appuyant, notamment, sur l’arrêt Algonquin. Il est vrai que cet arrêt concernait les taxes payées par une entreprise privée et portait entre autres sur la distinction entre une taxe et une redevance (par. 46). Or, le prélèvement ne change pas de nature du fait qu’il est imposé à Hydro‑Québec. De toute façon, même si le statut d’Hydro‑Québec faisait du prélèvement une redevance, cela serait sans conséquence en l’espèce, puisque le contrat vise toute « taxe ou redevance ».

[164]                     Pour les mêmes raisons, le prélèvement prévu à l’art. 32 de la LHQ ne cesse pas d’être une taxe ou une redevance parce qu’il est imposé à Hydro‑Québec. Peu importe la qualification exacte du prélèvement, la simple lecture de cette disposition confirme qu’elle a pour effet d’imposer à Hydro-Québec, en vertu de l’art. 16 de la LHQ, le paiement d’une [traduction] « une taxe ou redevance [. . .] prélevée sur l’énergie électrique produite par les forces hydrauliques », au sens de l’art. 20 du contrat de 1926. Par ailleurs, contrairement à ce qu’avance Résolu, l’absence de mécanisme d’exécution forcée dans la loi n’en fait pas moins une taxe « exigée par la loi » (m.a., par. 135, citant 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 132, par. 22) : le prélèvement est exigible par l’effet de la loi.

[165]                     Résolu soutient que nous ne sommes pas en présence d’une taxe ou d’une redevance, mais plutôt d’une affectation de revenus de l’État. Or, que le législateur ait décidé d’affecter les montants perçus au Fonds des générations ne change pas la nature du prélèvement. Je partage l’avis de la Cour d’appel : l’appelante — tout comme la première juge (motifs de la C.S., par. 64 et 67) — confond la nature du prélèvement avec l’endroit où il doit être versé (par. 16).

[166]                     La Cour d’appel a donc eu raison de conclure que les prélèvements prévus à l’art. 32 de la LHQ et à l’art. 68 de la LRE sont visés par l’art. 20 du contrat de 1926. 

(2)          Le sens des mots « taxe ou redevance » selon l’intention des parties

[167]                     Résolu rappelle que les mots [traduction] « taxe ou redevance » employés dans le contrat de 1926 peuvent avoir un sens différent de celui que leur donne une loi; ce qui importe, en l’espèce, c’est le sens de ces mots suivant l’intention commune des parties en 1926. Selon Résolu, cette intention est claire : l’art. 20 du contrat traite d’une « taxe ou redevance » payable à un tiers au contrat — un gouvernement — et non à une partie contractante. Résolu propose donc une variation de son argument sur la nature juridique des prélèvements : l’intention des parties était d’habiliter la société ayant l’obligation de fournir l’électricité à répercuter sur le prix payé par l’acheteuse une future taxe ou redevance perçue par un gouvernement, et non de lui permettre d’augmenter unilatéralement le prix de l’électricité à son avantage.

[168]                     Cet argument ne peut être retenu. Même si l’on tient pour acquis que les parties n’avaient pas anticipé la nationalisation de l’électricité lorsqu’elles ont conclu le contrat de 1926, les augmentations de taxes ou de redevances ont été explicitement prévues au contrat, tout comme leur impact éventuel sur le prix de l’électricité. Les parties ont également stipulé que l’entente serait assujettie aux futures lois de la province (art. 17) et que le contrat pourrait être cédé (art. 22).

[169]                     De même, la prétention de Résolu selon laquelle les parties cherchaient à limiter l’incidence des art. 17 et 20 aux paiements versés à des gouvernements constituant des tiers au contrat, en excluant le cas de figure du paiement versé à l’État par l’entremise de l’une de ses sociétés, doit être écartée. En effet, comme nous l’avons vu, les taxes et redevances imposées sont payables au gouvernement, qui est un tiers au contrat, et non à Hydro‑Québec, qui est partie au contrat. Les redevances payées à l’État augmentent réellement le prix de production de l’électricité fournie par Hydro‑Québec, dont la personnalité juridique et le patrimoine sont distincts de l’État.

[170]                     Toujours dans le cadre de son analyse de l’intention commune des parties, Résolu plaide que la redevance prévue à l’art. 68 de la LRE n’est pas « future » au sens du contrat de 1926 puisque, lors du renouvellement du contrat en 2006, ce prélèvement établi par la loi existait déjà. Cet argument ne convainc pas. Il ne s’accorde pas avec le sens ordinaire des mots utilisés à l’art. 20. Toute redevance imposée après 1926 est « future » au sens des art. 17 et 20 du contrat. Cela s’explique aisément : l’acheteuse a le droit de renouveler ce contrat indéfiniment sans renégociation du prix, mais la vendeuse est protégée en cas d’augmentation des coûts de l’électricité imputable à une nouvelle taxe ou redevance. La lecture du contrat tend à indiquer que l’intention des parties était que le prix de l’électricité reste stable, sous réserve de l’imposition de nouvelles taxes et redevances, de sorte que le revenu net de la société vendeuse demeure constant, mais que celle-ci ne soit pas pénalisée si ses coûts de production augmentent en raison d’une taxe ou d’une redevance non anticipée sur l’électricité. Ayant la faculté de renouveler ou non le contrat, la société acheteuse est protégée contre une future augmentation du prix qui serait trop importante : elle peut, dans le cas d’une augmentation de taxes ou redevances, choisir de ne pas renouveler l’entente.

[171]                     Résolu avance que le prélèvement prévu par la LHQ ne porte pas sur l’[traduction] « énergie électrique », expression employée à l’art. 20 du contrat de 1926, mais plutôt sur les « forces hydrauliques » (LHQ, art. 32). Cet argument doit également être écarté. Les parties ont précisé à l’art. 20 du contrat que les prélèvements en question seront faits « sur l’énergie électrique produite par les forces hydrauliques », mais elles ne font pas la distinction évoquée par Résolu. L’expression utilisée à l’art. 20 n’exclut pas l’électricité en provenance des « forces hydrauliques qu’[Hydro‑Québec] exploite », expression employée à l’art. 32 al. 2 LHQ. La loi précise que le taux du prélèvement imposé est calculé en kilowatts-heures, ce qui suggère clairement, contrairement à ce que plaide Résolu, que le prélèvement porte sur l’électricité.

[172]                     En somme, tous les arguments de Résolu voulant que la Cour d’appel ait mal saisi l’intention des parties au contrat de 1926 sont rejetés.

(3)          La renonciation ou la prescription

[173]                     Résolu soutient finalement qu’il y a eu prescription ou renonciation tacite à réclamer le paiement de la taxe prévue par la LRE. Avant d’être imposée en vertu de l’art. 68 de la LRE, cette redevance existait, depuis 1946, à l’art. 3 de la Loi pour assurer le progrès de l’éducation, S.Q. 1946, c. 21. À l’audience, les parties n’ont pas su expliquer pourquoi Électricité Gatineau n’a jamais facturé cette redevance à Résolu. Or, l’historique législatif démontre que l’argument de l’appelante est mal fondé.

[174]                     En effet, entre 1946 et 1964, la Loi pour assurer le progrès de l’éducation interdit à Électricité Gatineau de facturer la redevance à Résolu. Aux termes de l’art. 19 al. 1, « [a]ucun détenteur ou propriétaire de forces hydrauliques ne peut augmenter les taux de ses services d’électricité, ni obtenir une augmentation de ces taux, par suite de la contribution qu’il verse ou qu’il est appelé à verser au fonds d’éducation ». L’alinéa suivant précise que des redevances, dont celle prévue à l’art. 3, « doivent être supporté[e]s exclusivement par ceux à qui la présente loi les impose et [que] ceux-ci ne peuvent, ni directement ni indirectement, en réclamer le remboursement de qui que ce soit, nonobstant toute entente ou convention passée ou future au contraire » (après 1946, aucune loi n’a modifié l’essence de cette disposition : Loi modifiant la Loi pour assurer le progrès de l’éducation, S.Q. 1947, c. 32, art. 9; Loi pour assurer le contrôle budgétaire de certaines dépenses, S.Q. 1961, c. 8, art. 18). Électricité Gatineau ne pouvait donc pas se prévaloir de l’art. 20 du contrat de 1926.

[175]                     À partir de 1965, la redevance reprise dans l’art. 68 de la LRE n’est plus assortie de l’interdiction d’augmenter les taux d’électricité ou d’en réclamer le remboursement. Hydro‑Québec en est toutefois exemptée jusqu’en 2007 (voir Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, L.Q. 2006, c. 24). En conséquence, il n’y a eu ni extinction par prescription, ni renonciation tacite par l’effet des renouvellements de 1996 et de 2006.

[176]                     Je conclus que les deux prélèvements litigieux, imposés en vertu de l’art. 32 de la LHQ et de l’art. 68 de la LRE, sont visés par l’expression [traduction] « taxe ou redevance » à l’art. 20 du contrat de 1926 et, pour cette raison, je déclarerais qu’ils sont payables par Résolu à Hydro‑Québec suivant cette entente. La Cour appel n’a pas fait erreur en arrivant à cette même conclusion. À l’instar de cette dernière, vu l’absence du procureur général du Québec, je ne me prononce pas sur la question de savoir si Hydro‑Québec est tenue de payer le prélèvement prévu par l’art. 32 de la LHQ à l’avenir de sorte qu’Hydro‑Québec ait droit à une majoration en fonction de celui-ci. Pour trancher le litige, il suffit de noter que le gouvernement du Québec a demandé à Hydro‑Québec de payer les redevances litigieuses et que cette dernière était en droit de les répercuter sur le prix facturé à Résolu.

IV.         Conclusion

[177]                     Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Les motifs des juges Côté et Rowe ont été rendus par

                    La juge Côté (dissidente) —

                                             TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I.      Introduction

178

II.    Sommaire des faits pertinents

189

III.   Question en litige

202

IV.   Normes d’intervention en appel

204

V.    Décision de la juge de première instance

208

VI.   Intervention en appel

227

A.    Arguments relatifs à la cession à trois moments potentiels

232

B.    Argument non contesté à l’effet que le contrat de 1965 n’a pas opéré cession

239

(1)      Conduite postérieure des parties

240

(2)      Contrat judiciaire liant les parties

257

VII. Ajustement du prix de l’électricité

271

VIII. Conclusion

279

I.               Introduction

[178]                          La nationalisation de la production et de la distribution de l’électricité est un projet phare de la Révolution tranquille au Québec. Le gouvernement du Québec a alors créé la société d’État Hydro‑Québec afin de prendre le contrôle du marché québécois de l’électricité. Après avoir eu initialement recours à l’expropriation afin de prendre le contrôle des producteurs privés d’électricité, Hydro‑Québec a plutôt opté pour un processus de gré à gré afin d’acquérir ces entreprises et compléter le processus de nationalisation. Cette affaire pose la question suivante : comment unifier deux entreprises dans le cadre d’une prise de contrôle? Cette unification implique-t-elle nécessairement l’absorption totale d’une entreprise au profit de l’acquéreur, la cible de l’acquisition ne devenant alors qu’une coquille vide? Est-il plutôt possible de concevoir une unification plus souple, avec des modalités de prise de contrôle et un étalement dans le temps, qui maintienne la survie de l’entreprise cible?

[179]                          Selon mon collègue le juge Kasirer, nationalisation signifie nécessairement totale absorption. Depuis la nationalisation de l’électricité, les entreprises cibles, comme la Compagnie d’électricité Gatineau (« Électricité Gatineau »), ne sont plus, selon lui, que des coquilles vides dépourvues de toute utilité et de vie juridique. Toujours selon lui, il est ainsi fort peu probable qu’une maison mère telle qu’Hydro‑Québec puisse, dans certains cas, être la mandataire de sa filiale Électricité Gatineau. Tout comme la Cour d’appel (2019 QCCA 30), il s’appuie exclusivement sur le contrat de 1965 afin de conclure ainsi.

[180]                          La question centrale soulevée par le présent pourvoi concerne l’effet relatif d’un contrat d’électricité conclu en 1926 entre Électricité Gatineau et la Canadian International Paper Company (« CIP »), qui est le prédécesseur de l’appelante PF Résolu Canada inc. (« Résolu »). Le principe de l’effet relatif des contrats fait en sorte qu’un contrat ne produit « d’effet qu’entre les parties contractantes » et qu’« il n’en a point quant aux tiers » (art. 1440 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »)). Par conséquent, les tiers ne peuvent invoquer le contenu d’un contrat pour leur propre bénéfice, hormis quelques exceptions fort limitées. Précisément, il s’agit donc de déterminer si Hydro‑Québec, un tiers au contrat de 1926, peut se prévaloir de la clause d’ajustement de prix qui y est prévue afin de refiler à Résolu les taxes ou redevances qu’elle a payées en vertu de l’art. 32 de la Loi sur Hydro‑Québec, RLRQ, c. H-5 (« LHQ »), et l’art. 68 de la Loi sur le régime des eaux, RLRQ, c. R-13 (« LRE »). Hydro‑Québec réclame rétroactivement de Résolu le paiement de plus de trois millions de dollars en taxes ou redevances sur la base de cette clause. Pour avoir gain de cause, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau avaient donc le fardeau de démontrer devant la Cour supérieure qu’Hydro‑Québec est aussi partie au contrat. Prétendument, Hydro‑Québec serait devenue partie au contrat de 1926 par l’effet d’une cession de celui-ci en sa faveur.

[181]                          Le présent pourvoi est un cas typique de correction d’erreurs affectant prétendument la décision rendue par la juge du procès. Dans un premier temps, ce pourvoi requiert que notre Cour se penche sur le contrat judiciaire intervenu entre les parties à l’instance, afin de comprendre la nature du débat qui s’est déroulé devant la Cour supérieure. Dans un deuxième temps, le pourvoi requiert que notre Cour examine attentivement les motifs de la juge de première instance afin de déterminer si elle a commis une erreur révisable en disposant des arguments qui lui ont été soumis, la Cour d’appel s’étant contentée de dire qu’une telle erreur révisable existe, sans l’identifier ni la décrire (voir Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, [2020] 3 R.C.S. 595, par. 34).

[182]                          Une lecture attentive des actes de procédure, des plans d’argumentation des parties et des transcriptions des plaidoiries orales devant la Cour supérieure révèle qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont pas plaidé que le contrat de 1965 aurait opéré cession. En fait, ces dernières ont présenté ce contrat comme un « contrat de mandat, vente et louage » dans leur défense (d.a., vol. I, p. 44). En effet, elles ont plaidé que la cession aurait eu lieu au plus tôt en 1982, lorsque le prédécesseur de Résolu et Hydro‑Québec ont conclu un contrat pour la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité. Dans l’alternative, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont plaidé que la cession aurait eu lieu en 1997 lorsque la Loi sur la Régie de l’énergie, L.Q. 1996, c. 61 a consacré le droit exclusif d’Hydro‑Québec de distribuer l’électricité au Québec, ou encore en 2005‑2006 lorsqu’Électricité Gatineau a transféré la propriété de ses centrales à Hydro‑Québec.

[183]                          La juge de première instance a bien saisi que le débat était de savoir s’il y avait eu cession du contrat soit en 1982, soit en 1997, ou encore en 2005-2006 (2016 QCCS 3862). Je suis d’avis qu’elle a disposé du débat tel qu’il lui était présenté, sans commettre d’erreur révisable. Également, la juge n’a pas commis de telle erreur en faisant droit à l’argument de Résolu, non contesté en première instance, voulant que le contrat de 1965 n’ait pas opéré cession. La juge était liée par le contrat judiciaire intervenu entre les parties, dans lequel la qualification du contrat de 1965 n’était pas contestée. Ni Résolu, ni Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont prétendu devant la juge de première instance que le contrat de 1965 aurait opéré cession. En ce sens, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, sur qui reposait le fardeau, n’ont avancé aucune interprétation du contrat de 1965 à cet effet.

[184]                          Par conséquent, la juge de première instance n’avait pas à se pencher de manière approfondie sur l’interprétation du contrat de 1965, comme l’ont fait à tort, et je dis ceci avec beaucoup d’égards, la Cour d’appel ainsi que mon collègue le juge Kasirer. De toute manière, même si la qualification du contrat de 1965 avait fait partie du contrat judiciaire et que la juge l’avait alors examiné en profondeur, selon moi, le texte du contrat de 1965, son objet et le comportement postérieur des parties confirment l’existence d’un mandat. Bien qu’Électricité Gatineau ait effectivement vendu la vaste majorité de ses biens meubles et loué tous ses immeubles, elle n’a pas « cédé » ses contrats de fourniture d’électricité. Dépourvue de ses outils de production, Électricité Gatineau a mandaté Hydro‑Québec pour fournir à ses clients l’électricité qu’elle doit normalement leur fournir contractuellement. Pour faciliter l’exécution de cette tâche, Électricité Gatineau a mis ses droits découlant des contrats d’électricité à la disposition d’Hydro‑Québec, mais sans les céder, pour que cette dernière puisse les invoquer à titre de mandataire au nom d’Électricité Gatineau. Les parties ont également stipulé que la rémunération d’Hydro‑Québec pour ses services de mandataire devait être égale aux revenus tirés de l’exploitation des opérations d’Électricité Gatineau.

[185]                          Puisque la juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en concluant qu’il n’y a pas eu cession du contrat de 1926 en faveur d’Hydro‑Québec, la qualité de cocontractante d’Électricité Gatineau au contrat de 1926 n’a pas été transmise à Hydro‑Québec. Hydro‑Québec est donc un tiers à ce contrat et l’effet relatif de ce dernier l’empêche d’invoquer la clause d’ajustement de prix afin de refiler les taxes ou redevances auxquelles elle peut être tenue.

[186]                          Pour sa part, Électricité Gatineau ne peut également refiler les taxes ou redevances, puisque la preuve ne démontre pas qu’elle les a payées. De toute façon, même si Électricité Gatineau les avait payées, elle ne pourrait les refiler à Résolu, parce qu’elle n’aurait pas été légalement tenue de les payer pour les années réclamées. En effet, les redevances prévues aux art. 32 LHQ et 68 LRE ne sont imposées qu’aux détenteurs de forces hydrauliques. La majoration du prix est réclamée pour les années 2009 à 2011. Or, Électricité Gatineau n’est plus détentrice de forces hydrauliques depuis bien avant 2009; Hydro‑Québec en est la détentrice depuis 1965 en sa qualité de locataire, et depuis 2005-2006 en sa qualité de propriétaire.

[187]                          Considérant la conclusion à laquelle j’en arrive, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de me prononcer sur le débat théorique opposant les théories unitaire et dualiste de la cession de contrat.

[188]                          Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais le pourvoi.

II.            Sommaire des faits pertinents

[189]                          En 1926, Électricité Gatineau concluait un contrat de fourniture d’électricité avec le prédécesseur corporatif de Résolu — CIP — pour une durée de 40 ans. En vertu du contrat, CIP avait la faculté de renouveler unilatéralement le contrat pour des périodes additionnelles de 10 ans. Résolu et ses prédécesseurs ont renouvelé le contrat de 1926 à plusieurs reprises de sorte qu’il est toujours en vigueur. Le contrat de 1926 contient une clause permettant à Électricité Gatineau d’augmenter le prix de l’électricité d’un montant égal aux hausses de [traduction] « taxes » ou de « redevances » qu’elle doit payer (art. 20, reproduit dans d.a., vol. III, p. 110). Le contrat de 1926 contient aussi la stipulation suivante : [traduction] « Les successeurs ou ayants droit des deux parties bénéficient de la présente entente et sont liés par celle‑ci » (art. 22).

[190]                          En 1946, la Loi pour assurer le progrès de l’éducation, S.Q. 1946, c. 21, est adoptée. Cette loi visait à créer un fonds spécial pour financer l’éducation publique au Québec, dont les contributions devaient découler notamment d’une redevance imposée sur l’électricité générée par les détenteurs de forces hydrauliques du domaine public, et aux propriétaires de forces hydrauliques du domaine privé (art. 2 et 3c) et d)). La Commission hydroélectrique du Québec — l’ancêtre d’Hydro‑Québec — devait également y verser une part de ses revenus (art. 3e)). En 1961, l’art. 13 de la Loi pour assurer le contrôle budgétaire de certaines dépenses, S.Q. 1961, c. 8, modifiait l’allocation des sommes en prévoyant que les redevances devaient dorénavant être versées au fonds consolidé du revenu. À la suite de la refonte des lois effectuée en 1964, cette redevance est devenue celle de l’art. 68 LRE. La redevance de l’art. 68 LRE est l’une des deux redevances au cœur du présent litige.

[191]                          Il n’est pas contesté qu’Électricité Gatineau était tenue de payer cette redevance depuis 1946. Le dossier ne démontre toutefois pas si Électricité Gatineau l’a payée. Il n’est pas contesté non plus que la clause d’ajustement de prix prévue au contrat de 1926 n’a jamais été invoquée avant 2011, soit 65 années plus tard, comme je le mentionne plus loin.

[192]                          En 1963, le gouvernement du Québec amorçait la nationalisation de la production de l’électricité québécoise. De ce fait, la Commission hydroélectrique du Québec acquiert en 1964 et 1965 toutes les actions d’Électricité Gatineau. Cette dernière devient alors une filiale en propriété exclusive de la Commission et de son successeur Hydro‑Québec.

[193]                          À la suite de l’achat des actions d’Électricité Gatineau, Hydro‑Québec concluait, en 1965, un contrat avec Électricité Gatineau visant à unifier la gestion des deux entreprises. La juge de première instance décrit ainsi la teneur du contrat de 1965 :

En 1965, la nationalisation de l’électricité intervient. [Électricité Gatineau] continue d’exister, mais [Hydro‑Québec] acquiert la totalité de ses actions. Un contrat de mandat, vente et louage, intervient le 12 mai 1965 entre [Hydro‑Québec] et [Électricité Gatineau] et, en vertu de ce contrat, [Électricité Gatineau] loue ses immeubles à [Hydro‑Québec], lui vend ses biens meubles et la constitue mandataire de la gestion de ses opérations et contrats. Dès lors, [Électricité Gatineau] demeure propriétaire des trois centrales situées sur la rivière Gatineau, Paugan, Chelsea et [Rapides]‑Farmer, mais celles-ci sont louées à [Hydro‑Québec]. Cette entente était conclue pour une période de 25 ans, mais rien n’indique qu’elle ait pris fin à l’expiration de ce terme. Elle se serait donc renouvelée tacitement à son expiration au moins jusqu’en 2005-2006 alors que les centrales en question sont cédées à [Hydro‑Québec]. [Je souligne; par. 51 (CanLII).]

[194]                          Il importe de noter que, dans leur défense déposée devant la Cour supérieure, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau se réfèrent toutes deux au contrat de 1965 comme étant un « contrat de mandat, vente et louage ». De plus, un cadre d’Hydro‑Québec a témoigné qu’à sa connaissance, ce contrat n’a pas opéré cession.

[195]                          En 1982, le prédécesseur de Résolu et Hydro‑Québec concluaient, sans l’intervention d’Électricité Gatineau, un contrat pour la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité à celle prévue au contrat de 1926. Fait important à noter, le contrat de 1926 est présenté — dans le contrat de 1982 — comme liant seulement le prédécesseur de Résolu et Électricité Gatineau. De surcroît, ce contrat conclu en 1982 ne réfère aucunement à l’existence du contrat de 1965 intervenu entre Électricité Gatineau et Hydro‑Québec. À cet égard, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont admis devant la Cour supérieure que « la preuve ne démontre pas que CIP [le prédécesseur de Résolu] avait connaissance de l’Entente de 1965 lorsqu’elle a signé le Contrat de 1982 » (plan d’argumentation d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau en première instance, par. 78, reproduit dans d.i., p. 61). La juge de première instance décrit la situation comme suit :

Bien sûr, rien n’indique que ce contrat de 1965 ait été porté à l’attention de PF Résolu. Celle-ci continue de bénéficier du contrat de 1926 dont l’existence est même reconnue et confirmée lorsqu’elle contracte avec [Hydro‑Québec] en 1982 pour obtenir la puissance additionnelle dont elle a besoin. Par ailleurs, depuis de très nombreuses années, PF Résolu reçoit une seule facture pour l’électricité fournie à son usine de Gatineau; cette facture émane [d’Hydro‑Québec] et elle est payée à [Hydro‑Québec]. La facture distingue cependant l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926. [Je souligne; par. 52.]

Comme le note la juge, Hydro‑Québec est en charge de fournir à Résolu l’électricité due en vertu du contrat de 1926 pour le compte d’Électricité Gatineau. Hydro‑Québec émet une seule facture tant pour la puissance originale fournie en vertu du contrat de 1926 que pour la puissance additionnelle prévue au contrat de 1982, mais en prenant soin de distinguer l’électricité fournie aux termes du contrat de 1926 du reste de l’électricité livrée à Résolu.

[196]                          Résolu et ses prédécesseurs ont renouvelé le contrat de 1926 à plusieurs reprises, soit en 1986, 1996 et 2006. Chacun des avis de renouvellement contenait une mention similaire, indiquant qu’Électricité Gatineau était la destinataire :

COURRIER RECOMMANDÉ

[Électricité Gatineau]

A/S Hydro‑Québec

Monsieur Jean Bernier

Secrétaire général

75, boulevard Dorchester ouest

Montréal (Québec)

H2Z 1A4

(d.a., vol. II, p. 1)

[197]                          En 1997, la Loi sur la Régie de l’énergie consacrait le droit exclusif d’Hydro‑Québec de distribuer l’électricité au Québec, sous réserve d’exceptions limitées.

[198]                          Sans que Résolu ne soit mise au courant, Électricité Gatineau cède ses trois centrales situées sur la rivière Gatineau à Hydro‑Québec en 2005‑2006.

[199]                          En 2006, l’Assemblée nationale du Québec créait le Fonds des générations qui devait servir au remboursement de la dette publique du Québec (Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, RLRQ, c. R-2.2.0.1, art. 2). Du même coup, la législature québécoise amendait la LHQ et la LRE afin d’assujettir Hydro‑Québec aux redevances qui y sont prévues (art. 32 LHQ; art. 68 LRE) et de prévoir que les sommes devaient être versées au Fonds des générations.

[200]                          Hydro‑Québec a commencé à payer les taxes ou redevances des art. 32 LHQ et 68 LRE en janvier 2007. Pourtant, ce n’est que presque cinq années plus tard, en décembre 2011, que la clause d’ajustement de prix contenue au contrat de 1926 fut invoquée pour la première fois[6]. Hydro‑Québec — et non Électricité Gatineau — a alors transmis à Résolu une facture réclamant rétroactivement un montant de plus de trois millions de dollars pour les redevances payées par Hydro‑Québec au gouvernement du Québec sur l’électricité produite dans les trois années qui précédaient. Résolu s’est opposée à cette réclamation rétroactive, d’où la naissance du présent litige.

[201]                          Les parties ont convenu d’une entente de paiement sous protêt. En vertu de de cette entente, Résolu payait les sommes réclamées par Hydro‑Québec afin d’éviter le paiement d’intérêts et de frais d’administration supplémentaires en attendant qu’un jugement soit rendu sur le fond du litige. Toujours en vertu de cette entente, Résolu devait introduire une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire dans le délai convenu, sans quoi Hydro‑Québec conserverait les sommes. En septembre 2012, Résolu a donc déposé une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire devant la Cour supérieure.

III.         Question en litige

[202]                          La juge de première instance était saisie de la question de savoir si Hydro‑Québec pouvait se prévaloir de la clause d’ajustement de prix prévue au contrat de 1926 afin de refiler à Résolu les taxes ou redevances qu’elle a payées en vertu des art. 32 LHQ et 68 LRE. La juge a répondu par la négative. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau nous demandent d’arriver à une conclusion contraire. La réponse de notre Cour à cette question dépend de l’application de la norme d’intervention appropriée à l’encontre de la décision de la juge de première instance, prise dans son contexte factuel et procédural.

[203]                          Après considération du contexte factuel et procédural du présent litige, je suis d’avis que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en concluant qu’il n’y a pas eu cession du contrat de 1926. Elle a bien saisi les arguments d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau, sur qui reposait le fardeau de preuve, et en a disposé sans commettre d’erreur justifiant l’intervention de la Cour d’appel.

IV.         Normes d’intervention en appel

[204]                          Dans Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59, la Cour a expliqué que la qualification d’un contrat doit « être considérée comme une question mixte de fait et de droit » (par. 42) lorsqu’elle « implique [. . .] l’examen d’une multitude d’éléments factuels » (par. 41) tels que les circonstances entourant la formation du contrat et la manière dont les parties l’ont ensuite appliqué (par. 29; voir 3091‑5177 Québec inc. (Éconolodge Aéroport) c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2018 CSC 43, [2018] 3 R.C.S. 8, par. 18; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 49). Dans un tel cas, c’est la norme de l’erreur manifeste et déterminante qui s’applique à l’intervention en appel, à moins qu’on puisse isoler une erreur de droit.

[205]                          Notre Cour a répété à maintes reprises que les questions mixtes telles que la qualification d’un contrat doivent être abordées avec une grande déférence par les cours siégeant en appel, puisque la réponse à ces questions est « tributaire du poids accordé à la preuve » par le juge de première instance, lequel occupe une position beaucoup plus avantageuse qu’une cour d’appel pour les évaluer et les apprécier (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 32, voir aussi par. 12‑14 et 18; voir Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, par. 37).

[206]                          En l’espèce, la norme applicable est celle de l’erreur manifeste et déterminante. La Cour est saisie de la révision du travail de qualification de la relation juridique entre les parties par la juge de première instance, lequel a requis la considération d’une multitude d’éléments factuels. En effet, afin de déterminer si Hydro‑Québec est devenue partie au contrat de 1926 par l’effet d’une cession, la juge de première instance s’est appuyée sur la lettre des documents contractuels invoqués, le contexte factuel les entourant, les prétentions mêmes d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau quant à l’un ou l’autre des trois moments où la cession aurait pu avoir lieu et surtout sur la conduite postérieure des parties. La juge a effectivement relevé plusieurs éléments factuels niant, selon elle, l’existence d’une cession :

               Électricité Gatineau existe toujours et n’a pas été dissoute;

               Électricité Gatineau est demeurée propriétaire des centrales jusqu’en 2005‑2006;

               les avis de renouvellement du contrat de 1926 sont tous adressés à Électricité Gatineau a/s d’Hydro‑Québec, laissant entendre qu’Hydro‑Québec est mandatée pour les recevoir pour le compte d’Électricité Gatineau;

               les factures d’électricité envoyées à Résolu distinguent l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926; et

               le fait que Résolu n’a jamais été informée qu’Électricité Gatineau aurait cédé le contrat de 1926 à Hydro‑Québec et qu’il n’existe, en ce sens, aucune preuve qu’Hydro‑Québec se serait acquittée des formalités d’opposabilité de la soi-disant cession du contrat (par. 16, 20 et 51-54).

C’est donc à la lumière de ce contexte factuel que la juge de première instance a conclu que le contrat de 1926 n’a pas été cédé à Hydro‑Québec et « que les parties au contrat de 1926 sont toujours [Électricité Gatineau] et PF Résolu » (par. 60). 

[207]                          La tâche qui incombe à notre Cour n’est pas de réviser les motifs de la Cour d’appel et son interprétation du contrat de 1965, mais plutôt de réviser la décision de la Cour supérieure (Uniprix, par. 44).

V.           Décision de la juge de première instance

[208]                          Afin de déterminer si la juge de première instance a commis une erreur révisable en concluant comme elle l’a fait, il importe de se pencher sur les arguments qui lui ont été soumis et la manière dont elle en a disposé.

[209]                          Les termes du contrat de 1926 prévoient que les seules parties contractantes étaient CIP, le prédécesseur de Résolu, et Électricité Gatineau. Le principe de l’effet relatif des contrats empêche donc Hydro‑Québec d’invoquer la clause d’ajustement de prix qui y est prévue. Par conséquent, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont le fardeau de prouver que Résolu doit à Hydro‑Québec les taxes ou redevances réclamées en vertu de ce contrat. Bien que ce soit Hydro‑Québec et Électricité Gatineau qui aient le fardeau de preuve, c’est plutôt Résolu qui a déposé la requête introductive d’instance en jugement déclaratoire, comme le prévoyait l’entente de paiement sous protêt. Ainsi, Résolu était la demanderesse aux fins du litige et a procédé en premier lieu.

[210]                          Dans sa requête, Résolu a allégué qu’à sa connaissance, le contrat de 1926 n’a pas été cédé à Hydro-Québec par Électricité Gatineau. Lorsqu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont déposé leur défense, les contours du débat se sont précisés. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau y ont nié l’allégation de Résolu voulant qu’il n’y ait pas eu cession. Par contre, elles n’ont pas expliqué quand et comment il y aurait eu cession. En fait, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont plutôt allégué qu’Hydro‑Québec fournit l’électricité due aux termes du contrat de 1926 depuis la conclusion du contrat de 1965, soit le contrat qu’elles présentaient comme étant un « contrat de mandat, vente et louage » :

Depuis l’acquisition de Compagnie d’électricité Gatineau et la conclusion du contrat de mandat, vente et louage précité, Hydro‑Québec fournit toute l’électricité en vertu de l’ensemble des contrats précités relatifs à l’alimentation de l’Usine de Gatineau; [Je souligne.]

(d.a., vol. I, p. 48; voir aussi p. 44.)

[211]                          Résolu, techniquement la demanderesse au plan procédural, a procédé en premier lors de l’audience devant la juge de première instance. Puisqu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont nié son allégation à l’effet qu’il n’y a pas eu cession, Résolu a entrepris de plaider que le contrat de 1965 n’a pas opéré cession, et ce, même si Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ne prétendaient pas, tant dans leur défense que dans leur plan d’argumentation, que ce contrat aurait opéré cession.

[212]                          Après avoir indiqué qu’à son avis le « cœur du litige c’est l’identité [de] la partie contractante » (d.a., vol. VI, p. 126), Résolu a plaidé que « ça [a] toujours été [Électricité Gatineau] la partie contractante en vertu du contrat en litige » (p. 128). Résolu a d’abord affirmé qu’Hydro‑Québec agit à titre de mandataire aux termes du contrat de 1965 et a souligné à gros traits qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau « l’appellent le contrat de mandat, vente et louage » (p. 129). Puis, Résolu a entrepris de démontrer que le contrat de 1982 pour l’obtention d’une puissance additionnelle d’électricité, ainsi que les actes de transfert des centrales en 2005‑2006, n’ont également pas opéré cession. Selon Résolu, le contrat de 1982 reconnaissait l’« existence en toutes lettre[s] » du contrat de 1926 et il s’agissait d’« un contrat distinct » (p. 159 et 162). Quant aux actes de transfert des centrales, Résolu prétendait que ces actes n’opéraient que cession de la propriété des centrales et non cession des contrats et que, de toute façon, les formalités d’opposabilité n’avaient pas été satisfaites.

[213]                          Ce fût ensuite au tour d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau de plaider devant la juge de première instance. Leur argument principal était que le principe de l’effet relatif des contrats n’était pas pertinent. Dès qu’il y a imposition d’une taxe ou redevance, cela déclencherait la clause d’ajustement de prix prévue au contrat de 1926 et le prix serait alors augmenté automatiquement d’un montant égal aux taxes ou redevances applicables. Ceci valait indépendamment du fait qu’il y ait eu cession ou pas. Les extraits des transcriptions qui suivent décrivent bien l’argument principal d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau :

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

. . .

Donc, notre prétention, c’est que l’exercice qu’on vient de faire dispose de la question, à savoir, il suffit de lire le contrat pour déterminer quel sera le prix. Et tout ça est très logique là, parce que l’alimentation est faite par les centrales dans le contexte, contexte, développement hydroélectrique sur la rivière Gatineau, alimentation du moulin à papier par ces ouvrages-là, comme le dit le deuxième attendu, dans un contexte de longue durée. Alors, si le déclencheur très précis de l’article 20 est rencontré, le prix change automatiquement. Peu importe si le contrat a été cédé, non cédé, exécuté par un mandataire ou non, le prix change. C’est une formule de prix.

. . .

Moi, ce que j’allègue, dans le fond, ce que je prétends, c’est que, surtout au début là, de la citation, la notion de force obligatoire des contrats. Donc, le contrat, il est, à mon avis, il est clair, son contexte est bien compris, son application coule de source selon nous, il y a une clause d’ajustement de prix qui trouve application. C’est sûr que ça ne fait pas l’affaire de la partie qui doit payer plus, mais au-delà de ça, c’est une application du principe de force obligatoire des contrats . . .

. . .

Je vous le réexplique, puis c’est mon premier argument. Quand je vous disais, cet argument-là dispose du dossier, c’est ça. C’est-à-dire qu’on regarde le contrat de mil neuf cent vingt-six (1926), on constate qu’il contient une formule de prix puis on applique l’article tout simplement. Y a-t-il une nouvelle taxe? Oui. Et on, je pense qu’il est raisonnable de dire que c’est depuis le premier (1er) janvier deux mille sept (2007) où on va appliquer cette clause, puisque c’est à ce moment-là que, tant Gatineau qu’Hydro-Québec sont devenus assujettis à cette taxe-là. C’est ça l’argument, on applique le contrat. Ce n’est pas écrit que ça doit être Gatineau qui paie ou Hydro‑Québec qui paie, elles sont assujetties à une taxe. Une nouvelle taxe existe-elle? Oui.

LA JUGE :

Vous, ce que vous dites, c’est que finalement l’effet de 16 et 68 c’est que, de toute façon, pe[u] importe qui paie, Hydro‑Québec et [Électricité Gatineau] sont assujettis.

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

Exactement.

LA JUGE :

Et Hydro‑Québec n’a pas besoin à tout bout de cham[p] de dire, bien là, ici j’agis comme mandat . . . Ça revient au même.

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

C’est exactement ça. Ce n’est pas lié à la personne qui paie ou qui ne paie pas . . .

. . .

Mais à partir du moment où est-ce qu’il y a une taxe, c’est-à-dire que les fournisseurs, et là quels qu’ils soient là, Gatineau, Hydro, mandataires ou pas, ils sont assujettis l’un et l’autre. C’est là que prend fin le débat.

Alors, c’est ça notre argument principal et il dispose de la question. [Je souligne.]

(d.a., vol. VII, p. 113, 118 et 171-174)

[214]                          Au moment de débuter sa plaidoirie, le procureur d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau avait d’ailleurs exprimé sa surprise de constater que Résolu ait mis autant d’énergie sur la question de la cession, alors qu’il ne s’agissait, pour lui, que d’un argument subsidiaire. Cet imbroglio est, à mon avis, le fruit du fait que Résolu plaidait en premier malgré que le fardeau de preuve ne reposait pas sur ses épaules :

[PROCUREUR D’HYDRO-QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

. . .

Alors bon, je commence avec mon plan d’argumentation. Donc selon nous, la . . . tout ce que j’ai entendu de mes confrères hier sur la cession du contrat, pour nous, c’est un argument subsidiaire là, subsidiaire, subsidiaire devrais-je même dire, qui vient à la toute fin. Alors oui, j’en parle dans l’argumentation mais c’est à la toute fin là, la dernière section E de mon plan.

LA JUGE :

Je pense qu’à la décharge de vos confrères, ils ont essayé d’anticiper vos arguments pour faire une argumentation complète.

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

Oui, oui, tout à fait. Je ne leur en tiens pas rigueur, mais bon.

LA JUGE :

Ils ne pouvaient pas deviner à l’avance . . .

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

Peut-être.

LA JUGE :

. . . l’ordre dans lesquelles vous le feriez.

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

C’est ça et je pense la même chose parce qu’on reçoit aussi des arguments de diverses natures.

Donc pour nous, c’est vraiment un dossier d’application de contrat, d’application du contrat de mil neuf cent vingt-six (1926). [Je souligne.]

(d.a., vol. VII, p. 91-92)

[215]                          Par la suite, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont présenté leur argument subsidiaire voulant que si une cession de contrat était nécessaire pour que la clause d’ajustement de prix puisse s’appliquer, la cession de contrat serait intervenue à l’un ou l’autre des trois moments suivants :

1.            La cession aurait eu lieu en 1982 lorsque le prédécesseur de Résolu et Hydro‑Québec ont conclu un contrat pour la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité.

2.            Subsidiairement, si la cour était d’avis que le contrat de 1982 n’a pas opéré cession, Hydro‑Québec serait devenue partie au contrat de 1926 par l’effet de la loi, c’est-à-dire lorsque la Loi sur la Régie de l’énergie a consacré son droit exclusif de distribution de l’électricité au Québec.

3.            Et si cet argument subsidiaire n’était pas retenu et que la cour était d’avis que l’évolution du cadre réglementaire n’a pas substitué Hydro‑Québec à Électricité Gatineau aux termes du contrat de 1926, la cession aurait eu lieu lorsqu’Hydro‑Québec est devenue propriétaire des centrales d’Électricité Gatineau en 2005-2006 aux termes des actes de cession des immeubles.

[216]                          Lorsque l’on lit attentivement la décision de la juge de première instance à la lumière des plans d’argumentation respectifs des parties et des transcriptions des plaidoiries orales, on comprend donc que bien que la question de la cession était en jeu, les arguments présentés par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau devant la Cour supérieure étaient bien différents de ceux présentés devant la Cour d’appel et notre Cour. Jamais, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont prétendu devant la Cour supérieure que le contrat de 1965 aurait opéré cession du contrat de 1926. Elles ont plutôt prétendu que la cession aurait eu lieu soit en 1982 lorsqu’Hydro‑Québec et le prédécesseur de Résolu ont conclu un contrat pour la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité, soit en 1997 lorsqu’Hydro‑Québec est devenue le distributeur exclusif d’électricité en vertu de la Loi sur la Régie de l’énergie, soit en 2005-2006 lorsqu’Électricité Gatineau a transféré la propriété de ses centrales à Hydro‑Québec. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont donc pas contesté la prétention de Résolu devant la Cour supérieure à l’effet que le contrat de 1965 n’avait pas opéré cession. Elles n’ont d’ailleurs pas pris la peine d’analyser le contrat de 1965 afin de démontrer le contraire.

[217]                          La juge de première instance a bien compris les arguments des parties ainsi que les contours du débat. Aux paragraphes 25-34 et 42-45 de ses motifs, la juge décrit les arguments d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau. La juge explique que ces dernières prétendent de manière subsidiaire « que, depuis le contrat de 1982, [Hydro‑Québec] est le seul fournisseur d’électricité de [Résolu] et sa cocontractante » (par. 28 (je souligne)). L’argument central quant à la cession était donc qu’Hydro‑Québec serait devenue partie au contrat de 1926, mais seulement à la suite du contrat de 1982. Les extraits suivants du jugement de première instance sont révélateurs :

Comme le souligne [Hydro‑Québec], au paragraphe 74 de son mémoire :

« Depuis le Contrat de 1982, Hydro‑Québec fournit toute l’électricité à l’Usine de Gatineau et facture toute la consommation d’énergie, y compris le bloc de 40 000 kW faisant l’objet du Contrat de 1926. Les paiements sont effectués à Hydro‑Québec, tant par PF Résolu que par ses auteurs. Hydro‑Québec a pu retrouver les factures jusqu’à 1999 qui confirment ce fait. »

. . .

Subsidiairement, les défenderesses soutiennent que, depuis le contrat de 1982, [Hydro‑Québec] est le seul fournisseur d’électricité de la demanderesse et sa cocontractante. Depuis 1982, la demanderesse ne peut raisonnablement prétendre qu’elle croyait [qu’Électricité Gatineau] est son fournisseur d’électricité. [Je souligne; par. 19 et 28.]

[218]                          La juge affirme ensuite que la question centrale est de savoir si Hydro‑Québec et Électricité Gatineau se sont acquittées de leur fardeau de prouver qu’Hydro‑Québec peut invoquer la clause d’ajustement de prix en démontrant « qu’elle est substituée aux droits [d’Électricité Gatineau] en vertu du contrat de 1926 » :  

C’est [Hydro‑Québec] qui invoque l’article 20 du contrat de 1926, et ce, depuis novembre 2011. D’où, le litige qui est soumis au tribunal aujourd’hui.

Pour réussir, [Hydro‑Québec] doit donc démontrer qu’elle est substituée aux droits [d’Électricité Gatineau] en vertu du contrat de 1926 et que l’article 20 de ce contrat trouve application. Si le tribunal fait droit aux prétentions [d’Hydro‑Québec] à cet égard, il devra ensuite déterminer si la demanderesse PF Résolu a raison de prétendre [qu’Hydro‑Québec] ne peut lui réclamer trois ans d’arrérages ou des frais d’administration. [par. 42‑43]

[219]                          Puis, lorsque la juge de première instance aborde l’analyse de la question de la cession, tout démontre qu’elle a bien saisi que l’argument d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau voulant qu’Hydro-Québec soit devenue une partie contractante au contrat de 1926 s’articule en trois temps possibles, dont aucun ne concerne le contrat de 1965 :

Selon [Hydro‑Québec], il faudrait maintenant lire et interpréter le contrat de 1926 comme si [Hydro‑Québec] elle-même était devenue le cocontractant de PF Résolu. Il n’est pas entièrement clair si, selon elle, il faudrait tout simplement lire le contrat en substituant le nom Hydro‑Québec à celui [d’Électricité Gatineau] ou si le cocontractant serait à la fois Hydro-Québec et [Électricité Gatineau].

Ce changement se serait produit pour de multiples raisons : la nationalisation de l’électricité et le fait [qu’Hydro‑Québec] détient 100 % des actions [d’Électricité Gatineau], les termes du contrat intervenu entre [Hydro‑Québec] et PF Résolu en 1982, l’effet de la Loi sur la [R]égie de l’énergie qui a consacré « le droit exclusif de distribution d’Hydro‑Québec dans ses activités de distribution », la cession des centrales Paugan, Chelsea et Rapides Farmer en 2005-2006 qui aurait éteint « les obligations de Hydro‑Québec relativement à ces centrales, prétendument à titre de mandataire, » ce qui, en quelque sorte aurait finalisé une cession de contrat qui était par ailleurs expressément autorisée par l’article 22 du contrat de 1926. [Je souligne; par. 44-45.]

[220]                          Avant d’analyser comment la juge de la Cour supérieure a disposé de ces arguments, il importe de souligner qu’elle était bien au fait qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ne contestaient pas l’argument de Résolu voulant que le contrat de 1965 n’ait pas opéré cession du contrat de 1926, comme le démontrent les par. 19 et 28 de ses motifs. Ainsi, la juge comprenait qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau maintenaient la position qu’elles avaient prise, dans leur défense, à l’effet que le contrat de 1965 est un « contrat de mandat, vente et louage ». Ce qu’elles invoquaient c’était plutôt l’effet du contrat de 1982, de l’adoption de la Loi sur la Régie de l’énergie et des actes de transfert de propriété des centrales sur la relation juridique existant entre les parties. Ceci étant dit, attardons-nous à ces arguments.

[221]                          Premièrement, la juge rejette l’argument voulant que la cession ait eu lieu en 1982 lorsqu’Hydro‑Québec et le prédécesseur de Résolu ont conclu un contrat pour la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité. Selon elle, la clause 4a) du contrat de 1982 ne vise que la fourniture d’une puissance additionnelle d’électricité et n’affecte pas l’effet relatif du contrat de 1926. En fait, elle est d’avis que le contrat de 1982 « reconnaît expressément » que le contrat de 1926 ne lie qu’Électricité Gatineau et CIP, le prédécesseur de Résolu :

En 1982, un contrat intervient entre CIP, maintenant PF Résolu, et [Hydro‑Québec] pour la fourniture de puissance additionnelle à l’usine de Gatineau (D-7). Le contrat reconnaît expressément que :

« 4 a) Le fournisseur fournit déjà à l’abonné une puissance de 40 000 kilowatts, appelée puissance ferme originale, conformément à l’entente intervenue entre [Électricité Gatineau] et Canadian International Paper Company, en date du 19 juillet 1926 . . . »

. . .

Bien sûr, rien n’indique que ce contrat de 1965 ait été porté à l’attention de PF Résolu. Celle-ci continue de bénéficier du contrat de 1926 dont l’existence est même reconnue et confirmée lorsqu’elle contracte avec [Hydro‑Québec] en 1982 pour obtenir la puissance additionnelle dont elle a besoin. Par ailleurs, depuis de très nombreuses années, PF Résolu reçoit une seule facture pour l’électricité fournie à son usine de Gatineau; cette facture émane [d’Hydro‑Québec] et elle est payée à [Hydro‑Québec]. La facture distingue cependant l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926. [Je souligne; par. 18 et 52.]

Ainsi, la juge de première instance n’a pas décidé que le contrat de 1982 a opéré cession, comme l’ont prétendu Hydro‑Québec et Électricité Gatineau aux par. 71 et suiv. de leur plan d’argumentation (reproduit dans d.i., p. 59-62) et lors de l’audience.

[222]                          Deuxièmement, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau prétendent qu’Hydro-Québec serait devenue cocontractante par « l’effet de la Loi sur la [R]égie de l’énergie qui a consacré “le droit exclusif de distribution d’Hydro‑Québec dans ses activités de distribution” » (motifs de première instance, par. 45, citant le plan d’argumentation d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau en première instance, par. 86, reproduit dans d.i., p. 62). La juge ne discute pas expressément de cet argument, mais on peut présumer qu’elle le rejette implicitement, puisqu’elle analyse la question de savoir si Hydro‑Québec peut soulever la clause d’ajustement de prix exclusivement sur la base de la cession de contrat et non par l’effet de la loi. 

[223]                          Finalement, la juge a rejeté le troisième argument de cession avancé par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, voulant que la cession du contrat de 1926 ait eu lieu lorsqu’Électricité Gatineau a cédé ses centrales Paugan, Chelsea et Rapides‑Farmer à Hydro-Québec en 2005-2006. Selon cette logique, même si Hydro‑Québec avait été mandataire en vertu du contrat de 1965, le mandat aurait pris fin en 2005-2006 lorsqu’Hydro‑Québec est devenue propriétaire desdites centrales. À partir de ce moment, selon Hydro‑Québec, elle ne pourrait logiquement plus agir comme mandataire chargée d’exploiter les centrales qui lui appartiennent. L’objet du mandat ayant été accompli, il aurait pris fin. Lors de l’audience, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ont présenté cet argument de la manière suivante :

[PROCUREUR D’HYDRO‑QUÉBEC ET D’ÉLECTRICITÉ GATINEAU] :

. . .

La seule chose qu’on peut prétendre en demande, c’est qu’Hydro‑Québec est peut-être allée un peu loin, peut-être qu’elle s’est approprié le contrat, elle n’aurait peut-être pas dû. C’est un débat qui pourrait avoir lieu, mais entre deux sociétés, pas entre CIP et Hydro‑Québec ou Gatineau. Cette relation n’est pas partagée avec le client qui consomme l’électricité. Alors, c’est le point que je veux vous faire valoir à ce sujet-là, que si on a un doute que c’était Hydro‑Québec à titre de mandataire, bien, clairement, depuis les cessions [des centrales en 2005‑2006] là, on l’a vu, les articles en question de l’entente de soixante‑cinq (1965) sur ce point-là, à l’effet qu’Hydro serait un mandataire, bien, ils n’ont plus d’application. Leur objet est accompli. Hydro‑Québec détient, est propriétaire des [lieux loués], elle ne peut pas agir comme mandataire pour un autre, c’est à elle. Et les actes de cession le disent, y compris forces hydrauliques, bâtiments, c’est tout dans les actes et mon confrère vous l’a même plaidé hier. [Je souligne.]

(d.a., vol. VIII, p. 48-49)

[224]                          La juge de première instance n’est également pas convaincue par ce dernier argument d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau. Selon elle, le fait qu’elles n’aient présenté aucune preuve à l’effet qu’elles auraient porté à la connaissance de Résolu les actes de cession des centrales — et donc qu’elles n’ont pas rempli les formalités d’opposabilité de la cession du contrat de 1926 — démontre que ces actes de transfert de la propriété des centrales ne peuvent être interprétés comme ayant opéré cession du contrat de 1926 :

Ainsi, c’est [Hydro‑Québec] elle-même qui a décidé de l’opportunité et du moment des actes de cession des trois centrales [d’Électricité Gatineau] à [Hydro‑Québec]. Si ces transactions devaient avoir quelque effet sur l’application et l’interprétation du contrat de 1926, elle n’en a jamais informé PF Résolu en temps utile. Il est difficile de conclure que ces transactions ont eu pour effet d’opérer une cession de contrat alors que PF Résolu n’en a jamais été avisée. [Je souligne; par. 54.]

[225]                          Après avoir disposé de l’argument de cession à l’un ou l’autre des trois moments proposés par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, la juge a accepté l’argument non contesté de Résolu voulant que le contrat de 1965 n’ait pas opéré cession, mais a plutôt constitué Hydro‑Québec mandataire d’Électricité Gatineau (par. 15 et 52-53).

[226]                          Cette décision de la juge de première instance est-elle affectée d’une erreur révisable?

VI.         Intervention en appel

[227]                          À mon avis, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable tant dans son analyse des trois arguments relatifs à la cession avancés par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau que dans son acceptation de l’argument non contesté de Résolu relatif au contrat de 1965.

[228]                          Pourtant, la Cour d’appel a renversé les conclusions à cet égard de la juge de première instance, en se contentant de référer à l’existence d’une erreur révisable et sans expliquer en quoi la juge de première instance aurait commis une erreur si manifeste et déterminante dans son appréciation des faits qu’elle relèverait de la « poutre dans l’œil » (J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), cité dans Benhaim, par. 39; Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, par. 33; Matta, par. 33-34). La Cour d’appel a analysé le dossier sous un nouvel angle et sans égard aux conclusions factuelles de la Cour supérieure et au contrat judiciaire dont elle était saisie. Comme le rappelle mon collègue le juge Brown dans Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, « il n’appartient pas aux cours d’appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve » simplement « sur la base d’une divergence d’opinions » (par. 38).

[229]                          La Cour d’appel ne s’est pas penchée sur les arguments des parties devant la Cour supérieure et la manière dont la juge du procès en a disposé. Elle a plutôt choisi d’ignorer le contrat judiciaire unissant les parties et d’écarter l’argument non contesté de Résolu. La Cour d’appel n’a aucunement considéré l’analyse par la juge de l’argument de cession à l’un ou l’autre des trois moments mentionnés ci-dessus, et a décidé de se saisir de l’interprétation du contrat de 1965. En agissant ainsi, il n’est pas surprenant que la Cour d’appel n’ait pas été en mesure d’expliquer où se situerait et en quoi consisterait l’erreur manifeste et déterminante ou l’erreur de droit entachant le raisonnement de la juge, autrement que d’affirmer catégoriquement qu’il y avait « erreur révisable » (par. 40 (CanLII)).

[230]                          L’analyse de la Cour d’appel se concentre exclusivement sur l’interprétation du contrat de 1965. Selon elle, ce nouvel « argument de droit » pouvait être soulevé en appel, car la preuve était au dossier et la juge de première instance a traité de la question de la cession (par. 39). D’abord, je note qu’il s’agit d’une question mixte et non d’une question de droit, comme je le mentionne ci-dessus. En fait, la qualification du contrat de 1965 était déjà devant la première juge, qui a fait droit à l’argument non contesté de Résolu, et appuyé par la preuve, voulant que le contrat de 1965 n’ait pas opéré cession. La Cour d’appel ne devait pas se transformer en cour de première instance et entreprendre indûment d’analyser le contrat de 1965 comme l’aurait fait une juge de première instance en appliquant les faits au droit pour la première fois. Elle devait plutôt se demander si la juge a commis une erreur révisable en respectant le contrat judiciaire intervenu entre les parties et en s’appuyant sur la preuve factuelle relative à la conduite postérieure des parties.

[231]                          La juge de première instance était libre de conclure comme elle l’a fait, considérant le contexte factuel et procédural de l’affaire et les arguments soumis par les parties ainsi que je l’explique ci-dessous.

A.           Arguments relatifs à la cession à trois moments potentiels

[232]                          D’abord, je suis d’avis que la juge n’a pas erré en rejetant les arguments de cession d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau à l’un ou l’autre des trois moments suivants.

[233]                          Quant au premier moment — la conclusion du contrat de 1982, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en interprétant ce contrat comme n’opérant pas cession. Le seul passage de ce contrat d’une douzaine de pages où il est fait mention du contrat de 1926 est la clause 4a), reproduite plus haut. Or, cette clause ne fait que référer au fait qu’Hydro-Québec en tant que fournisseur « fournit déjà à l’abonné une puissance de 40 000 kilowatts [. . .] conformément à l’entente intervenue entre [Électricité Gatineau] et Canadian International Paper Company, en date du 19 juillet 1926 ». La clause 4a) du contrat de 1982 ne comporte aucun terme qui laisserait croire à l’existence d’une cession ou d’un quelconque transfert du contrat d’électricité de 1926.

[234]                          De plus, le contrat de 1982 ne pourrait opérer cession du contrat de 1926 que si Électricité Gatineau y était intervenue. Or, cette dernière n’est pas partie au contrat de 1982.

[235]                          La question de savoir si Hydro‑Québec fournit cette puissance originale en tant que mandataire ou cessionnaire n’est tout simplement pas discutée dans le contrat de 1982. Face à une clause aussi peu explicite, il était approprié pour la juge de première instance de s’appuyer sur les éléments factuels relatifs à la conduite postérieure des parties qui rendaient, selon elle, la thèse de la cession de contrat peu vraisemblable.

[236]                          En ce qui concerne le deuxième possible moment invoqué par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau auquel une cession serait intervenue, c’est-à-dire lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur la Régie de l’énergie en 1997, la juge de première instance note l’argument, mais n’en traite pas dans son analyse. On peut présumer que, selon elle, la Loi sur la Régie de l’énergie n’aurait pas affecté l’effet relatif du contrat de 1926. Quoiqu’il en soit, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau ne prétendent pas devant notre Cour que la juge aurait dû retenir cet argument.

[237]                          En ce qui a trait au troisième possible moment où une cession serait intervenue, c’est-à-dire au moment du transfert de la propriété des centrales en 2005‑2006, je suis d’avis que la juge de première instance n’a pas erré. Considérant que la cession de créance ou de contrat requiert de suivre certaines formalités d’opposabilité (art. 1571 du Code civil du Bas-Canada (« C.c.B.‑C. »); art. 1641 C.c.Q.; J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.‑G. Jobin et N. Vézina, nos 1043-1045), la juge était bien fondée de rejeter cet argument en l’absence d’une telle preuve. Il s’agissait là de contrats somme toute récents (2005-2006) eu égard à la longue relation contractuelle entre les parties. Il n’y a pas de raison légitime d’avoir fait défaut de documenter l’opposabilité de la prétendue cession. Et en plus de l’absence de preuve d’opposabilité, une lecture de ces actes de transfert ne révèle aucune soi‑disant cession de contrats.

[238]                          Pour conclure, la juge n’a pas erré en rejetant les trois arguments avancés par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau. La prochaine question est de savoir s’il est justifié d’intervenir en raison du fait qu’après avoir rejeté ces trois arguments, la juge a accepté l’argument non contesté de Résolu à l’effet que le contrat de 1965 n’a pas opéré cession.

B.            Argument non contesté à l’effet que le contrat de 1965 n’a pas opéré cession

[239]                          Selon moi, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en acceptant l’argument de Résolu — alors non contesté — à l’effet que le contrat de 1965 n’a pas opéré cession. La preuve au dossier lui permettait de tirer une telle conclusion et il était tout à fait approprié de faire droit à cet argument de Résolu. Rappelons-le, le fardeau de preuve ne reposait pas sur les épaules de Résolu, mais plutôt sur celles d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau. En outre, bien que la juge n’avait pas à entreprendre une interprétation approfondie des termes du contrat de 1965 dont la qualification n’était pas contestée, je suis d’opinion que la conduite postérieure des parties confirme la conclusion de la première juge à cet égard.

(1)          Conduite postérieure des parties

[240]                          L’article 1426 C.c.Q. invite à tenir compte de la conduite subséquente des parties afin d’interpréter le contrat. Cette règle s’appuie sur la prémisse suivante : les parties sont présumées vouloir exécuter leurs obligations plutôt que de les éviter et leur comportement jusqu’au jour où un litige naît est un indicateur de leur intention commune qui a été antérieurement cristallisée dans leur contrat (S. Grammond, « Interprétation des contrats », dans JurisClasseur Québec — Collection droit civil — Obligations (feuilles mobiles), vol. 1, par P.-C. Lafond, dir., fasc. 6, no 10; S. Grammond, « The Interpretation of Contracts in Civil Law » (2010), 52 S.C.L.R. (2d) 411, p. 421-422).

[241]                          L’honorable Sébastien Grammond, juge de la Cour fédérale, explique qu’en matière de contrats de longue durée, comme le présent contrat, la conduite postérieure des parties prend une importance encore plus grande :

Cette méthode est particulièrement utile dans les contrats à long terme, appelés aussi contrats relationnels.

. . .

Plus le temps court, plus la conduite postérieure des parties s’imposera comme preuve de leur intention initiale. Par exemple, dans des affaires impliquant des baux commerciaux à long terme, un locateur qui tentait, plusieurs années après le début du bail, d’imposer des frais additionnels à son locataire en se fondant sur une nouvelle interprétation du contrat s’est vu opposer sa pratique antérieure à l’effet contraire. [no 10]

(Voir aussi F. Gendron, L’interprétation des contrats (2e éd. 2016), p. 116‑117.)

[242]                          Comme je l’ai mentionné, la juge s’est appuyée dans une large mesure sur les éléments factuels qui lui ont été présentés. Selon elle, la conduite postérieure des parties rendait la thèse de la cession moins vraisemblable que celle du mandat. Je partage le même avis.

[243]                          Premièrement, la juge a relevé le fait qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, sur qui le fardeau de prouver cession repose, n’ont pas prouvé que le « contrat de 1965 ait été porté à l’attention de PF Résolu » (par. 52) et qu’il était donc « difficile de comprendre à quel moment précis une cession de contrat serait intervenue et à quel moment [Hydro‑Québec] serait devenue le cocontractant de PF Résolu en vertu du contrat de 1926 » (par. 53). Peu de reproches peuvent être faits à la première juge à l’encontre de sa prise en considération de l’absence de preuve que les formalités d’opposabilité aient été satisfaites. Le respect de ces formalités est essentiel pour ne pas causer de préjudice à la partie qui voit son cocontractant être substitué pour un autre. L’absence d’une telle preuve rend l’existence d’une cession difficile à établir. Or, il n’existe aucun élément de preuve démontrant clairement qu’une copie ou un extrait d’un acte quelconque, que ce soit le contrat de 1965, le contrat de 1982 ou les actes de cession des centrales en 2005-2006, ait été transmis à Résolu afin de satisfaire aux formalités d’opposabilité. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont pas été en mesure d’indiquer à la juge de première instance quel élément de preuve constituerait une preuve d’opposabilité.

[244]                          Ce n’est que devant la Cour d’appel et notre Cour qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau se réfèrent au contrat de 1982 à titre d’indice démontrant implicitement que Résolu était au courant d’une soi-disant cession qui aurait eu lieu en 1965. Même en supposant qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau puissent soulever ce nouvel argument en appel, je suis d’opinion qu’il n’aurait pas suffi à modifier la conclusion factuelle de la juge de première instance. L’extrait pertinent du contrat de 1982 se lit comme suit :

4-    Puissance additionnelle souscrite

a)      Le fournisseur fournit déjà à l’abonné une puissance de 40 000 kilowatts, appelée puissance ferme originale, conformément à l’entente intervenue entre [Électricité Gatineau] et Canadian International Paper Company, en date du 19 juillet 1926, telle qu’amendée le 1er octobre 1930.

b)      De plus, le fournisseur s’engage à fournir à l’abonné et ce dernier s’engage à acheter depuis le 16 décembre 1981, et à utiliser une puissance additionnelle souscrite de 123 845 kilowatts, aux taux et conditions établis au présent contrat. La puissance additionnelle disponible que l’abonné peut acheter et utiliser, en vertu des présentes, ne devra pas excéder 135 000 kilovoltampères, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation écrite du distributeur. [Je souligne.]

(d.a., vol. III, p. 114)

[245]                          Cette preuve n’est pas très probante. D’abord, le contrat de 1982 réfère au contrat de 1926, mais sans un seul mot à propos du contrat de 1965. En l’absence d’une référence à l’acte de cession, il est bien difficile d’y voir là une preuve d’opposabilité. Puis, le contrat de 1982 concerne la fourniture d’électricité additionnelle à celle prévue au contrat de 1926. Rien n’indique expressément qu’Hydro‑Québec serait devenue la cocontractante de Résolu en ce qui a trait au contrat de 1926. Le contrat de 1982, qui par ailleurs ne comporte qu’une seule référence au contrat de 1926 à la clause 4a), se limite à affirmer qu’Hydro‑Québec est en charge de fournir l’électricité aux termes de ce contrat. Les termes du contrat n’excluent pas la possibilité qu’Hydro‑Québec agisse comme fournisseur en sa qualité de mandataire plutôt qu’à titre de cessionnaire. Enfin, le contrat de 1982 continue de présenter le prédécesseur de Résolu et Électricité Gatineau comme étant les parties au contrat de 1926, comme le souligne d’ailleurs la première juge (par. 18 et 52).

[246]                          Deuxièmement, les états financiers d’Électricité Gatineau approuvés par ses administrateurs (art. 227 de la Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1), lesquels sont tous nommés par Hydro‑Québec en raison de sa qualité d’actionnaire unique, reflètent l’existence d’un mandat. L’extrait suivant des états financiers est révélateur :

Note 4      Engagements et éventualités

Location des immobilisations

Aux termes dun contrat en vigueur depuis le 1er janvier 1966, Hydro‑Québec sest engagée à mettre à la disposition de Compagnie délectricité Gatineau les fonds nécessaires pour qu’elle s’acquitte de ses obligations. En contrepartie, la Société s’est engagée à louer ses immobilisations et à laisser Hydro‑Québec bénéficier des produits en découlant durant une période de vingt-cinq ans, moyennant un loyer annuel dun montant correspondant à lamortissement sur ses immobilisations, excluant celles détenues par ses filiales. Ce contrat a été renouvelé par tacite reconduction et demeure toujours en vigueur entre les parties. [Je souligne.]

(d.a., vol. III, p. 48)

Le contenu de cette note a été répété dans les états financiers de 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011.

[247]                          Les états financiers confirment qu’Électricité Gatineau loue ses immeubles à Hydro‑Québec et qu’Hydro‑Québec pourra exploiter les installations et bénéficier des revenus en découlant pour la durée du contrat. Il n’y est nulle part fait mention qu’Électricité Gatineau aurait cédé à terme ses droits aux produits des contrats d’électricité. Plutôt, Électricité Gatineau s’est limitée « à laisser » Hydro‑Québec recevoir les revenus.

[248]                          Troisièmement, Résolu et ses prédécesseurs ont envoyé en 1986, 1996 et 2006 des avis de renouvellement du contrat de 1926 adressés à « [Électricité Gatineau] a/s d’Hydro‑Québec » (motifs de première instance, par. 20). Dans l’esprit de Résolu et de ses prédécesseurs, Électricité Gatineau demeurait leur cocontractante et Hydro‑Québec sa mandataire chargée d’envoyer les factures, percevoir le prix et de recevoir les avis de renouvellement ou toute autre correspondance destinée à Électricité Gatineau. À aucun moment, Hydro‑Québec, qui avait pourtant connaissance du contrat de 1965, n’a jugé bon de « corriger » cette soi-disant « méprise » de Résolu.

[249]                          Quatrièmement, toutes les factures envoyées à Résolu par Hydro‑Québec distinguaient l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926, de l’électricité fournie en vertu du contrat de 1982 (motifs de première instance, par. 52).

[250]                          Cinquièmement, un cadre d’Hydro‑Québec a témoigné qu’il n’avait pas connaissance qu’il y ait eu cession du contrat de 1926 en faveur d’Hydro‑Québec et qu’à ses yeux, le contrat de 1965 n’avait pas eu cet effet-là. Quoiqu’un aveu en droit relatif à la qualification du contrat de 1965 ne lie pas la Cour supérieure, les affirmations du témoin d’Hydro‑Québec demeuraient néanmoins pertinentes afin d’apprécier l’intention commune des parties (voir Uniprix, par. 29).

[251]                          Finalement, le fait qu’Hydro‑Québec n’a soulevé la clause d’ajustement de prix qu’en 2011, alors qu’elle était assujettie aux taxes ou redevances depuis le 1er janvier 2007, contredit la thèse de la cession de contrat.

[252]                          Comme le souligne le juge Grammond, « [p]lus le temps court, plus la conduite postérieure des parties s’imposera comme preuve de leur intention initiale. » Par exemple, dans Skyline Holdings Inc. c. Scarves and Allied Arts Inc., 2000 CanLII 9274 (C.A. Qc), le locateur a laissé s’écouler plusieurs années avant de réinterpréter les baux, sur recommandation de son comptable, afin de réclamer à ses locataires des frais d’administration qui n’avaient jamais été réclamés par le passé (par. 30). La Cour d’appel s’est appuyée sur cette conduite post-contractuelle pour conclure que les parties n’ont jamais eu l’intention que les locataires en question soient tenues de payer de tels frais d’administration (par. 31).

[253]                          Dans Richer c. Mutuelle du Canada (La), Cie d’assurance sur la vie, [1987] R.J.Q. 1703 (C.A.), le bail contenait une clause d’indexation permettant d’ajuster le loyer en fonction de l’augmentation des taxes municipales et des dépenses d’exploitation. Pendant six ans, le locateur a augmenté le loyer d’un montant égal à la hausse des taxes (p. 1707). Au terme de la sixième année, un nouveau cadre supérieur du locateur a réinterprété la clause d’ajustement du loyer afin d’ajouter des frais d’administration de 12 pour 100 en sus de la valeur de la hausse de taxes (p. 1707‑1708). Selon la Cour d’appel, la conduite postérieure des parties démontrait qu’elles interprétaient la clause comme permettant seulement de refiler (« pass on ») le montant des taxes sans que des frais d’administration puissent y être ajoutés et que le locateur puisse en tirer un profit. La cour a conséquemment rejeté cette interprétation opportuniste.

[254]                          En l’espèce, Hydro‑Québec, qui s’estime cocontractante aux termes du contrat de 1926, a laissé s’écouler presque cinq années avant d’invoquer la clause d’ajustement de prix. En effet, depuis janvier 2007, Hydro‑Québec a payé les taxes ou redevances prévues par la LHQ et la LRE. Or, ce n’est que le 1er décembre 2011 qu’Hydro‑Québec a envoyé à Résolu une lettre accompagnée d’une facture lui réclamant plus de trois millions de dollars rétroactivement pour les trois années précédentes, qui n’étaient pas encore prescrites. Cette lettre a tous les attributs d’une interprétation opportuniste après-coup de la situation juridique prévalant entre les parties afin d’y voir une cession lui permettant de gonfler le prix alors qu’elle y voyait initialement un mandat.

[255]                          La citation suivante de Rainboth c. O’Brien (1915), 24 B.R. 88 (Qc), résume bien la situation qui prévaut :

[traduction] À propos d’une telle question, une longue période d’inaction de la part du demandeur, dans des circonstances où son inaction tend à confirmer la thèse de son adversaire — alors que si c’est sa propre thèse qui était la bonne, il aurait eu des raisons d’agir et de parler —, appuie fortement la thèse avancée par son adversaire. [p. 93-94]

[256]                          Avant de passer au point suivant, j’aimerais souligner qu’il n’est pas approprié de s’appuyer sur le fait que Résolu n’a pas invoqué initialement, en 2011, dans sa réponse à la facture de plus de trois millions de dollars, qu’Électricité Gatineau serait toujours sa cocontractante (motifs du juge Kasirer, par. 121). Dans leur convention d’admissions, les parties ont consigné que Résolu n’a pas admis que le contrat de 1926 liait Hydro‑Québec. On ne peut donc invoquer ce « manquement » de Résolu antérieur à la convention d’admissions.

(2)          Contrat judiciaire liant les parties

[257]                          En plus d’avoir rendu une décision conforme à la preuve au dossier, on ne peut reprocher à la juge de première instance d’avoir donné effet au contrat judiciaire liant les parties. Je suis donc d’avis qu’elle n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en faisant droit à l’argument non contesté de Résolu, après avoir rejeté les trois arguments d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau. Faut-il le rappeler, Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont pas contesté que le contrat de 1965 constituait Hydro‑Québec mandataire et n’opérait pas cession du contrat d’électricité de 1926. Elles n’ont offert aucune interprétation des termes du contrat qui contredirait la portée du contrat de 1965 qu’avançait Résolu. À la lumière des arguments présentés en première instance par Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, on comprend pourquoi, dans son analyse de l’argument de la cession, la juge ne se livre pas à une analyse approfondie des termes du contrat de 1965 aux par. 44-60 de ses motifs, et qu’elle se contente d’y référer comme un « contrat de mandat, vente et louage » aux par. 15 et 51 dans le cadre de sa description du contexte factuel. C’est tout simplement parce qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau l’ont elles-mêmes présenté comme tel, et n’ont pas plaidé le contraire, alors que le fardeau de preuve reposait sur leurs épaules.

[258]                          Seule Résolu a abordé l’interprétation des termes du contrat de 1965. Toutefois, elle l’a abordé afin de démontrer qu’il n’a pas opéré cession, alors que le fardeau de preuve ne lui appartenait pas. Hydro‑Québec et Électricité Gatineau, sur qui le fardeau reposait, n’ont pas cherché à démontrer le contraire. Si elles voulaient s’appuyer sur le contrat de 1965 afin de démontrer qu’il y a eu cession en faveur d’Hydro‑Québec, elles devaient l’alléguer et le plaider. Elles ne l’ont pas fait. Leur position était plutôt que le contrat de 1965 est un « contrat de mandat, vente et louage » et que la cession aurait eu lieu postérieurement, soit au plus tôt en 1982.

[259]                          Dans ces circonstances, il est justifié de la part d’un juge du procès de faire droit à un argument non contesté et de ne pas entreprendre un exercice d’interprétation inutile. Exiger autrement minerait les fondements mêmes de notre système contradictoire.

[260]                          L’article 10 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01 (« C.p.c. »), réitère le caractère contradictoire de notre système de justice civile. De ce fait, ce sont les parties qui ont « la maîtrise de leur dossier » et non les tribunaux (art. 19 al. 1 C.p.c.). Il n’y a pas très longtemps, notre Cour a réaffirmé l’importance de ce principe au sein de notre système contradictoire :

Même si les pouvoirs d’intervention du juge dans la conduite de l’instance civile sont devenus de plus en plus importants, en règle générale, ce dernier ne participe pas activement à la recherche de la vérité (L. Ducharme et C.-M. Panaccio, L’administration de la preuve (4e éd. 2010), p. 7; Technologie Labtronix Inc. c. Technologie Micro Contrôle Inc., [1998] R.J.Q. 2312 (C.A.), p. 2325). En effet, dans un système accusatoire et contradictoire, la délicate tâche de faire apparaître la vérité revient d’abord et avant tout aux parties (voir art. 2803 C.c.Q.; art. 76 et 77 C.p.c.). Dans ce contexte, où l’objectif de recherche de vérité continue de primer, le législateur québécois a instauré un régime général de preuve destiné à encadrer et à faciliter la mise en œuvre de ce processus dont les parties demeurent les maîtres (voir L. Ducharme, « Rapports canadiens — première partie : la vérité et la législation sur la procédure civile en droit québécois », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 38, La vérité et le droit — Journées canadiennes (1987), 657). [Je souligne.]

(Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 25)

[261]                          Les tribunaux ne peuvent donc pas fonder leur décision sur des arguments ou justifications qui ne font pas l’objet d’un débat (art. 17 al. 2 C.p.c.; voir aussi Compagnie d’assurances générales Co-Operators c. Coop fédérée, 2019 QCCA 1678, par. 46 (CanLII), conf. par 2020 CSC 41, [2020] 3 R.C.S. 785). Le principe de la proportionnalité et de la saine administration des ressources judiciaires n’en demande pas moins (art. 18 C.p.c.). Autrement, si les tribunaux avaient le mandat de faire leur propre enquête et d’examiner les arguments qui auraient dû, selon eux, être soulevés par les parties, le système de justice civile serait mis sens dessus dessous. De plus, les tribunaux devraient investir des ressources considérables afin de redéfinir le débat factuel et juridique délimité par les parties à l’instance.

[262]                          La contestation entre les parties devient liée lorsque les parties de part et d’autre ont présenté leurs arguments; le contrat judiciaire reflète alors le lien d’instance entre les parties quant aux questions qui sont en litige et celles qui ne sont pas disputées, conformément à une théorie qui l’assimile à un rapport de nature contractuelle (H. Reid, avec S. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (5e éd. 2015), p. 152, « contrat judiciaire »; Gervais c. Association canadienne de protection médicale, 2007 QCCS 4564, par. 33 (CanLII)).

[263]                          Ce contrat judiciaire lie également le juge du procès (Janacek c. Bell Canada, [2001] R.J.Q. 584 (C.A.), par. 11; Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, [2017] 1 R.C.S. 283, par. 85-87, la juge Côté, dissidente; D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec (5e éd. 2015), vol. 1, no 1-83). Le juge du procès ne peut donc passer outre à celui-ci et décider d’un moyen ou d’un argument qui n’est pas en litige :

Le lien juridique d’instance est celui des parties. L’instruction est conduite par les parties. Les moyens de fait et de droit sont avancés par les parties. C’est sur les prétentions respectives des parties que le juge du procès doit statuer.

(Droit de la famille — 871, [1990] R.J.Q. 2107 (C.A.), p. 2108)

[264]                          Ceci vaut même lorsque le contrat judiciaire porte sur une question de droit, à moins qu’il ne s’agisse d’une matière d’ordre public qui permettrait au juge de s’écarter du consentement des parties (Janacek, par. 11). Bien que l’admission en droit ne lie pas les tribunaux à proprement parler, il n’empêche que les tribunaux doivent prendre acte de la décision d’une partie de ne pas contester, et donc de reconnaître, l’existence d’une situation juridique. Une telle approche préserve l’essence de notre système contradictoire, comme le soulignait la juge Duval Hesler (plus tard juge en chef) de la Cour d’appel du Québec : 

[traduction] Notre système judiciaire est un système contradictoire et c’est aux parties que revient l’initiative d’adopter une position, de présenter des éléments de preuve et de choisir des arguments.

. . .

De plus, on peut se demander si des admissions faites en première instance peuvent être rétractées en appel. En outre, s’il est vrai que le droit en soi ne peut faire l’objet d’une admission, rien n’empêche une partie de reconnaître l’existence d’une situation juridique et de limiter le débat devant le tribunal aux conséquences découlant de cette situation. [Je souligne.]

(Apple Canada Inc. c. St-Germain, 2010 QCCA 1376, [2010] R.J.Q. 1627, par. 138 et 142; voir aussi Sunoco inc. c. Église Vie et Réveil inc., les ministères d’Alberto Carbone, 2002 CanLII 62388 (C.A. Qc), par. 6.)

[265]                          Le contrat judiciaire est donc à la base de notre système contradictoire, puisqu’il détermine la tâche confiée au juge dans sa quête de la vérité judiciaire. La vérité que doit chercher à déterminer le juge du procès se trouve entre les deux versions contradictoires des parties qui s’opposent devant lui; elle ne se trouve pas dans les aspects non contestés de part et d’autre :

Le principe du contradictoire est essentiel à la procédure, étant d’ordre public. Sans opposition des prétentions respectives aux deux parties, le litige et son procès ne pourraient exister. De cette dialectique constructive émane la vérité, la solution la plus juste pour le juge. À travers les versions contradictoires présentées par les parties et s’entrechoquant devant lui, le juge est censé percevoir, du moins symboliquement, la solution que le droit doit apporter au dossier et comprend comment ce droit s’applique à la situation posée. Essentiellement, il choisit comment faire un usage bon et équitable du droit. [Je souligne.]

(C. Piché, « Le “dialogue” des parties et la vérité plurielle comme nouveau paradigme de la procédure civile québécoise » (2017), 62 R.D. McGill 901, p. 917)

En effet, ce sont les « parties [qui] sont en charge de la démonstration de la vérité » et qui « sont les maîtresses de la manière de faire apparaître cette vérité » (p. 920). Sous réserve de l’ordre public, la tâche du juge consiste d’abord à rechercher là où les parties lui demandent de rechercher — pas ailleurs. Quoique le rôle plus actif occupé par le juge en matière de procédure civile moderne lui permette de gérer l’instance d’une manière saine et proportionnée, ces pouvoirs ne lui permettent pas de recadrer le débat (p. 920).

[266]                          Il importe de rappeler que le rôle du tribunal devant rendre un jugement déclaratoire se limite à trancher la « difficulté réelle » qui oppose les parties quant à la portée d’un acte juridique précis; le tribunal doit donc veiller à respecter les paramètres délimités du débat qui est devant lui afin de ne pas causer préjudice aux futurs moyens de droit soulevés par les parties ou aux intérêts des tiers non-parties à l’instance (art. 142 C.p.c.; Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2015 QCCA 152, par. 35-36 (CanLII), conf. par 2016 CSC 52, [2016] 2 R.C.S. 521; voir aussi 4077334 Canada inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté, 2013 QCCS 2859, par. 18 (CanLII)).

[267]                          Comme je l’ai déjà mentionné, ce sont Hydro‑Québec et Électricité Gatineau qui avaient le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une cession du contrat de 1926 qui aurait ajouté ou substitué Hydro‑Québec en tant que partie contractante. Autrement, si elles ne s’acquittaient pas de leur fardeau, le contrat de 1926 devait être appliqué tel quel, c’est-à-dire comme ne liant que les parties qui y sont mentionnées — Électricité Gatineau et Résolu en sa qualité de successeur de CIP. Conclure qu’une partie s’est acquittée de son fardeau sur la base d’un argument contraire qu’elle n’a pas contesté n’est pas justifié. Si la juge avait décidé autrement, elle aurait, dans les faits, renversé le fardeau de preuve en le plaçant sur les épaules de Résolu.

[268]                          Le cœur de la contestation formant le contrat judiciaire entre les parties portait sur la cession à l’un ou l’autre des trois moments suggérés. La fenêtre temporelle en litige était donc la période de 1982 à 2005-2006. Le lien d’instance entre les parties n’incluait pas la qualification du contrat de 1965. La juge de première instance a concentré son analyse sur le cœur de cette contestation. Après avoir rejeté les arguments d’Hydro‑Québec et d’Électricité Gatineau, il ne restait plus que l’argument non contesté de Résolu à l’effet que le contrat de 1965 n’aurait pas non plus opéré cession. À ses yeux, l’absence de preuve d’opposabilité de la cession confirmait cette situation juridique (par. 52). De surcroît, la preuve au dossier relative à la conduite postérieure des parties ne lui permettait pas de s’écarter de cette conclusion, comme j’en discute plus haut. En effet, l’absence de preuve d’opposabilité s’additionnait aux états financiers ne référant aucunement à une quelconque cession, aux avis de renouvellement tous adressés à Électricité Gatineau, aux factures qui distinguaient l’électricité fournie en vertu du contrat de 1926 de celle fournie aux termes du contrat de 1982, au témoignage d’un cadre d’Hydro‑Québec confirmant l’absence de cession et à la réinterprétation opportuniste de la situation juridique prévalant entre les parties afin d’y voir une cession plutôt qu’un mandat. Tous ces éléments pris ensemble rendaient plus vraisemblable la thèse du mandat que celle de la cession.

[269]                          Pour toutes ces raisons, je ne saurais reprocher à la juge de première instance d’avoir commis quelque erreur révisable que ce soit. Sa conclusion à l’effet qu’il n’y a pas eu cession et que le contrat de 1965 a constitué Hydro‑Québec mandataire d’Électricité Gatineau aux fins du contrat de 1926 devait être laissée intacte. Avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel n’aurait pas dû intervenir.

[270]                          Ce qui précède suffit pour disposer de l’appel. Mon collègue se livre à une analyse approfondie du contrat de 1965 pour conclure que ce contrat en était un de cession — alors qu’Hydro‑Québec et Électricité Gatineau n’ont jamais soutenu cette position en première instance, ayant elles-mêmes identifié le contrat de 1965 comme en étant un de « mandat, vente et louage » et n’ayant pas contesté en première instance la même qualification mise de l’avant par Résolu. Pour toutes les raisons susmentionnées, je crois inapproprié de me livrer à un exercice dont la juge de première instance n’a pas été pleinement saisie.

VII.      Ajustement du prix de l’électricité

[271]                      C’est le statut de partie contractante au contrat de 1926 qui permet d’invoquer la clause d’ajustement de prix afin de refiler les [traduction] « taxes » ou « redevances » payées. Autrement dit, Hydro‑Québec ne peut majorer le prix de l’électricité fournie à Résolu que si elle est partie au contrat de 1926.

[272]                      Or, Hydro‑Québec n’est pas partie au contrat de 1926, puisqu’elle n’est que mandatée pour fournir l’électricité qui est due en vertu de celui-ci et recevoir les paiements de la cliente Résolu. La juge de première instance n’ayant pas commis d’erreur révisable en concluant que le contrat de 1926 n’a pas été cédé en faveur d’Hydro‑Québec, Électricité Gatineau n’a donc pas transmis sa qualité de partie contractante au contrat de 1926 à Hydro‑Québec.

[273]                      Seules Électricité Gatineau et Résolu sont parties au contrat de 1926. En raison de l’effet relatif des contrats, le contrat de 1926 n’a « d’effet qu’entre les parties contractantes » et « il n’en a point quant aux tiers ». Il s’agit là d’un principe fondamental du droit des contrats qui ne souffre que d’exceptions fort limitées. Or, aucune de ces exceptions n’est ici applicable. L’effet relatif du contrat de 1926 empêche donc Hydro‑Québec d’invoquer la clause d’ajustement de prix afin de refiler les redevances qu’elle a payées en vertu de la LHQ et de la LRE

[274]                      Si Électricité Gatineau avait elle-même payé ces redevances, elle n’aurait, de toute façon, pu les refiler à Résolu. Pour pouvoir les refiler, il aurait fallu qu’Électricité Gatineau soit légalement tenue de les payer. Or, Électricité Gatineau n’y était pas tenue au cours de la période en litige pour les raisons suivantes. La condition essentielle à l’assujettissement aux redevances prévues aux art. 32 LHQ et 68 LRE est la détention de forces hydrauliques. Les intimées réclament la majoration du prix pour les années 2009 à 2011. Au cours de cette période, c’est toutefois Hydro‑Québec qui détenait les forces hydrauliques qui appartenaient jadis à Électricité Gatineau. Depuis 1965, Hydro‑Québec en est la détentrice en sa qualité de locataire aux termes du contrat de 1965, et depuis 2005-2006, elle en est détentrice en sa qualité de propriétaire aux termes des actes de cession intervenus entre Électricité Gatineau et Hydro‑Québec.

[275]                      À titre subsidiaire, même si l’on devait conclure qu’il y a eu cession, je suis d’opinion que Résolu ne serait pas tenue de payer tant la redevance de l’art. 32 LHQ que celle de l’art. 68 LRE.

[276]                      Concernant la redevance de l’art. 32 LHQ, Hydro‑Québec ne pourrait la refiler à Résolu, puisqu’elle n’est pas légalement tenue de la payer. L’article 32 LHQ prévoit quatre conditions pour que cette redevance soit payable : (1) les forces hydrauliques font partie du domaine public; (2) le ministre des Ressources naturelles et de la Faune ou le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs les a mis à la disposition d’Hydro‑Québec; (3) le gouvernement a autorisé la mise à disposition; et (4) les forces hydrauliques sont nécessaires pour les objets d’Hydro‑Québec. Or, les deuxième et troisième conditions ne sont pas rencontrées. Les forces hydrauliques concernées n’ont pas été mises à la disposition d’Hydro‑Québec par l’un des deux ministres, puisqu’elles ont toutes été acquises d’Électricité Gatineau, sans leur intervention. De plus, les intimées ont admis qu’aucune autorisation gouvernementale n’a été émise à l’égard des forces hydrauliques concernées.

[277]                      Toujours dans l’éventualité où l’on devait conclure qu’il y a eu cession, Hydro‑Québec ne pourrait réclamer la redevance de l’art. 68 LRE qu’à partir du 17 décembre 2012 — jour où Résolu a reçu copie du contrat de 1965 pour la première fois. En effet, pour que la cession soit opposable à Résolu, Hydro‑Québec devait respecter les formalités d’opposabilité prévues par la loi (art. 1571 C.c.B.‑C.; art. 1641 C.c.Q.). Cependant, ce n’est que le 17 décembre 2012, lorsqu’Hydro‑Québec a fait parvenir à Résolu une copie du contrat de 1965, jointe à sa défense, que Résolu a pris conscience d’une potentielle cession.

[278]                      Par ailleurs, s’il y avait eu cession, cela n’aurait cependant pas eu pour effet de rendre les obligations de Résolu plus onéreuses, car Électricité Gatineau était tenue de payer la redevance de l’art. 68 LRE entre son adoption en 1946 et la supposée cession entrée en vigueur le 1er janvier 1966, comme le concède Résolu. Avant la cession, Électricité Gatineau aurait eu le droit de refiler cette redevance à la condition qu’elle l’ait effectivement payée, ce que le dossier ne démontre pas. S’il y avait eu cession, les obligations de Résolu seraient donc restées les mêmes quant à la redevance prévue par l’art. 68 LRE.

VIII.   Conclusion

[279]                      Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir la décision de première instance.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Côté et Rowe sont dissidents.

                    Procureurs de l’appelante : Stikeman Elliott, Montréal.

                    Procureurs des intimées : LCM Avocats inc., Montréal.



[1] Voir, p. ex., la définition de la « cession de contrat » proposée sous le régime du Code civil du Bas-Canada dans le Dictionnaire de droit privé et Lexiques bilingues (2e éd. 1991), par P.‑A. Crépeau, dir., p. 82.

[2] J’emprunte cette expression aux auteurs Lluelles et Moore, no 3238, laquelle, par ailleurs, rejoint l’idée de « céder sa qualité de partie au contrat » consacrée à la nouvelle définition de cession de contrat prévue à l’art. 1216 al. 1 du Code civil français, adopté lors de la réforme du droit des obligations en 2016 et discuté plus loin.

[3] Je note que la durée du contrat de 1965 n’est pas nécessairement celle du bail. Le contrat comporte d’autres obligations à terme envers les [traduction] « détenteurs des obligations » (voir les art. 13 et 15). Ainsi, l’expression « pendant la durée de la présente entente », que l’on trouve notamment aux art. 4 et 8, pourrait correspondre à une durée supérieure à celle du bail. Mais il est certain que la durée de l’entente ne peut pas être moindre que celle du bail.

[4] Le texte de l’art. 1216 du Code civil français est rédigé ainsi :

 

Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé.

 

Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte.

 

La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité.

[5] L’article 15 du contrat en cause y indiquait :

[traduction] Les parties à la présente entente, le successeur de Hutton ainsi que le successeur et les ayants droit de Hygrade bénéficient de la présente entente, et sont liés par celle-ci. Hutton ne peut céder ou transférer la présente entente ni aucun des droits, intérêts, privilèges ou obligations prévus par celle-ci. [Soulignement omis; p. 2.]

[6] Hydro-Québec a fait parvenir à Résolu une lettre datée du 30 novembre 2011 faisant état de son droit d’invoquer la clause d’ajustement de prix prévue au contrat de 1926, lettre à laquelle était jointe une facture datée du 1er décembre 2011. La juge de première instance se réfère au mois de novembre 2011 comme étant le moment où l’ajustement de prix a été réclamé (par. 42, cité au par. 218 des présents motifs), alors que les parties mentionnent le 1er décembre 2011 (m.a., par. 16; m.i., par. 22, note 26). Quoique ceci ne soit pas déterminant, je me référerai à la dernière de ces dates, soit le 1er décembre 2011, tout comme les parties le font.

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