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Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61

 

Sa Majesté la Reine                                                                                        Appelante

 

c.

 

Lavallee, Rackel & Heintz, avocats,

et Andrew Brent Polo                                                                                           Intimés

 

et

 

Le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Québec,

le procureur général de l’Alberta,

la Law Society of Alberta

et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada           Intervenants

 

et entre

 

White, Ottenheimer & Baker                            Appelants/Intimés au pourvoi incident

 

c.

 

Le procureur général du Canada                          Intimé/Appelant au pourvoi incident

 

et

 

Le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Québec,

le procureur général de l’Alberta

et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada           Intervenants


et entre

 

Sa Majesté la Reine                                                                                        Appelante

 

c.

 

Jeffrey Fink                                                                                                           Intimé

 

et

 

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de l’Alberta

et l’Association du Barreau canadien                                                         Intervenants

 

Répertorié : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink

 

Référence neutre : 2002 CSC 61.

 

Nos du greffe : 27852, 28144, 28385.

 

2001 : 13 décembre; 2002 : 12 septembre.

 

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

 

en appel de la cour d’appel de l’alberta

 


en appel de la cour d’appel de terre-neuve

 

en appel de la cour d’appel de l’ontario

 

Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions ou saisies abusives — Documents de cabinets d’avocats saisis par la police en vertu d’un mandat — Application de la procédure du Code criminel  visant à protéger le privilège des communications entre client et avocat — La procédure porte-t-elle atteinte à la garantie contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives? — Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle justifiée? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 1 , 8  — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 488.1 .

 

Droit criminel — Procédure — Secret professionnel — Documents de cabinets d’avocats saisis par la police en vertu d’un mandat — Application de la procédure du Code criminel  visant à protéger le privilège des communications entre client et avocat — La procédure porte-t-elle atteinte à la garantie contre les  fouilles, perquisitions ou saisies abusives? — Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle justifiée? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 1 , 8 Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 488.1 .

 


La question soumise à la Cour dans les présents pourvois est celle de savoir si l’art. 488.1  du Code criminel , qui établit une procédure permettant de décider si le secret professionnel de l’avocat s’applique aux documents saisis dans un bureau d’avocat en vertu d’un mandat, porte atteinte à l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés  et, dans l’affirmative, si cette atteinte est justifiée en vertu de l’article premier.  Cette procédure exige que les documents soient scellés lors de la perquisition, que l’avocat demande dans des délais stricts qu’il soit statué sur la question de savoir si les documents sont effectivement protégés par le privilège et que, avec l’autorisation de la cour, le ministère public puisse examiner tous les documents afin d’aider celle-ci à trancher la question de l’existence du privilège.

 

La question est soumise à la Cour dans trois pourvois distincts provenant de l’Alberta (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)), de Terre‑Neuve-et-Labrador (White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général)) et de l’Ontario (R. c. Fink).  Dans ces trois affaires, la police a saisi des documents dans des cabinets d’avocats en vertu d’un mandat, les procédures prévues par l’art. 488.1 pour la protection de documents susceptibles d’être protégés par le privilège des communications entre client et avocat ont été suivies et les cabinets d’avocats ont invoqué le secret professionnel au nom de leurs clients.  Dans Lavallee, la requête en annulation du mandat pour inconstitutionnalité est rejetée, mais la Cour du Banc de la Reine annule l’art. 488.1, le déclarant inconstitutionnel, et la Cour d’appel confirme cette décision.  Dans White, la Cour suprême de Terre‑Neuve rejette la demande d’un jugement déclaratoire selon lequel les art. 488.1 du Code et 232 de la Loi de l’impôt sur le revenu  vont à l’encontre de l’art. 8  de la Charte .  La Cour d’appel accueille l’appel en partie, recourant aux techniques réparatrices de la dissociation et de l’interprétation large pour justifier la disposition contestée du Code.  Dans Fink, la Cour supérieure de justice rejette la demande d’une ordonnance  déclarant l’art. 488.1 du Code incompatible avec l’art. 8  de la Charte , mais la Cour d’appel infirme cette décision.

 

Arrêt (les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents en partie) : Le pourvoi dans l’arrêt Lavallee est rejeté.  Le pourvoi dans l’arrêt White est accueilli et le pourvoi incident est rejeté.  Le pourvoi dans l’arrêt Fink est rejeté.  L’article 488.1  du Code criminel  est inconstitutionnel. 


Le juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour : Étant donné que l’art. 8  de la Charte  ne protège que contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, il s’agit de déterminer si la procédure prévue à l’art. 488.1 donne lieu à une perquisition abusive et à la saisie abusive de documents en la possession d’un avocat, y compris les documents susceptibles d’être privilégiés.  L’article 488.1 entraîne la disparition du privilège en raison des failles de la procédure prescrite.  La perte automatique possible du privilège par l’application normale de la loi ne peut pas être raisonnable.

 

Lorsque l’intérêt en jeu est le secret professionnel de l’avocat — principe de justice fondamentale et droit civil de la plus haute importance en droit canadien — l’habituel exercice d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et les  exigences de l’application de la loi n’est pas particulièrement utile.  En effet, le privilège est une caractéristique positive de l’application de la loi, et non pas un obstacle à celle‑ci.  Étant donné que le secret professionnel de l’avocat doit demeurer aussi absolu que possible pour conserver sa pertinence, la Cour est tenue d’adopter des normes rigoureuses pour assurer sa protection.  La procédure prévue à l’art. 488.1 ne peut résister à l’examen de la Charte  que si elle donne lieu à une atteinte minimale au secret professionnel de l’avocat.

 


L’article 488.1 porte atteinte de façon plus que minimale au secret professionnel de l’avocat et équivaut donc à une fouille, à une perquisition et à une saisie abusives, contrairement à l’art. 8  de la Charte .  Ses lacunes constitutionnelles peuvent être attribuables aux facteurs suivants : (1) l’absence ou l’inaction de l’avocat; (2) l’obligation de désigner nommément les clients; (3) l’absence d’avis au client; (4) les délais stricts; (5) l’absence de pouvoir discrétionnaire de la part du juge pour décider s’il existe un privilège avocat-client; et (6) l’accès du procureur général avant qu’une décision judiciaire soit rendue.  La caractéristique dominante fatale qu’elles ont toutes en commun est la violation potentielle du secret professionnel de l’avocat sans que le client n’en ait connaissance et encore moins qu’il y ait consenti.  Même si l’avocat compétent essaiera de joindre son client et qu’il invoquera vraisemblablement le privilège général dès le départ, l’État a l’obligation de veiller à ce que les droits du détenteur du privilège demeurent suffisamment protégés.  Le privilège ne prend pas effet seulement au moment où il est invoqué; il existe indépendamment de sa revendication.  Selon l’article 488.1, le gardien du privilège, mais pas son détenteur, doit avoir une occasion raisonnable de préserver la confidentialité des renseignements privilégiés.  On ne peut pas simplement tenir pour acquis que l’avocat est l’alter ego du client.  Le paragraphe 488.1(8), qui dispose que nul ne peut examiner un document sans donner aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège des communications entre client et avocat, ne peut rendre l’ensemble de ce régime raisonnable du point de vue constitutionnel alors qu’il ne traite pas directement du droit que le client devrait avoir pour veiller à la protection adéquate de ses droits.

 


La seconde lacune fatale du régime législatif est l’absence de pouvoir discrétionnaire du juge qui statue sur la validité de l’objection fondée sur le privilège.  On ne peut pas déceler un pouvoir discrétionnaire résiduel du juge au par. 488.1(6), qui confère au ministère public un droit d’accès aux documents saisis si on n’a fait aucune demande, ou si on n’a pas donné suite à celle‑ci, avec la célérité requise par les par. (2) et (3).  On ne peut pas dire que cette communication obligatoire de renseignements potentiellement privilégiés porte atteinte le moins possible au privilège dans un cas où la cour a été mise au courant de la possibilité de l’existence de celui‑ci par la mise sous scellés des documents au moment de la perquisition.  La norme du caractère raisonnable dicte que les tribunaux doivent conserver le pouvoir discrétionnaire de décider si les documents saisis dans le bureau d’un avocat doivent demeurer inaccessibles à l’État en raison de leur caractère privilégié lorsque, dans les circonstances, il est dans l’intérêt de la justice qu’ils le demeurent.

 

L’alinéa 488.1(4)b) porte atteinte de façon injustifiable au privilège, car il permet au procureur général d’examiner les documents saisis lorsque le juge des demandes est d’avis que cela l’aiderait à rendre sa décision sur leur caractère privilégié.  En permettant au ministère public d’avoir accès aux communications confidentielles entre client et avocat, on risquerait de diminuer la confiance du public dans l’administration de la justice et de créer des abus.  Cette disposition porte indûment atteinte au privilège et a une utilité limitée pour la détermination de son existence.

 

On ne peut pas conférer à l’art. 488.1 un caractère raisonnable du point de vue constitutionnel en se fondant sur la présomption que la poursuite se comportera de façon honorable.  On ne peut pas non plus le justifier par l’article premier : bien que l’efficacité des enquêtes policières soit une préoccupation de fond urgente, l’art. 488.1 ne prévoit pas de moyens proportionnés pour atteindre cet objectif.  Cet article doit être annulé.  La saisie de documents en la possession d’un avocat est une question délicate comportant des choix de procédure qu’il incombe davantage au législateur de faire.

 


Les lignes directrices qui suivent reflètent les impératifs constitutionnels actuels en matière de protection du secret professionnel de l’avocat et s’appliquent aux perquisitions dans des bureaux d’avocats jusqu’à la mise en œuvre de nouvelles dispositions législatives.  (1) Aucun mandat de perquisition ne peut être décerné relativement à des documents reconnus comme étant protégés par le secret professionnel de l’avocat.  (2) Aucun mandat de perquisition dans un bureau d’avocats ne peut être décerné non plus s’il existe d’autres solutions de rechange raisonnables.  (3) Le juge saisi de la demande de mandat doit être rigoureusement exigeant pour ce qui est des communications entre client et avocat.  (4) Sauf autorisation contraire du mandat, tous les documents en la possession d’un avocat doivent être scellés avant d’être examinés ou saisis.  (5) Il faut faire tous les efforts possibles pour communiquer avec l’avocat et le client au moment de l’exécution du mandat de perquisition et, lorsque l’avocat ou le client ne peut être joint, un représentant du Barreau devrait  superviser la mise sous scellés et la saisie des documents.  (6) L’enquêteur qui exécute le mandat doit rendre compte au juge de paix des efforts faits pour joindre tous les détenteurs potentiels du privilège, lesquels devraient ensuite avoir une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège et, si cette objection est contestée, de faire trancher la question par les tribunaux.  (7) S’il est impossible d’aviser les détenteurs potentiels du privilège, l’avocat qui a la garde des documents saisis, ou un autre avocat nommé par le Barreau ou par la cour, doit examiner les documents pour déterminer si le privilège devrait être invoqué et doit avoir une occasion raisonnable de faire valoir ce privilège.  (8) Le procureur général peut présenter des arguments sur la question du privilège, mais on ne devrait pas lui permettre d’examiner les documents à l’avance et l’autorité poursuivante peut examiner les documents uniquement lorsqu’un juge conclu qu’ils ne sont pas privilégiés.  (9) Si les documents scellés sont jugés non privilégiés, ils peuvent être utilisés dans le cours normal de l’enquête.  (10) Si les documents sont jugés privilégiés, ils doivent être retournés immédiatement au détenteur du privilège ou à une personne désignée par la cour.

 


Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et LeBel (dissidents en partie) : L’article 488.1  du Code criminel  ne contrevient ni à l’art. 7 ni à l’art. 8  de la Charte ,  à l’exception du par. 488.1(4), qui peut mener à des communications prématurées et injustifiées de renseignements confidentiels et qui porte donc atteinte à l’art. 8Il vise à protéger le privilège et non à le supprimer.  Il s’appuie sur les règles jurisprudentielles et législatives régissant la délivrance des mandats de perquisition.  Le processus comporte des garanties qui exigent une bonne compréhension du rôle des avocats dans la mise en œuvre des dispositions en cause.  Les avocats ont des obligations qui découlent de leurs droits et privilèges.  Tant que la société et les tribunaux peuvent supposer que les avocats agiront avec compétence et selon leur code de déontologie, l’art. 488.1 accorde une protection adéquate au secret professionnel et aux droits des clients des cabinets d’avocats.

 

Même si le délai de 14 jours est court, sa brièveté ne le rend pas inconstitutionnel.  Il ne semble pas avoir été conçu comme un piège pour les avocats débordés de travail ou négligents, mais comme une contrainte procédurale visant à accélérer les choses et à les faire régler rapidement.  Bien que l’art. 488.1 ne confère pas expressément le pouvoir de proroger le délai, la tendance de la jurisprudence à l’égard des délais ordinaires et des délais de prescription a été de reconnaître l’existence d’un vaste pouvoir des tribunaux d’accorder réparation ou de proroger les délais.  La preuve de l’incapacité ou de l’impossibilité d’agir dans le délai mentionné a été considérée comme étant suffisante pour que soit accordée une prorogation ou une autre réparation appropriée.  Étant donné que l’identité du client et le lieu où il se trouve sont parfois mieux connus des avocats, le fait de ne pas avoir prévu l’obligation de donner un avis au client n’équivaut pas à un vice.

 


L’obligation pour l’avocat d’identifier le client par son nom porterait atteinte au privilège.  Toutefois, l’identification n’équivaut pas nécessairement à identifier par le nom, car le nom utilisé peut ne pas être le véritable nom d’une personne ou son nom en entier.  La disposition contestée cherche à annuler les objections générales fondées sur le privilège.  Plus tard dans la procédure, il incomberait à la Cour de statuer sur la question de la confidentialité des noms et celle des mesures nécessaires pour la protéger.

 

Jurisprudence

 

Citée par le juge Arbour

 


Arrêt appliqué : Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, conf. (1980), 16 C.R. (3d) 188, conf. [1978] C.S. 792; arrêts examinés : Festing c. Canada (Attorney General) (2001), 206 D.L.R. (4th) 98, conf. en partie (2000), 31 C.R. (5th) 203; R. c. Colvin, Ex parte Merrick (1970), 1 C.C.C. (2d) 8; Re Presswood and International Chemalloy Corp. (1975), 11 O.R. (2d) 164; Re Shell Canada Ltd., [1975]  C.F. 184; Re Borden & Elliot and The Queen (1975), 30 C.C.C. (2d) 337; Re B.X. Development Inc. and The Queen (1976), 31 C.C.C. (2d) 14; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; arrêts mentionnés : R. c. Claus (2000), 149 C.C.C. (3d) 336; R. c. Piersanti & Co., [2001] G.S.T.C. 3; Canada (Attorney General) c. Several Clients and Several Solicitors (2000), 189 N.S.R. (2d) 313; Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14; R. c. Brown, [2002] 2 R.C.S. 185, 2002 CSC 32; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Thorson c. Jones (1973), 38 D.L.R. (3d) 312; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65; R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, 2001 CSC 83; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; Maranda c. Québec (Juge de la Cour du Québec) (2001), 47 C.R. (5th) 162, demande d’autorisation de pourvoi accordée, [2002] 2 R.C.S. vii; R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1; R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761.

 

Citée par le juge LeBel (dissident en partie)

 

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65; R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, 2000 CSC 22; Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69; R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771; Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808; M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6; Murphy c. Welsh, [1993] 2 R.C.S. 1069; Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549; Sparham-Souter c. Town and Country Developments (Essex) Ltd., [1976] Q.B. 858; Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 , 8 , 10 b ) , 11 b ) .

 

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 487 , 488.1  [aj. ch. 27 (1er suppl.), art. 71].

 

Loi constitutionnelle de 1982 , art. 52 .


 

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .), art. 232, 239(1)a), d).

 

Doctrine citée

 

Bloom, Lackland H., Jr.  « The Law Office Search : An Emerging Problem and Some Suggested Solutions » (1980), 69 Geo. L.J. 1.

 

Canada.  Chambre des communes.  Comité permanent de la Justice et des questions juridiques.  Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 5, 22 janvier 1985, p. 5:9.

 

Canada.  Commission de réforme du droit.  Rapport 24.  Les fouilles, les perquisitions et les saisies.  Ottawa : La Commission, 1984.

 

Chasse, Kenneth L.  « The Solicitor-Client Privilege and Search Warrants » (1977), 36 C.R.N.S. 349.

 

Davis, John E.  « Law Office Searches :  The Assault on Confidentiality and the Adversary System » (1996), 33 Am. Crim. L. Rev. 1251.

 

Hutchison, Scott C., James C. Morton and Michael P. Bury.  Search and Seizure Law in Canada.  Toronto :  Carswell, 1991 (loose-leaf updated 2002, release 1).

 

Kasting, Robert A.  « Recent Developments in the Canadian Law of Solicitor‑Client Privilege » (1978), 24 R.D. McGill 115.

 

Manes, Ronald D., and Michael P. Silver.  Solicitor-Client Privilege in Canadian Law.  Toronto : Butterworths, 1993. 

 

Pinard, Danielle.  « Le principe d’interprétation issu de la présomption de constitutionnalité et la Charte canadienne des droits et libertés  » (1990), 35 R.D. McGill 305.

 

Stuart, Don.  Charter Justice in Canadian Criminal Law, 3rd ed.  Scarborough, Ont. :  Carswell, 2001.

 


POURVOI (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)) contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (2000), 184 D.L.R. (4th) 25, 255 A.R. 86, 220 W.A.C. 86, 143 C.C.C. (3d) 187, 73 C.R.R. (2d) 58, [2000] 4 W.W.R. 331, [2000] A.J. no 159 (QL), 2000 ABCA 54, qui a confirmé une décision de la Cour du Banc de la Reine (1998), 160 D.L.R. (4th) 508, 62 Alta. L.R. (3d) 306, 218 A.R. 229, 126 C.C.C. (3d) 129, 53 C.R.R. (2d) 8, [1999] 2 W.W.R. 241, [1998] A.J. no 610 (QL), 1998 ABQB 436.  Pourvoi rejeté, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents en partie.

 

POURVOI et POURVOI INCIDENT (White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général)) contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve (2000), 187 D.L.R. (4th) 581, 190 Nfld. & P.E.I.R. 181, 576 A.P.R. 181, 146 C.C.C. (3d) 28, 35 C.R. (5th) 222, 76 C.R.R. (2d) 1, [2000] N.J. no 196 (QL), 2000 NFCA 36, qui a accueilli en partie l’appel interjeté par les appelants contre une décision de la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve.  Pourvoi accueilli, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents.  Pourvoi incident rejeté, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents en partie.

 

POURVOI (R. c. Fink) contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2000), 51 O.R. (3d) 589, 193 D.L.R. (4th) 51, 149 C.C.C. (3d) 321, 138 O.A.C. 142, 79 C.R.R. (2d) 121, [2000] O.J. no 4549 (QL), qui a infirmé une décision de la Cour supérieure de justice (2000), 143 C.C.C. (3d) 566, 70 C.R.R. (2d) 181, [2000] O.J. no 18 (QL).  Pourvoi rejeté, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents en partie.

 

Robert J. Frater, Peter De Freitas et David Schermbrucker, pour l’appelante Sa Majesté la Reine, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident et pour l’intervenant le procureur général du Canada.

 

David G. Butcher et Michael J. Hewitt, pour les intimés Lavallee, Rackel & Heintz.

 


D. Mark Pike et Geoffrey L. Spencer, pour les appelants/intimés au pourvoi incident White, Ottenheimer & Baker.

 

Richard Macklin et Aaron Harnett, pour l’intimé Fink.

 

Michal Fairburn et Philip Downes, pour l’appelante Sa Majesté la Reine et l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

 

Benoît Lauzon et Gilles Laporte, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

 

Eric Tolppanen, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

 

Lindsay MacDonald, c.r., pour l’intervenante la Law Society of Alberta.

 

Anne S. Derrick, c.r., Joel Pink, c.r., et Shane Parker, pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.

 

James L. Lebo, c.r., pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.

 

Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour rendu par

 


1                                   Le juge Arbour — Les présents pourvois mettent en cause la constitutionnalité de l’art. 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , qui établit une procédure permettant de décider si le secret professionnel de l’avocat (dans l’article en cause, « privilège des communications entre client et avocat ») s’applique aux documents saisis dans un bureau d’avocat en vertu d’un mandat.  La question est soumise à la Cour dans trois pourvois distincts provenant de l’Alberta (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)), de Terre‑Neuve-et-Labrador (White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général)) et de l’Ontario (R. c. Fink).

 

2                                   En outre, l’article 488.1 a récemment été contesté et annulé dans d’autres affaires dont la Cour n’est pas saisie actuellement : R. c. Claus (2000), 149 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.); R. c. Piersanti & Co., [2001] G.S.T.C. 3 (C.A. Ont.); Canada (Attorney General) c. Several Clients and Several Solicitors (2000), 189 N.S.R. (2d) 313 (C.S.); Festing c. Canada (Attorney General) (2001), 206 D.L.R. (4th) 98 (C.A.C.-B.), demande d’autorisation d’appel à la C.S.C. déposée le 11 décembre 2001 (nos 28936 et 28937)*.  Par ordonnance du 11 décembre 2001, le juge Levine, de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, a suspendu pour deux semaines suivant la décision de notre Cour dans les présents pourvois l’ordonnance que la Cour d’appel avait rendue le 5 novembre 2001 dans Festing : [2001] B.C.J. no 2666 (QL), 2001 BCCA 732.

 

3                                   Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’art. 488.1 est inconstitutionnel et qu’il doit donc être annulé en vertu de l’art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 .

 

I -  Les faits : les trois pourvois

 

4                                   Les faits de ces trois affaires ne sont ni controversés ni déterminants.  On peut donc les résumer brièvement ainsi.


 

5                                   Dans Lavallee, la G.R.C. obtient le 16 janvier 1996 un mandat de perquisition selon la forme et le libellé prescrits par l’art. 487  du Code criminel .  La perquisition, qui doit avoir lieu le lendemain au cabinet d’avocats Lavallee, Rackel & Heintz, à Edmonton, vise la correspondance, les dossiers de succession, les registres de fiducie et d’autres documents concernant  M. Andy Brent Polo, soupçonné de blanchiment d’argent et de possession de produits de la criminalité.  Lorsque les agents de la G.R.C. se présentent au cabinet d’avocats pour exécuter le mandat, un avocat connaissant bien les documents en question invoque le secret professionnel de l’avocat.  Les agents chargés de la perquisition suivent donc la procédure établie à l’art. 488.1  du Code criminel  : les documents sont scellés dans des enveloppes, identifiés sommairement et confiés à la garde de la police.  Le lendemain, le 18 janvier 1996, l’avocat représentant le cabinet présente devant la Cour du Banc de la Reine une requête sollicitant la fixation d’une date et d’un lieu où la cour déciderait s’il existe un privilège relatif aux documents saisis, conformément au par. 488.1(3).  En avril 1996, le cabinet d’avocats donne avis d’une question constitutionnelle, alléguant l’inconstitutionnalité de l’art. 488.1  du Code criminel .  Le cabinet et M. Polo présentent également une requête en annulation du mandat, mais le juge Dea la rejette en partie : (1997), 199 A.R. 21 (B.R.).  En 1998, le juge Veit annule l’art. 488.1, le déclarant inconstitutionnel : (1998), 126 C.C.C. (3d) 129 (B.R. Alb.).  La Cour d’appel de l’Alberta rejette à l’unanimité l’appel interjeté contre cette ordonnance : (2000), 143 C.C.C. (3d) 187.

 


6                                   Dans White, il y a délivrance d’un mandat de perquisition visant le cabinet de Raymond P. Whelan, y compris les installations d’entreposage qu’il occupe au cabinet d’avocats White, Ottenheimer & Baker, à St. John’s (Terre-Neuve).  Le mandat autorise les agents de Revenu Canada à perquisitionner dans les lieux pour chercher des documents concernant Daley Brothers Ltd. et M. Terry Daley, soupçonnés d’avoir commis les infractions visées aux al. 239(1) a) et d) de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .).  Lors de l’exécution du mandat le 30 juin 1998, un associé du cabinet appelant invoque le secret professionnel de l’avocat relativement aux documents visés et, de ce fait, ceux-ci sont scellés et confiés à la garde de la police conformément aux art. 488.1  du Code criminel  et 232 de la Loi de l’impôt sur le revenu .  Le 9 juillet 1998, le cabinet d’avocats présente une requête en fixation de date et de lieu d’une audience pour que soit décidé s’il existe un privilège en vertu des par. 488.1(3)  du Code criminel  et 232(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu .  Le 29 janvier 1999, les appelants sollicitent un jugement déclaratoire selon lequel les art. 488.1  du Code criminel  et 232 de la Loi de l’impôt sur le revenu  vont à l’encontre de l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés .  Le juge Halley, de la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve, rejette la demande.  La Cour d’appel accueille l’appel en partie, recourant aux techniques réparatrices de la dissociation et de l’interprétation large pour justifier la disposition contestée du Code criminel  : (2000), 146 C.C.C. (3d) 28.

 


7                                   Dans Fink, il y a exécution d’un mandat de perquisition au cabinet d’avocats Turkstra, Mazza Associates le 8 février 1999, à Toronto, visant des documents concernant l’appelant Jeffrey Fink, soupçonné de culpabilité relativement à divers chefs d’accusation de fraude d’un montant supérieur à 5 000 $.  L’avocat ayant invoqué au nom de l’appelant le secret professionnel, la perquisition est effectuée conformément à la procédure prévue à l’art. 488.1  du Code criminel  et les documents sont confiés à la garde de la police.  Le 11 novembre 1999, l’appelant sollicite auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario une ordonnance déclarant l’art. 488.1 incompatible avec l’art. 8  de la Charte .  Le juge Dambrot rejette la demande : (2000), 143 C.C.C. (3d) 566.  Au nom de la Cour d’appel à l’unanimité, le juge Goudge accueille l’appel et déclare l’art. 488.1 inconstitutionnel et inopérant : (2000), 51 O.R. (3d) 589.

 

II -  Les dispositions législatives contestées

 

8                                   Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46  

 

488.1 (1)  Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« avocat »  Dans la province de Québec, un avocat ou un notaire, et dans les autres provinces, un barrister ou un solicitor.

 

« document »  Pour l’application du présent article, s’entend au sens de l’article 321.

 

« fonctionnaire » Agent de la paix ou fonctionnaire public.

 

« gardien » Personne à qui la garde d’un paquet est confiée conformément au paragraphe (2).

 

« juge »  Juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle de la province où la saisie a été faite.

 

(2)  Lorsqu’un fonctionnaire agissant sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi fédérale est sur le point d’examiner, de copier ou de saisir un document en la possession d’un avocat qui prétend qu’un de ses clients, nommément désigné, jouit du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne ce document, le fonctionnaire doit, sans examiner le document ni le copier :

 

a)  le saisir et en faire un paquet qu’il doit convenablement sceller et identifier;

 

b)  confier le paquet à la garde du shérif du district ou du comté où la saisie a été effectuée ou, s’il existe une entente écrite désignant une personne qui agira en qualité de gardien, à la garde de cette dernière.

 

(3)  Lorsqu’un document a été saisi et placé sous garde en vertu du paragraphe (2), le procureur général, le client ou l’avocat au nom de son client, peut :

 

a)  dans un délai de quatorze jours à compter de la date où le document a été placé sous garde, demander à un juge, moyennant un avis de présentation de deux jours adressé à toute autre personne qui pourrait faire une demande, de rendre une ordonnance :

 


(i)  fixant une date, au plus tard vingt et un jours après la date de l’ordonnance, et un endroit, où sera décidée la question de savoir si le document doit être communiqué,

 

(ii)  en outre, exigeant du gardien qu’il présente le document au juge au moment et au lieu fixés;

 

b)  faire signifier une copie de l’ordonnance à toute personne qui pourrait faire une demande et au gardien dans les six jours de la date où elle est rendue;

 

c)  s’il a procédé ainsi que l’alinéa b) l’autorise, demander, au moment et au lieu fixés, une ordonnance qui tranche la question.

 

(4)  Suite à une demande prévue à l’alinéa (3)c), le juge :

 

a)  peut examiner le document, s’il l’estime nécessaire, pour établir si le document doit être communiqué;

 

b)  peut, s’il est d’avis que cela l’aidera à rendre sa décision sur le caractère privilégié du document, permettre au procureur général d’examiner le document;

 

c)  doit permettre au procureur général et à toute personne qui s’oppose à la communication du document de lui présenter leurs observations;

 

d)  doit trancher la question de façon sommaire et :

 

(i)  s’il est d’avis que le document ne doit pas être communiqué, s’assurer que celui‑ci est remballé et scellé à nouveau et ordonner au gardien de le remettre à l’avocat qui a allégué le privilège des communications entre client et avocat ou à son client,

 

(ii)  s’il est d’avis que le document doit être communiqué, ordonner au gardien de remettre celui-ci au fonctionnaire qui a fait la saisie ou à quelque autre personne désignée par le procureur général, sous réserve des restrictions et conditions qu’il estime appropriées.

 

Le juge motive brièvement sa décision en décrivant la nature du document sans toutefois en révéler les détails.

 

(5)  Lorsque le juge décide, conformément à l’alinéa (4)d), qu’un privilège des communications entre client et avocat existe en ce qui concerne un document, ce document demeure privilégié et inadmissible en preuve, que le juge ait permis ou non au procureur général de l’examiner, conformément à l’alinéa (4)b), à moins que le client n’y consente ou que le privilège ne soit autrement perdu.

 


(6)  Lorsqu’un document a été saisi et placé sous garde, en vertu du paragraphe (2) et qu’un juge, sur la demande du procureur général, est convaincu qu’aucune demande prévue à l’alinéa (3)a) n’a été faite, ou, si elle l’a été, qu’elle n’a pas été suivie d’une autre demande prévue à l’alinéa (3)c), il doit ordonner au gardien de remettre le document au fonctionnaire qui a fait la saisie ou à quelque autre personne désignée par le procureur général.

 

(7)  Lorsque, pour quelque motif, le juge à qui une demande a été faite selon l’alinéa (3)c) ne peut agir ni continuer d’agir en vertu du présent article, des demandes subséquentes faites en vertu de cet alinéa peuvent être faites à un autre juge.

 

(8)  Aucun fonctionnaire ne doit examiner ni saisir un document ou en faire des copies sans donner aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège des communications entre client et avocat en vertu du paragraphe (2).

 

(9)  En tout temps, lorsqu’un document est entre les mains d’un gardien selon le présent article, un juge peut, sur une demande ex parte de la personne qui s’oppose à la divulgation du document alléguant le privilège des communications entre client et avocat, autoriser cette dernière à examiner le document ou à en faire une copie en présence du gardien ou du juge; cependant une telle autorisation doit contenir les dispositions nécessaires pour que le document soit remballé et le paquet scellé à nouveau sans modification ni dommage.

 

(10)  La demande visée à l’alinéa (3)c) est entendue à huis clos.

 

(11)  Le présent article ne s’applique pas lorsque le privilège des communications entre client et avocat peut être invoqué en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu .

 

III -  Les questions en litige

 

9                                   Les présents pourvois soulèvent les questions constitutionnelles suivantes :

 

1.    L’article 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , porte‑t‑il atteinte à l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

2.    Dans l’affirmative, cette atteinte est‑elle raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte ?

 

3.    L’article 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , porte-t-il atteinte à l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

4.    Dans l’affirmative, cette atteinte est‑elle raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte ?


IV - Analyse

 

A.  Les perquisitions dans les bureaux d’avocats

 

10                               Avant les années 70, il y avait rarement des perquisitions dans les bureaux d’avocats au cours d’enquêtes criminelles.  Mais, depuis, on a assisté au Canada et aux États‑Unis à la tendance consistant à employer des méthodes d’enquête plus agressives, dont la délivrance de mandats autorisant la perquisition dans des bureaux d’avocats pour chercher des éléments de preuve de crimes.  Voir de façon générale L. H. Bloom, Jr., « The Law Office Search : An Emerging Problem and Some Suggested Solutions » (1980), 69 Geo. L.J. 1, ouvrage dans lequel l’auteur attribue en partie [traduction] « l’émergence soudaine et récente de la perquisition dans des bureaux d’avocats » (p. 7) aux États‑Unis au scandale du Watergate, qui, selon lui, a diminué l’estime du public à l’endroit des avocats en général.  Voir également J. E. Davis, « Law Office Searches : The Assault on Confidentiality and the Adversary System » (1996), 33 Am. Crim. L. Rev. 1251.

 


11                               Au Canada, par l’adoption de l’art. 488.1  du Code criminel  (initialement l’art. 444.1) en 1985, le législateur réagissait en fait à la jurisprudence ayant abouti à l’arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, où la Cour a établi des lignes directrices pour la délivrance de mandats de perquisition visant les bureaux d’avocats.  Dès le départ, les tribunaux canadiens, en raison du secret professionnel de l’avocat, ont exprimé de sérieuses craintes au sujet des dangers des perquisitions dans des bureaux d’avocats et ont incité le législateur à établir des mesures de protection semblables à celles figurant dans la Loi de l’impôt sur le revenu .  L’article 488.1 a été conçu pour dissiper ces craintes et, comme l’a dit le ministre de la Justice, pour « instaure[r] une procédure permettant de faire sceller des documents saisis afin d’assurer la protection du caractère confidentiel des communications entre avocats et clients » (Chambre des communes, Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 5,  le 22 janvier 1985, p. 5:9).  Comme je l’expliquerai davantage plus loin dans les présents motifs, l’art. 488.1  du Code criminel  est loin de fournir la protection promise et, en fait, met en péril de façon inconstitutionnelle le secret professionnel de l’avocat.  Avant d’aborder les lacunes de l’art. 488.1, il est peut-être utile d’examiner la jurisprudence qui a mené à son adoption afin de mieux comprendre les craintes qu’il visait à dissiper.

 

B.      Les décisions antérieures à l’arrêt Descôteaux

 

12                               Dans R. c. Colvin, Ex parte Merrick (1970), 1 C.C.C. (2d) 8 (H.C. Ont.), on a sollicité l’annulation du mandat par lequel le juge de paix avait autorisé les policiers à pénétrer dans un bureau d’avocats pour y chercher divers documents, à savoir des lettres, des contrats et des ententes qui, selon les allégations, recelaient des éléments de preuve indiquant que l’accusé avait commis une infraction.  Bien qu’il ait annulé le mandat au motif que le juge de paix n’aurait pas dû conclure que les documents fourniraient des éléments de preuve, le juge Osler a aussi analysé l’effet des perquisitions dans des bureaux d’avocats sur le secret professionnel de l’avocat, disant à la p. 13 :

 

[traduction]  Enfin, la question du secret professionnel de l’avocat est épineuse à cet égard.  D’une part, aucune autorité ne devrait avoir carte blanche pour fouiller dans les dossiers d’un cabinet d’avocat dans l’espoir d’y découvrir des documents préparés en vue de conseiller le client dans l’exercice normal et légitime de la profession.  Il s’agit toutefois d’un privilège exclusif au client qui ne s’étend pas aux lettres, notes ou documents préparés dans le but d’aider un client à commettre un crime, ni aux documents qui n’ont aucun rapport avec le fait de donner un conseil judicieux mais qui sont confiés à l’avocat uniquement dans le but d’éviter une saisie entre les mains du client. 


 

À cette époque, le secret professionnel de l’avocat était uniquement une règle de preuve et n’était pas encore devenu une règle de fond.  En conséquence, le juge Osler a ajouté à la p. 13 :

 

[traduction] . . . il faut se rappeler qu’il s’agit d’une règle de preuve et non d’une règle de propriété.  Par conséquent, je ne serais pas disposé à annuler un mandat visant des documents dont on a des motifs raisonnables de croire qu’ils pourraient fournir une preuve concernant la perpétration d’une infraction, du seul fait qu’il est possible que ces documents soient protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.  Selon moi, l’unique façon de faire valoir ce privilège est de s’opposer en temps opportun au dépôt en preuve de tout document qui bénéficierait du privilège.

 

13                               Dans l’affaire Re Presswood and International Chemalloy Corp. (1975), 11 O.R. (2d) 164 (H.C.), le juge Osler avait la possibilité de réviser sa remarque incidente antérieure à la lumière d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale rendu plus tôt cette année‑là.  En effet, dans Re Shell Canada Ltd., [1975] C.F. 184, le directeur des enquêtes et recherches avait demandé à une formation de cinq juges de la Cour d’appel fédérale d’annuler la décision par laquelle une cour d’instance inférieure avait restreint les pouvoirs d’enquête que lui conférait la loi.  En vertu du par. 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C‑23 (maintenant la Loi sur la concurrence , L.R.C. 1985, ch. C-34 ), le Directeur avait le pouvoir de pénétrer en tous lieux et de copier les documents qui, à son avis, constituaient des éléments de preuve relatifs à une affaire faisant l’objet d’une enquête.  La cour était d’avis que les pouvoirs conférés au Directeur n’écartaient pas le principe du secret professionnel de l’avocat, qu’elle a reconnu comme un principe fondamental de notre système judiciaire.  Dans ses motifs concordants, le juge Thurlow a souligné, à la p. 195, que le principe du secret professionnel de l’avocat pouvait être invoqué chaque fois que les autorités menacent la confidentialité des communications entre client et avocat :


 

. . . le caractère confidentiel de ces communications, qu’elles soient orales ou écrites, prend naissance au moment de l’échange des communications.  Puisque le droit à la protection du secret, communément appelé secret professionnel, n’est pas subordonné à l’existence d’un procès en cours ou même prévu au moment où les communications sont faites, il me semble que le droit à la protection des communications doit également exister à cette époque et pouvoir être invoqué en toute autre occasion, lorsque le secret peut être menacé par quiconque prétend exercer l’autorité de la Loi.

 

Se fondant sur l’arrêt Shell Canada, précité, le juge Osler a conclu dans l’affaire Presswood, précitée, que les dispositions sur l’interrogatoire préalable de la Business Corporations Act, R.S.O. 1970, ch. 53, n’écartaient pas le privilège de common law que constitue le secret professionnel de l’avocat.

 

14                               À mon avis, l’arrêt Re Borden & Elliot and The Queen (1975), 30 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.), constitue l’arrêt clé antérieur à Descôteaux qui traite de la relation entre le secret professionnel de l’avocat et les mandats de perquisition décernés en vertu du Code criminel .  Il s’agit d’un appel formé contre une ordonnance par laquelle le juge Southey a annulé un mandat de perquisition décerné en vertu de l’art. 443  du Code criminel  et autorisant la perquisition dans les bureaux de Borden & Elliot, les avocats d’un homme soupçonné de fraude.  Le juge Southey (dont les motifs sont publiés juste avant les motifs oraux du juge Arnup) s’est demandé si on pouvait contester un mandat de perquisition pour absence de compétence du juge l’ayant délivré lorsque les documents visés sont privilégiés.  Se fondant sur l’arrêt Shell Canada, précité, le juge Southey a conclu qu’on pouvait invoquer le secret professionnel pour contester la délivrance d’un mandat de perquisition, disant à la p. 343 :

 


[traduction]  Si l’on ne pouvait invoquer le privilège pour empêcher la saisie et l’examen de documents en vertu d’un mandat de perquisition, la poursuite aurait toujours le loisir de saisir et d’examiner les dossiers et le mémoire de l’avocat de la défense dans une poursuite criminelle.  Ce serait vraiment une mince consolation pour l’accusé et son avocat de savoir que la seule protection dont il jouirait en l’instance serait que les pièces saisies et examinées ne peuvent être produites en preuve.  Selon moi, un tel résultat serait absurde.

 

Le juge Southey a également considéré comme vagues et ambigus les renseignements sur lesquels le mandat était fondé.  La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé l’ordonnance pour ce dernier motif, prenant bien soin de se dissocier des opinions du juge Southey.  Toutefois, au nom de la cour, le juge Arnup a reconnu [traduction] « les difficiles questions du secret professionnel de l’avocat » en ce qui a trait aux mandats de perquisition, indiquant que le Code criminel  ne fournissait aucune indication sur les restrictions dont on pourrait assortir le mandat pour protéger les revendications possibles fondées sur le secret professionnel de l’avocat.  De plus, la cour a fait remarquer que le Code criminel  ne prévoyait aucune procédure à suivre pour les avocats invoquant le secret professionnel au nom de leurs clients; à cette époque, les recours de ces derniers se limitaient à la présentation d’une requête en annulation du mandat de perquisition.  [traduction] « Il est très clair qu’il faut envisager la possibilité d’adopter de nouvelles dispositions législatives », a affirmé le juge Arnup à la p. 348.

 


15                               Quelques mois plus tard, dans Re B.X. Development Inc. and The Queen (1976), 31 C.C.C. (2d) 14 (C.A.C.-B.), le juge Bull s’est fondé sur Shell Canada et Borden & Elliot, précités, pour conclure que les mandats de perquisition délivrés en vertu de l’art. 443  du Code criminel  pouvaient être annulés lorsque les documents visés bénéficiaient clairement de la protection du secret professionnel de l’avocat.  Comme l’ont fait remarquer à juste titre les auteurs S. C. Hutchison, J. C. Morton et M. P. Bury, dans Search and Seizure Law in Canada (feuilles mobiles), p. 10-17 : [traduction] « En faisant cette déclaration, le juge Bull est devenu le premier juge d’une cour d’appel canadienne à laisser entendre que le secret professionnel de l’avocat est susceptible de l’emporter sur les dispositions du Code criminel  sur les mandats de perquisition ».

 


16                               Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) commente cette expansion du privilège entre avocat et client dans ses motifs dans l’affaire Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.  Dans cette affaire, l’appelant Solosky, détenu à l’institution de Millhaven, a invoqué le privilège entre avocat et client pour empêcher le directeur du pénitencier de censurer sa correspondance avec son avocat, pouvoir qui est conféré au directeur par la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, ch. P-6.  En rejetant le pourvoi, le juge Dickson a affirmé que même si le privilège entre avocat et client avait connu une expansion importante au cours des dernières années, il n’était pas devenu une règle de propriété et ne pouvait pas s’appliquer de manière à empêcher d’ordonner la censure.  En effet, on ouvre le courrier du détenu, non pas en vue d’obtenir des éléments de preuve devant servir dans une instance ultérieure, mais en raison des exigences de sécurité institutionnelle.  Bref, le privilège entre avocat et client ne s’appliquait pas dans le cas de l’appelant.  Le juge Dickson a néanmoins affirmé clairement que ce privilège était devenu un « droit civil fondamental » (Solosky, précité, p. 839); voir également Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353, p. 383; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, où le juge Major, au nom de la Cour, a affirmé que le secret professionnel de l’avocat était un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7  de la Charte  (p. 453-460), et R. c. Brown, [2002] 2 R.C.S. 185, 2002 CSC 32.  L’arrêt Solosky demeure une importante formulation par la Cour de l’historique du privilège.  Voir en particulier les p. 834-838.  Pour une analyse générale de l’expansion jurisprudentielle susmentionnée du secret professionnel de l’avocat, voir également K. L. Chasse, « The Solicitor-Client Privilege and Search Warrants » (1977), 36 C.R.N.S. 349; R. A. Kasting, « Recent Developments in the Canadian Law of Solicitor-Client Privilege » (1978), 24 R.D. McGill 115.

 

C.  L’arrêt Descôteaux c. Mierzwinski

 

17                               Dans cette affaire, on a perquisitionné dans un bureau d’aide juridique pour chercher des éléments de preuve établissant qu’un demandeur d’aide juridique avait illégalement déclaré un revenu inférieur à son revenu réel pour avoir droit à l’aide juridique.  La perquisition a eu lieu en présence du syndic du Barreau et les policiers ont accepté de recevoir les documents saisis sous enveloppes scellées et de les garder jusqu’à ce qu’un juge décide s’il existe un privilège avocat-client à leur égard.  Le bureau d’aide juridique et M. Descôteaux ont présenté à la Cour supérieure de Montréal une requête en annulation du mandat au motif que les documents étaient protégés par le privilège avocat-client.  La Cour supérieure a rejeté la requête et a conclu que les documents n’étaient pas visés par le privilège puisqu’ils avaient été préparés avant la naissance de la relation avocat‑client, [1978] C.S. 792.  La Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel, adoptant les conclusions de la Cour supérieure et ajoutant que le privilège avocat-client ne pouvait pas s’appliquer si la communication avait été faite en vue de la perpétration d’un acte criminel ou pour la faciliter : (1980), 16 C.R. (3d) 188.

 

18                               Au nom de la Cour, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a rejeté le pourvoi.  Après avoir exposé brièvement l’historique du privilège avocat-client en tant que règle de preuve, le juge Lamer a confirmé que ce privilège était devenu un principe de fond, se référant à la décision que la Cour a rendue dans Solosky, précité.  Il affirme à la p. 875 :


 

De toute évidence la Cour, dans cette cause [Solosky], appliquait une norme qui n’a rien à voir avec la règle de preuve, le privilège, puisqu’en rien n’y était-il question de témoignages devant un tribunal quelconque.  En fait la Cour, à mon avis, appliquait, sans par ailleurs la formuler, une règle de fond et, par voie de conséquence, reconnaissait implicitement que le droit à la confidentialité, qui avait depuis déjà longtemps donné naissance à une règle de preuve, avait aussi depuis donné naissance à une règle de fond.

 

Le juge Lamer a ensuite formulé de façon concise et dans les termes suivants (à la p. 875) les éléments de la règle de fond, lesquels, d’après moi, déterminent en grande partie l’issue des pourvois dont la Cour est actuellement saisie :

 

Il est, je crois, opportun que nous formulions cette règle de fond, tout comme l’ont fait autrefois les juges pour la règle de preuve; elle pourrait, à mon avis, être énoncée comme suit :

 

1.    La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d’être dévoilées sans le consentement du client;

 

2.    À moins que la loi n’en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l’exercice légitime d’un droit porterait atteinte au droit d’un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;

 

3.    Lorsque la loi confère à quelqu’un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l’espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d’exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d’un souci de n’y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;

 

4.    La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.

 


Voir également l’arrêt Jones, précité, par. 49.

 

19                               Après avoir traité des questions relatives au moment de la cristallisation de la relation avocat-client (p. 876-882), le juge Lamer a examiné l’effet du secret professionnel de l’avocat sur les perquisitions autorisées en vertu de l’art. 443  du Code criminel  (maintenant l’art. 487).  Premièrement, il a conclu qu’on pouvait invoquer la règle de preuve que constitue le secret professionnel de l’avocat pour empêcher la délivrance d’un mandat de perquisition lorsque les documents ciblés sont protégés et, par conséquent, inadmissibles en preuve.  Citant avec approbation l’analyse de la jurisprudence à laquelle s’est livré le juge Southey dans Borden & Elliot, précité, le juge Lamer a ajouté : « il incombe au juge de paix de soulever la question proprio motu et, le cas échéant, de se reconnaître sans compétence pour autoriser la perquisition » (p. 887).

 

20                               Deuxièmement, le juge Lamer a examiné l’interaction entre le pouvoir de perquisitionner de l’État et la règle de fond que constitue le secret professionnel de l’avocat.  Il a affirmé, aux  p. 889 et 891 :

 

La perquisition est une exception aux principes les plus anciens et les plus fondamentaux de la common law et le pouvoir de perquisition doit être contrôlé strictement.  [. . .] [I]l y a des endroits dont on ne devrait de façon générale permettre la fouille qu’avec réticence et, le cas échéant, avec plus de manières que pour d’autres endroits.  On n’entre pas à l’église comme on le fait chez le loup; ni à l’entrepôt comme chez l’avocat.

 

                                                                   . . .

 


De façon générale, lorsqu’il s’agit de perquisitionner chez un avocat, que ce soit pour y chercher des choses prévues aux al. a), b) ou c) de l’art. 443(1), le juge de paix devrait se montrer particulièrement exigeant.  Lorsqu’il s’agit de preuves (443(1)b)), quoique satisfait de la présence sur les lieux de ces preuves, il ne doit permettre la fouille d’un bureau d’avocat que si, en plus, il est convaincu qu’il n’y a pas d’autre alternative raisonnable à la perquisition.  Il sera parfois souhaitable que, dès les premières démarches du dénonciateur, le juge de paix voie à ce que le procureur de la Couronne du district soit avisé, si ces démarches sont faites à son insu, ainsi que les autorités du Barreau.  Assisté de ceux-ci, il devrait normalement pouvoir plus facilement arrêter de concert avec les forces de l’ordre des modalités de perquisition acceptables à tous et qui respecteraient le droit à la confidentialité des clients du bureau de l’avocat sans frustrer la police de son droit de rechercher les preuves du crime allégué.  [Je souligne; soulignement dans l’original omis.]

 

J’estime qu’il est important de souligner, comme l’a fait le juge Lamer à la p. 891, que même si les conditions nécessaires préalables sont respectées, « le juge de paix doit assortir l’exécution du mandat de modalités qui concilient la protection des intérêts que cherche à promouvoir ce droit [le privilège des communications entre avocat et client] avec celle des intérêts que cherche à promouvoir le pouvoir de perquisitionner, et limiter à ce qui est strictement inévitable l’atteinte au droit fondamental » (souligné dans l’original).  En d’autres termes, on ne doit porter atteinte au secret professionnel de l’avocat que si cela est nécessaire et, même dans un tel cas, on doit le faire de la façon la moins attentatoire possible.

 


21                               Le juge Lamer a accessoirement approuvé la procédure prévue à l’art. 232  de la Loi de l’impôt sur le revenu , indiquant que le juge saisi de la demande de mandat devait s’inspirer de cette disposition (p. 892).  L’article 444.1 (maintenant l’art. 488.1) du Code criminel  a été expressément calqué sur l’art. 232  de la Loi de l’impôt sur le revenu  et, dans les audiences tenues devant le Comité permanent de la justice et des questions juridiques, on a dit que cette disposition était conforme à l’esprit de la décision que la Cour a rendue dans Descôteaux, précité.  Manifestement, le fait que l’art. 488.1  du Code criminel  soit semblable à l’art. 232  de la Loi de l’impôt sur le revenu  ne met pas cette disposition à l’abri d’un examen fondé sur la Charte , malgré les observations de la Cour sur le caractère souhaitable de mesures de protection de la nature de celles prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu .  Cela est particulièrement vrai étant donné que l’art. 232  de la Loi de l’impôt sur le revenu  a été adopté en 1956, bien avant la constitutionnalisation de la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ainsi que d’autres droits et libertés fondamentaux.  De plus, il est important de se rappeler que l’arrêt Descôteaux n’était pas fondé sur la Charte  (celle-ci a été adoptée deux mois avant que la Cour rende cet arrêt), mais plutôt sur la force des principes de common law.  En conséquence, pour les fins des présents pourvois, il faut statuer sur la constitutionnalité de l’art. 488.1 d’après les normes constitutionnelles actuelles, lesquelles comprennent le statut du secret professionnel de l’avocat comme principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7  de la Charte  (McClure, précité) et la protection constitutionnelle contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives prévue à l’art. 8  de la Charte .

 

D.  Introduction à l’art. 488.1

 


22                               Il ressort de cet historique qu’on a adopté l’art. 488.1 du Code pour essayer de tenir compte du caractère particulier de la perquisition dans les lieux d’affaires des avocats et, notamment, de veiller à ce que les communications privilégiées faites à un avocat ne soient pas assujetties à cette méthode d’enquête.  Or, dans la mesure où l’art. 488.1 s’applique seulement « [l]orsqu’un fonctionnaire agissant sous le régime [du Code criminel ] ou de toute autre loi fédérale est sur le point d’examiner, de copier ou de saisir un document en la possession d’un avocat » (je souligne), il est clair que la disposition n’a jamais eu pour objet de remplacer les principes de common law concernant la délivrance de mandats dans le cas des bureaux d’avocats, comme l’a mentionné le juge Lamer dans Descôteaux, précité.  L’article 488.1 ne tente pas de réglementer l’autorisation de la perquisition dans les bureaux d’avocats, mais simplement la façon dont s’effectue la perquisition.  La question dont nous sommes saisis est de savoir si cette tentative résiste à l’examen de la constitutionnalité.  Ce ne sont pas toutes les communications entre avocat et client qui sont protégées (Solosky, précité, p. 829).  Dans les litiges civils, par exemple, on produit des affidavits mentionnant les documents susceptibles d’être découverts autrement, mais au sujet desquels on revendique le privilège et qui sont donc à soustrait à la divulgation.

 

23                               Dans le cadre d’une enquête criminelle, le privilège prend une autre dimension.  Le détenteur du privilège fait face à l’État, qui est son « adversaire singulier », de sorte qu’il a besoin d’une multitude de droits garantis par la Constitution (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 994).  C’est surtout lorsqu’une personne est visée par une enquête criminelle que le besoin de la protection entière du privilège se fait sentir.  Il ne s’agit donc pas d’un principe théorique, mais de la question réelle de veiller à ce que le privilège procure la confidentialité qu’il promet.

 

24                               Il est essentiel de souligner ici que l’État ne peut avoir accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat.  On ne peut pas découvrir par la force ces renseignements ni en forcer la divulgation, et ils sont inadmissibles en cour.  Il s’agit du privilège du client, et l’avocat agit comme gardien, tenu par l’éthique de protéger les renseignements privilégiés appartenant à son client.  Par conséquent, il y a une règle de justice fondamentale voulant que tout renseignement privilégié obtenu par l’État sans le consentement de son détenteur est un renseignement auquel l’État n’a pas droit.

 

25                               C’est dans ce contexte que nous devons nous demander si le législateur a pris toutes les mesures nécessaires pour garantir qu’on n’obtienne pas volontairement ou involontairement des renseignements qui, du point de vue du droit constitutionnel, ne peuvent servir dans le cadre d’une enquête criminelle.

 


E.      Les lacunes constitutionnelles de l’art. 488.1 mentionnées dans les instances inférieures

 

26                               Comme je l’ai indiqué précédemment, les cours d’appel de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et de l’Ontario ont toutes conclu que la procédure prévue à l’art. 488.1 portait atteinte de manière inconstitutionnelle aux droits consacrés par l’art. 8  de la Charte .  En tirant cette conclusion, ces cours ont relevé plusieurs problèmes dans l’art. 488.1 qui, directement ou indirectement, compromettent l’intégrité du secret professionnel de l’avocat.

 

(1)  L’absence ou l’inaction de l’avocat

 

27                               Les cours d’instance inférieure ont toutes conclu que l’absence ou l’inaction de l’avocat pouvait entraîner la perte du privilège.  Selon le par. 488.1(2), la mise sous scellés ne s’applique que si « un avocat [. . .] prétend qu’un de ses clients, nommément désigné, jouit du privilège des communications entre client et avocat » (je souligne) en ce qui concerne les documents.  Si l’avocat n’est pas présent au moment et au lieu de la perquisition, les agents l’effectuant doivent lui donner une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège, conformément au par. 488.1(8).  En l’absence d’objection, ils peuvent saisir les documents et en examiner le contenu, ce qui entraîne la perte du privilège.  De même, il peut également y avoir perte du privilège si l’avocat est présent mais qu’il n’invoque pas le privilège pour quelque raison que ce soit (incompétence, maladie ou pure nervosité résultant de la perquisition dans son bureau).  Voir les arrêts précités suivants : Lavallee, par. 28 et 37; White, par. 21; Fink, par. 34; et Festing, par. 17.

 


(2)  Le nom des clients

 

28                               Les tribunaux ont également relevé un autre aspect attentatoire du par. 488.1(2), soit l’exigence que l’avocat nomme le client dont le privilège est menacé pour que soit enclenchée la mise sous scellés des documents de ce client.  Le nom de celui-ci peut fort bien être protégé par le secret professionnel de l’avocat, bien que cela ne soit pas toujours le cas.  Voir la décision Thorson c. Jones (1973), 38 D.L.R. (3d) 312 (C.S.C.-B.), et R. D. Manes et M. P. Silver, Solicitor-Client Privilege in Canadian Law (1993), p. 141.  Lorsque le nom du client constitue effectivement un renseignement privilégié, le par. 488.1(2) oblige l’avocat à choisir entre deux éléments privilégiés : le nom du client et les documents confidentiels visés par la perquisition.  Dans de tels cas, le par. 488.1(2) exige qu’un privilège soit sacrifié pour que l’autre puisse être préservé.  Voir les arrêts précités suivants : Lavallee, par. 50; White, par. 21; Fink, par. 39; Festing, par. 17, et Several Clients, par. 38.

 

(3)  L’absence d’avis au client

 

29                               Les cours d’instance inférieure ont également critiqué le fait que l’art. 488.1 ne garantit pas que tous les clients intéressés sont avisés lorsque leurs documents vont être remis aux enquêteurs.  En effet, la procédure ne prévoit pas l’obligation d’aviser les détenteurs du privilège.  Cette absence d’avis est particulièrement dramatique lorsque, comme je l’ai mentionné précédemment, l’avocat est absent ou n’intervient pas, ce qui prive irrémédiablement le client de la possibilité de faire valoir son privilège.  L’absence d’avis constitue la première étape d’une série de conséquences susceptibles de mener à la perte de la confidentialité des documents privilégiés.  Voir les arrêts précités suivants : Lavallee, par. 28-39; White, par. 21; Fink, par. 42; Festing, par. 17, et Several Clients, par. 38.


 

(4)  Les délais stricts

 

30                               Si on ne fait pas valoir le privilège au moment de la perquisition, pour quelque raison que ce soit, les enquêteurs et les poursuivants peuvent examiner les documents saisis.  Même si le privilège des communications entre client et avocat est invoqué au moment de la perquisition, il peut encore être perdu si le client ou l’avocat omet de présenter une requête demandant que soient « fix[és] une date [. . .] et un endroit, où sera décidée la question de savoir si le document doit être communiqué » dans un délai de 14 jours de la fouille, de la perquisition et de la saisie, comme le prévoit le sous-al. 488.1(3) a)(i) du Code criminel .  Dans Lavallee, le juge Côté a en outre fait remarquer au par. 41 que : [traduction] « Le délai apparent “de 14 jours” fixé au par. 488.1(3) est en réalité de seulement 10 ou 11 jours parce que cette disposition prévoit un avis de présentation de deux jours.  Compte tenu du par. 27(2)  de la Loi d’interprétation ,   L.R.C. 1985, ch. I-21 , cet avis aura pour effet d’éliminer au moins trois jours.  Comme l’avocat doit avoir une autorisation pour présenter une requête à la cour et que seul le client détient le privilège et peut présenter une telle requête, il se pourrait bien que  le délai de 10 ou 14 jours ne soit pas respecté. »  Les cours d’instance inférieure ont conclu que ce délai était déraisonnablement strict et impossible à respecter.  Cette rigidité procédurale est exacerbée par le fait que le délai ne peut être prorogé sans le consentement du ministère public.  Voir également les arrêts précités suivants : White, par. 21; Fink, par. 34; Festing, par. 17, et Several Clients, par. 38.

 

(5)  L’absence de pouvoir discrétionnaire

 


31                               Même dans les cas où on fait valoir le privilège à la première occasion, le Code prévoit que, si les procédures strictes exposées précédemment ne sont pas suivies, la cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire curatif de relever le détenteur du privilège de son défaut afin de préserver la confidentialité des renseignements qu’on prétend être privilégiés.  Cela signifie que si, dans un délai de 14 jours de la perquisition, on ne demande pas au tribunal de statuer sur la validité de l’objection fondée sur le privilège et si on ne peut pas obtenir le consentement du procureur général à ce que le délai soit prorogé, le juge n’a aucun pouvoir discrétionnaire en vertu du Code et il doit ordonner que les documents saisis et conservés sous scellés soient remis à la poursuite.  En vertu du par. 488.1(6), le « juge [. . .] doit ordonner » (je souligne) que les documents soient remis aux autorités chargées des poursuites.  Voir les arrêts précités suivants : White, par. 21, et Fink, par. 35.  Les cours ont également conclu, dans Festing et Several Clients, précités, que cet élément était particulièrement attentatoire.

 

(6)  L’accès du procureur général avant qu’une décision judiciaire soit rendue

 


32                               Enfin, certaines cours d’appel ont réprouvé le fait qu’en vertu de l’al. 488.1(4)b), le juge peut, s’il est d’avis que cela aidera la cour à rendre sa décision sur la question du privilège, permettre au procureur général d’examiner les documents.  Plusieurs tribunaux ont conclu que cette disposition avait pour effet de supprimer le  privilège avant même qu’une décision ne soit rendue quant à son existence.  Les tribunaux étaient d’avis que le ministère public n’avait pas besoin d’examiner les documents saisis pour présenter des observations utiles à leur égard et qu’on pouvait statuer sur la question du privilège sans permettre au procureur général d’avoir accès aux documents saisis.  En première instance, dans Festing, le juge Romilly a exprimé l’opinion suivante au par. 82 : [traduction] « je ne vois pas en quoi il est nécessaire en pratique de communiquer les documents à l’autorité poursuivante pour qu’une décision soit rendue sur le caractère privilégié.  Je suis conscient du fait qu’éventuellement quelqu’un devra voir les documents pour trancher la question.  Mais il n’est certainement pas nécessaire que cette personne soit l’autorité poursuivante » ((2000), 31 C.R. (5th) 203).  Voir également les arrêts précités suivants : Fink, par. 34; Festing (C.A.), par. 19, et Several Clients, par. 41.

 

33                               Les déficiences législatives susmentionnées portent atteinte au secret professionnel de l’avocat à un point excédant toute limite constitutionnelle tolérable, d’après les cours d’appel de la Colombie-Britannique (Festing, précité), de la Nouvelle‑Écosse (Several Clients, précité) et de l’Ontario (Fink, Claus et Piersanti, précités).  Elles ont donc toutes annulé l’art. 488.1  du Code criminel .  Bien qu’elle ait approuvé les motifs exposés dans Lavallee, selon lesquels l’art. 488.1 est inconstitutionnel, la Cour d’appel de Terre‑Neuve (White, précité) a finalement décidé  que cette disposition pouvait se justifier, en application des lignes directrices de la Cour dans Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, et des techniques de la dissociation et de l’interprétation large.  J’en dirai davantage sur la question de la réparation plus loin dans les présents motifs.

 

F.      L’article 488.1 viole l’art. 8  de la Charte 

 

34                               En l’espèce, il convient d’analyser les questions constitutionnelles selon l’art. 8  de la Charte  et il n’y a pas lieu d’entreprendre une analyse distincte fondée sur l’art. 7.  C’est ce que le juge Goudge a bien expliqué dans Fink, par. 15 :

 


[traduction]  Bien qu’une saisie effectuée par l’État au cours d’une enquête criminelle puisse se rapporter à l’art. 7 et bien que le privilège des communications entre client et avocat fasse partie des principes de justice fondamentale, je crois que l’art. 8 prévoit un cadre d’analyse suffisant.  Si la procédure prescrite par l’art. 488.1 donne lieu à une fouille, une perquisition ou une saisie raisonnable à l’égard des documents en la possession d’un avocat, elle est certainement conforme aux principes de justice fondamentale et vice versa.

 

35                               Si la procédure prévue à l’art. 488.1 donne lieu à une perquisition et à une saisie abusives, contrairement à l’art. 8  de la Charte , on ne peut donc pas dire que cette disposition respecte les principes de justice fondamentale consacrés à l’art. 7.  Voir également Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486.  Dans R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, par. 33, le juge Cory a déclaré que « [d]ans toute attaque fondée sur l’art. 8, il faut répondre à deux questions distinctes.  La première est de savoir si l’accusé pouvait raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée.  La seconde est de savoir si la perquisition constituait une atteinte abusive à ce droit à la vie privée ».  Le client a une attente raisonnable au respect du caractère privé de tous les documents en la possession de son avocat, lesquels constituent des renseignements dont l’avocat est tenu, sur le plan de l’éthique, de préserver la confidentialité, et son attente est du plus haut niveau lorsque ces documents sont protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat.  Ces principes ne sont pas contestés en l’espèce.  J’aborde donc immédiatement le deuxième volet de l’analyse relative à l’art. 8, à savoir le caractère raisonnable de l’atteinte par la loi aux droits à la vie privée du client.

 

36                               À ce stade-ci, il s’agit de déterminer si la procédure prévue à l’art. 488.1 donne lieu à la perquisition et à la saisie raisonnables de documents en la possession d’un avocat, y compris les documents susceptibles d’être privilégiés.  En effet, l’art. 8 protège uniquement contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.  En commentant le fait que l’art. 8  de la Charte  autorise les fouilles, les perquisitions et les saisies raisonnables, le juge Dickson a affirmé aux p. 159-160 :


 

Cette limitation du droit garanti par l’art. 8, qu’elle soit exprimée sous la forme négative, c’est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies « abusives », ou sous la forme positive comme le droit de s’attendre « raisonnablement » à la protection de la vie privée, indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi.

 

Depuis Hunter, la Cour s’est efforcée d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et les exigences de l’application de la loi.  Voir R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 665, et R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, 2001 CSC 83.  Il arrive cependant parfois que l’évaluation traditionnelle des intérêts en jeu dans une analyse relative à l’art. 8 soit inappropriée.  Comme il est déclaré dans R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, par. 86, « [l]e caractère approprié de l’évaluation dépend [. . .] de la nature des intérêts en jeu dans un contexte particulier et de la place qu’ils occupent dans nos traditions juridiques et politiques ».  Lorsque l’intérêt en jeu est le secret professionnel de l’avocat — principe de justice fondamentale et droit civil de la plus haute importance en droit canadien — l’exercice d’évaluation habituel susmentionné n’est pas particulièrement utile.  En effet, le privilège favorise non seulement le droit à la vie privée d’une personne susceptible d’être accusée, mais aussi le droit à ce que le processus d’application de la loi soit équitable et efficace.  En d’autres termes, bien compris, le privilège est une caractéristique positive de l’application de la loi, et non pas un obstacle à celle‑ci.  C’est ce que la Cour a souligné dans McClure, précité, où le juge Major, au nom de la Cour, a déclaré ceci aux par. 32 et 34-35 :

 

Le juge Cory réitère l’importance fondamentale du secret professionnel de l’avocat dans l’arrêt Jones, précité, par. 45 :

 


Le secret professionnel de l’avocat est considéré depuis longtemps comme étant d’une importance fondamentale pour notre système judiciaire.  Cette règle a été reconnue il y a plus de cent ans, dans Anderson c. Bank of British Columbia (1876), 2 Ch. D. 644 (C.A.), à la p. 649 :

 

[traduction]  L’objet et la teneur de la règle sont les suivants : comme, en raison de la complexité et des difficultés inhérentes à notre droit, les procès ne peuvent être correctement menés que par des professionnels, il est absolument nécessaire qu’un homme fasse appel à des avocats professionnels pour faire valoir ses droits ou se défendre contre une demande injustifiée [. . .] qu’il puisse, pour employer une expression populaire, tout avouer au professionnel qu’il consulte pour faire valoir sa demande ou pour se défendre [. . .], qu’il puisse placer toute sa confiance dans ce représentant professionnel et que les choses communiquées demeurent secrètes, sauf consentement de sa part (car il s’agit de son privilège et non de celui du mandataire qui reçoit l’information confidentielle), afin qu’il soit bien préparé à mener son procès.

 

                                                                   . . .

 

Malgré son importance, le secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu.  Il est assujetti à des exceptions dans certains cas.  Dans l’arrêt  Jones, précité, par. 51, le juge Cory a examiné si le privilège devait être supplanté afin d’assurer la sécurité du public :

 

De la même façon qu’aucun droit n’est absolu, aucun privilège ne l’est, y compris celui du secret professionnel de l’avocat qui souffre des exceptions bien définies.  La décision d’exclure des éléments de preuve qui seraient à la fois pertinents et d’une grande valeur probante parce qu’ils font l’objet du secret professionnel de l’avocat constitue une décision de principe qui est fondée sur l’importance que revêt ce privilège pour notre système judiciaire en général.  Dans certains cas, toutefois, d’autres valeurs sociales doivent avoir préséance.

 

Toutefois, le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent.  Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas. [Je souligne.]

 


En effet, le secret professionnel de l’avocat doit demeurer aussi absolu que possible pour conserver sa pertinence.  Par conséquent, je suis d’avis que la Cour est tenue d’adopter des normes rigoureuses pour assurer sa protection, ce qu’elle fait en qualifiant d’abusive toute disposition législative qui porte atteinte au secret professionnel plus que ce qui est absolument nécessaire.  En résumé, dans le cadre particulier des perquisitions dans des bureaux d’avocats visant des documents susceptibles d’être protégés par le secret professionnel de l’avocat, la procédure prévue à l’art. 488.1 résistera à l’examen de la Charte  si elle donne lieu à une « atteinte minimale » au secret professionnel de l’avocat.

 

37                               L’atteinte minimale constitue depuis longtemps la norme dont se sert la Cour pour mesurer le caractère raisonnable des atteintes au secret professionnel de l’avocat par l’État.  Récemment, dans Brown, précité, en définissant la portée de l’exception de « la démonstration de l’innocence de l’accusé » applicable au secret professionnel de l’avocat, la Cour a insisté pour que le juge ordonne « uniquement la production des communications nécessaires pour permettre à l’accusé, dont l’innocence est en jeu, de susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité » (par. 77).  Dans Jones, précité, la Cour a conclu au par. 77 que, même lorsque la sécurité publique est en jeu, une personne ou un groupe de personnes identifiables doivent être clairement exposées au danger imminent d’être gravement blessées ou d’être tuées pour qu’on puisse compromettre le secret professionnel de l’avocat.  Les juges majoritaires ont de plus conclu que « [l]a divulgation des communications protégées par le privilège doit en général être aussi limitée que possible » (par. 86).  Dissident sur un autre point, le juge Major a convenu au par. 28 que le « privilège du secret professionnel de l’avocat est un droit fondamental des Canadiens en common law. [. . .] Chaque fois qu’il est porté atteinte à ce droit fondamental, le principe de l’atteinte minimale doit être respecté ».  Comme je l’ai souligné auparavant dans les présents motifs au par. 20, la norme de l’atteinte minimale a aussi été appliquée dans Descôteaux, précité, où le juge Lamer a donné instruction aux juges de paix d’être « particulièrement exigeant[s] » lorsqu’ils décernent des mandats de perquisition visant des bureaux d’avocats, de manière à « limiter à ce qui est strictement inévitable l’atteinte au droit fondamental [le secret professionnel de l’avocat] » (p. 891).

 


38                               L’article 488.1 porte-t-il atteinte de façon plus que minimale au secret professionnel de l’avocat?  Je conclus que tel est le cas.

 

39                               Même si je considère qu’il est inutile de réexaminer les nombreuses déclarations de la Cour quant à la nature et à la primauté du secret professionnel de l’avocat en droit canadien, il est utile de répéter que le privilège appartient au client et que seul celui‑ci peut l’invoquer ou y renoncer, directement ou par consentement éclairé (arrêts Solosky, Descôteaux, Geffen, Jones, McClure et Benson, précités).  D’après moi, les lacunes de l’art. 488.1, mentionnées dans de nombreuses décisions judiciaires et décrites précédemment, ont toutes en commun une caractéristique dominante fatale, à savoir la violation potentielle du secret professionnel de l’avocat sans que le client n’en ait connaissance et encore moins qu’il y ait consenti.  Même si l’avocat compétent essaiera de joindre son client et qu’il invoquera vraisemblablement le privilège général dès le départ, l’État a l’obligation de veiller à ce que les droits du détenteur du privilège demeurent suffisamment protégés.  Le privilège ne prend pas effet seulement au moment où il est invoqué; il existe indépendamment de sa revendication.  Toutefois, selon l’art. 488.1, ce droit constitutionnel peut être violé du simple fait que l’avocat n’a pas agi, sans instructions en ce sens de la part de son client ou sans même qu’il y ait de communication avec lui.  Ainsi, l’article 488.1 permet la perte de la confidentialité des communications entre avocat et client sans l’autorisation explicite et éclairée du client et sans même que celui-ci ait la possibilité d’être entendu.

 


40                               Je souligne à cet égard que le par. 488.1(8), qui exige des enquêteurs qu’ils donnent aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège des communications entre client et avocat avant d’examiner ou de saisir des documents ou d’en faire des copies, prévoit seulement une objection « en vertu du paragraphe (2) ».  Il s’agit évidemment de l’objection que l’avocat est tenu de formuler au moment de la perquisition pour faire entrer en jeu les protections procédurales additionnelles de l’art. 488.1.  Par conséquent, en vertu de ce régime législatif, il faut fournir au gardien du privilège, mais pas à son détenteur, une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le secret professionnel de l’avocat pour préserver la confidentialité des renseignements privilégiés.  Cette obligation positive qui incombe à l’avocat déplace de l’État à l’avocat le fardeau de garantir que les droits protégés par la Charte  sont respectés.  Je tiens à souligner ici que je ne fais aucune supposition négative quant à la compétence, au professionnalisme et à l’intégrité des avocats.  Cependant, dans le cadre des perquisitions dans des bureaux d’avocats, on ne peut pas simplement tenir pour acquis que l’avocat est l’alter ego du client.  La relation entre l’avocat et le client peut avoir pris fin bien avant la perquisition, ce qui, naturellement, n’écarte pas l’obligation de loyauté de l’avocat envers le client.  Mais les perquisitions dans des bureaux d’avocats peuvent mettre les avocats en conflit d’intérêts avec leurs clients ou mettre en opposition leurs obligations permanentes à l’égard de plusieurs clients actuels et de plusieurs anciens clients.  Je ne peux pas voir comment, limité comme il l’est, le par. 488.1(8) peut rendre l’ensemble de ce régime raisonnable du point de vue constitutionnel alors qu’il ne traite pas directement du droit que le détenteur du privilège, le client, devrait avoir pour veiller à la protection adéquate de ses droits.  En effet, vu l’absence totale de disposition prévoyant l’obligation de donner avis sous le régime de l’art. 488.1, il se peut que le client ne sache même pas que son privilège est menacé.

 


41                               Dans les cas où il ne serait pas possible d’aviser les détenteurs de privilège potentiels qu’ils doivent faire valoir leur privilège pour empêcher l’État d’avoir accès à ces documents protégés, une intervention légale indépendante, par exemple sous forme d’avis et de participation du Barreau, contribuerait certainement beaucoup à l’octroi de la protection qui fait si cruellement défaut dans le régime actuel.  En effet, cette intervention est de pratique courante au Québec, et parfois ailleurs.  Pour une description détaillée de la pratique québécoise, voir Maranda c. Québec (Juge de la Cour du Québec) (2001), 47 C.R. (5th) 112 (C.A. Qué.), par. 34-38, demande d’autorisation de pourvoi accordée le 16 mai 2002, [2002] 2 R.C.S. vii.

 

42                               Je souligne de nouveau ici que l’adoption de l’art. 488.1 vise à respecter le privilège des communications entre client et avocat.  Toutefois, pour respecter les impératifs constitutionnels, la disposition doit faire en sorte, dans toute la mesure du possible, que soient réduites à leur minimum raisonnable les chances que l’État ait accès, au moyen d’un mandat de perquisition, à des renseignements privilégiés auxquels il n’a pas droit.  À mon avis, comme le droit de l’État d’obtenir ces renseignements est, en droit, conditionnel au consentement du détenteur du privilège, il faut que toutes les mesures nécessaires à la notification de cette personne ou d’un substitut convenable comme le Barreau soient mises en place pour que la disposition soit conforme à l’art. 8  de la Charte .

 


43                               Une autre lacune fatale du régime législatif actuel est, d’après moi, l’absence de pouvoir discrétionnaire du juge qui statue sur la validité de l’objection fondée sur le privilège.  Je ne m’inquiète pas indûment des délais apparemment stricts prescrits par le Code pour l’examen de cette question car j’estime que, bien interprétées, ces dispositions permettent au tribunal de relever une partie de son défaut de se conformer au délai légal, par exemple suivant un consentement, dans l’intérêt de la justice.  Je ne vois cependant pas comment on peut déceler un pouvoir discrétionnaire résiduel du juge au par. 488.1(6), qui confère au ministère public un droit d’accès aux documents saisis si on n’a fait aucune demande, ou si on n’a pas donné suite à celle‑ci, avec la célérité requise par les par. (2) et (3).  Le libellé de cette disposition est clair : le « juge [. . .] doit » ordonner la remise des documents à la poursuite.  À moins que le mot « doit » soit remplacé par le mot « peut » par voie de réparation constitutionnelle, point sur lequel je reviendrai plus loin, je ne vois pas comment, aux fins d’une saine interprétation des lois, on peut interpréter cette disposition comme comportant un certain pouvoir discrétionnaire judiciaire.  Encore une fois, selon la norme constitutionnelle du caractère raisonnable que renferme l’art. 8  de la Charte , on ne peut pas dire que cette communication obligatoire de renseignements potentiellement privilégiés porte atteinte le moins possible au privilège dans un cas où la cour a été mise au courant de la possibilité de l’existence de celui‑ci par la mise sous scellés des documents au moment  de la perquisition.  Cette communication obligatoire revient à faire prédominer de façon injustifiable la forme sur le fond et crée la possibilité réelle que l’État obtienne des renseignements qu’un tribunal peut fort bien reconnaître comme étant privilégiés.  À mon avis, la norme du caractère raisonnable dicte que les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire de décider si les documents saisis dans le bureau d’un avocat doivent demeurer inaccessibles à l’État en raison de leur caractère privilégié lorsque, dans les circonstances, il est dans l’intérêt de la justice qu’ils le demeurent.

 


44                               J’estime également que l’al. 488.1(4)b) porte atteinte de façon injustifiable au privilège, car il permet au procureur général d’examiner les documents saisis lorsque le juge des demandes est d’avis que cela l’aiderait à rendre sa décision sur leur caractère privilégié.  La Commission de réforme du droit du Canada a désapprouvé cet élément particulier de l’art. 488.1.  À cet égard, elle affirme : « en permettant au ministère public d’avoir accès [aux] communications [confidentielles], on risquerait de diminuer la confiance du public dans l’administration de la justice.  De plus, certains redoutent les abus possibles » (p. 68).  Voir Commission de réforme du droit du Canada, Rapport 24, Les fouilles, les perquisitions et les saisies (1984), Recommandation sept, p. 66.  Je suis d’accord.  Comme le juge Goudge l’a affirmé au par. 40 de ses motifs dans Fink, précité, [traduction] « Une telle disposition a pour effet d’éliminer complètement la protection conférée par le privilège même qui pourrait par la suite s’appliquer au document ».  Il convient de noter, toutefois, que même si l’aspect substantiel du privilège est irrémédiablement perdu par application de l’al. 488.1(4)b), la règle de preuve demeure inchangée et continue  à protéger les documents privilégiés en empêchant qu’ils soient présentés en preuve.  Voir Borden & Elliot, précité, p. 343.  Mais, à mon avis, et comme l’a reconnu le juge Southey dans cette affaire, [traduction] « [c]e serait vraiment une mince consolation » pour le détenteur du privilège que de savoir que la loi empêche la présentation en preuve de ses documents confidentiels alors que leur contenu a déjà été dévoilé à l’autorité poursuivante.  Enfin, à mon avis, le danger que des renseignements privilégiés soient communiqués à l’État au cours d’une enquête criminelle l’emporte largement sur tout avantage pour l’administration de la justice qui pourrait découler du fait que le ministère public serait en meilleure position pour aider la cour à statuer sur l’existence du privilège.  En outre, je ne peux pas comprendre la logique de l’argument selon lequel on peut être sûr que le ministère public n’utilisera pas les renseignements obtenus en vertu de cette disposition s’il est démontré par la suite que ceux‑ci sont effectivement privilégiés.  Si, comme cela aurait été le cas en vertu de cette disposition, l’examen des documents par le ministère public avait été entièrement légal, il est difficile de comprendre pourquoi ce dernier aurait dû ensuite se garder d’utiliser ces connaissances légalement acquises.  En fin de compte, cette disposition porte indûment atteinte au privilège et a une utilité limitée pour la détermination de son existence.

 


45                               En résumé, j’estime que l’art. 488.1 ne garantit pas aux clients une occasion raisonnable d’exercer leur prérogative constitutionnelle de faire valoir leur privilège ou d’y renoncer.  Loin de protéger la confidentialité des communications entre client et avocat, l’art. 488.1 entraîne la disparition du privilège en raison des failles de la procédure prescrite.  La perte automatique possible de la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives par l’application normale de la loi ne peut pas être raisonnable.  On ne peut pas non plus conférer à la disposition un caractère raisonnable du point de vue constitutionnel en se fondant sur la présomption que la poursuite se comportera de façon honorable et, par exemple, qu’elle demandera la révision visée par le par. 488.1(3) si le client et l’avocat ne l’ont pas fait ou qu’elle s’abstiendra d’exercer le droit d’examiner les documents scellés même si le juge chargé de la révision l’y autorise conformément à l’al. 488.1(4)b).  Comme le juge Cory l’a fait remarquer dans R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91, p. 103-104 : « Malheureusement, il semblerait que, chaque fois que le ministère public se voit accorder par la loi un pouvoir qui peut être utilisé de façon abusive, il le sera en effet à l’occasion.  La protection des droits fondamentaux ne devrait pas être fondée sur la confiance à l’égard du comportement exemplaire permanent du ministère public, chose qu’il n’est pas possible de surveiller ni de maîtriser. »  J’irais même jusqu’à ajouter que la constitutionnalité d’une disposition législative ne peut pas reposer sur l’attente que le ministère public s’abstienne de faire ce qu’il lui est permis de faire.

 


46                               Pour ces motifs, je conclus que l’art. 488.1 porte atteinte de façon plus que minimale au secret professionnel de l’avocat et qu’il équivaut donc à une fouille, à une perquisition et à une saisie abusives, contrairement à l’art. 8  de la Charte .  Les appelants n’ont présenté aucune observation sur la question de savoir si l’art. 488.1 pouvait être justifié par l’article premier de la Charte  dans l’hypothèse où on le jugerait  inconstitutionnel, comme je l’ai fait.  Bien que la Cour ait prévu la possibilité que des violations des art. 7 et 8 puissent être justifiées par l’article premier dans des cas exceptionnels, il ne s’agit clairement pas d’un tel cas en l’espèce.  Voir les arrêts suivants : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité; Hunter, précité, et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 78.  Voir également D. Stuart, Charter Justice in Canadian Criminal Law (3e éd. 2001), p. 24-25 et 245.  En particulier, si, comme en l’espèce, la violation de l’art. 8 est jugée constituer une atteinte injustifiable au droit à la vie privée protégé par cette disposition, toute autre chose à part, il est difficile de concevoir que cette violation puisse résister au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes.  Voir R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, p. 802-803.  Je conclus donc que l’art. 488.1 ne peut pas être justifié par l’article premier : bien que l’efficacité des enquêtes policières soit incontestablement une préoccupation de fond urgente, on ne peut pas dire que l’art. 488.1 prévoit des moyens proportionnés pour atteindre cet objectif dans la mesure où il porte atteinte au secret professionnel de l’avocat d’une façon plus que minimale.

 

V - La réparation

 

47                               Dans White, précité, la Cour d’appel de Terre-Neuve a conclu qu’on pouvait remédier aux lacunes constitutionnelles de l’art. 488.1 par une interprétation réparatrice de cette disposition, en recourant à des techniques comme la dissociation et l’interprétation large.  Par contre, dans Lavallee et Fink, précités, les cours d’appel ont jugé préférable de déclarer l’art. 488.1 inconstitutionnel et de ne pas reformuler la disposition contestée au motif que, étant donné les subtilités en cause, [traduction] « [i]l est préférable que le législateur ait la possibilité de démêler tout cela ».  (Lavallee, précité, par. 105)

 


48                               On peut remédier à certaines des lacunes procédurales de l’art. 488.1 par des méthodes comme la dissociation et l’interprétation large.  Par exemple, on pourrait dissocier l’al. 488.1(4)b) du reste de l’article, éliminant ainsi la disposition attentatoire qui permet au procureur général d’examiner des documents susceptibles d’être privilégiés.  On pourrait interpréter l’al. 488.1(3)a) comme comprenant, après les termes « dans un délai de quatorze jours » et « au plus tard vingt et un jours », l’expression « ou dans tout autre délai que la cour juge approprié ».  Toutefois, ces termes ne se situent pas au cœur du vice constitutionnel de la disposition.  Une reformulation judiciaire de la disposition ne peut pas aisément combler le besoin d’assurer que les détenteurs du privilège aient une occasion réelle de veiller à la protection de la confidentialité de leurs communications avec leurs avocats au moment où ils ont le plus besoin de la protection de la loi.  Cette reformulation ne peut pas non plus aisément combler le besoin d’assurer que les tribunaux jouissent de la souplesse et du pouvoir discrétionnaire nécessaires pour garantir qu’ils demeurent les protecteurs des droits constitutionnels et les gardiens de la loi.  D’après moi, la saisie de documents en la  possession d’un avocat est effectivement une question délicate comportant des choix de procédure qu’il incombe davantage au législateur de faire.  Ce processus exige également que les dispositions législatives soient rédigées avec soin.  On n’a pas demandé à la Cour de rédiger de nouveau l’art. 488.1, et je ne suis pas encline à le faire non plus.  J’estime plutôt qu’il convient de déclarer l’art. 488.1 inconstitutionnel et de l’annuler aux termes de l’art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  Comme le juge Côté l’a fait remarquer à bon droit dans Lavallee, précité, par. 105, [traduction] « [i]l y a certes plus d’une façon constitutionnelle de légiférer de manière à dissiper les craintes légitimes de la police ainsi que des avocats et de leurs clients relativement aux objections fondées sur le privilège formulées lors de perquisitions.  Le législateur doit pouvoir choisir la procédure qu’il estime la plus convenable ».  Toutefois, le législateur exercerait mieux, à mon avis, sa prérogative d’adopter de nouvelles dispositions dans ce domaine d’application du droit criminel s’il consultait davantage les personnes chargées de leur interprétation et de leur application ainsi que celles touchées par celles‑ci.


 

49             Entre‑temps, je formule les principes généraux régissant la légalité, en common law, des perquisitions dans des bureaux d’avocats jusqu’à ce que le législateur juge bon d’adopter de nouvelles dispositions législatives sur la question.  Ces principes généraux doivent aussi guider les choix législatifs que le législateur peut vouloir examiner à cet égard.  Comme celles qui ont été formulées dans Descôteaux, précité, les lignes directrices qui suivent visent à refléter les impératifs constitutionnels actuels en matière de protection du secret professionnel de l’avocat et à régir à la fois l’autorisation des perquisitions et la manière générale dont elles doivent être effectuées; à cet égard, cependant, elles ne visent pas à privilégier une méthode procédurale particulière en vue de respecter ces normes.  Enfin, je tiens à répéter que, si le législateur décide de nouveau d’adopter un régime procédural dont l’application se limite à la perquisition dans des bureaux d’avocats, les juges de paix auront, par voie de conséquence, l’obligation de protéger le secret professionnel de l’avocat en appliquant les principes suivants concernant la délivrance des mandats de perquisition :

 

1.               Aucun mandat de perquisition ne peut être décerné relativement à des documents reconnus comme étant protégés par le secret professionnel de l’avocat.

 

2.               Avant de perquisitionner dans un bureau d’avocats, les autorités chargées de l’enquête doivent convaincre le juge saisi de la demande de mandat qu’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable.

 


3.               Lorsqu’il permet la perquisition dans un bureau d’avocats, le juge saisi de la demande de mandat doit être rigoureusement exigeant, de manière à conférer la plus grande protection possible à la confidentialité des communications entre client et avocat.

 

4.               Sauf lorsque le mandat autorise expressément l’analyse, la copie et la saisie immédiates d’un document précis, tous les documents en la possession d’un avocat doivent être scellés avant d’être examinés ou de lui être enlevés.

 

5.               Il faut faire tous les efforts possibles pour communiquer avec l’avocat et le client au moment de l’exécution du mandat de perquisition.  Lorsque l’avocat ou le client ne peut être joint, on devrait permettre à un représentant du Barreau de superviser la mise sous scellés et la saisie des documents.

 

6.               L’enquêteur qui exécute le mandat doit rendre compte au juge de paix des efforts faits pour joindre tous les détenteurs potentiels du privilège, lesquels devraient ensuite avoir une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège et, si cette objection est contestée, de faire trancher la question par les tribunaux.

 

7.               S’il est impossible d’aviser les détenteurs potentiels du privilège, l’avocat qui a la garde des documents saisis, ou un autre avocat nommé par le Barreau ou par la cour, doit examiner les documents pour déterminer si le privilège devrait être invoqué et doit avoir une occasion raisonnable de faire valoir ce privilège.

 

8.               Le procureur général peut présenter des arguments sur la question du privilège, mais on ne devrait pas lui permettre d’examiner les documents à l’avance.  L’autorité poursuivante peut examiner les documents uniquement lorsqu’un juge conclut qu’ils ne sont pas privilégiés.


 

9.               Si les documents scellés sont jugés non privilégiés, ils peuvent être utilisés dans le cours normal de l’enquête.

 

10.           Si les documents sont jugés privilégiés, ils doivent être retournés immédiatement au détenteur du privilège ou à une personne désignée par la cour.

 

Le secret professionnel de l’avocat constitue une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu’un principe de justice fondamentale en droit canadien.  Même si le public a intérêt à ce que les enquêtes criminelles soient menées efficacement, il a tout autant intérêt à préserver l’intégrité de la relation avocat‑client.  Les communications confidentielles avec un avocat constituent un exercice important du droit à la vie privée et elles sont essentielles pour l’administration de la justice dans un système contradictoire.  Les atteintes au privilège injustifiées, voire involontaires, minent la confiance qu’a le public dans l’équité du système de justice criminelle.  C’est pourquoi il ne faut ménager aucun effort pour protéger la confidentialité de ces communications.

 

VI - Conclusion

 

50                               Je conclus que l’art. 488.1 viole l’art. 8  de la Charte  et qu’il doit être annulé.  Il ne peut pas être justifié par l’article premier.  En conséquence, je suis d’avis de rejeter les pourvois interjetés dans les affaires Lavallee et Fink, précitées.  Dans Fink, l’intimé devrait avoir droit aux dépens vu que le ministère était d’accord à cet égard.  Dans l’affaire White, précitée, j’accueillerais le pourvoi et j’annulerais l’arrêt de la Cour d’appel de Terre‑Neuve, dans lequel elle a réécrit la disposition contestée; je rejetterais le pourvoi incident.


 

51                               Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes :

 

1.    L’article 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , porte-t-il atteinte à l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

 

2.    Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte ?

 

Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

 

3.    L’article 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , porte-t-il atteinte à l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

Oui.

 

4.    Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte ?

 

Non.

 

Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel rendus par

 

Le juge LeBel (dissident en partie) —

 


I.       Introduction

 

52                               Je conviens avec ma collègue le juge Arbour que le rôle important des avocats dans les recours judiciaires — en tant qu’officiers de justice et en tant que conseillers juridiques — exige que le privilège des communications entre client et avocat soit strictement respecté.  Toutefois, je ne partage pas sa conclusion selon laquelle l’art. 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , est inconstitutionnel, conclusion qu’elle fonde sur une interprétation stricte de la loi et à partir du principe selon lequel les avocats ne rempliront pas les devoirs de leur profession avec diligence et compétence, comme l’exigent leurs codes de déontologie.  Sauf en ce qui concerne le par. 488.1(4), l’art. 488.1 peut s’interpréter d’une façon qui respecte les garanties constitutionnelles si on présume, comme devraient le faire les tribunaux, que les avocats s’acquitteront de leurs obligations envers leurs clients d’une manière qui reflète leur statut, parfois, d’officiers de justice et, toujours, de professionnels indépendants qui jouent un rôle‑clé dans le fonctionnement du système juridique canadien.  L’article 488.1 constitue une réponse bien ciblée sur le plan législatif aux arrêts de la Cour et à la nécessité de traiter les problèmes qui se posent lors des fouilles, perquisitions et saisies effectuées dans les cabinets d’avocats.  Il vise à protéger le privilège des communications entre client et avocat et non à le supprimer.  Il s’appuie sur les règles jurisprudentielles et législatives régissant la délivrance des mandats de perquisition.  Par conséquent, il ne contrevient ni à l’art. 7 ni à l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés .

 


53                               Comme le mentionne le juge Arbour dans ses motifs, les faits sont simples et n’exigent pas beaucoup d’interprétation.  Il n’y a donc pas lieu de les reprendre.  Par contre, les questions juridiques se sont avérées beaucoup plus problématiques.  D’abord, je traiterai des problèmes d’interprétation législative dans le contexte d’un litige constitutionnel.  J’examinerai ensuite le fondement juridique d’une conclusion d’inconstitutionnalité, compte tenu de la nature et de la fonction de la profession d’avocat dans la société canadienne.  Puis je passerai à l’étude des dispositions précises contestées dans les présents pourvois.  Cette analyse donnera lieu à un dispositif différent de celui proposé par le juge Arbour en l’espèce.

 

II.      Interprétation législative et litige constitutionnel

 

54                               Les techniques d’interprétation législative sont nombreuses, souvent subtiles et, parfois, elles entrent apparemment en conflit l’une avec l’autre.  Néanmoins, au fil des ans, ont émergé des règles importantes qui jouent un rôle majeur dans tout litige constitutionnel.  Celui qui interprète une loi en examine d’abord l’objet comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt bien connu et souvent cité Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 (voir également Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26).  Étant donné ce principe suprême, en cas d’ambiguïté, il cherche ensuite une interprétation qui va justifier la loi plutôt que la rendre inconstitutionnelle.  Cependant, si on ne peut trouver d’interprétation raisonnable qui s’harmonise avec l’objet et le libellé de la Loi, celle‑ci sera déclarée invalide.  Dans le cadre d’une telle analyse, les tribunaux doivent se rappeler que la constitutionnalité se présume et que l’invalidité doit être prouvée.  Toutefois, on ne peut pas créer artificiellement l’ambiguïté en vue de justifier une loi (voir Bell ExpressVu, par. 28).

 


55                               La règle selon laquelle il faut préférer, dans les cas où différentes interprétations législatives raisonnables demeurent plausibles, l’interprétation qui reconnaît la validité de la loi a été souvent réitérée.  Par exemple, dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a confirmé, à la p. 1078, la validité et la pertinence de cette règle dans le contexte d’un litige fondé sur la Charte  comme principe fondamental d’interprétation constitutionnelle :

 

Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte , elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d’une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte  et, de ce fait, inopérante.

 

56                               La Cour est restée fidèle à cette méthode d’interprétation dans les litiges constitutionnels.  Dans R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, le juge en chef McLachlin a ainsi fait remarquer, au par. 33, que cette méthode ajoute à l’interprétation fondée sur l’objet qui a été adoptée dans Rizzo :

 

Cette démarche est complétée par la présomption que le législateur a voulu adopter des dispositions conformes à la Charte   [. . .]  Lorsqu’une disposition législative peut être jugée inconstitutionnelle selon une interprétation et constitutionnelle selon une autre, cette dernière doit être retenue.

 

(Voir également Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, p. 1071‑1072, le juge en chef Lamer; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, p. 751, le juge Iacobucci; voir également D. Pinard, « Le principe d’interprétation issu de la présomption de constitutionnalité et la Charte canadienne des droits et libertés  » (1990), 35 R.D. McGill 305, p. 328.)

 


57                               Ainsi, la question de savoir si on a établi un manquement à la Charte , et plus particulièrement à l’art. 8, dépendra, en partie, de la teneur et du sens des dispositions législatives en cause.  Il faut examiner à leur tour la teneur et le sens dans le contexte législatif de ces dispositions afin de qualifier correctement l’art. 488.1  du Code criminel .

 

III.    La nature et l’objet de l’art. 488.1

 

58                               L’article 488.1 ne peut être étudié isolément.  Il traite, certes, de l’exécution de mandats de perquisition, mais leur délivrance est régie par l’art. 487 et les règles jurisprudentielles établies par la Cour, plus particulièrement dans Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860.  En bref, l’art. 487 exige l’autorisation d’un tribunal fondée sur des motifs raisonnables et probables.  Il se peut, parfois, qu’on se soit dit préoccupé par le soi-disant caractère routinier de ce processus et le manque corrélatif de contrôle réel, mais de telles préoccupations ne sont pas justifiées par le libellé de la disposition contestée et par la nature des obligations imposées au juge autorisant les mandats.  Comme dans le cas d’autres formes d’autorisation judiciaire de procédures d’enquête, il faut remplir ces obligations avec soin afin de maintenir des normes compatibles avec les principes énoncés dans la Charte  qui régissent les fouilles, perquisitions et saisies ou visent la violation du droit à la vie privée de la part de l’État.  (Voir, par exemple, R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, par. 29‑39.)

 


59                               Selon l’arrêt Descôteaux rendu par la Cour, il faut également que le juge saisi de la demande d’autorisation évalue lui‑même s’il est nécessaire de décerner un mandat.  Le demandeur doit prouver qu’il n’existe aucune autre solution de rechange raisonnable à la fouille ou perquisition.  Les mandats de perquisition et de saisie dans les cabinets d’avocats ne peuvent être décernés qu’après enquête sur les motifs et les solutions de rechange, étant donné l’extrême importance du privilège des communications entre client et avocat (Descôteaux, précité, p. 883‑884 et 890).  En plus de l’examen des motifs exposés par le demandeur, ces règles impliquent qu’à l’étape de l’autorisation, le juge devrait prendre soin d’enquêter sur la nature des documents visés par la perquisition et sur l’existence possible du secret professionnel.

 

60                               L’article 488.1, qui, comme le signale ma collègue, a été adopté en réponse à l’arrêt Descôteaux, intervient à l’étape suivante, après la délivrance du mandat.  Il vise à régir l’exécution du mandat et à traiter des problèmes découlant d’une fouille ou perquisition effectuée dans un environnement très particulier.  Cet article du Code criminel  n’abroge cependant pas les principes généraux régissant la délivrance de mandats de perquisition visant les cabinets d’avocats.  Ces principes continuent de faire partie du cadre juridique qu’il faut prendre en considération dans tout débat sur la constitutionnalité de l’art. 488.1 sous le régime de l’art. 8  de la Charte .

 

61                               Ce processus d’exécution est‑il imparfait au point qu’il faille le considérer comme abusif et invalide en vertu de l’art. 8?  Pour diverses raisons, les juges des tribunaux d’instance inférieure en ont conclu ainsi.  Ma collègue a examiné dans ses motifs les vices dont serait entachée cette procédure.  Les allégations peuvent se ramener à quelques propositions.  Premièrement, la procédure fixe des délais rigoureux dont le caractère irréaliste risque de mener à la perte du privilège.  Deuxièmement, les tribunaux ne possèdent aucun pouvoir discrétionnaire résiduel pour accorder une réparation, dans les cas où les objections fondées sur le privilège ne sont pas formulées en temps utile.  Par conséquent, la perte du privilège peut survenir par inaction de l’avocat sans que les tribunaux puissent contrôler ou arrêter la communication de renseignements confidentiels.  Troisièmement, l’obligation de « désigner nommément » le client pour soulever une objection fondée sur le privilège porterait elle‑même atteinte au privilège.  En dernier lieu, à tout cela s’ajoute la possibilité pour le ministère public d’avoir accès, en vertu du par. 488.1(4), aux documents saisis.


 

62                               À mon avis, de telles propositions dépeignent une procédure visant davantage à miner le privilège des communications entre client et avocat qu’à le protéger.  Ce n’est, en fait, pas le cas.  Il pourrait en être ainsi dans la mesure où nous ne tenons pas compte des garanties prévues dans le processus de délivrance des mandats de perquisition et de celles qui font partie de la procédure d’exécution à l’art. 488.1 lui‑même.  La reconnaissance de ces garanties inhérentes au processus exige une bonne compréhension du rôle des avocats dans la mise en œuvre des dispositions en cause et, peut‑être, plus généralement, de leur obligation, en tant que gardiens de notre système juridique, d’agir avec diligence et compétence.

 

A.     Les avocats et l’art. 488.1

 

63                               Je dois avouer que certains des arguments qu’on a soulevés pour contester la disposition en question me laissent à la fois perplexe, inquiet et incrédule.  En particulier, j’ai beaucoup de difficulté à accepter la conclusion d’inconstitutionnalité fondée sur l’hypothèse selon laquelle les avocats n’agiront pas avec diligence ou compétence.  Je pense depuis longtemps que les avocats appartiennent à une profession vibrante, active, peut‑être parfois trop énergique.  J’ai encore des barreaux canadiens la vision qu’ils représentent un corps d’avocats diligents et chevronnés, avec peut‑être quelques moutons noirs, ici et là, à éliminer de temps à autre.  Je garde l’espoir que, lors de la contestation des droits d’un client, présent ou passé, ils se montreront à la hauteur de la situation et feront ce qui doit être fait, en temps utile, avec diligence et compétence.  L’argument présenté maintenant exigerait en réalité que le législateur prévoie dans la législation pénale elle‑même des garanties contre la négligence, l’inattention, la lenteur à agir et le laisser‑aller dans la gestion et l’organisation.  Toute norme moindre porterait atteinte aux garanties pertinentes prévues par la Charte .


 

64                               Une conclusion d’inconstitutionnalité fondée sur l’hypothèse selon laquelle les avocats ne rempliront pas leurs devoirs avec diligence et compétence ne reflète pas l’importance que la jurisprudence de la Cour attache à la profession d’avocat et au rôle essentiel que ses membres sont censés jouer dans l’administration de la justice et le maintien de la règle de droit dans la société canadienne.  Les dispositions législatives telles que l’art. 488.1 doivent être interprétées compte tenu d’un tel contexte.

 

65                               Le rôle que les avocats jouent dans la société est tellement important qu’il a trouvé place dans la Constitution de notre pays.  Lors d’une arrestation, l’al. 10 b )  de la Charte  accorde à chacun le droit « d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ».  Le droit à l’assistance effective d’un avocat est considéré comme l’un des principes de justice fondamentale, comme le dit le juge Major dans R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, 2000 CSC 22, par. 24 :

 

Aujourd’hui, tout inculpé a droit à l’assistance effective d’un avocat.  Au Canada, ce droit est considéré comme un principe de justice fondamentale.  Il découle de l’évolution de la common law, du par. 650(3)  du Code criminel  canadien ainsi que de l’art. 7 et de l’al. 11 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés .

 

Les avocats sont considérés comme remplissant une fonction décisive dans l’administration de la justice.  On peut les qualifier à juste titre d’« officiers de justice », comme le mentionne le juge Gonthier dans Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45, par. 49 :

 

En ce sens, on ne saurait trop insister sur le rôle essentiel que l’avocat est appelé à jouer dans notre société.  L’avocat est un officier de justice.  Par son serment d’office, il affirme solennellement qu’il remplira les devoirs de sa profession avec honnêteté, fidélité et justice et qu’il se conformera aux diverses dispositions législatives qui régissent son exercice . . . 


66                               Quelques années auparavant dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, le juge McIntyre avait insisté, à la p. 187, sur le fait que le système juridique dépend de la profession d’avocat et de la compétence avec laquelle elle s’acquitte de ses devoirs envers ses clients, les tribunaux et la société :

 

Il est incontestable que la profession juridique joue un rôle très important et, en fait, un rôle d’une importance fondamentale dans l’administration de la justice tant en matière criminelle qu’en matière civile. [. . .] [J]e soulignerai qu’en l’absence d’une profession juridique indépendante, possédant l’expérience et les compétences nécessaires à l’exercice de son rôle dans l’administration de la justice et le processus judiciaire, le système juridique en entier serait dans un état précaire.

 

67                               Les provinces ont accordé de vastes pouvoirs aux barreaux afin de surveiller l’accès à la profession et à son exercice.  Ces pouvoirs visent essentiellement à maintenir la compétence des avocats et à faire en sorte que leur conduite reflète les normes élevées de déontologie que l’on attend d’eux.  (Voir Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67, par. 41‑42, le juge Gonthier.)

 


68                               De plus, que ce soit l’orgueil ou la faiblesse de notre procédure en matière civile et en matière criminelle, les tribunaux canadiens s’appuient sur un système accusatoire.  Un juge impartial et indépendant veille à la bonne marche du procès.  Il s’assure que le procès reste équitable et se déroule conformément aux lois pertinentes et aux principes de justice fondamentale.  Néanmoins, le fonctionnement du système se fonde sur la présence d’avocats adverses.  On s’attend à ce qu’ils avancent souvent des opinions nettement opposées.  Ils sont également chargés de présenter des éléments de preuve et des arguments au tribunal, dans un esprit de confrontation parfois vigoureuse.  Jusqu’à un certain point, lorsque l’équité et la légalité fondamentale du processus peuvent être en jeu, les tribunaux n’essayent pas de remettre en question les décisions tactiques des avocats, qui lieront habituellement leurs clients, pour le meilleur ou pour le pire (G.D.B., précité, par. 26-35, le juge Major).  Un barreau indépendant et compétent constitue depuis longtemps un élément essentiel de notre système juridique.  À cette fin, les avocats ont des droits et des privilèges, mais il en découle des obligations.  L’article 488.1 repose sur cette hypothèse.

 

B.      Le régime et l’application de l’art. 488.1

 

69                               Tel que mentionné ci‑dessus, le débat en l’espèce a surtout porté sur l’application de l’art. 8  de la Charte .  La Cour doit déterminer si le processus d’exécution établi par l’art. 488.1 devrait être considéré comme une forme de fouille, de perquisition et de saisie abusives au sens de l’art. 8 et des principes qui ont été énoncés depuis Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.  Si le processus est irrémédiablement vicié, ce n’est pas la confiance dans la bonne conduite et la retenue futures des poursuivants et des policiers qui le sauveront.  Par contre, si le régime légal est fiable et permet la protection des droits en jeu, la possibilité de concevoir un meilleur régime pour traiter des erreurs commises ou des actes inappropriés posés par l’État et ses mandataires ne rendra pas inconstitutionnelle la disposition en cause.  La source de l’inconstitutionnalité doit se trouver dans la loi même (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69, par. 70-73 et 82, le juge Binnie; par. 203-205, le juge Iacobucci (dissident en partie)).

 


70                               À mon avis, le ministère public n’essaie pas de justifier la loi en se fondant sur la promesse ou l’espoir que les mandataires de l’État effectueront les fouilles ou perquisitions avec soin et conformément aux valeurs constitutionnelles en jeu.  Il défend  plutôt l’idée que les avocats sont les gardiens du secret professionnel et de la confidentialité des communications avec leurs clients, présents ou passés.  La loi contestée, qui concerne à juste titre les perquisitions dans les cabinets d’avocats, établit une procédure en vertu de laquelle les avocats auront la possibilité, au nom et dans l’intérêt de leurs clients, de soulever une objection fondée sur le privilège.  Étant donné que la perquisition a lieu dans un cadre particulier, le problème principal est de savoir si, dans ces cas, la loi prévoit des procédures et des garanties adéquates.  Selon le ministère public, tout est en place pour permettre à l’avocat qui est au courant de ses obligations et des normes de déontologie de sa profession de soulever la question du privilège et de la confidentialité en temps utile.

 

71                               La loi ne déplace pas vers le barreau le fardeau de protection des droits garantis par la Charte .  Au contraire, elle établit un régime bien conçu, qui reconnaît l’existence du privilège professionnel en tant droit protégé par la Constitution.  Les dispositions du Code criminel  prévoient des garanties raisonnables et adéquates pour le protéger contre les fouilles, perquisitions et saisies illégales.  Ces dispositions, ainsi que d’autres dispositions sur d’autres droits garantis par la Constitution, ne deviennent pas inconstitutionnelles du simple fait que des juges ou des avocats risquent de mal les appliquer ou que l’avocat risque de ne pas les invoquer en temps utile ou de façon appropriée.  Il faut évaluer le régime législatif objectivement.  Dans ce contexte, étant donné la nature des garanties contenues dans les dispositions en cause, je suis d’accord pour dire que, tant que la société et les tribunaux peuvent supposer que les avocats agiront avec compétence et selon leur code de déontologie, la loi contestée accorde une protection adéquate au secret professionnel et aux droits des clients des cabinets d’avocats.  Cette loi satisfait donc aux normes constitutionnelles de l’art. 8 — tout comme ce serait le cas de celles de l’art. 7 si ce dernier était concerné — sauf en ce qui a trait au par. 488.1(4).  En adoptant la disposition contestée, le législateur a traité correctement des problèmes signalés par la Cour dans Descôteaux.

 


72                               Comme on l’a vu, la contestation de la validité de la loi repose sur quelques préoccupations.  D’abord, le délai pour soulever l’objection du secret professionnel est trop court et manque de souplesse.  Il peut y avoir perte de droits par inaction des avocats, les tribunaux n’ayant pas le pouvoir d’accorder réparation aux clients. Aucune disposition ne prévoit d’avis à l’intention des clients.  En outre, les avocats sont tenus de nommer leur client pour formuler une objection fondée sur le privilège.

 

73                               Ces préoccupations dépeignent un système qui fonctionne de façon mécanique, sans laisser de place à la souplesse ou au pouvoir discrétionnaire du tribunal.  Elles reflètent de plus une hypothèse sous‑jacente selon laquelle les avocats ne feront pas le nécessaire pour protéger les droits que la Charte  accorde à leur client durant une perquisition dans leurs bureaux.  Elles reposent sur ce qui équivaut à un argument selon lequel la loi devrait être rédigée non pas d’après ce qui devrait être le comportement normal des personnes impliquées dans le processus, comme les avocats, mais plutôt dans la perspective d’une omission systémique redoutée.

 

C.     Les délais

 


74                               Les avocats font face à de courts délais dans tout le processus judiciaire, y compris la formulation initiale de l’objection fondée sur le secret professionnel à l’égard de certains dossiers.  Ce n’est pas le seul cas de court délai en procédure civile ou pénale.  Les avocats sont au courant de telles contraintes et en tiennent compte dans l’organisation de l’exercice de leur profession.  De plus, l’image des avocats et de leur personnel qui attendent passivement pendant que les policiers fouillent dans les dossiers du cabinet, les saisissant et les emportant, semble pour le moins très hypothétique.  Même l’avocat le plus incompétent ou le clerc ou l’assistant d’un avocat le plus distrait ne confondraient pas avec le livreur de pizza une escouade de la G.R.C. ou de la Sûreté du Québec munie d’un mandat de perquisition et faisant irruption à l’accueil.  Dans tous les cabinets, petits ou grands, ce genre d’événement devrait mettre en éveil les intéressés et déclencher une certaine réaction. On devrait s’attendre à ce qu’un avocat raisonnablement compétent se rende compte qu’une question de privilège pourrait se poser, qu’il aurait besoin d’examiner une partie ou l’ensemble des dossiers recherchés par les policiers et qu’il devrait invoquer, au besoin, le secret professionnel.

 

75                               L’article 488.1 prévoit une procédure pour soulever immédiatement l’objection fondée sur le privilège.  Il impose également aux agents de police effectuant la saisie l’obligation de s’assurer que les parties intéressées aient une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège.  À cet égard, le par. 488.1(8) mentionne un principe clé qui devrait fournir des renseignements sur l’application et l’interprétation de la disposition en cause :

 

(8) Aucun fonctionnaire ne doit examiner ni saisir un document ou en faire des copies sans donner aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège des communications entre client et avocat en vertu du paragraphe (2).

 

Une fois l’objection formulée, le fonctionnaire qui effectue la saisie ne peut avoir accès aux documents.  Si les intéressés n’ont pas une bonne occasion d’invoquer le privilège, la saisie et l’utilisation future des documents peuvent être contestées au motif de leur illégalité et de leur caractère abusif.

 


76                               Pourvu qu’une objection soit formulée, le procureur général ou l’avocat au nom du client peut s’adresser à une cour pour que soit fixée une audience visant à décider  si les documents doivent être communiqués (par. 488.1(3)).  La requête doit être présentée dans les 14 jours à compter du moment où les documents sont mis sous garde.

 

77                               Il faut reconnaître que le délai est court.  Cependant, sa brièveté ne le rend pas inconstitutionnel.  Il n’existe pas de droit constitutionnel à la procrastination.  Les courts délais ne sont pas rares en procédure civile et en procédure pénale.  Ils semblent souvent nécessaires pour qu’il soit disposé de façon opportune et efficace des objections, quelle qu’en soit la nature.  Les avocats compétents connaissent bien ces délais; cela fait partie de leur travail de veiller à ces délais.  Donc, les avocats doivent être vigilants et prêts à agir rapidement lorsque l’expiration des délais paraît imminente.  Cela leur impose un fardeau, mais leur formation et leur code de déontologie les y ont préparés.  En outre, les procédures prévues à l’art. 488.1 se rapportent aux enquêtes criminelles dans lesquelles les intérêts de l’administration de la justice et de toutes les parties concernées militent en faveur d’un traitement rapide et efficace de l’affaire.  La  Charte elle‑même considère le délai indu comme étant déraisonnable, car l’al. 11b) accorde le droit constitutionnel d’être jugé dans un délai raisonnable.  Ce principe constitutionnel impose un lourd fardeau au ministère public dans la conduite des poursuites pénales : R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771.  Même s’il est court, le délai de 14 jours ne semble pas avoir été conçu comme un piège pour les avocats débordés de travail ou négligents, mais comme une contrainte procédurale visant à accélérer les choses et à les faire régler rapidement.  Cette disposition établit une procédure qui permet à l’avocat raisonnablement diligent et compétent de faire part au tribunal de ses craintes quant à une atteinte possible au privilège des communications entre client et avocat.

 


78                               Dans leur argumentation au sujet de la validité de l’art. 488.1, les parties ont beaucoup insisté sur la prétendue rigidité des délais et sur l’impossibilité pour l’avocat ou le client d’obtenir réparation si la requête n’est pas présentée dans les 14 jours.  Ma collègue semble être d’accord pour dire que cette préoccupation est surestimée.  Bien que l’art. 488.1 ne confère pas expressément le pouvoir de proroger le délai, la tendance de la jurisprudence à l’égard des délais ordinaires et des délais de prescription a été de reconnaître l’existence d’un vaste pouvoir des tribunaux d’accorder réparation ou de proroger les délais.  Selon les critères les plus rigoureux, la preuve de l’incapacité ou de l’impossibilité d’agir dans le délai mentionné a été considérée comme étant suffisante pour que soit accordée une prorogation ou une autre réparation appropriée.  Les considérations d’équité dans le processus restent déterminantes (Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, par. 66, le juge McLachlin (maintenant Juge en chef); M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6; Murphy c. Welsh, [1993] 2 R.C.S. 1069; Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549, par. 41; Sparham‑Souter c. Town and Country Developments (Essex) Ltd., [1976] Q.B. 858 (C.A.), p. 867; Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299).

 


79                               L’existence d’un tel pouvoir devrait dissiper toute crainte au sujet de l’absence d’avis aux clients et des difficultés auxquelles un avocat peut faire face lorsqu’il essaie de joindre un client dans ces circonstances.  D’abord, on doit remarquer que la procédure cible un professionnel qui est ou était le mandataire ou le conseiller d’un client.  De plus, l’identité du client et le lieu où il se trouve sont parfois mieux connus des avocats.  Dans un tel contexte, le fait de ne pas avoir prévu l’obligation de donner un avis au client n’équivaut pas à un vice.  La loi contestée prévoit simplement un mécanisme qui permettra que l’information se rende jusqu’au client si l’avocat s’acquitte de ses obligations professionnelles avec une diligence et une compétence raisonnables.  En outre, la procédure prévue à l’art. 488.1 demeure flexible.  Si l’avocat ne peut pas joindre le client dans les 14 jours ou craint pouvoir difficilement le faire, il peut le mentionner dans la requête et la cour peut accorder un report du délai et prévoir une forme spéciale d’avis ou de signification de la procédure.  En désespoir de cause, comme je l’ai déjà mentionné, les tribunaux peuvent relever l’avocat ou le client des conséquences de l’écoulement du  délai, dans les circonstances appropriées.

 

D.     L’identification du client

 

80                               Les parties qui contestent la constitutionnalité de l’art. 488.1 soutiennent que la procédure établie par la disposition en cause est également viciée parce qu’elle exige que l’avocat identifie le client par son nom, ce qui en soi porterait atteinte au privilège.  Comme l’a expliqué ma collègue, les noms des clients ne sont pas toujours protégés par le privilège.  Le privilège à l’égard du nom des clients semble constituer beaucoup plus une exception que la règle générale.  Dans les cas où l’identité même du client serait considérée comme protégée par le privilège, il faudrait se demander si le par. 488.1(2) exige réellement que l’avocat identifie le client.  C’est une interprétation possible.  Néanmoins, comme le procureur général de l’Ontario l’a exposé dans son mémoire, l’identification n’équivaut pas nécessairement à identifier par le nom.  Le nom utilisé peut ne pas être le véritable nom d’une personne ou son nom en entier.  La disposition contestée cherche à annuler les objections générales fondées sur le privilège.  Elle exige que les objections fondées sur le privilège soient soulevées à l’égard de dossiers et de clients précis, qui doivent être désignés de quelque façon.  Rien n’empêcherait l’avocat de déclarer que le client Z a droit à la protection de renseignements confidentiels en ce qui concerne le dossier X, pour des motifs exposés dans la requête.  Plus tard dans la  procédure, il incomberait à la cour de statuer sur la question de la confidentialité des noms et celle des mesures nécessaires pour la protéger.  En présence d’une interprétation adéquate et raisonnable, l’obligation d’identification ne porte atteinte à aucun droit constitutionnel protégé.

 


E.      Le pouvoir discrétionnaire du tribunal

 

81                               Dans leurs arguments d’ordre constitutionnel, certaines des parties ont insisté sur l’absence de pouvoir discrétionnaire du tribunal d’empêcher une atteinte au secret professionnel ou d’y apporter réparation.  Dans l’ensemble, le système prévoit pour le tribunal un important pouvoir discrétionnaire et d’intervention afin de contrôler ou d’empêcher la communication de renseignements confidentiels.

 

82                               Comme je l’ai déjà mentionné, l’art. 488.1 expose un ensemble de procédures pour l’exécution de mandats autorisés par un juge.  Avant la délivrance d’un mandat, il doit y avoir exercice d’un pouvoir discrétionnaire par un tribunal.  Ensuite, dans l’application même de l’art. 488.1, le fonctionnaire effectuant la saisie doit donner aux avocats une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège.  Cette obligation représente une exigence fondamentale qui imprègne l’application de l’article dans son ensemble.  Elle peut être soulevée à l’étape d’une requête présentée en vertu du par. (3).  De plus, le par. (8) interdit tout accès aux documents à moins que les intéressés aient eu l’occasion d’invoquer le privilège.  Lorsqu’il est saisi d’une requête sollicitant, en vertu du par. (6), la remise de documents au ministère public, le juge garde le pouvoir d’enquêter pour savoir si cette occasion a été donnée en vertu du par. (2).  Sans diminuer la portée et l’objet de cet article du Code criminel , une telle interprétation reconnaît que la bonne exécution de l’obligation imposée au fonctionnaire effectuant la saisie en vertu du par. (2) constitue une condition préalable à l’application de la procédure conçue pour donner au ministère public accès aux documents.

 


83                               On pourrait concevoir des procédures meilleures ou différentes.  Au point où en sont les choses, à l’exception du par. (4), l’art. 488.1 pris dans son ensemble est conforme à l’art. 8  de la Charte .  Il ne permet pas les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.  Il ne contrevient certainement pas aux principes de justice fondamentale au sens de l’art. 7  de la Charte .

 

84                               Néanmoins, je conviens avec le juge Arbour que le par. (4) est inconstitutionnel.  Même s’il a peut‑être été adopté avec les meilleures intentions et malgré la déclaration de l’intention d’aider la cour, ce paragraphe peut mener à des communications prématurées et injustifiées de renseignements confidentiels.  Il devrait être abrogé et supprimé de l’article, sans que cela désorganise le régime général de la procédure, qui reste valide, à mon avis.

 

IV.    Conclusion

 

85                               Pour ces motifs, je conclus à la validité de l’art. 488.1, sauf en ce qui a trait au par. (4).  Je suis donc d’avis d’accueillir les pourvois en partie dans les affaires Lavallee et Fink.  Dans l’affaire White, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’accueillir le pourvoi incident en partie.

 

86                               Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes :

 

1.    L’article 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , porte-t-il atteinte à l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

Réponse : Non.

 

2.    Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte ?

 

Réponse : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.


3.    L’article 488.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , porte-t-il atteinte à l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

Réponse : Non, à l’exception du par. (4).

 

4.    Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte ?

 

Réponse : Non, pour ce qui est du par. (4); il n’est pas nécessaire de répondre pour ce qui est des autres paragraphes de l’art. 488.1.

 

Pourvoi (Lavallee, Rackel & Heinz c. Canada (Procureur général)) rejeté, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents en partie.

 

Pourvoi (White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général)) accueilli,  les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents.  Pourvoi incident rejeté, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont dissidents en partie.

 

Pourvoi (R. c. Fink) rejeté, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel sont  dissidents en partie.

 

Procureur de l’appelante Sa Majesté la Reine, de l’intimé/appelant au pourvoi incident et de l’intervenant le procureur général du Canada : Le ministère de la Justice, Ottawa.

 


Procureurs des intimés Lavallee, Rackel & Heintz : Singleton Urquhart, Vancouver.

 

Procureurs des appelants/intimés au pourvoi incident White, Ottenheimer & Baker : Benson Myles, St. John’s.

 

Procureur de l’appelante Sa Majesté la Reine et de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

 

Procureurs de l’intimé Fink : Falconer Charney Macklin, Toronto; Aaron Harnet, Toronto.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Le procureur général du Québec, Ste-Foy. 

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Le procureur général de l’Alberta, Calgary.

 

Procureur de l’intervenante la Law Society of Alberta : La Law Society of Alberta, Calgary.

 

Procureurs de l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Beaton, Derrick & Ring, Halifax.

 

Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : McCarthy Tétrault, Calgary.

 



* Affaires renvoyées à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique le 10 octobre 2002.

 

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