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Cour suprême du Canada

Procédure civile—Autorisation d’exercice du recours collectif—Apparence de droit—Sens de l’expression «paraissent justifier»—Obligations du voiturier—Interpellation judiciaire et mise en demeure—Code de procédure civile, art. 752, 847, 1002, 1003 b)—Code civil, art. 1067, 1673.

Suite à une grève des chauffeurs d’autobus de l’intimée, l’appelant, au nom des détenteurs de laissez-passer, demanda l’autorisation d’exercer un recours collectif contre l’intimée, en remboursement d’une partie du prix des laissez-passer et en dommages‑intérêts. La Cour supérieure a accueilli la requête, mais la Cour d’appel a infirmé ce jugement.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Il s’agit essentiellement de déterminer si aux termes de l’al. b) de l’art. 1003 du Code de procédure, le tribunal pour autoriser l’exercice du recours collectif doit se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions en regard des faits allégués, ou s’il suffit que les allégués justifient les conclusions prima facie ou dévoilent une apparence de droit. Il n’y a pas lieu d’appliquer à l’expression «les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées» de l’al. 1003b), le sens de l’expression «les faits allégués justifient les conclusions recherchées», contenue à l’art. 847, relatif au recours en évocation, les mots «paraissent justifier» et «justifient» ne pouvant avoir la même portée. L’expression «paraissent justifier» signifie qu’il doit y avoir aux yeux du juge une apparence sérieuse de droit pour qu’il autorise le recours, sans pour autant qu’il ait à se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions en regard des faits allégués.

Par ailleurs, il existe une obligation légale de l’intimée envers les usagers, obligation qui ne découle pas de la loi organique de l’intimée, mais qui prend sa source dans l’obligation de transporter imposée à tous les voituriers publics par l’art. 1673 du Code civil; de même, la mention, dans le Manuel de l’abonné, que «le laissez-

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passer n’est pas remboursable», ne signifie pas, à sa face même, que son détenteur est privé du droit de réclamer une compensation monétaire. Enfin, le défaut par l’appelant de mettre l’intimée en demeure ne peut être retenu, puisque, de par les termes de l’art. 1067 C.c., l’interpellation en justice constitue une mise en demeure.

Jurisprudence: François Nolin Ltée c. Commission des Relations de Travail du Québec et François Asselin, [1968] R.C.S. 168; Pérusse et Papa c. Les Commissaires d’écoles de St‑Léonard de Port-Maurice, [1970] C.A. 324; Bélanger c. The Montreal Water and Power Company (1914), 50 R.C.S. 356; Dufresne c. Forest, [1976] C.A. 416.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1], infirmant un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli.

Jacques Larochelle et Mario Bouchard, pour l’appelant.

Denis Houle, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE CHOUINARD—Ce litige a trait au recours collectif prévu aux art. 999 et suivants du Code de procédure civile, adoptés en 1978 et entrés en vigueur le 19 janvier 1979.

Au matin du 29 janvier 1979, les chauffeurs d’autobus de l’intimée se mettent en grève et le service de transport en commun de la Communauté urbaine de Québec est paralysé.

Le surlendemain, soit le 31 janvier, l’appelant fait signifier à l’intimée une requête pour être nommé représentant des détenteurs de laissez-passer pour le mois de janvier 1979 et autorisé à intenter contre l’intimée un recours collectif visant à obtenir le remboursement d’une partie du prix du laissez-passer et des dommages-intérêts. Quelques jours plus tard, l’appelant substitue à sa requête originale une requête amendée qui entre autres limite la demande de remboursement aux 3 jours de janvier durant lesquels le service n’a pas été dispensé.

Avec l’autorisation du juge, conformément à la règle 53 des Règles de pratique de la Cour supé-

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rieure, l’intimée a contesté par écrit la requête de l’appelant. Appliquant la règle 55 des Règles de pratique, le juge n’a permis aucune autre preuve et a disposé de la requête sur la foi des documents et affidavits soumis par les parties.

Par jugement du 13 mars 1979, le juge de la Cour supérieure a accueilli la requête de l’appelant et autorisé le recours collectif.

Par un arrêt unanime[2], la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure, d’où le présent pourvoi pris avec l’autorisation de cette Cour.

Le débat porte sur l’al. b) de l’art. 1003 C.p.c. Pour une meilleure compréhension il convient de reproduire en entier les art. 1002 et 1003.

1002. Un membre ne peut exercer le recours collectif qu’avec l’autorisation préalable du tribunal, obtenue sur requête.

La requête énonce les faits qui y donnent ouverture, indique la nature des recours pour lesquels l’autorisation est demandée et décrit le groupe pour le compte duquel le membre entend agir; ses allégations sont appuyées d’un affidavit. Elle est accompagnée d’un avis d’au moins dix jours de la date de sa présentation et signifiée à celui contre qui le requérant entend exercer le recours collectif.

1003. Le tribunal autorise l’exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:

a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des articles 59 ou 67; et que

d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

Il s’agit essentiellement de déterminer si aux termes de l’al. b) de l’art. 1003, le tribunal pour autoriser l’exercice du recours collectif doit prononcer le bien-fondé en droit des conclusions en regard des faits allégués, ou s’il suffit que les allégués justifient les conclusions prima facie ou dévoilent une apparence de droit. C’est selon l’ex-

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pression de l’un des procureurs, le point tournant de l’affaire.

La Cour d’appel a décidé en premier lieu que pour autoriser le recours, le tribunal doit statuer sur le droit et déterminer que les faits justifient les conclusions recherchées. Procédant ensuite à faire cette détermination, la cour, pour les trois motifs sur lesquels je reviendrai plus loin, a conclu dans la négative et a rejeté la requête de l’appelant. Le juge Bélanger écrit au nom de la cour:

Il faut donc conclure que les abonnés n’ont pas droit au remboursement du prix des laissez-passer, non plus qu’à des dommages-intérêts, de sorte que les faits allégués dans la requête ne donnent aucunement ouverture aux conclusions formulées.

La Cour d’appel a fait un rapprochement entre l’al. b) de l’art. 1003 et l’art. 847 C.p.c. qui régit l’autorisation d’exercer un recours en évocation. Les deux premiers alinéas de l’art. 847 se lisent comme suit:

847. La requête demandant l’autorisation d’exercer le recours prévu au présent chapitre doit être signifiée au juge ou au fonctionnaire qui a été saisi de l’affaire, ainsi qu’aux parties, avec avis de la date et du lieu où elle sera présentée.

Le juge à qui la requête est présentée ne peut autoriser la délivrance du bref d’assignation que s’il est d’avis que les faits allégués justifient les conclusions recherchées.

A propos de cet article, le juge Pigeon écrit au nom de cette Cour dans François Nolin Liée c. Commission des Relations de Travail du Québec et François Asselin[3], à la p. 170:

Il convient tout d’abord de faire observer que par l’art. 847 du nouveau Code de procédure civile, on a consacré législativement la règle formulée dans Ville de Montréal c. Benjamin News, [1965] B.R. 376, à l’effet qu’avant d’autoriser la délivrance d’un bref de prohibition le juge doit statuer sur le droit. Il ne suffit pas qu’il lui paraisse que les prétentions du requérant sont soutenables, il faut qu’il en vienne à la conclusion ferme qu’elles sont, à son avis, bien fondées en droit en regard des faits allégués. Et pour qu’on ne puisse obtenir la délivrance du bref par des allégations fantaisistes, le nouveau Code a permis de contre-interroger le requérant sur son affidavit (art. 93).

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Dans le cas d’une injonction interlocutoire, le Code de procédure n’est pas aussi exigeant et une apparence de droit sera suffisante. Ceci découle du deuxième alinéa de l’art. 752:

752.

L’injonction interlocutoire peut être accordée lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit et qu’elle est jugée nécessaire pour empêcher que ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace.

La Cour d’appel a eu l’occasion d’interpréter cette disposition, notamment dans l’arrêt Pérusse et Papa c. Les Commissaires d’écoles de St-Léonard de Port-Maurice[4], où le juge Brossard s’exprimait ainsi aux pp. 329 et 330:

Le juge auquel elle est demandée ne peut, soit pour l’accorder, soit pour la refuser, donner à la preuve qui lui est présentée, à ce stade, l’effet d’une preuve finale offerte pour adjudication sur le mérite de l’action; il lui suffit de l’apprécier de façon à être en mesure de décider si le requérant paraît ou ne paraît pas avoir un droit sérieux et valable à faire valoir; quant au droit, c’est sur une apparence sérieuse du droit du requérant à obtenir que le poursuivi s’abstienne ou cesse de faire une opération déterminée, et quant aux conséquences de l’octroi ou du refus de l’injonction, c’est sur la probabilité sérieuse que, dans un sens ou dans l’autre, il se produira un état de fait ou de droit auquel le jugement final ne pourra remédier, que le juge doit se guider pour rendre sa décision interlocutoire.

Le juge Bélanger, dans le cas sous étude, trouvant plus approprié un rapprochement avec l’art. 847 comme je l’ai mentionné, écrit:

Pour le recours collectif, l’article 1003 C.P.C. permet l’autorisation si le tribunal «est d’avis que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées»; quant au recours en évocation, en vertu de l’article 847 C.P.C., le juge peut l’autoriser «s’il est d’avis que les faits allégués justifient les conclusions recherchées». Le texte du premier article se rapproche beaucoup plus de celui du deuxième que de celui de l’article 752 C.P.C. se rapportant à l’injonction interlocutoire. D’après la jurisprudence, en matière d’évocation, le juge doit s’être formé une opinion ferme sur les conclusions juridiques, tenant les faits pour avérés. Le moins qu’on puisse dire, quant au recours collectif, c’est que le tribunal ne doit pas éprouver de doute sur les conclusions juridiques.

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Alors qu’en matière d’injonction interlocutoire une preuve «prima facie» des faits doit être faite, sur l’autorisation du recours collectif les faits sont pris pour avérés comme en matière d’évocation.

Avec respect, je ne puis partager cet avis. Il ne fait pas de doute que la tournure de phrase de l’art. 752 n’est pas la même, mais même si on écarte toute comparaison avec cet article il n’en reste pas moins une différence essentielle entre la disposition de l’al. b) de l’art. 1003 et celle de l’art. 847.

Les mots «paraissent justifier» et «justifient» ne peuvent avoir la même portée à moins que dans la première expression l’on ne tienne pas compte de la présence du verbe paraître. Et c’est ici que le renvoi au passage cité de l’opinion du juge Brossard dans l’arrêt St-Léonard, précité, est utile sur le sens à donner au verbe paraître qui sied à mon avis tout aussi bien dans le contexte de l’art. 1003. Le législateur a voulu que le tribunal écarte d’emblée tout recours frivole ou manifestement mal fondé et n’autorise que ceux où les faits allégués dévoilent une apparence sérieuse de droit.

Je conclus donc que l’expression «paraissent justifier» signifie qu’il doit y avoir aux yeux du juge une apparence sérieuse de droit pour qu’il autorise le recours, sans pour autant qu’il ait à se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions en regard des faits allégués.

Ceci toutefois ne suffit pas pour disposer du présent pourvoi. La Cour d’appel en effet est allée plus loin et a décidé que l’appelant n’avait aucun droit à un remboursement non plus qu’à des dommages-intérêts et cela pour trois motifs qu’il est nécessaire d’examiner.

Le premier motif est qu’il n’y a pas d’obligation légale de l’intimée envers les usagers, mais que l’obligation qui naît du droit d’exploitation accordé par la loi à l’intimée est envers la Communauté urbaine de Québec. En outre, l’intimée «n’a aucunement assumé une obligation contractuelle envers les usagers de laissez-passer d’assurer leur transport.»

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Quant à l’obligation légale, le juge Bélanger signale qu’il n’a trouvé dans la loi organique de l’appelante aucune disposition lui créant une obligation envers les usagers possibles de son réseau, détenteurs ou non de billets, de tenir à leur disposition en tout temps ses autobus. Il poursuit:

… En vertu de la dite loi, 1969 Lois du Québec ch. 83 et amendements, l’objet de l’appelante est d’exploiter un réseau général de transport en commun (art. 211); c’est elle qui a autorité, avec l’approbation préalable du conseil, d’établir, modifier, abolir et remplacer des circuits d’autobus (art. 235), d’établir des tarifs selon les moyens de transport ou les catégories d’usagers (art. 237).

A mon sens, l’obligation qui naît du droit d’exploitation accordé par la loi à l’appelante ne peut être que légale et c’est envers la Communauté urbaine de Québec qu’elle existe.

Puis il cite les arrêts suivants: Bélanger c. The Montreal Water and Power Company[5] et Dufresne c. Forest[6].

Dans le premier arrêt, il s’agissait d’une réclamation par un propriétaire dont l’immeuble avait été détruit par le feu, dirigée contre l’entreprise chargée par contrat avec la municipalité d’exploiter un service d’aqueduc, y compris des bouches d’incendie, et d’y maintenir en tout temps une pression déterminée. Le propriétaire soutenait que l’incendie avait été aggravé du fait que la pression de l’eau était considérablement inférieure à celle stipulée. Cette Cour a rejeté le pourvoi pour les motifs qu’il n’y avait pas de relation contractuelle entre le propriétaire et l’entreprise et que le contrat ne contenait aucune stipulation conférant aux contribuables un droit d’action contre l’entreprise au cas de violation des dispositions relatives à la protection contre l’incendie.

Dans Dufresne c. Forest, précité, il s’agissait d’une action d’un automobiliste contre un entrepreneur chargé de l’entretien des chemins d’hiver par contrat avec la municipalité. Le contrat liait l’entrepreneur envers la municipalité, mais non envers les contribuables individuellement.

La situation est bien différente ici. Si la loi organique de l’intimée ne lui crée pas «une obligation envers les usagers possibles de son réseau,

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détenteurs ou non de billets, de tenir à leur disposition en tout temps ses autobus», il n’en existe pas moins une obligation légale envers les usagers, soit l’obligation de transporter imposée à tous les voituriers publics par l’art. 1673 C.c.:

1673. Ils sont tenus de recevoir et transporter aux temps marqués dans les avis publics toute personne qui demande passage, si le transport des voyageurs fait partie de leur trafic accoutumé, et tous effets qu’on leur offre à transporter; à moins que dans l’un ou l’autre cas il n’y ait cause raisonnable et suffisante de refus.

Dans un article intitulé «Réflexions sur le fondement juridique de la responsabilité civile du transporteur de personnes», (1960-61) 7 McGill L.J. 225, le professeur Paul A. Crépeau écrit à la p. 236:

Si on examine attentivement les articles 1672 et s. du Code civil, relativement aux obligations du transporteur de personnes, on se rend compte que le législateur québecois n’impose d’obligation qu’au voiturier «public» et ne lui impose qu’une seule obligation: celle de transporter.

Les voituriers, lit-on, en effet, à l’article 1673 du Code civil:

«sont tenus de recevoir et transporter aux temps marqués dans les avis publics toute personne qui demande passage, si le transport des voyageurs fait partie de leur trafic accoutumé…»

Le voiturier doit donc, sauf cause raisonnable, transporter les voyageurs qui se présentent. Et il est certain que le voiturier qui laisserait ses voyageurs sur le quai ou les abandonnerait en cours de route, engagerait sa responsabilité contractuelle.

L’article 1673 ne crée pas une obligation absolue privant l’intimée de toute défense et je ne me prononce pas sur le fond, mais il crée un rapport entre les usagers et l’intimée dont l’obligation n’est plus uniquement envers la Communauté urbaine de Québec.

Commentant l’art. 1673, Faribault dans le Traité de Droit civil du Québec, t. 12, écrit aux pp. 375 et 376:

En principe, les voituriers de métier ne sont pas libres de refuser le transport des personnes ou des choses qui leur sont offertes.

Malgré cette obligation qui est imposée au voiturier, un véritable contrat consensuel est formé entre lui et son client par l’achat et la vente d’un billet de passage s’il

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s’agit du transport des personnes, ou par la remise qui lui est faite des choses offertes dans le cas du transport des choses.

Lorsqu’il s’agit du transport des personnes, rien n’empêche le voiturier de vendre ses billets ou de réserver les places à l’avance. Le contrat est alors formé par cette vente ou cette réserve, et le voiturier est tenu de remplir son obligation si le voyageur se présente, au temps spécifié, pour occuper le siège qu’il a ainsi acheté ou réservé.

Dans l’espèce, le rapport contractuel direct entre les détenteurs de laissez-passer et l’intimée apparaît au laissez-passer qui porte notamment:

I—DROITS—Sujet aux conditions et restrictions ci-après décrites, ce laissez-passer donne droit à son détenteur d’utiliser en tout temps et sur tout parcours régulier le service de transport en commun de la CTCUQ, sur le territoire des municipalités de l’annexe B (Loi de la C.U.Q.).

Dans les motifs à l’appui de l’arrêt de la Cour d’appel on peut lire:

A mon avis, la seule obligation contractuelle qui est née de l’émission des laissez-passer est celle d’accepter leurs détenteurs sans frais additionnels, sur présentation de la carte, sur tous les parcours réguliers de son réseau de transport alors en opération; l’appelante ne s’est aucunement obligée envers les usagers au fonctionnement des circuits pendant la durée du document; elle n’a aucunement assumé une obligation contractuelle envers les usagers de laissez-passer d’assurer leur transport. Dans les circonstances de l’espèce, ceux-ci n’ont droit à aucun remboursement ni à aucune indemnité sous forme de dommages-intérêts.

Est-ce à dire que l’intimée qui a perçu le prix des laissez-passer pourrait impunément s’abstenir de dispenser des services sans justification ni excuse? Le passage cité ne peut signifier cela et eu égard au rapport décrit plus haut entre l’intimée et les détenteurs de laissez-passer, je ne crois pas que l’on puisse dire au stade de l’autorisation d’exercer le recours que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées.

Le second motif de droit retenu par la Cour d’appel est que le laissez-passer n’est pas remboursable et que:

… le lien contractuel établi entre l’appelante et les détenteurs de laissez-passer prévoit l’éventualité d’une

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grève qui interromprait ses services; à ce moment, c’est à un crédit, couvrant la période durant laquelle le service a été interrompu, que les abonnés ont droit. La clause précédente confirme que le laissez-passer n’est pas remboursable. Ce n’est donc pas d’un paiement qu’il s’agit, mais bien d’une créance pour du transport à être fourni postérieurement.

Ce motif est fondé sur l’extrait suivant du Manuel de l’abonné:

REMBOURSEMENT
Le laissez-passer n’est pas remboursable.
CREDIT

Dans le cas où une grève interromprait ses services, la CTCUQ s’engage à accorder un crédit aux abonnés détenteurs d’un laissez-passer couvrant la période durant laquelle le service aura été interrompu. La CTCUQ diffusera des indications pertinentes en temps opportun.

Le Manuel de l’abonné est une publication de l’intimée destinée à expliquer à l’abonné ses privilèges, droits et obligations. Outre qu’il n’apparaît pas du dossier et qu’à l’audition il n’a pas été possible au procureur de l’intimée d’indiquer comment ou par quelles circonstances ce document aurait pris effet entre les parties pour régir leurs relations contractuelles, je ne crois pas qu’à sa face même la mention que «le laissez-passer n’est pas remboursable» ait le sens qu’on lui a donné.

Que le laissez-passer ne soit pas remboursable signifie vraisemblablement que le détenteur ne peut à son gré le retourner et se faire rembourser tout ou partie du prix. Il faudrait cependant, à mon avis, une clause beaucoup plus claire pour conclure que le détenteur est privé du droit de réclamer une compensation monétaire au cas de défaut par l’intimée de fournir les services dont elle a reçu le prix.

Quant au sens du mot «crédit» on trouve dans Le Petit Robert la définition suivante: «Opération par laquelle une personne met une somme d’argent à la disposition d’une autre; par ext. Cette somme.»

Il en ressort que si le crédit peut prendre la forme, d’une créance pour du transport à être fourni postérieurement, il peut aussi prendre la forme d’une somme à payer.

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C’est d’ailleurs l’interprétation qu’en a elle-même donnée l’intimée. Ainsi, en deux occasions où le service a été interrompu en 1978, soit 2 jours en avril et 3 jours en mai, l’intimée «a fait publier une annonce dans un quotidien de Québec pour aviser les gens qu’ils seraient remboursés au pro rata du nombre de jours perdus au point de vue transport en commun».

L’intimée a adopté la même attitude dans le cas qui nous occupe. C’est ainsi que le 14 février 1979, après la signification de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, elle a fait publier un avis dont voici un extrait:

Suite à l’arrêt des services survenu depuis le 29 janvier, la C.T.C.U.Q. effectuera un remboursement à tous les abonnés en règle, détenteurs de laissez-passer de janvier ou de février.

MONTANT DU REMBOURSEMENT

Laissez-passer de janvier

Régulier:           $1.75              Privilégié:       $0.90

Laissez-passer de février

Régulier:           $                      Privilégié:       $9

J’en conclus que le deuxième motif ne peut être retenu.

Le troisième motif de la Cour d’appel est fondé sur le défaut par l’appelant de mettre l’intimée en demeure. Ce motif ne peut davantage être retenu. L’interpellation en justice constitue une mise en demeure et c’est l’art. 1067 C.c. qui le stipule:

1067. Le débiteur peut être constitué en demeure soit par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il contient une stipulation que le seul écoulement du temps pour l’accomplir aura cet effet; soit par l’effet seul de la loi; soit par une interpellation en justice, ou une demande qui doit être par écrit, à moins que le contrat lui-même ne soit verbal.

Mignault écrit à ce sujet dans Le droit civil canadien, t. 5, aux pp. 410 et 411: Le code fait voir que le débiteur est en demeure en cinq cas:

3° Lorsque le débiteur a été interpellé en justice, ou qu’on lui a adressé une demande d’exécution, laquelle doit être faite par écrit, à moins que le contrat lui-même ne soit verbal. Ainsi la demande vaut l’interpellation en justice, avec cette différence, toutefois, que si l’interpellation en justice n’a pas été précédée d’une demande

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extrajudiciaire, le débiteur, en consentant à l’exécution de l’obligation, peut demander que les frais de la demande en justice soient supportés par le créancier. Ainsi l’interpellation en justice ne sera véritablement utile au créancier que si une demande extra-judiciaire a déjà été faite.

La requête en autorisation elle-même constitue-t-elle une interpellation en justice ou celle-ci ne sera-t-elle formée que par l’institution de l’action après l’autorisation obtenue? Je ne crois pas devoir répondre à cette question car il suffit pour les fins de ce pourvoi de déterminer que l’absence de mise en demeure préalable ne constitue pas un empêchement à l’exercice d’un recours en justice. Cela se ramène à une question de frais. Comme l’explique Mignault: «… si l’interpellation en justice n’a pas été précédée d’une demande extrajudiciaire, le débiteur, en consentant à l’exécution de l’obligation, peut demander que les frais de la demande en justice soient supportés par le créancier.»

L’intimée a soulevé par ailleurs deux autres moyens.

Le premier est à l’effet que le recours est prématuré parce que (a) l’appelant ne l’a pas mise en demeure, (b) l’on ne savait pas quand la grève se terminerait et (c) elle n’avait pas eu le temps de faire une offre de remboursement.

J’ai traité plus haut de la mise en demeure.

Par sa requête amendée l’appelant a limité le recours aux trois derniers jours de janvier. Il s’agit d’une période bien déterminée et il n’est pas contesté que les services ont été interrompus pendant ces trois jours.

Quant au fait que l’intimée n’ait pas eu le temps dans un si bref délai de faire une offre de remboursement, cela vaudrait peut-être si les conclusions recherchées se limitaient à un remboursement mais l’appelant prétend réclamer en outre des dommages.

L’autre moyen additionnel invoqué par l’intimée est à l’effet que les allégués de la requête seraient insuffisants et elle suggère plusieurs autres allégués dont certains reprennent en tout ou en partie sous une forme différente des allégués qui s’y

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trouvent déjà. Je ne crois pas nécessaire de m’attarder davantage sur ce moyen.

Pour ces motifs je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la Cour supérieure, avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Bertrand & Associés, Québec.

Procureurs de l’intimée: Bherer, Bernier & Associés, Québec.

 



[1] [1979] C.A. 528.

[2] [1979] C.A. 528.

[3] [1968] R.C.S. 168.

[4] [1970] C.A. 324.

[5] (1914), 50 R.C.S. 356.

[6] [1976] C.A. 416.

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