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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Dare, 2022 CSC 47

 

 

Appel entendu : 17 mai 2022

Jugement rendu : 24 novembre 2022

Dossier : 39871

 

Entre :

 

Temitope Dare

Appelant

 

et

 

Sa Majesté le Roi

Intimé

 

- et -

 

Directrice des poursuites pénales, Criminal Lawyers’ Association of Ontario, British Columbia Civil Liberties Association et Association canadienne des libertés civiles

Intervenantes

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 7)

La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal)

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Temitope Dare                                                                                                 Appelant

c.

Sa Majesté le Roi                                                                                                 Intimé

et

Directrice des poursuites pénales,

Criminal Lawyers’ Association of Ontario,

British Columbia Civil Liberties Association et

Association canadienne des libertés civiles                                            Intervenantes

Répertorié : R. c. Dare

2022 CSC 47

No du greffe : 39871.

2022 : 17 mai; 2022 : 24 novembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit criminel — Abus de procédure — Provocation policière — Véritable enquête — Espace virtuel — Internet — Accusé répondant à une annonce publiée par la police dans le sous-répertoire escortes d’un site Web d’annonces classées — Agent d’infiltration se faisant passer pour une escorte et révélant à l’accusé dans un message texte subséquent qu’elle est mineure — Accusé arrêté à son arrivée à une chambre d’hôtel en vue de rencontrer l’agent d’infiltration et inculpé d’infractions relatives au leurre d’enfants — Accusé déclaré coupable mais demandant un arrêt des procédures pour cause de provocation policière — L’accusé a‑t‑il fait l’objet de provocation policière?

                    D est l’une des 104 personnes qui ont été arrêtées dans le cadre du « Projet Raphael », une enquête de la Police régionale de York qui ciblait les acheteurs sur le marché du travail du sexe juvénile. En 2016, alors qu’il naviguait dans le sous-répertoire escortes de Backpage.com, D a répondu à une annonce placée par un agent d’infiltration se faisant passer pour « Kathy ». Communiquant avec D par messages textes, « Kathy » lui a révélé, au bout d’un certain temps, qu’« elle » était âgée de 15 ans. À son arrivée à une chambre d’hôtel désignée pour rencontrer « Kathy », D a été arrêté et accusé de trois infractions, soit celles visées aux al. 172.1(1)a) et 172.1(1)b) et au par. 286.1(2)  du Code criminel . À son procès, il a été déclaré coupable par un jury de tous les chefs d’accusation, mais il a présenté une demande d’arrêt des procédures pour cause de provocation policière. La juge saisie de la demande l’a rejetée, concluant que le Projet Raphael était fondé sur les soupçons raisonnables de la police que les infractions étaient perpétrées dans un espace suffisamment précis. La Cour d’appel a rejeté l’appel de D.

                    Arrêt : L’appel est rejeté.

                    D n’a pas fait l’objet de provocation policière pour les motifs exposés dans l’arrêt R. c. Ramelson, 2022 CSC 44, dans lequel il a été conclu que le Projet Raphael constituait une véritable enquête.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. Ramelson, 2022 CSC 44; R. c. Jaffer, 2022 CSC 45; R. c. Haniffa, 2022 CSC 46; Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Ramelson, 2021 ONCA 328, 155 O.R. (3d) 481.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 152 , 172.1(1) a), b), 286.1(2) .

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Juriansz, Tulloch et Paciocco), 2021 ONCA 327, 155 O.R. (3d) 516, [2021] O.J. No. 2624 (QL), 2021 CarswellOnt 7086 (WL), qui a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’accusé et le rejet de la demande d’arrêt des procédures. Pourvoi rejeté.

                    Temitope Dare, en personne.

                    Lisa Fineberg et Katie Doherty, pour l’intimé.

                    David Quayat et Chris Greenwood, pour l’intervenante la Directrice des poursuites pénales.

                    Michael Lacy et Bryan Badali, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

                    Gerald Chan et Spencer Bass, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

                    Danielle Glatt et Catherine Fan, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

 

                   La juge Karakatsanis

[1]                              L’appelant, Temitope Dare, est l’une des 104 personnes qui ont été arrêtées dans le cadre du « Projet Raphael », une enquête en ligne de la Police régionale de York qui ciblait les acheteurs sur le marché du travail du sexe juvénile. Son pourvoi devant notre Cour a été entendu avec trois autres pourvois, qui portaient tous sur la doctrine de la provocation policière dans le contexte de l’enquête policière en ligne menée au cours du Projet Raphael. Les pourvois connexes, dont les motifs sont déposés en même temps que ceux‑ci, sont R. c. Ramelson, 2022 CSC 44, R. c. Jaffer, 2022 CSC 45, et R. c. Haniffa, 2022 CSC 46. À l’instar de deux des trois autres appelants, M. Dare fait appel d’une ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté l’appel de sa déclaration de culpabilité ainsi que son appel du rejet par la première juge de sa demande fondée sur la provocation policière.

[2]                              Le pourvoi de M. Dare concerne le sous‑volet « véritable enquête » de la doctrine de la provocation policière en lien avec le Projet Raphael. Parce que j’examine ces questions en détail dans Ramelson et que le dispositif du présent pourvoi est nécessairement le même, mes motifs sont brefs dans la présente espèce.

[3]                              Le 25 mars 2016, alors qu’il naviguait dans le sous‑répertoire escortes de Backpage.com, M. Dare a répondu à une annonce censément placée par « Kathy ». L’annonce indiquait qu’elle était âgée de 18 ans (l’âge minimum autorisé par le site Web), la décrivait comme étant une [traduction] « Toute nouvelle jeune fille mince [. . .] qui est jeune et sexy avec un corps ferme » et mentionnait qu’elle avait une « JEUNE AMIE » (d.i., vol. IV, p. 118). Communiquant avec M. Dare par messages textes, l’agent d’infiltration (AI) lui a révélé, au bout d’un certain temps, qu’« elle » était âgée de 15 ans :

      [traduction]

      [03:26 – AI] : Ça te va si je suis jeune?

      [03:26 – Dare] : Oui

      [03:27 – Dare] : Je suis jeune moi aussi

      [03:27 – AI] : Ok cool. J’ai 15 ans, mais j’ai l’air un peu plus vieille.

      . . .

      [03:28 – AI] : T’as quel âge, toi, si ça te dérange pas que je le demande?

      [03:29 – Dare] : Ok j’ai 22 ans

      (d.i., vol. IV, p. 121‑122)

[4]                              À son arrivée à la chambre d’hôtel désignée, M. Dare a été arrêté. Il a été accusé de trois infractions : avoir communiqué par un moyen de télécommunication avec une personne qu’il croyait être âgée de moins de 18 ans en vue de commettre une infraction visée au par. 286.1(2)  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46  (communiquer pour obtenir les services sexuels d’une personne mineure), en contravention de l’al. 172.1(1) a); avoir communiqué par un moyen de télécommunication avec une personne qu’il croyait être âgée de moins de 16 ans en vue de commettre une infraction visée à l’art. 152  (incitation à des contacts sexuels), en contravention de l’al. 172.1(1) b); et avoir communiqué en vue d’obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de 18 ans, en contravention du par. 286.1(2) .

[5]                              Le jury a déclaré M. Dare coupable des trois chefs d’accusation, mais ses déclarations de culpabilité fondées sur l’al. 172.1(1)b) et le par. 286.1(2) ont été suspendues par application de l’arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729. Monsieur Dare a alors présenté une demande d’arrêt des procédures, plaidant qu’il avait fait l’objet de provocation policière.

[6]                              La juge saisie de la demande l’a rejetée, concluant que le Projet Raphael était fondé sur les soupçons raisonnables de la police que les infractions étaient perpétrées dans un espace suffisamment précis. Puisque la police avait fait [traduction] « tout ce qu’il était possible de faire à l’intérieur des balises de Backpage » afin de limiter le bassin des individus qui choisiraient de répondre à l’annonce aux individus intéressés à obtenir les services sexuels d’une jeune personne, la conduite de la police n’équivalait pas à éprouver au hasard la vertu des gens (d.a., vol. I, p. 8). La Cour d’appel a ensuite rejeté l’appel de M. Dare pour les motifs qu’elle avait formulés dans l’arrêt R. c. Ramelson, 2021 ONCA 328, 155 O.R. (3d) 481, qui avait traité de la question litigieuse commune de savoir si les personnes arrêtées dans le cadre du Projet Raphael avaient fait l’objet de provocation policière (2021 ONCA 327, 155 O.R. (3d) 516, par. 28).

[7]                              Dans le présent pourvoi, M. Dare fait siennes les observations soumises par les appelants dans les affaires Ramelson et Haniffa, affirmant que [traduction] « les faits de la présente espèce sont suffisamment similaires qu’ils devraient en conséquence mener aux mêmes conclusions » (m.a., par. 23). Pour les motifs que j’ai exposés dans l’arrêt Ramelson, dans lesquels j’ai conclu que le Projet Raphael constituait une véritable enquête, je ne saurais retenir les moyens d’appel de M. Dare. Ce dernier n’a pas fait l’objet de provocation policière. Je suis par conséquent d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Pourvoi rejeté.

                    Procureur de l’intimé : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne Droit criminel, Toronto.

                    Procureur de l’intervenante la Directrice des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Brauti Thorning, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Stockwoods, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.

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