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Médecins et chirurgiens — Négligence et voies de fait — Consentement éclairé — Devoir de divulgation — Première opération — Opération discale courante — Gravité de l’opération — Risques particuliers et inha­bituels — Questions précises du patient.

L’appelant est un chirurgien-orthopédiste qui pratique à Lethbridge (Alberta). Il a pratiqué une opération discale sur l’intimé après avoir obtenu son consentement écrit. Un myélogramme avait révélé un blocage méningé et l’appelant a enlevé une partie du disque entre la troisième et quatrième vertèbre lombaire (l’opération est connue sous le nom d’hémilaminectomie). Des rayons-X ont confirmé que l’opération avait éliminé le blocage. Par la suite, comme l’état de l’intimé ne s’améliorait pas comme prévu, on a établi qu’un blocage subsistait et l’appelant a référé l’intimé à un neurologue de Calgary qui a découvert un blocage complet entre la troisième et la quatrième vertèbre. On a alors fait appel à un neurochirurgien qui a pratiqué une laminectomie complète (décompression) de la deuxième à la cinquième vertèbre lombaire. Cette opération qui exigeait une exploration considérable a révélé une grande portion de matière discale herniée entre la troisième et la quatrième vertè­bre lombaire et on l’a enlevée. L’intimé qui est depuis atteint d’une incapacité permanente a poursuivi l’appe­lant en dommages-intérêts fondés sur la négligence et les voies de fait. Le juge de première instance a rejeté l’action dans la mesure où elle était fondée sur la négligence-il n’y a pas eu d’appel de cette décision—et l’a aussi rejetée sur la deuxième branche de la réclama­tion de l’intimé. La Cour d’appel, à la majorité, a accueilli l’appel, jugeant que le consentement à l’opéra­tion n’était pas un consentement éclairé et qu’il y a donc eu une atteinte illégale à la sécurité corporelle de l’in­timé, soit des voies de fait. Elle a accordé $15,000 à titre de dommages-intérêts.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La principale question plaidée devant cette Cour est celle de savoir si le consentement était éclairé. Le con­sentement d’un patient ne protégera son chirurgien ou

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médecin que s’il a été suffisamment renseigné pour lui permettre de choisir de subir ou de refuser l’opération. La question du consentement éclairé est au fond une question de savoir s’il y a un devoir de divulguer et, dans l’affirmative, l’étendue ou la portée de ce devoir.

En l’espèce, cette question se divise en trois branches. 1) Etait-il du devoir de l’appelant de dire à l’intimé que ce serait sa première opération de cette nature depuis l’obtention de son diplôme de spécialiste et l’ouverture de son cabinet? Le juge de première instance a correctement statué que l’appelant était tout à fait compétent et qu’il n’avait pas l’obligation de dire à l’intimé que c’était sa première opération lorsqu’il a manifestement acquis de l’expérience: 2) Etait-il du devoir de l’appelant de dire à l’intimé qu’en cas de complications, il ne pourrait pas consulter de neurologue ou de neurochirurgien à Lethbridge puisqu’il n’y en avait pas sur place à l’épo­que? Ici les témoignages d’experts ont indiqué qu’il s’agissait d’une opération discale courante et qu’elle pouvait être effectuée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary, et le juge de première instance a correctement statué que même s’il y avait une possibilité de complica­tions comme il y en a dans toute opération, il n’y avait aucune probabilité à cet égard, et aucun risque particu­lier ou inhabituel n’exigeait que le neurochirurgien prévienne le patient. 3) Quel est le devoir de divulgation de l’appelant à l’égard de la question de la gravité de l’opération? Ici le témoignage même de l’intimé montre que la question de la gravité de l’opération envisagée était comprise dans la question de la compétence de l’appelant et dans celle de savoir si l’opération pouvait être pratiquée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary.

Si aucune question précise ne porte sur les risques possibles, le chirurgien n’a aucune obligation de dire au patient qu’il existe des risques possibles puisque de tels risques se retrouvent dans toute opération. La jurispru­dence indique qu’un chirurgien devrait, généralement, répondre aux questions précises que lui pose le patient sur les risques courus et devrait, sans qu’on le ques­tionne, lui révéler la nature de l’opération envisagée, sa gravité, tous risques importants et tous risques particuliers ou inhabituels que présente cette opération. Cepen­dant, l’étendue du devoir de divulguer et la question de savoir s’il y a eu manquement sont des questions qu’il faut décider en tenant compte des circonstances de chaque cas particulier. En l’espèce, il n’y avait aucune raison pour que cette Cour soit en désaccord avec les conclusions du juge de première instance.

Jurisprudence: Parmley c. Parmley et Yule, [1945] R.C.S. 635; Halushka v. University of Saskatchewan (1965), 53 D.L.R. (2d) 436; Smith v. Auckland Hospi­tal Board, [19651 N.Z.L.R. 191; Kenny v. Lockwood, [1932] O.R. 141;

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Nocton v. Ashburton, [1914] A.C. 932; Hedley Byrne v. Heller, [1964] A.C. 465; Canterbury v. Spence (1972), 464 F. 2d 772; Male v. Hopmans (1967), 64 D.L.R. (2d) 105; Kelly v. Hazlett (1976), 15 O.R. (2d) 290.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta[1], qui a accueilli un appel interjeté par l’intimé du jugement de la Cour suprême de l’Alberta. Pourvoi accueilli.

J. C. Major, c.r., et F. Dearlove, pour , l’appelant.

J. N. Le Grandeur, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF—Ce pourvoi, interjeté sur autorisation de cette Cour, vise la responsabilité en dommages-intérêts du médecin appelant, un chi­rurgien-orthopédiste qui pratique à Lethbridge (Alberta), fondée sur la négligence et les voies de fait. Il a pratiqué une opération discale sur le demandeur, alors âgé de soixante-six ans, le 20 mars 1974, après avoir obtenu son consentement écrit. L’opération a été pratiquée selon les règles de l’art. Un myélogramme fait le 13 mars 1974 avait révélé un blocage méningé, confirmant le diagnostic du médecin de famille du demandeur ainsi que celui de l’appelant qui avait été consulté.

Le défendeur a enlevé une partie du disque entre la troisième et quatrième vertèbre lombaire (l’opé­ration est connue sous le nom d’hémilaminecto­mie) et une exploration subséquente de la région a convaincu l’appelant que la moelle épinière pouvait être manipulée librement et que, conséquemment, le demandeur serait soulagé de ses symptômes antérieurs et de la douleur qui l’a affligé pour la première fois à son retour à Lethbridge, le 25 février 1974, après un voyage en automobile. Des rayons-X pris le 25 mars 1974 ont confirmé à l’appelant que l’opération avait éliminé le blocage révélé par le myélogramme.

Par la suite, comme l’état du demandeur ne s’améliorait pas comme prévu, on a établi qu’un blocage subsistait et l’appelant a référé le demandeur

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à un neurologue de Calgary qui, après un examen et un myélogramme, a découvert un blo­cage complet entre la troisième et la quatrième vertèbre lombaire. On a alors fait appel à un neurochirurgien qui, le 27 avril 1974, a pratiqué une laminectomie complète (décompression) de la deuxième à la cinquième vertèbre lombaire. Cette opération qui exigeait une exploration considérable a révélé une grande portion de matière discale herniée entre la troisième et la quatrième vertèbre lombaire et on l’a enlevée. Le juge de première instance a conclu que cette matière herniée n’est devenue apparente qu’en raison de l’étendue et de la nature exploratoire de la seconde opération et que, si elle était déjà là lorsque l’appelant a prati­qué l’opération beaucoup moins complexe, il n’est pas déraisonnable qu’il ne s’en soit pas aperçu.

Malheureusement, comme l’a conclu le juge de première instance, le demandeur est depuis atteint d’une incapacité permanente en raison de domma­ges permanents à certains nerfs logés dans le trou de conjugaison. Cependant, le juge de première instance a conclu que l’appelant n’avait pas été négligent en posant son diagnostic ni en décidant en conséquence de pratiquer l’opération particu­lière en cause. Il n’y a pas eu non plus de négli­gence dans les soins et le traitement postopératoi­res du demandeur, et il n’était pas déraisonnable que l’appelant attende aussi longtemps, soit envi­ron un mois, avant de consulter d’autres spécialis­tes. Il a par conséquent rejeté l’action dans la mesure où elle était fondée sur la négligence. Les conclusions et la décision du juge de première instance sur cette branche de l’affaire n’ont pas été contestées en Division d’appel de l’Alberta (maintenant la Cour d’appel de l’Alberta). Toutefois, cette cour-là, à la majorité, est en désaccord avec le rejet par le juge de première instance de l’action sur la deuxième branche de la réclamation du demandeur, jugeant que le consentement à l’opéra­tion n’était pas un consentement éclairé et qu’il y a donc eu une atteinte illégale à la sécurité corpo­relle du demandeur, soit des voies de fait. Elle a accordé $15,000 à titre de dommages-intérêts.

La principale question plaidée devant cette Cour est celle de savoir si le consentement était éclairé. C’est la première fois que cette question lui est

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soumise. L’expression «consentement éclairé», fré­quemment employée dans la jurisprudence améri­caine, reflète le fait que bien que, généralement, un patient consente préalablement à l’opération chirurgicale ou au traitement envisagé, un chirur­gien ou médecin n’est pas exonéré de responsabilité pour voies de fait ou négligence s’il manque à son devoir de divulguer les risques de l’opération ou du traitement qu’il connaît ou qu’il aurait dû connaî­tre, et que le patient ignore. Le principe fondamen­tal est le droit d’un patient de décider à quelle intervention, le cas échéant, il devrait se soumettre: voir Parmley c. Parmley et Yule[2], aux pp. 645 et 646. (Je laisse de côté les questions d’urgence ou d’incapacité mentale de même que les situations où l’opération ou le traitement est différent de ce à quoi a consenti le patient.) Il s’ensuit donc que le consentement d’un patient, que ce soit à l’opéra­tion chirurgicale ou au traitement, ne protégera son chirurgien ou médecin que s’il a été suffisam­ment renseigné pour lui permettre de choisir de subir ou de refuser l’opération ou le traitement. La question du consentement éclairé est au fond une question de savoir s’il y a un devoir de divulguer, si le chirurgien ou médecin a le devoir de donner des renseignements et, dans l’affirmative, l’étendue ou la portée de ce devoir.

En l’espèce, cette question se divise en trois branches. Premièrement, l’appelant a dit au demandeur qu’il avait compétence pour pratiquer l’opération, mais ne lui a pas dit que ce serait sa première opération de cette nature depuis l’obten­tion de son diplôme de spécialiste et l’ouverture de son cabinet à Lethbridge. Deuxièmement, il a dit au demandeur que les installations hospitalières étaient aussi bonnes à Lethbridge qu’à Calgary où le demandeur avait envisagé d’aller, mais il ne lui a pas dit qu’en cas de complications, il ne pourrait pas consulter de neurologue ou de neurochirurgien à Lethbridge puisqu’il n’y en avait pas sur place à l’époque. Troisièmement, il n’a pas dit au deman­deur qu’il s’agissait d’une opération grave, mais plutôt qu’elle ne l’était pas et que le demandeur serait rétabli dans les six ou dix jours.

Relativement à la première branche, la preuve a démontré que l’appelant avait pratiqué plus de

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soixante opérations de cette nature alors qu’il était chirurgien résident à l’hôpital universitaire, dont une trentaine sans surveillance réelle bien qu’un spécialiste ait été prêt à intervenir. Le juge de première instance a conclu que l’appelant était tout à fait compétent et qu’il n’avait pas l’obliga­tion de dire au demandeur que c’était sa première opération depuis qu’il était diplômé. Selon le juge de première instance, il serait ridicule d’exiger qu’un spécialiste diplômé dise à un patient (du moins sans que la question lui soit posée) combien il a pratiqué d’opérations de ce genre lorsqu’il a manifestement acquis de l’expérience. Relativement à la deuxième branche, les témoignages d’ex­perts ont indiqué, comme l’a conclu le juge de première instance, qu’il s’agissait d’une opération discale courante et qu’elle pouvait être effectuée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary. Selon le juge de première instance, il y avait une possibilité de complications comme il y en a dans toute opéra­tion (et à cet égard il aurait pu être avantageux de pratiquer l’opération à Calgary l’on trouve d’autres spécialistes) mais, encore selon la preuve, il n’y avait aucune probabilité à cet égard, et aucun risque particulier ou inhabituel n’exigeait que l’appelant prévienne le demandeur. Sur ce point, le juge de première instance s’est appuyé sur les motifs du juge Hall dans Halushka v. Univer­sity of Saskatchewan[3], à la p. 442.

Le juge de première instance n’a pas fait de conclusion particulière sur la question de la gravité de l’opération, mais il me semble que la réponse est comprise dans la preuve que l’opération en cause était une opération courante et dans la conclusion du juge de première instance en ce sens: Ce dernier a également dit qu’après le myélogramme du 13 mars 1974, qui a révélé le blocage méningé, [TRA­DUCTION] «le défendeur a parlé au demandeur pour lui communiquer les résultats et l’informer que la seule solution au problème était une inter­vention chirurgicale et il a donné des détails de l’opération qui était recommandée». Donc, selon le juge de première instance, le litige ne porte pas vraiment sur l’ignorance par le patient de la gra­vité de l’opération. Le témoignage même du demandeur montre que la question de la gravité de

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l’opération envisagée était comprise dans la ques­tion de la compétence de l’appelant et dans celle de savoir si l’opération pouvait être pratiquée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary. De plus la plainte fondamentale du demandeur, comme l’a affirmé son avocat dans sa plaidoirie devant cette Cour, était qu’il ignorait que l’opération pratiquée sur lui était la première de l’appelant depuis qu’il exerçait en pratique privée à Lethbridge. Toutefois cela est relié à la compétence du médecin et les conclusions du juge de première instance sur ce point sont, à mon sens, inattaquables.

Je devrais ajouter que le juge de première instance a également statué que, même s’il avait conclu à la négligence de l’appelant, la preuve de dommages en résultant n’avait pas été faite. En outre, il n’y avait aucune preuve de dommages résultant de voies de fait et seuls des dommages-intérêts symboliques peuvent être accordés lorsque l’opération est nécessaire et a été pratiquée selon les règles de l’art.

En Division d’appel de l’Alberta, le juge Prowse, qui était dissident, a appuyé la conclusion du juge de première instance déboutant le demandeur, au motif que celui-ci n’a posé aucune question précise qui aurait imposé à l’appelant de divulguer des risques qui n’étaient que de simples possibilités et qui auraient ainsi incité le demandeur à se faire opérer à Calgary. Comme le juge de première instance, il est d’avis que les conversations ou discussions qui ont supposément soulevé cette question précise, concernaient la compétence de l’appelant. Si une question précise, comme celle supposément posée, l’avait été (et je tiens pour acquis qu’il suffirait que l’on puisse raisonnablement interpréter ces questions comme invitant une réponse qui décrirait les risques possibles), l’appe­lant aurait eu le devoir d’y répondre.

Cela m’amène à étudier les motifs majoritaires de la Division d’appel de l’Alberta exposés par le juge Morrow. Il a formulé la question du consentement éclairé comme l’avait plaidée l’avocat du demandeur, savoir, sur le fondement des voies de fait et de la négligence résultant du défaut de divulguer les risques courus. Je n’ai pas à analyser ni à résoudre en l’espèce la question de savoir si l’on peut renforcer une allégation de voies de fait,

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fondée sur l’absence de consentement valide, par une assertion de négligence. L’argument plaidé devant la Division d’appel a été repris devant cette Cour. En accueillant l’appel du demandeur, le juge Morrow s’est appuyé sur les voies de fait et la négligence et a ajouté ceci:

[TRADUCTION] Je suis d’avis d’ajouter la négligence à ce qui précède puisque, suivant les faits de l’espèce, le raisonnement qui s’applique aux voies de fait s’applique, si je comprends bien la jurisprudence, également à la négligence.

Il y a lieu de croire qu’en l’espèce la négligence consiste en des réticences ou des tromperies alors qu’il y avait un devoir de parler et de réagir de façon idoine. Puisque je suis d’avis que rien ne justifie en l’espèce de modifier la conclusion du juge de première instance sur la question du con­sentement éclairé (ou, pour le dire d’une façon qui me semble préférable, que l’appelant s’est bien acquitté de tout devoir de divulguer), je préfère remettre à une autre occasion l’examen du lien entre les voies de fait et la négligence ou de la possibilité de les invoquer à ce sujet.

Pour sa part, le juge Morrow a réexaminé la preuve produite en première instance et en a cité de longs extraits. Il n’a pas contesté réellement ou directement la conclusion du juge de première instance que l’appelant était tout à fait compétent et qu’il n’était pas tenu d’informer le demandeur que l’opération qu’il allait pratiquer était la pre­mière depuis qu’il exerçait en pratique privée. Le juge Morrow n’a pas non plus analysé directement ni infirmé la conclusion du juge de première instance que l’opération en cause pouvait être prati­quée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary.

Le savant juge de la Cour d’appel s’est quant à lui attaché à la gravité de l’opération et à l’omis­sion de l’appelant de donner des détails sur les risques probables ou possibles. Voici les commen­taires du juge Morrow sur les divers points soule­vés relativement au consentement éclairé:

[TRADUCTION] Avec égards, il m’est impossible d’ad­mettre que, si la preuve avait pu justifier une conclusion que ce médecin était compétent pour pratiquer l’opéra­tion et que les installations hospitalières étaient adéqua­tes à. Lethbridge, cela répondrait complètement en soi à

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la question qui se pose relativement aux renseignements appropriés et à l’existence d’un consentement valide et éclairé,

Bien que le médecin n’ait peut-être eu aucune obliga­tion de ‘dire spontanément que ce serait sa première opération tout seul, ce n’est pas ce qui lui était demandé. Avant de consentir à l’opération, le patient voulait plutôt obtenir certaines assurances sur la «gravité» de l’opéra­tion. La gravité de l’opération doit également être consi­dérée avec la décision qu’il avait préalablement prise de concert avec le patient et son épouse quant à l’opération à Calgary. Or, peut-on dire qu’en répondant à la ques­tion sur la «gravité» en disant «ce n’est pas grave, dans six à dix jours vous serez chez vous prêt à reprendre vos activités» il a répondu à la question relative à Calgary en disant «qu’il pouvait le faire aussi bien que n’importe quel médecin à Calgary».

Je dois faire remarquer que la réponse donnée à l’appelant est presque identique à celle que l’on trouve dans Smith v. Auckland Hospital Board, [1965] N.Z.L.R. 191. Comme dans cette affaire-là, on n’a rien dit au sujet du risque, qu’il soit considéré comme «proba­ble» ou comme «possible».

Nous trouvons ensuite ce dernier passage qui résume son opinion:

[TRADUCTION] En lisant attentivement la preuve et en le faisant de la façon qui soit la plus favorable à l’intimé, je suis incapable de conclure que le médecin intimé a donné d’autres renseignements ou explications à son patient. Si l’on examine alors les remarques du savant juge de première instance, il me semble qu’il prend les déclarations des médecins experts sur la nature de l’opération réelle, la technique suivie, et leurs témoi­gnages qu’en l’absence de complications, les installations hospitalières de Lethbridge étaient adéquates pour l’opé­ration en question, et les considère ou les utilise comme si elles constituaient une explication franche de l’intimé lui-même. Cela constitue à mon avis une erreur mani­feste et je suis d’avis d’accueillir le présent appel et de prononcer un jugement favorable à l’appelant fondé à la fois sur les voies de fait et la négligence.

La façon dont le juge Morrow traite de la réponse de l’appelant à une question relative à la gravité de l’opération rend la réponse inadéquate si l’on présume qu’il s’agit d’une question précise concernant les risques. Cependant, il ressort clairement des conclusions du juge de première instance que l’appelant a fourni certains détails sur l’opéra­tion—j’ai déjà parlé de cette conclusion—et qu’au­cune question sur la gravité de l’opération ne peut

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être isolée des conversations entre les parties por­tant sur l’opération et sur la question de savoir si elle pouvait être pratiquée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary.

Dans ses motifs, le juge Morrow ne dit pas clairement s’il a considéré que le patient avait posé une question précise sur les risques possibles, et la preuve n’indique pas clairement si la discussion concernant l’opération allait au-delà des générali­tés. Dans l’affaire Auckland Hospital, les risques avaient fait l’objet d’une question précise et, selon l’opinion de la Cour de la Nouvelle-Zélande, le médecin avait alors l’obligation de répondre en indiquant même les risques possibles. Je reviendrai à cette question sous peu. Je suis prêt à déduire de la mention de l’affaire néo-zélandaise par le juge Morrow que selon lui, les risques avaient fait l’objet d’une question précise, enveloppée dans l’in­terrogation sur la gravité de l’opération. Toutefois, je suis d’avis, comme l’a apparemment été le juge de première instance, que c’est là une extrapola­tion que la preuve ne justifie pas. En fait, rien au dossier n’appuie la conclusion que l’opération en cause comportait des risques possibles différents de ceux qui existent dans toute opération, abstraction faite du point de savoir si les risques ont fait l’objet d’une question précise.

Kenny v. Lockwood[4] est un des premiers arrêts ontariens sur le consentement éclairé ou sur le devoir de divulguer, et, à sa lecture, il ressemble à la présente affaire. Une des questions y était de savoir si un chirurgien avait manqué au devoir qu’il aurait eu d’informer une patiente de la gra­vité d’une opération qui a entraîné une lésion permanente, bien que l’opération ait été pratiquée selon les règles de l’art. Une difficulté spéciale pour la patiente intimée dans l’affaire Kenny est qu’elle a plaidé que le chirurgien et le médecin associé avaient [TRADUCTION] «faussement et avec insouciance, sans se préoccuper que ce soit vrai ou faux ou sans motif raisonnable de croire que c’était vrai», affirmé que l’opération était «simple» et que [TRADUCTION] «sa main serait guérie dans trois semaines». La Cour d’appel a jugé qu’il n’y avait pas eu fraude ou insouciance

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équivalant à fraude. Elle a néanmoins examiné une allégation de manquement au devoir, indépendam­ment de la fraude, en ce que l’opération avait été décrite comme simple et qu’on avait omis d’attirer l’attention sur sa gravité puisque, si elle ne réussissait pas, elle pouvait entraîner une lésion perma­nente. La Cour d’appel a fondé son évaluation sur l’arrêt Nocton v. Ashburton[5], considérant que le rapport entre le chirurgien et son patient est un rapport fiduciaire qui exige l’honnêteté du chirur­gien. L’arrêt Nocton v. Ashburton est bien sûr un des fondements de la doctrine plus large exposée dans l’arrêt Hedley Byrne v. Heller[6].

Dans l’arrêt Kenny, le juge de première instance avait conclu à la responsabilité du chirurgien et de son associé dans les termes suivants:

[TRADUCTION] Je considère comme une question de droit celle du devoir incombant aux chirurgiens, qui ont accepté de soigner la demanderesse, de l’informer de la gravité de l’opération à ce moment-là et du fait que la nature de la maladie faisait qu’il pouvait s’écouler plusieurs années avant qu’elle lui cause davantage de souf­frances ou d’inconvénients; et que les chirurgiens n’avaient pas le droit de lui opérer la main sans d’abord lui expliquer la situation en toute honnêteté et clarté, en lui laissant alors décider si elle subirait l’opération à ce moment-là.

La distinction entre cette affaire-là et la présente repose sur le fait que dans la première le juge de première instance n’a pas tenu compte du témoi­gnage du chirurgien portant qu’il avait discuté de l’opération avec la patiente et lui avait expliqué en détail l’état de sa main, atteinte d’une maladie progressive, et l’intervention. En l’espèce, le juge de première instance a considéré une preuve sem­blable, mais c’est la Cour d’appel qui l’a minimisée.

Certaines remarques dans l’arrêt Kenny ouvrent la voie aux développements subséquents du devoir de divulguer et aux éclaircissements postérieurs de questions qui n’y avaient pas été résolues de façon aussi détaillée qu’elles l’ont été plus tard; il s’agit particulièrement de décisions et d’ouvrages américains

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sur le sujet, voir, par exemple, Canterbury v. Spence[7]; Comment, «Informed Consent as a Theory of Medical Liability», [1970] Wisc. L. Rev. 879; Waltz and Scheuneman, «Informed Consent to Therapy», (1970), 64 N.W.U.L. Rev. 628; Comment, «Informed Consent—A Proposed Standard for Medical Disclosure», (1973), 48 N.Y.U.L. Rev. 548; Skegg, «Informed Consent to Medical Procedures», (1975), 15 Med. Sei. Law 124. En infirmant, à la majorité, la décision du juge de première instance et en concluant à la non-responsabilité du chirurgien et de son associé, la Cour d’appel de l’Ontario a clairement souligné que les faits d’une affaire particulière sont de grande importance dans une décision sur l’exis­tence et l’étendue du devoir de donner des rensei­gnements. Il n’y avait pas beaucoup de jurispru­dence sur laquelle s’appuyer et Nocton v. Ashburton offrait les meilleurs principes relativement à l’existence d’un devoir et à un manquement à son sujet qui, pour reprendre les paroles de lord Haldane dans cette affaire, serait une [TRADUC­TION] «négligence verbale». Il a ajouté que [TRA­DUCTION] «c’est dans son application à chaque affaire particulière que le principe pose une difficulté».

Dans Kenny, le juge Hodgins de la Cour d’appel est parti de là pour dire: (à la p. 156)

[TRADUCTION] Lorsque l’on en précise les modalités d’application, on dit que le devoir existe: «Dans le cas où une personne qui, de par sa spécialité, connaît un fait particulier, donne une réponse erronée à une question que lui pose une personne désireuse de connaître ce fait avant de décider d’agir.»

On considère qu’il existe lorsqu’il y a eu manquement à un devoir, sanctionné par l’equity, vu les circonstances et le rapport entre les parties, et qu’il ne faut pas nécessairement qu’une question ait été posée. Il peut exister lorsque la situation même des parties laisse supposer la nécessité d’une explication ou d’une mise en garde, et comprend un devoir moral, par opposition à un devoir légal de prudence, qui en tant qu’obligation, existe indépendamment d’un contrat ou d’une obligation particulière. En effet, comme le fait remarquer lord Haldane, «Si un homme intervient dans les affaires d’un

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autre, il doit le faire honnêtement, quelle que soit la nature de l’intervention.»

Et nous trouvons cette autre remarque pertinente (à la p. 159):

[TRADUCTION] Je ne crois pas un seul instant qu’il convienne ni qu’il soit nécessaire de révéler à un patient, avant une opération, les dangers inhérents à toute opéra­tion, tels l’échec ou le décès sous l’effet d’un anesthési­que, le danger d’infection, de tétanos, de gangrène gazeuse ou de gangrène.

Adoptant la conclusion du juge de première instance sur le point en litige en l’espèce, j’ajouterais que la possibilité de faire plus facilement face au risque ou aux complications dans un grand centre est commun à toutes les opérations et n’exige ordinairement pas de mention particulière.

L’arrêt Kenny v. Lockwood est aussi important pour ce qu’il laissait entrevoir que pour ce qu’il décidait réellement. Il indique que lorsqu’un chi­rurgien recommande une opération qui comporte des risques connus, savoir des risques probables, ou des risques particuliers ou inhabituels, il a l’obliga­tion de les divulguer à son patient et, s’il omet de le faire et qu’un des risques tus ou partiellement divulgués entraîne une lésion, on jugera que le consentement du patient à l’opération n’était pas un consentement éclairé, bien que l’opération elle-même ait été pratiquée selon les règles de l’art. Les situations de ce genre mises à part, un chirurgien n’est pas requis d’aller dans tous les détails conce­vables d’une opération envisagée; il suffit qu’il en décrive la nature, à moins que le patient ne pose des questions précises, autrement que par le biais d’une interrogation générale; dans ce cas, il doit y répondre même si ces réponses portent sur une simple possibilité de risques. Si aucune question précise ne porte sur les risques possibles, le chirur­gien n’a aucune obligation (bien qu’il puisse le faire) de dire au patient qu’il existe des risques possibles puisque de tels risques se retrouvent dans toute opération. Déterminer à quel point les ques­tions posées sont précises devient une question de fait; il en est de même de savoir si, qu’il y ait eu des questions ou non, la preuve permet de conclure à l’existence de risques probables, particuliers ou inhabituels que le chirurgien n’a pas divulgués ou n’a divulgués que partiellement.

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Un chirurgien a indubitablement une certaine liberté d’action pour évaluer l’état émotif d’un patient et sa réaction à la perspective d’une opéra­tion; la crainte du patient, qui peut exiger qu’on l’apaise; la réticence du patient à subir une opéra­tion que le chirurgien croit honnêtement nécessaire à la préservation de la vie ou de la santé du patient et qu’il peut être obligé d’expliquer en détail pour en exposer la nécessité. Tout cela se rapporte au consentement éclairé et est tout à fait indépendant de la compétence et du soin avec lesquels une opération est pratiquée. Comme je l’ai dit plus tût, il appartient au patient de décider s’il permet l’opération chirurgicale.

L’arrêt Kenny v. Lockwood a été examiné dans l’arrêt Halushka v. University of Saskatchewan, précité, une affaire portant sur la participation volontaire à une expérience de recherche médicale sur une nouvelle drogue anesthésique. On avait dit au «patient» qu’il s’agissait d’une nouvelle drogue et que le test envisagé était tout à fait sûr, car on l’avait déjà effectué plusieurs fois auparavant. Cependant, en fait, la nouvelle drogue n’avait jamais été utilisée ni vérifiée auparavant et l’utili­sation d’une nouvelle drogue anesthésique présen­tait un risque. Le «patient» qui a été finalement ressuscité après un arrêt cardiaque a subi une lésion cérébrale. Le juge Hall qui parlait au nom de la Cour d’appel de la Saskatchewan et qui, comme le juge de première instance aux termes du verdict du jury, a conclu à la responsabilité des deux médecins qui ont fait l’expérience, s’est exprimé comme suit:

[TRADUCTION] Dans la pratique médicale ordinaire, pour être valable, le consentement que donne un patient à un médecin ou à un chirurgien, doit être un consentement «éclairé» donné librement. Le médecin a le devoir de donner une explication honnête et raisonnable du traitement proposé, y compris de l’effet probable et des risques particuliers ou inhabituels.

A mon avis, le devoir qu’ont les personnes faisant de la recherche médicale, comme les appelants Wyant et Merriman en l’espèce, envers ceux qui offrent de se soumettre à une expérience, comme l’intimé l’a fait ici, est au moins aussi grand sinon plus que le devoir du médecin généraliste ou du chirurgien envers son patient. Il ne peut y avoir d’exceptions aux exigences ordinaires de divulgation dans le cas de la recherche comme il peut

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bien en exister dans la pratique de la médecine générale. Le chercheur n’a pas à peser l’effet probable de l’ab­sence de traitement contre les risques que comporte le traitement lui-même. L’exemple de risques que l’on peut à bon droit cacher à un patient, lorsqu’il est important qu’il ne s’inquiète pas, ne peut s’appliquer dans le domaine de la recherche. Le sujet d’une expérience médicale a droit à une divulgation entière et honnête de tous les faits, de toutes les probabilités et opinions dont un homme raisonnable pourrait normalement tenir compte avant de donner son consentement. L’intimé devait nécessairement s’en remettre à la compétence, à la connaissance et à l’expérience particulières des appe­lants, qui étaient, à mon avis, dans la position fiduciaire décrite par lord Shaw of Dunfermline dans l’arrêt Nocton v. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932 à la p. 969.

La Cour d’appel était d’avis qu’il y avait des faits non divulgués ou faussement présentés et elle a ajouté, [TRADUCTION] «il n’est pas nécessaire qu’ils se rapportent à ce qui a directement causé le dommage si leur nature est telle qu’ils pouvaient influencer le jugement sur lequel le consentement s’est fondé».

Je désire mentionner également Male v. Hop­mans[8], un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario. Il confirme la conclusion du juge de première instance quant à la responsabilité du médecin, un chirurgien-orthopédiste, qui avait traité une infec­tion grave avec une drogue qui risquait d’affaiblir l’ouïe du patient. Il s’agissait d’un traitement post-opératoire administré lorsqu’il est devenu évident que le patient souffrait d’une infection purulente grave au genou gauche opéré par le chirurgien. Le chirurgien a administré une drogue qu’il n’avait jamais utilisée auparavant, tout en sachant d’après les publications s’y rapportant qu’elle pouvait avoir des effets secondaires. Selon le témoignage des experts, certains tests auraient dû être effectués au début du traitement, et le juge de première instance a conclu (cette conclusion a été confirmée par la Cour d’appel) que le chirurgien aurait dû se rendre compte de leur nécessité, mais ils n’ont été ni prescrits ni faits. Le traitement a rendu le patient complètement sourd. Le chirurgien a été tenu responsable parce qu’il avait omis de prescrire ou de faire les tests; c’était le troisième moyen de

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négligence invoqué contre le chirurgien.

L’arrêt Male v, Hopmans a introduit dans le droit canadien l’arrêt néo-zélandais Smith v. Auckland Hospital Board[9], en appel[10], en raison particulièrement des longs extraits quen a cités le juge de première instance. L’arrêt Smith formule avec une certaine prudence une norme profession­nelle médicale relativement au consentement éclairé, comme lindique le passage suivant des motifs du juge de première instance dans cette affaire (aux pp. 250 et 251):

[TRADUCTION] A mon avis, la préoccupation princi­pale est le bien-être du patient et, si le médecin est de bonne foi, je crois que l’exercice de sa discrétion quant aux renseignements à fournir dépendra de l’ensemble des besoins du patient. Il faudra tenir compte de la gravité de l’état du patient, de l’importance des bienfaits qui devraient résulter du traitement, de la nécessité de l’encourager à l’accepter, de l’importance relative de ses risques inhérents, de la capacité intellectuelle et émotive du patient d’accepter l’information sans déformation au point d’empêcher une décision rationnelle, et de la mesure dans laquelle le patient peut sembler s’en être remis au médecin, lui laissant le soin d’accepter en son nom la responsabilité de décisions compliquées ou techniques.

A mon avis, ce devoir est régi par tous les facteurs que j’ai mentionnés tels qu’ils seraient évalués et appliqués par un médecin raisonnablement prudent; et la nécessité de décrire, lors des explications, les effets défavorables qui peuvent résulter du traitement doit être fonction de l’importance que ce médecin prudent devrait normalement leur accorder, dans l’intérêt de son patient, compte tenu de toutes les circonstances. Je ne suis certainement pas disposé à conclure, en l’absence de jurisprudence, que les médecins devraient se laisser distraire de leur responsabilité première, qui est de s’occuper de la santé de leurs patients, par la pensée qu’il est presque automa­tiquement nécessaire de décrire ces possibilités afin d’éviter une poursuite en responsabilité si, par malheur, quelque chose ne va pas.

L’arrêt Male v. Hopmans ne vise pas directement le consentement éclairé, mais une partie des motifs du juge Aylesworth, qui parlait au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, porte sur cette question,

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particulièrement puisqu’elle se rapporte à une situation où un patient est dans un état grave pour lequel on envisage une thérapie ou un traitement qui présente des risques. Selon la Cour d’appel de l’Ontario, les faits particuliers sont de première importance lorsqu’il s’agit de savoir si le chirurgien a le devoir de prévenir le patient, et il peut être pertinent à ce devoir de savoir si le patient est dans un état qui lui permet de faire un choix.

Je ne suis pas du tout convaincu que le médecin devrait décider de lui-même de ne pas prévenir le patient du risque probable pour l’ouïe ou d’autres risques si le traitement est administré. Il est préfé­rable qu’un chirurgien fasse une mise en garde, qu’il peut assortir d’une autre mise en garde quant aux conséquences vraisemblables du refus de subir le traitement. Le patient peut désirer demander une deuxième opinion, quel qu’éminent que soit son médecin traitant. Ce médecin ne devrait pas décider que le patient est incapable de faire un choix et, en conséquence, omettre de le prévenir des risques. Bien sûr, compte tenu de l’opinion déjà exprimée qu’il y a généralement eu un consentement préalable, les risques probables seraient ceux qui, si le patient en avait été informé, pourraient raisonnablement modifier sa décision de subir ou de refuser l’opération ou le traitement. Il m’est difficile, toutefois, de conclure que s’il y a des risques probables (par opposition à de simples possibilités comme celles qui sont inhérentes à toute opération ou traitement, par ex. le risque d’infection), ils ne seraient pas aussi importants au sens de la norme objective qui a été mise de l’avant dans certains commentaires et arrêts. Ainsi, l’arti­cle de Waltz and Scheuneman, susmentionné, à la p. 640, propose-t-il la norme de l’importance du risque; cette norme adoptée par la cour dans Can­terbury v. Spence, précité, est formulée comme suit:

[TRADUCTION] ... [un] risque est ... important lorsqu’une personne raisonnable, dans l’état du patient, que connaît ou devrait connaître le médecin, attacherait vraisemblablement de l’importance au risque ou à l’ensemble des risques en décidant si elle doit se soumettre au traitement envisagé ou le refuser.

Cela demande indubitablement de tirer une con­clusion de fait pour laquelle le témoignage de médecins experts décrivant le jugement à exercer

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serait recevable sans être déterminant. En fait, puisqu’il s’agit d’un patient particulier sur lequel une opération chirurgicale particulière doit être pratiquée ou à qui un traitement particulier doit être administré et que c’est le devoir de divulgation à son égard qui touche son consentement, le témoi­gnage des médecins experts sur l’usage ou la prati­que générale quant à l’étendue de la divulgation ne peut être déterminant, tout au plus peut-il être un facteur à considérer.

La jurisprudence sur la question du consentement éclairé ou le devoir de divulguer propose plusieurs classifications des risques que comporte une opération chirurgicale ou un traitement envi­sagé. On a distingué les risques probables, qui doivent être divulgués, des simples possibilités (comme, par exemple, les risques qui existent dans toute opération), mais cette dichotomie ne peut être absolue parce qu’elle doit tenir compte de la question de savoir si un risque est ou n’est pas élevé et alors il faut considérer la gravité des conséquences si un risque devait se réaliser; par exemple, le risque de décès, même s’il n’est qu’une simple possibilité, par opposition à une raideur résiduelle d’un membre. Une deuxième classifica­tion formulée dans la jurisprudence et la doctrine américaines, est celle des risques importants et peu importants. Selon cette classification, les risques possibles dont les conséquences pourraient être graves pourraient bien être considérés comme importants. L’importance connote un critère objec­tif selon ce que l’on pourrait raisonnablement considérer comme ayant une influence sur le consentement du patient.

Ensuite on parle de risques particuliers ou inha­bituels par opposition aux risques inhérents à toute opération. Cette distinction a été formulée par le juge Morden dans Kelly v. Hazlett[11], à la p. 319. Si l’expression risques particuliers ou inhabituels désigne seulement les risques probables, cette clas­sification est alors essentiellement la même que celle des risques probables ou possibles dont j’ai déjà parlé, sauf que les risques possibles peuvent être décrits par la gravité des conséquences si pareils risques se réalisent. Cependant, les risques

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particuliers ou inhabituels peuvent dépasser ceux que la chirurgie ou le traitement envisagé rend probables dans un cas particulier et pourraient se rapporter aux conséquences graves du cas précis même si le risque n’était qu’une simple possibilité. De ce point de vue, la classification est incomplète puisqu’elle ne tient pas compte des risques proba­bles. Bien sûr, si des questions précises sont posées, un autre élément entre en jeu mais, alors, la preuve concernant le caractère précis de la question devra d’abord être évaluée.

En résumé, la jurisprudence indique qu’en obte­nant le consentement d’un patient à une opération chirurgicale sur sa personne, un chirurgien doit, généralement, répondre aux questions précises que lui pose le patient sur les risques courus et doit, sans qu’on le questionne, lui divulguer la nature de l’opération envisagée, sa gravité, tous risques importants et tous risques particuliers ou inhabi­tuels que présente cette opération. Cependant, ceci dit, il faut ajouter que l’étendue du devoir de divulguer et la question de savoir s’il y a eu manquement sont des questions qu’il faut décider en tenant compte des circonstances de chaque cas particulier.

La présente affaire n’en est pas une qui demande d’élaborer davantage sur les questions concernant le devoir de divulguer et sa portée. A mon avis, il n’est pas nécessaire de le faire vu les conclusions du juge de première instance. Cepen­dant, je désire mentionner certaines remarques faites dans l’opinion majoritaire de la Cour d’appel de l’Alberta. Je ne peux être d’accord avec le juge Morrow lorsqu’il dit, dans le dernier passage susmentionné de ses motifs, où il résume son opinion, que le juge de première instance a fait une erreur manifeste en acceptant le témoignage des experts portant que l’opération en cause pouvait être prati­quée aussi bien à Lethbridge qu’à Calgary, s’il n’y avait pas de complications. L’appelant a également témoigné dans ce sens et, compte tenu de l’ensem­ble de la preuve, y compris celle qui décrit l’opéra­tion pratiquée par l’appelant comme une opération discale courante, le juge de première instance pou­vait conclure comme il l’a fait.

Il en serait autrement si le juge Morrow voulait dire que le patient n’avait pas été correctement

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informé des risques, entre subir l’opération à Leth­bridge ou à Calgary. Il lui appartiendrait alors de décider où elle devait être pratiquée. Cependant, le dossier ne permet ni de conclure que le demandeur faisait dépendre son consentement du lieu de l’opé­ration ni que l’appelant n’a pas donné le renseignement demandé.

Le juge Morrow a fait deux déclarations relati­ves à la causalité et aux dommages-intérêts que je ne peux accepter. Voici la première:

[TRADUCTION] ... D’après la preuve, il était loisible au juge de première instance de conclure raisonnablement que si l’opération avait été pratiquée à Calgary plutôt qu’à Lethbridge (en admettant qu’il y aurait eu consentement à l’opération dans les deux cas), le problè­me qui s’est posé suite à la première opération et qui a nécessité la seconde opération aurait pu au moins être découvert plus tôt et peut-être causer une déficience neurologique moindre.

Cela est contraire aux conclusions du juge de première instance qu’ (1) on ne peut pas dire que l’incapacité permanente de l’intimé n’est pas le résultat de l’état initial du disque et (2) il n’était pas convaincu que la matière discale herniée enle­vée à la seconde opération était présente lorsque l’appelant a opéré la première fois. Les motifs du juge Morrow suggèrent tout au plus que le patient aurait peut-être subi des dommages moindres s’il était allé à Calgary au départ. C’est hautement hypothétique et ne peut servir de fondement à un jugement en faveur du patient. Le juge Morrow fonde apparemment aussi la responsabilité sur le moyen suivant (c’est la deuxième déclaration que je mets en doute):

[TRADUCTION] ... On ne peut lire le témoignage de l’appelant sans comprendre qu’à tort ou à raison, il a l’impression que sa longue convalescence, la seconde opération et, en fait, son mauvais état de santé actuel sont en grande partie attribuables aux tentatives de l’intimé.

Ce moyen ne peut tenir, malgré la grande sympa­thie que l’on peut avoir pour l’état de santé actuel de l’intimé.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Division d’appel de l’Alberta et de

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rétablir le jugement du juge Brennan qui rejette l’action. L’appelant a droit aux dépens dans toutes les cours. Le contre-appel est rejeté sans dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens; contre-appel rejeté sans dépens.

Procureurs du défendeur, appelant: Jones, Black & Co., Calgary.

Procureurs du demandeur, intimé: Babki & Co., Lethbridge.



[1] (1979), 15 A.R. 472.

[2] [1945] R.C.S. 635.

[3] (1965), 53 D.L.R. (2d) 436.

[4] [1932] O.R. 141.

[5] [1914] A.C. 932,

[6] [1964] A.C. 465.

[7] (1972), 464 F. 2d 772.

[8] (1967), 64 D.L.R. (2d) 105.

[9] [1964] N.Z.L.R. 241.

[10] [1965] N.Z.L.R. 191.

[11] (1976), 15 O.R. (2d) 290.

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