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Cour suprême du Canada

Fiducies et fiduciaires—Fiducie par interprétation ou par déduction—Relation de fait bien établie—L’«épouse» subvient d’abord aux besoins du «mari» pendant qu’il accumule du capital et plus tard participe à la construction de la maison et à l’essor de l’entreprise—Les femmes ont-elles droit à une partie des biens et de l’actif mis exclusivement au nom de l’homme?—Applicabilité des fiducies par interprétation et par déduction aux relations de fait.

Par son labeur et son épargne, l’appelant a mis sur pied au cours des années une exploitation apicole prospère. Il possède deux propriétés rurales en Ontario, où il exploite son entreprise, et détient le produit de la vente, en 1974, d’une troisième propriété située au Québec. Par son labeur et ses gains, l’intimée a considérablement contribué à la réussite de l’entreprise commune. Non mariés, l’appelant et l’intimée ont vécu comme mari et femme de 1955 à 1974, sauf pendant une séparation de trois mois en 1972. Lors de leur séparation fin 1974, l’intimée a intenté cette action par laquelle elle cherche à se faire déclarer propriétaire de la moitié des terres et à obtenir une part dans l’exploitation apicole.

Le juge de première instance a accordé à l’intimée quarante ruches sans abeilles et un montant de $1,500 qui représente le produit de ces ruches pour les années 1973 et 1974. La Cour d’appel de l’Ontario a modifié le jugement de première instance et a accordé à l’intimée un droit de propriété de moitié sur les terres appartenant à l’appelant et sur l’exploitation apicole.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Estey, Mclntyre, Chouinard et Lamer: En l’absence d’une intention expresse ou implicite de créer une fiducie par déduction, on ne peut conclure à son existence. Il n’y avait aucune entente expresse entre M. Pettkus et Mlle Becker de partager les profits. On ne peut pas présumer que l’intention est que l’épouse ait un droit si sa conduite avant l’achat des biens ou après est «tout à fait ambiguë», ou si sa participation à l’entente est «globalement

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minime». Comme M. Pettkus ne s’est pas marié ni engagé dans une relation permanente, il serait difficile de lui prêter une intention, expresse ou implicite, de partager ses économies. Mlle Becker a dit qu’ils devaient «épargner ensemble», mais en vérité M. Pettkus a épargné aux dépens de celle-ci. Vu la conclusion expresse du juge de première instance qu’une intention commune n’était pas présente et la décision de la Cour d’appel de ne pas modifier cette conclusion, cette Cour n’infère ni ne présume autre chose.

La fiducie par interprétation peut s’appliquer en l’espèce. Les conditions voulues pour établir l’enrichissement sans cause, le principe au cœur de la fiducie par interprétation, sont: un enrichissement, un appauvrissement correspondant et l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement. Il était nécessaire non seulement de déterminer qu’un conjoint a tiré un avantage aux dépens de l’autre et d’ordonner la restitution, mais aussi de considérer que la rétention de l’avantage serait injuste dans les circonstances de l’affaire. Les faits commandent la conclusion que Mlle Becker croyait avoir un droit sur la ferme et que cette attente était raisonnable dans les circonstances. Les deux premières exigences qui appuient l’enrichissement sans cause ont été remplies: M. Pettkus a bénéficié pendant dix-neuf ans d’un labeur non rémunéré alors que Mlle Becker a reçu peu ou rien en retour. Quand à la troisième condition, lorsqu’une personne liée à une autre dans une relation qui équivaut à une union conjugale, se cause un préjudice dans l’expectative raisonnable de recevoir un droit de propriété et que l’autre personne accepte librement les avantages que lui procure la première, alors qu’elle connaît ou devrait connaître cette expectative, il serait injuste de permettre au bénéficiaire de conserver cet avantage.

Le lien causal entre l’acquisition des biens et l’enrichissement correspondant nécessaire à l’application du principe d’enrichissement sans cause a été satisfait en l’espèce. La question du lien causal est vraiment une question de fait: sa contribution était-elle suffisamment importante et directe pour lui donner droit à une partie des profits réalisés?

Rien ne justifie que l’on fasse une distinction lors du partage des biens et de l’actif, entre les personnes mariées et les personnes liées par une relation moins formelle qui dure depuis longtemps. La Cour n’a pas créé une présomption de parts égales. Il y a une grande différence entre ordonner le partage égal pour des conjoints de fait, et accorder à Mlle Becker une part équivalente à la contribution qu’elle a apportée, en argent ou en valeur monétaire, pendant environ dix-neuf ans. L’absence d’un régime légal prescrivant le partage égal

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de l’actif acquis par les conjoints de fait ne s’oppose pas à l’utilisation d’un recours en equity. La part de propriété doit être proportionnelle à la contribution, directe ou indirecte, du requérant. Là où les contributions sont inégales, les parts seront inégales.

Bien que la question de droit international privé n’ait pas été plaidée, n’ait pas retenu l’attention des tribunaux ni des avocats et n’ait pas été mentionnée pendant les débats, elle se profile à l’arrière‑plan de cette affaire. Comme les parties étaient domiciliées au Québec de 1955 au moins jusqu’au mois d’août 1971, on pourrait prétendre que les lois du Québec et non celles de l’Ontario devraient régir les droits des parties. Bien que la Cour prenne connaissance d’office des lois des autres provinces et territoires du Canada, même lorsqu’on n’en a pas fait la preuve devant les tribunaux d’instance inférieure, elle ne prend toutefois pas connaissance d’office de la loi d’une autre province si on ne l’a pas plaidée en première instance.


Les juges Martland et Beetz: Cette affaire ne porte pas sur les droits d’une épouse et elle ne vise donc pas les biens matrimoniaux. Toute reconnaissance par cette Cour du droit d’un tribunal d’imposer à une partie les obligations d’un fiduciaire relativement à ses biens pour le bénéfice d’une autre personne, en raison de l’enrichissement sans cause, a de vastes répercussions et met en jeu le droit prétorien puisqu’elle donne une portée beaucoup plus grande au droit existant.

La portée de la doctrine de l’enrichissement sans cause en droit anglais est quelque peu imprécise. Elle a été reconnue dans des réclamations en remboursement d’argent—généralement dans des situations de relations fiduciaires—ou dans des situations où une personne informée de l’existence d’une fiducie acquiert le titre de propriété du bien en fiducie.

L’adoption du concept de fiducie par interprétation comporte un élargissement non souhaitable du droit que cette Cour a déjà défini parce qu’il conférerait aux juges un très vaste pouvoir d’appliquer «la justice distributive» sans le bénéfice de quoi que ce soit pour les orienter. Le seul critère de ce qui constitue l’enrichissement sans cause serait la perception ce que le juge considère personnellement comme injuste.

Ce pourvoi peut être tranché en faveur de l’intimée selon la jurisprudence existante et sans recourir aux concepts de l’enrichissement sans cause et de la fiducie par interprétation.

Le juge Ritchie: Les contributions de la demanderesse au cours de sa vie commune avec le défendeur appuient l’existence d’une fiducie par déduction régie par les

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principes de droit énoncés dans les arrêts Murdoch c. Murdoch et Rathwell c. Rathwell.

Les contributions d’un conjoint, librement acceptées par l’autre pour servir à l’achat et à l’entretien d’un foyer commun, font naître une présomption réfutable qu’au moment des contributions et de leur acceptation, les deux parties avaient l’intention de créer, en faveur du donateur, une fiducie par déduction, équivalente à la valeur des contributions. Lorsque les parties sont mariées, il y a une présomption de fiducie par déduction en faveur du donateur si l’on démontre qu’un conjoint a fait une contribution financière, ou son équivalent, pour permettre à l’autre d’acquérir des biens. Cette présomption subsiste jusqu’à ce qu’il y ait rupture du mariage, à moins qu’elle ne soit réfutée par «une preuve établissant une autre intention».

L’opinion du juge de première instance est que, quels qu’aient pu être les motifs de l’intimée, son intention en faisant les contributions était de donner des avantages à l’appelant qui les a acceptées librement et a utilisées pour l’entretien et la vie courante de leur foyer commun. On trouve, par conséquent, un appui à l’existence d’une intention commune qui donne naissance à une présomption de fiducie par déduction et certaines remarques péjoratives faites par le juge de première instance ne peuvent être considérées comme une preuve réfutant la présomption à laquelle donnent naissance les contributions de l’intimée. Plusieurs faits reconnus par la Cour d’appel, savoir que les parties ont vécu ensemble comme mari et femme, sans être mariées, pendant vingt ans, période durant laquelle l’intimée a rendu possible l’acquisition de la première propriété par l’appelant en subvenant exclusivement aux besoins du foyer et en travaillant aux côtés de l’appelant afin de mettre sur pied l’exploitation apicole—constituent la preuve que les propriétés et l’exploitation apicole sont assujetties à une fiducie par déduction en faveur de l’intimée.


Jurisprudence: Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436; Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423; Pettitt v. Pettitt, [1970] A.C. 777; Gissing v. Gissing, [1971] A.C. 886; Fribance v. Fribance, [1957] 1 All E.R. 357; Moses v. Macferlan (1760), 2 Burr. 1005; The Ruabon Steamship Company, Limited v. The London Assurance, [1900] A.C. 6; Cooper v. Cooper (1888), 13 A.C. 88; Canadian National Steamship Co. Ltd. c. Watson, [1939] R.C.S. 11; Reading v. Attorney General, [1951] A.C. 507; Cooke v. Head, [1972] 2 All E.R. 38.

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POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui a modifié le jugement du juge Chartrand. Pourvoi rejeté.

Barry B. Swadron, c.r., et Susan G. Himel, pour le défendeur, appelant.

Sidney N. Lederman et G.E. Langlois, pour la demanderesse, intimée.

Version française du jugement du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Estey, Mclntyre, Chouinard et Lamer rendu par

LE JUGE DICKSON—Par son labeur et son épargne, l’appelant, Lothar Pettkus a mis sur pied au cours des années une exploitation apicole prospère. Il possède maintenant deux propriétés rurales en Ontario, où il exploite son entreprise, et détient le produit de la vente, en 1974, d’une troisième propriété située dans la province de Québec. Toutefois, ce succès n’est pas uniquement attribuable à ses seuls efforts. Par son labeur et ses gains, l’intimée, Rosa Becker, a considérablement contribué à la réussite de l’entreprise commune. Elle a vécu avec M. Pettkus de 1955 à 1974, sauf pendant une séparation en 1972. Ils ne se sont jamais mariés. Lors de leur séparation fin 1974, Mlle Becker a intenté cette action par laquelle elle cherche à se faire déclarer propriétaire de la moitié des terres et à obtenir une part dans l’exploitation apicole.

I

Les faits

M. Pettkus et Mlle Becker ont émigré, séparément, d’Europe centrale au Canada, en 1954. Il avait $17 en poche à son arrivée. Ils se sont rencontrés à Montréal en 1955. Peu après, M. Pettkus s’est installé chez Mlle Becker, à l’invitation de cette dernière. Elle était âgée de trente ans et lui de vingt-cinq ans. Il gagnait $75 par semaine, elle gagnait $25 à $28 par semaine et plus tard, $67 par semaine.


Peu après le début de leur cohabitation, Mlle Becker a exprimé le désir qu’ils se marient. M. Pettkus a répondu qu’il envisagerait peut-être le mariage lorsqu’ils se connaîtraient mieux. La question du mariage ne s’est plus posée par la suite

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bien que, dans les années qui ont suivi, M. Pettkus ait commencé à présenter Mlle Becker comme son épouse et qu’il ait demandé une exemption à son égard aux fins de l’impôt sur le revenu.

De 1955 à 1960, ils étaient des salariés. M. Pettkus arrondissait son revenu en réparant ou en remettant en état des véhicules automobiles. Pendant cette période, Mlle Becker payait le loyer. Elle achetait la nourriture et les vêtements et s’occupait d’autres dépenses courantes. Cela permettait à M. Pettkus d’épargner tout son revenu qu’il déposait régulièrement dans un compte de banque à son nom. Ils n’ont jamais convenu de partager l’argent ou les biens placés à son nom. Les parties vivaient sobrement. En raison de leur bonne gestion et de leur mode de vie parcimonieux, un montant de $12,000 avait été économisé en 1960 et déposé dans le compte de banque de M. Pettkus.

Ils se sont tous les deux rendus dans l’Ouest canadien en juin 1960 en partageant les dépenses. Une des raisons du voyage était de trouver une ferme où ils pourraient installer une exploitation apicole. Ils ont travaillé pendant quelque temps dans une exploitation apicole.

Toutefois, ils sont revenus à Montréal au début de l’automne 1960. Mlle Becker a continué à payer le loyer à même son revenu jusqu’en octobre 1960. De ce moment jusqu’en mai 1961, M. Pettkus a payé le loyer et les dépenses du ménage puisque Mlle Becker n’avait pas de travail. En avril 1961, elle est tombée malade et a été hospitalisée.

En avril 1961, ils ont décidé d’acheter une ferme à Franklin Centre (Québec) pour $5,000. Le prix d’achat a été payé à même le compte de M. Pettkus. Le titre de propriété a été enregistré à son nom. Le plancher et le toit de la ferme avaient besoin de réparations. Mlle Becker a utilisé son argent pour acheter les matériaux pour le plancher et a aidé à refaire le plancher et à installer une salle de bain.


Pendant environ six mois au cours de l’année 1961, Mlle Becker a reçu des prestations d’assurance‑chômage qu’elle a utilisées pour payer les dépenses du ménage. Pendant deux hivers successifs, elle a vécu à Montréal et a gagné environ

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$100 par mois comme gardienne d’enfants. Ce revenu a également été utilisé pour les dépenses du ménage.

Après l’achat de la ferme à Franklin Centre, les parties ont établi une exploitation apicole. Tous deux y travaillaient: ils faisaient des cadres pour les ruches, transportaient les abeilles vers les vergers de fermes avoisinantes au printemps, vérifiaient les ruches pendant l’été, rapportaient les cadres pour l’extraction du miel pendant les mois de juillet et août, et les abeilles pour l’hivernage à l’automne. M. Pettkus s’occupait des recettes des ventes de miel; les fonds pour l’achat de ruches et d’équipement provenaient de son compte de banque.

Mlle Becker a participé matériellement à l’exploitation apicole pendant environ quatorze ans. Elle dirigeait l’opération d’extraction. Pendant un certain temps, elle a également élevé des poulets, faisans et oies. En 1968 et plus tard, les parties ont embauché des employés pour les aider à déplacer les abeilles et à récolter le miel. Presque tout le miel était vendu à des grossistes, bien que Mlle Becker en ait vendu de porte en porte.

En août 1971, dans le but d’agrandir l’entreprise, une propriété vacante a été achetée à East Hawkesbury (Ontario) au prix de $1,300. Les fonds qui ont servi à l’achat provenaient de l’exploitation apicole de Franklin Centre et du compte de banque de M. Pettkus. Le titre de la propriété nouvellement acquise a été enregistré à son nom.

En 1973 une autre propriété a été achetée à West Hawkesbury (Ontario) au nom de M. Pettkus. Le prix d’achat était de $5,500. Les fonds qui ont servi à l’achat provenaient de l’exploitation apicole de Franklin Centre et d’une contribution de $1,900 de Mlle Becker, dont je reparlerai plus tard. L’année 1973 a été prospère; une production de 65,000 livres de miel a rapporté un revenu net supérieur à $30,000.

Au début des années 1970, les rapports entre les parties ont commencé à se détériorer. En 1972, Mlle Becker a quitté M. Pettkus en raison, semblet-il, de mauvais traitements. Elle a été partie trois mois. A son départ, M. Pettkus a jeté $3,000 sur le


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plancher. Il lui a dit de prendre l’argent, une Volkswagen de 1966, quarante ruches avec les abeilles et de [TRADUCTION] «disparaître». Les ruches représentaient moins de dix pour cent du nombre total des ruches de l’exploitation.

Peu après, M. Pettkus a demandé à Mlle Becker de revenir. En janvier 1973, elle a accepté à la condition qu’il rencontre un conseiller matrimonial, qu’il fasse un testament en sa faveur et qu’il lui verse $500 par année aussi longtemps qu’elle vivrait avec lui. Il a également été convenu que M. Pettkus ouvrirait un compte de banque conjoint pour les dépenses du ménage et que les recettes des ventes au détail du miel y seraient déposées. Mlle Becker est revenue; elle a rapporté la voiture et $1,900 qui lui restaient des $3,000 qu’elle avait reçus plus tôt. Le montant de $1,900 a été déposé dans le compte de M. Pettkus. Elle a également rapporté les quarante ruches, mais les abeilles étaient mortes entre temps.

En février 1974, les parties ont emménagé dans une maison sise sur leur propriété de West Hawkesbury, construite en partie par eux-mêmes et en partie par des entrepreneurs, L’argent nécessaire à la construction provenait de leur commerce de miel, et Mlle Becker a acheté quelques matériaux.

Leurs rapports ont continué à se détériorer et, le 4 octobre 1974, Mlle Becker est partie de nouveau, de façon permanente cette fois, après un incident au cours duquel elle prétend avoir été battue et maltraitée. Elle est partie avec l’automobile et environ $2,600 comptant provenant des ventes de miel. Peu après, la présente action a été introduite.

En première instance, on a accordé à Mlle Becker quarante ruches sans abeilles et un montant de $1,500 qui représentait le produit de ces ruches pour les années 1973 et 1974.

La Cour d’appel de l’Ontario a modifié le jugement de première instance et accordé à Mlle Becker un droit de propriété de moitié sur les terres appartenant à M. Pettkus et sur l’exploitation apicole.

II

La fiducie par déduction


Ce pourvoi permet à la Cour de dissiper une ambiguïté dans laquelle se trouve le droit des biens

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matrimoniaux depuis l’arrêt Rathwell c. Rathwell[2].

De façon générale, on peut dire que les principes qui ont guidé l’évolution de la jurisprudence canadienne récente se trouvent dans deux arrêts de la Chambre des lords: Pettitt v. Pettitt[3] et Gissing v. Gissing[4]. Une opinion majoritaire n’en émerge pas nettement. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’entreprendre une analyse détaillée de ces deux arrêts, il est bon de rappeler l’héritage qu’ont laissé les arrêts Pettitt et Gissing. Tout d’abord, ils ont appuyé la recherche judiciaire de cette intention commune fugitive qui doit être prouvée afin d’établir le droit de propriété véritable sur les biens matrimoniaux. Deuxièmement, les lords juges ne se sentaient pas libres d’attribuer ou d’imputer aux parties une intention non étayée par la preuve, afin de respecter l’«équité» dans le partage de l’actif des partenaires dans un mariage. Troisièmement, dans l’arrêt Gissing, quatre des lords juges ont parlé de [TRADUCTION] «fiducie implicite, par interprétation ou par déduction» sans faire de distinction.

Dans l’arrêt Murdoch c. Murdoch[5], la Cour, à la majorité, a adopté le concept de l’«intention commune» énoncé par lord Diplock dans Gissing:

[TRADUCTION] Si difficiles qu’ils soient à résoudre, cependant, ces problèmes relatifs au montant de la part d’un conjoint dans la propriété véritable d’un foyer conjugal lorsque seul l’autre conjoint est investi de la propriété légale, ne se présentent que dans des cas où la cour est convaincue par les paroles ou la conduite des parties que leur intention commune était que la propriété véritable n’appartiendrait pas seulement au conjoint investi de la propriété légale mais serait partagée entre eux selon telle ou telle proportion. [à la p. 438]

Dans l’arrêt Murdoch, on a jugé qu’aucune preuve n’établissait l’intention commune. Dans l’arrêt Rathwell, précité, on a conclu à l’existence de l’intention commune. Bien que l’on ait acquiescé à la notion d’intention commune dans les arrêts Murdoch et Rathwell, de multiples difficul-

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tés, mentionnées dans la jurisprudence et les commentaires sur le sujet, sont inhérentes à l’application de la doctrine dans les litiges relatifs aux biens matrimoniaux. L’«intention commune» recherchée n’est pour ainsi dire jamais expresse; les cours doivent glaner l’«intention fantôme» dans la conduite des parties. La conduite la plus pertinente est celle qui a trait aux ententes financières pour l’achat de biens. A défaut de preuve de contribution directe d’un conjoint, il peut y avoir preuve d’avantages indirects: par exemple lorsqu’un partenaire assume les dépenses quotidiennes alors que l’autre rembourse le prêt hypothécaire pendant un certain nombre d’années, Fribance v. Fribance[6].

On a fait ressortir le caractère artificiel de la recherche de l’intention commune. Le professeur Donovan Waters a dit dans un commentaire (1975), 53 Rev. B. Can. 366:

[TRADUCTION] En d’autres mots, cette «découverte» d’une intention commune implicite antérieure à l’achat est, dans bien des cas; un simple moyen ou formule pour donner à l’épouse une juste part dans l’actif en litige. C’est en fait une fiducie par interprétation qui se déguise en une fiducie par déduction. [à la p. 368]

Le professeur Waters fait également remarquer dans une analyse des doctrines de la fiducie par déduction et de la fiducie par interprétation:

[TRADUCTION] Après tout, rares sont les cas où il sera impossible ou déraisonnable de conclure à l’existence d’une entente et, le cas échéant, la justice et l’équité peuvent bien conduire à la même conclusion que celle à laquelle on arrive par le droit des fiducies par déduction. Mais trop souvent, la théorie de la fiducie par déduction entraîne un résultat incompatible avec ce qui semblerait l’issue la plus souhaitable, ou alors il y a une mésentente entre les cours d’appel, et ce qui pourrait bien être une divergence d’opinions judiciaires sur les faits devient une divergence d’opinions sur les subtilités du droit des fiducies. [à la p. 377]

Dans Murdoch c. Murdoch, le juge Laskin, maintenant Juge en chef, a introduit dans un litige sur les biens matrimoniaux le concept de la fiducie par interprétation pour empêcher l’enrichissement sans cause. Il est imposé indépendamment de l’intention de créer une fiducie, et son but est de remédier à un résultat autrement injuste. C’est un outil général, souple et juste qui permet aux tribu-

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naux d’apprécier toutes les circonstances de l’espèce, y compris les contributions respectives des parties, et de déterminer le droit de propriété véritable. Il est décrit comme suit dans Rathwell, à la p. 455:


La fiducie par l’interprétation, ainsi envisagée, comporte l’imposition par le tribunal du mécanisme fiduciaire pour atteindre un résultat conforme à ce que dicte la conscience. En principe, le tribunal ne permettra pas à quelqu’un de s’approprier injustement des biens acquis par le travail d’un autre. Le lien du mariage entre les parties ne met pas en échec ce principe; mais pour qu’il l’emporte, les faits doivent démontrer un enrichissement, un appauvrissement correspondant et l’absence de tout motif juridique—tel un contrat ou une disposition légale—à l’enrichissement.

Bien que la fiducie par déduction permette souvent à l’épouse d’obtenir le redressement qu’elle sollicite, elle ne s’applique pas, comme le fait remarquer le professeur Waters, (à la p. 374): [TRADUCTION] «lorsqu’il est impossible ou déraisonnable de supposer une intention». On ne peut pas présumer que l’intention est que l’épouse ait un droit si sa conduite avant l’achat des biens ou après est [TRADUCTION] «tout à fait ambiguë», ou si sa participation à la prétendue entente est [TRADUCTION] «globalement minime». Lorsque la preuve est incompatible avec la fiducie par déduction, la cour peut choisir de refuser le redressement ou d’accepter la fiducie par interprétation.

Si l’on examine la présente affaire et l’intention commune, il ressort clairement de la preuve qu’il n’y avait aucune entente expresse entre M. Pettkus et Mlle Becker de partager les profits. Elle a admis qu’il n’y avait aucune entente précise relativement à l’utilisation de son argent. Elle a dit [TRADUCTION] «Non, nous avons seulement épargné ensemble. Nous voulions le faire ensemble, c’était à nous». L’entente [TRADUCTION] «n’a pas été formulée en paroles¼ rien n’a été discuté¼». Elle a témoigné qu’elle n’était pas intéressée au montant d’argent que M. Pettkus avait en banque. En réponse à la question [TRADUCTION] «mais il ne vous a jamais dit que ce qu’il épargnait vous appartenait?» Elle a répondu: [TRADUCTION] «Je ne lui ai jamais demandé».

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Il est évident que M. Pettkus a pris le contre-pied de la revendication de Mlle Becker. Il ressort clairement de son témoignage qu’il ne Ta jamais considérée comme son épouse. Leurs finances étaient complètement séparées, sauf pour le compte conjoint destiné au produit de la vente du miel au détail. En contre-interrogatoire, on a posé la question suivante à M. Pettkus: [TRADUCTION] «vous épargniez ensemble?», et il a répondu: [TRADUCTION] «J’ai épargné, mais pas elle». Comme M. Pettkus ne s’est pas marié ni engagé dans une relation permanente, il serait difficile de lui prêter une intention, expresse ou implicite, de partager ses économies. Mlle Becker a dit qu’ils devaient [TRADUCTION] «épargner ensemble», mais en vérité M. Pettkus a épargné aux dépens de Mlle Becker.

Relativement à la période allant de 1955 au printemps 1961, le juge de première instance a conclu:

[TRADUCTION] Maintenant la demanderesse réclame une part de la ferme parce qu’au début de leur relation, ils avaient convenu implicitement de mener une entreprise commune: la demanderesse devait payer les dépenses courantes et le défendeur épargner. Je suis certain que la demanderesse, qui tenait à se marier, n’aurait pas formulé expressément une telle proposition à l’époque, de crainte d’éloigner un mari éventuel. Je considère que sa contribution aux dépenses du ménage pendant les premières années de leur relation était de la nature d’un capital à risques investi dans l’espoir d’amener le défendeur, un homme plus jeune qu’elle au mariage.

De plus, la preuve n’indique pas clairement que de 1955 à mai 1961, la demanderesse ait contribué plus que le défendeur aux dépenses générales du ménage, de sorte que je considère que c’est en raison de son salaire plus élevé, de son mode de vie modeste, et de l’argent qu’il gagnait en effectuant des réparations après l’ouvrage, que le défendeur a accumulé $12,000. Il faut souligner que la demanderesse a également fait quelques économies. [C’est moi qui souligne.]

Bien que cet extrait manque de galanterie, les mots soulignés représentent des conclusions de fait du juge de première instance qui nient l’intention commune.

Quant à la contribution de Mlle Becker à l’exploitation apicole, le juge de première instance a conclu:

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[TRADUCTION] Puisque l’exploitation apicole est saisonnière, le défendeur a continué son occupation secondaire, la réparation de voitures allemandes, mais les deux entreprises ne suffisaient pas toujours à couvrir les dépenses du ménage de sorte que la demanderesse a dû travailler à l’extérieur à quelques reprises. Je conclus également que pendant cette période la demanderesse a aidé le défendeur jusqu’à un certain point dans l’exploitation de l’entreprise apicole, en particulier au moment de la récolte, mais cette aide était saisonnière et marginale puisque le défendeur embauchait des employés pour l’aider pendant les périodes de pointe.

Le juge de première instance a traité comme suit de la réclamation de Mlle Becker à un droit sur une partie des propriétés situées en Ontario, pour les années 1971 à 1974:


[TRADUCTION] La demanderesse prétend que ces montants d’argent provenaient de l’exploitation apicole de Franklin Centre et réclame un droit sur une partie de ces propriétés situées en Ontario compte tenu de sa participation active à l’exploitation apicole. Encore une fois, la demanderesse n’aurait pas songé à formuler explicitement une telle réclamation à l’époque parce qu’aucune des parties n’avait envisagé une telle fiducie, même implicitement. [C’est moi qui souligne.]

De nouveau, la notion d’intention implicite et de fiducie par déduction est rejetée. En première instance M. Pettkus a témoigné comme suit:

[TRADUCTION] Q. Très bien. Maintenant avez-vous déjà examiné avec elle la question de savoir si elle avait un droit soit sur votre entreprise de garage soit sur votre exploitation apicole?

R. Tout m’appartenait. Elle n’avait aucun droit sur l’entreprise, aucun.

Q. A-t-elle déjà prétendu avoir un droit?

R. Non.

Voici le témoignage de M. Pettkus relativement à l’entente aux termes de laquelle Mlle Becker devait recevoir $500 par année:

[TRADUCTION] R. Bien, je savais que toute l’entreprise était à mon nom et qu’elle n’avait rien, aussi j’ai pensé qu’il serait juste de lui donner un petit peu d’argent; je me suis dit qu’un montant de cinq cents dollars suffirait à couvrir toutes les dépenses; elle devait recevoir $500 par année aussi longtemps qu’elle demeurerait avec moi si la récolte était bonne, si la récolte était mauvaise bien sûr je n’aurais pas pu payer.

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Au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, Madame le juge Wilson a formulé l’avis que le juge de première instance a grandement sousestimé la contribution de Mlle Becker au cours des années. Cette dernière a rendu possible l’achat de la propriété à Franklin Centre et a travaillé aux côtés de M. Pettkus pendant quatorze ans pour mettre sur pied l’exploitation apicole.

Le juge de première instance a décidé qu’il n’y avait pas d’intention commune, expresse ou implicite. Il est important de souligner que la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas écarté cette conclusion.

Je ne suis pas disposé à inférer ni à présumer une intention commune alors que le juge de première instance est parvenu à une conclusion expresse contraire et que cette conclusion n’a pas été modifiée par la Cour d’appel. Par conséquent, je suis d’avis que la réclamation de MIle Becker fondée sur la fiducie par déduction, doit échouer. Si elle doit avoir gain de cause, la fiducie par interprétation semble être le seul fondement juridique possible de sa réclamation.

III

La fiducie par interprétation


Le principe de l’enrichissement sans cause est au cœur de la fiducie par interprétation. «L’enrichissement sans cause» a joué un rôle dans la doctrine juridique anglo-américaine pendant des siècles. Dans l’arrêt Moses v. Macferlan[7] lord Mansfield s’est exprimé comme suit: [TRADUCTION] «¼le motif principal de cette action est que le défendeur est obligé en vertu des règles de justice naturelle et d’equity de rembourser l’argent». Il ne conviendrait pas, et en fait il serait impossible, d’essayer de définir toutes les circonstances qui peuvent donner lieu à un enrichissement sans cause. (Voir A.W. Scott, «Constructive Trust», (1955), 71 L.Q.R. 39; Leonard Pollock, «Matrimonial Property and Trusts: The Situation from Murdock to Rathwell», (1978) 16 Alberta Law Review 357). Le grand avantage des principes anciens d’equity est leur souplesse: les tribunaux peuvent donc

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modeler ces principes malléables pour répondre aux nécessités et aux mœurs changeantes de la société, afin que justice soit rendue. La fiducie par interprétation s’est révélée utile dans l’arsenal judiciaire. Voir Babrociak v. Babrociak[8]; Re Spears and Levy et al.[9]; Douglas v. Guaranty Trust Company of Canada[10]; Armstrong v. Armstrong[11].

Sous quel angle faut-il aborder la question de l’enrichissement sans cause dans les affaires matrimoniales? Dans l’arrêt Rathwell, je me suis risqué à avancer qu’il y a trois conditions à respecter pour que l’on puisse dire qu’il y a enrichissement sans cause: un enrichissement, un appauvrissement correspondant et l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement. Il me semble que cette façon de voir est appuyée par les principes généraux d’equity que les cours ont modelés pendant des siècles, bien que, de l’aveu général, cela n’ait pas été fait dans les litiges concernant les biens matrimoniaux.


La common law n’a jamais voulu indemniser un demandeur pour la seule raison qu’un tiers a tiré un avantage de ses actions. Lord Halsbury a mis fin à cette hérésie dans l’arrêt The Ruabon Steamship Co., Ltd. v. London Assurance[12] en ces termes: [TRADUCTION] «¼je ne peux comprendre comment l’on peut affirmer qu’en common law, lorsqu’une personne est avantagée par l’action d’une autre, cette dernière peut lui demander de contribuer aux frais que son action a occasionnés.» (à la p. 10). Dans la même affaire, lord Macnaghten s’exprime comme suit: [TRADUCTION] «Il n’existe aucun principe de droit selon lequel une personne devrait contribuer à une dépense simplement parce que cette dépense lui a procuré un avantage». (à la p. 15) Il ne suffit pas que le tribunal détermine simplement qu’un conjoint a procuré un avantage à l’autre et ordonne ensuite la restitution. Il doit être évident, en plus, que la rétention de l’avantage serait «injuste» dans les circonstances de l’affaire.

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Mlle Becker a subvenu aux besoins de M. Pettkus pendant 5 ans. Elle a ensuite travaillé à la ferme pendant environ 14 ans. Les faits commandent la conclusion qu’elle croyait avoir un droit sur la ferme et que cette attente était raisonnable dans les circonstances. M. Pettkus semble avoir reconnu un certain droit de propriété à Mlle Becker en lui payant une indemnité, si minime fût-elle. Aucune preuve n’indique qu’il l’ait jamais informée que tout le travail qu’elle avait effectué pendant dix-neuf ans l’avait été à titre gratuit. Il a accepté tranquillement les avantages que lui ont procurés son appui financier et son labeur.

Selon ces faits, les deux premières exigences énoncées dans l’arrêt Rathwell ont été bien remplies: M. Pettkus a bénéficié pendant dix-neuf ans d’un labeur non rémunéré alors que Mlle Becker a reçu peu ou rien en retour. Quant à la troisième condition, je suis d’avis que lorsqu’une personne, liée à une autre dans une relation qui équivaut à une union conjugale, se cause un préjudice dans l’expectative raisonnable de recevoir un droit de propriété et que l’autre personne accepte librement les avantages que lui procure la première, alors qu’elle connaît ou devrait connaître cette expectative raisonnable, il serait injuste de permettre au bénéficiaire de conserver cet avantage.

Je conclus, en accord avec l’arrêt de la Cour d’appel, que la fiducie par interprétation s’applique en l’espèce. Comme Madame le juge Wilson l’a fait remarquer, [TRADUCTION] «Les parties ont vécu ensemble comme mari et femme, sans être mariées, pendant presque vingt ans; au cours de cette période, elle a non seulement rendu possible l’acquisition de leur première propriété à Franklin Centre¼ pendant les années maigres, mais elle a travaillé à ses cotés pendant quatorze ans à mettre sur pied l’exploitation apicole, leur principale source de revenus».


Madame le juge Wilson n’a eu aucune difficulté à conclure qu’une fiducie par interprétation avait été créée en faveur de l’intimée en raison d’un [TRADUCTION] «effort conjoint» et d’un [TRADUCTION] «travail d’équipe», par suite desquels M. Pettkus a pu acquérir la propriété de Franklin Centre, puis les propriétés de East Hawkesbury et

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de West Hawkesbury. La Cour d’appel de l’Ontario a imposé l’application de la fiducie par interprétation afin que justice soit faite et, avec égards, je suis d’avis de l’appliquer également.

IV

La relation de «fait»

Il faut se demander si nous pouvons établir la fiducie par interprétation dans le contexte de ce que l’on appelle souvent et par euphémisme une relation «de fait». La fiducie par interprétation vise à rectifier des situations qui autrement entraîneraient un enrichissement sans cause. En principe, rien ne s’oppose à l’application de la doctrine aux relations de fait. Il convient de souligner qu’avec raison à mon avis, l’avocat de M. Pettkus n’a pas opposé, devant cette Cour, la relation de fait en défense à la réclamation de Mlle Becker, sauf par la référence à La Loi de 1978 sur la réforme du droit familial, 1978 (Ont.) chap. 2.

Les tribunaux d’autres pays n’ont pas considéré que l’absence de lien matrimonial créait des problèmes. Voir Cooke v. Head[13]; Eves v. Eves[14]; Spears v. Levy, précité; et, aux États-Unis, Marvin v. Marvin[15] et un commentaire de cet arrêt (1977), 90 Harv. L.R. 1708. Dans Marvin, la Cour suprême de la Californie a déclaré que l’on pouvait appliquer la fiducie par interprétation pour répondre aux expectatives raisonnables des parties et pour appuyer le concept que des personnes qui cohabitent sans être mariées ont l’intention d’être équitables l’une envers l’autre.

Rien ne justifie que l’on fasse une distinction, lors du partage des biens et de l’actif, entre les personnes mariées et les personnes liées par une relation moins formelle qui dure depuis longtemps. Il ne s’agissait pas d’une association économique, ni d’une simple relation d’affaire ni d’une rencontre fortuite. M. Pettkus et Mlle Becker ont vécu comme mari et femme pendant vingt ans. Leur vie et leur bien-être économique étaient entièrement intégrés. Le principe d’equity sur lequel repose le


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recours à la fiducie par interprétation est large et général; son but est d’empêcher l’enrichissement sans cause dans toutes les circonstances où il se présente.

Au cours des dernières années, le droit de la famille et des biens matrimoniaux a fait l’objet de nombreuses réformes législatives. L’avocat de M. Pettkus a correctement fait remarquer que la Loi de 1978 sur la réforme du droit familial, de l’Ontario, adoptée après l’introduction du présent litige, n’assujettit pas les conjoints de fait à la présomption de partage égal, qui s’applique maintenant aux personnes mariées. Il prétend que les cours ne doivent pas élaborer de recours en equity qui sont [TRADUCTION] «contraires à l’intention législative actuelle». La réplique est qu’il n’était pas nécessaire de légiférer à cet égard, puisqu’il existe toujours un recours en equity pour le partage des biens entre des personnes non mariées qui ont contribué à l’acquisition de l’actif. L’effet de cette loi est de partager également, d’office, l’«actif de famille» sans tenir compte de la contribution. La Cour ne crée pas ici une présomption de parts égales. Il y a une grande différence entre ordonner le partage égal pour des conjoints de fait, et accorder à Mlle Becker une part équivalente à la contribution qu’elle a apportée, en argent ou en valeur monétaire, pendant environ dix-neuf ans. L’absence d’un régime légal prescrivant le partage égal de l’actif acquis par les conjoints de fait ne s’oppose pas à l’utilisation d’un recours en equity dans les présentes circonstances.

V

Le règlement ou la fin de non-recevoir

Une autre question débattue est de savoir si l’acceptation par Mlle Becker de $3,000, de quarante ruches et d’une automobile lors de leur séparation temporaire, et l’imposition de conditions à son retour l’empêchent de réclamer davantage. Le juge de première instance a répondu affirmativement à cette question. Avec égards, je crois qu’il s’est trompé. On ne peut opposer une fin de nonrecevoir à une personne qui accepte un montant d’argent jeté à ses pieds, et dont le montant n’est pas négocié. Mlle Becker n’a souscrit à aucune entente quant à son droit dans ce que je considère

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comme un avoir conjoint, et on ne peut dire que les conditions posées par Mlle Becker lors de la reprise de la vie commune s’opposent à sa réclamation. On a statué dans l’arrêt Rathwell, précité, que le dépôt par Mme Rathwell d’une opposition par laquelle elle réclamait un droit d’un dixième ne pouvait justifier le rejet de sa réclamation de partage égal des avoirs accumulés par son mari et elle.

VI

Le lien causal

La question du «lien causal» a également été opposée en défense à la réclamation de Mlle Becker, mais ne présente pas de difficultés sérieuses. Il y a un lien évident entre la contribution et les avoirs en cause. La contribution de Mlle Becker a été telle qu’elle a permis à M. Pettkus d’acquérir les avoirs en litige ou l’a aidé à les acquérir. Pour que le principe de l’enrichissement sans cause s’applique, il faut, bien sûr, établir un lien entre l’acquisition des biens et l’appauvrissement correspondant. Les faits de l’espèce indiquent que l’on a satisfait à ce critère. La contribution indirecte d’argent et la contribution directe de labeur sont clairement liées à l’acquisition des biens dont la propriété véritable est en litige. Mlle Becker a contribué indirectement à l’acquisition de la ferme de Franklin Centre en permettant à M. Pettkus d’épargner plus rapidement les fonds nécessaires. Il s’agit vraiment d’une question de fait: sa contribution était-elle suffisamment importante et directe pour lui donner droit à une partie des profits réalisés sur la vente de la propriété de Franklin Centre et lui donner un droit sur les propriétés de Hawkesbury et sur l’exploitation apicole? La Cour d’appel de l’Ontario a répondu par l’affirmative à cette question et je souscris à cette conclusion.

VII

Les parts respectives

Bien que l’on dise que l’equity favorise l’égalité, l’arrêt Rathwell dit que toute contribution ne donnera pas droit à l’époux à une moitié des biens. La part de propriété doit être proportionnelle à la contribution, directe ou indirecte, du requérant. Là

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où les contributions sont inégales, les parts seront inégales.


Bien que l’on puisse prétendre que M. Pettkus a contribué un peu plus que Mlle Becker à la réussite matérielle de l’entreprise conjointe, il faut reconnaître qu’ils sont tous deux partis de rien; chacun a travaillé continuellement, assidûment et diligemment à l’entreprise conjointe. Physiquement, Mlle Becker n’a pas craint de faire sa part; bien qu’elle ne pesât que 87 livres, elle a aidé à déplacer des ruches en pesant 80. S’il y a une différence dans la qualité ou la valeur de la contribution, elle est mince. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire la Cour d’appel de l’Ontario a favorisé un partage égal et je ne modifierais pas cette décision, sauf pour faire remarquer que dans le calcul, il faudrait tenir compte du montant de $2,600 et de l’automobile que Mlle Becker a reçus lors de la séparation en 1974.

VIII

Je ne peux terminer sans mentionner la question de droit international privé qui se profile à l’arrière‑plan de cette affaire. La preuve révèle que les parties étaient domiciliées dans la province de Québec de 1955 au moins jusqu’au mois d’août 1971, au moment de l’achat de la propriété vacante de East Hawkesbury (Ontario). On pourrait prétendre que les lois de la province de Québec et non celles de l’Ontario devraient régir les droits des parties. Ce point n’a pas été plaidé et n’a pas retenu l’attention des tribunaux ni des avocats dans les procédures antérieures. Il n’a pas été mentionné pendant les débats devant cette Cour.

A mon avis, la situation juridique est celle énoncée par le professeur Jean Castel, dans Droit international privé québécois (Butterworths, 1980, aux pp. 803 et 804). Bien que devant un tribunal d’instance inférieure, il faille faire la preuve de la loi d’une autre province du Canada comme s’il s’agissait de la loi d’un pays étranger, cette règle ne s’applique pas à un pourvoi devant cette Cour. Cette Cour suit la règle énoncée par la Chambre des lords dans l’arrêt Cooper v. Cooper[16] et prend

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connaissance d’office des lois des autres provinces et territoires du Canada même lorsqu’on n’en a pas fait la preuve devant les tribunaux d’instance inférieure. Toutefois, cette Cour ne prend pas connaissance d’office de la loi d’une autre province si on ne l’a pas plaidée en première instance. Comme l’a décidé le juge Cannon dans Canadian National Steamship Co. Ltd. c. Watson[17] à la p. 18, il serait injuste que cette Cour prenne, de son propre chef, connaissance d’office des lois d’une autre province qui n’on pas été mentionnées dans les procédures écrites.


Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens à l’intimée.

Version française des motifs rendu par

LE JUGE MARTLAND—Je souscris aux motifs de mon collègue le juge Ritchie. J’aimerais exposer brièvement les raisons pour lesquelles j’appuie son opinion quant à l’application de la théorie de la fiducie par interprétation dans les circonstances de l’espèce.

Il s’agit de la troisième affaire soumise à cette Cour dans laquelle on revendique la reconnaissance d’un droit sur ce que l’on prétend être des «biens familiaux». Dans les deux premières affaires, la réclamation a été présentée par l’épouse contre son mari. En l’espèce, la requérante n’est pas l’épouse du défendeur.

Dans l’arrêt Murdoch c. Murdoch[18] l’épouse réclamait un droit de sociétaire sur trois quarts‑de‑section de terrain ainsi que sur les autres biens de son mari. Le juge de première instance a conclu que les parties n’étaient pas associées et qu’aucun lien ne permettait à l’épouse de réclamer en qualité de propriétaire conjointe en equity un bien de ferme. Devant cette Cour, l’épouse a fait valoir l’existence d’une fiducie par déduction et non pas l’existence d’une société. En rejetant la réclamation de l’épouse, la majorité de la Cour a examiné deux arrêts anglais qui font autorité, Pettitt v. Pettitt[19] et Gissing v. Gissing[20] et a également fait

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remarquer que, dans ces arrêts, la réclamation de l’épouse ne visait que le foyer conjugal. Les passages suivants des motifs de lord Diplock dans ce dernier arrêt, aux pp. 905 et 909, ont été cités et approuvés:

[TRADUCTION] Une fiducie résultante, implicite ou par détermination de la loi—et il n’est pas nécessaire aux fins du présent appel de faire une distinction entre ces trois catégories de fiducie—est créée lors d’une opération entre le fiduciaire et le bénéficiaire de la fiducie portant sur l’acquisition par le fiduciaire d’un droit de propriété légal dans un bien-fonds, toutes les fois que le fiduciaire s’est conduit d’une manière telle qu’il serait inéquitable de lui permettre de refuser au bénéficiaire de la fiducie une part de bénéficiaire de la propriété véritable du bien-fonds acquis. Et l’on conclura à une telle conduite si par ses paroles ou sa conduite le fiduciaire a incité le bénéficiaire d’une fiducie à agir contre son propre intérêt dans la croyance raisonnable qu’en agissant ainsi il faisait l’acquisition d’une part de la propriété véritable du bien-fonds en question.

¼


Si difficiles qu’ils soient à résoudre, cependant, ces problèmes relatifs au montant de la part d’un conjoint dans la propriété véritable d’un foyer conjugal lorsque seul l’autre conjoint est investi de la propriété légale, ne se présentent que dans des cas où la cour est convaincue par les paroles ou la conduite des parties que leur intention commune était que la propriété véritable n’appartiendrait pas seulement au conjoint investi de la propriété légale mais serait partagée entre eux selon telle ou telle proportion.

On a conclu que, compte tenu de la preuve en l’espèce et des conclusions du juge de première instance, on ne pouvait pas affirmer qu’il existait une quelconque intention de ne pas restreindre au mari seulement la propriété véritable du bien en litige.

La majorité de la Cour ne s’est pas ralliée à l’opinion, formulée dans les motifs de dissidence, que la Cour pouvait conclure à une fiducie par interprétation qui ne dépend pas d’une preuve d’intention.

Dans Rathwell c. Rathwell[21], cette Cour était de nouveau saisie de la réclamation d’une épouse

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visant un droit de propriété véritable sur des terres dont le mari détenait le titre de propriété légale, et la preuve a permis de reconnaître l’existence de ce droit. Trois membres de la Cour ont exprimé l’avis que l’on pouvait appuyer la réclamation soit sur la fiducie par déduction, fondée sur l’intention commune, soit sur la fiducie par interprétation, fondée sur l’enrichissement sans cause. Deux membres de la Cour ont décidé que la fiducie par déduction avait été prouvée et qu’il n’était pas nécessaire de décider de l’application des principes de l’enrichissement sans cause et de la fiducie par interprétation. Quatre membres de la Cour ont rejeté l’application, dans des affaires de cette nature, de la doctrine de la fiducie par interprétation comme moyen de prévenir l’enrichissement sans cause. Les motifs en sont exposés aux pp. 471 à 474 du recueil et il n’est pas nécessaire de les répéter ici.

Comme on l’a souligné plus tôt, la présente affaire ne porte pas sur les droits d’une épouse et elle ne vise donc pas les biens matrimoniaux. Toute reconnaissance par cette Cour du droit d’un tribunal d’imposer à une partie les obligations d’un fiduciaire relativement à ses biens pour le bénéfice d’une autre personne, en raison de l’enrichissement sans cause, a de vastes répercussions et met en jeu le droit prétorien puisqu’elle donne une portée beaucoup plus grande au droit existant.


La portée de la doctrine de l’enrichissement sans cause dans le droit anglais est quelque peu imprécise. La déclaration générale de lord Mansfield dans l’arrêt Moses v. Macferlan[22] a été faite dans le cadre d’une action en répétition de l’indû que pouvait introduire le demandeur. C’est dans ce contexte qu’il a dit: [TRADUCTION] «le motif principal de cette action est que le défendeur est obligé en vertu des règles de justice naturelle et d’equity de rembourser l’argent.

Les décisions postérieures n’ont pas appuyé la généralité de cette déclaration; elles ont jugé que l’action en répétition de l’indû devait être examinée dans un cadre contractuel sur le fondement d’une promesse implicite de payer. Dans l’arrêt Holt v. Markham[23] à la p. 513, le lord juge

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Scrutton a fait mention de la [TRADUCTION] «doctrine de lord Mansfield maintenant abandonnée». Dans l’arrêt Morgan v. Ashcroft[24] à la p. 62, lord Greene a dit: [TRADUCTION] «L’opinion de lord Mansfield sur ces questions, aussi attrayante soitelle, ne peut maintenant être acceptée comme étayant réellement la réclamation.»

Bien que dans l’arrêt Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn Lawson Combe Barbour Ld.[25] à la p. 62, lord Wright ait manifesté sa sympathie pour l’opinion de lord Mansfield, nous pouvons remarquer que quelques années plus tard dans l’arrêt Reading v. Attorney-General[26] aux pp. 513 et 514, lord Porter a dit:

[TRADUCTION]¼ On a prétendu au cours des débats que le savant juge avait fondé sa décision uniquement sur la doctrine de l’enrichissement sans cause et que cette doctrine n’était pas reconnue en droit anglais. Vos Seigneuries, la situation réelle de l’enrichissement sans cause n’est pas encore certaine. Elle tient une place prédominante en droit écossais et américain, je crois, mais pour les fins de cette affaire je me limiterai à accepter l’opinion qu’elle ne fait pas partie du droit anglais et qu’un droit à la restitution ainsi décrit le serait trop largement.

Dans l’arrêt Pettitt (précité), à la p. 795, lord Reid a examiné la théorie de l’enrichissement sans cause comme suit:


[TRADUCTION] On a fait mention de la doctrine de l’enrichissement sans cause. A mon avis, cela n’est d’aucune utilité. On a appliqué l’expression à des situations où une personne qui a effectué des paiements en réclame le remboursement en justice. Mais il ne semble pas y avoir dans la jurisprudence anglaise de cas où l’on ait appliqué la doctrine à une personne qui a participé à l’amélioration des biens d’une autre. Et, quoi qu’il en soit, cela ne donnerait lieu qu’à une réclamation pécuniaire, alors qu’un conjoint qui participe à une amélioration revendique généralement un droit de propriétaire dans les biens ainsi améliorés.

Il n’a pas laissé entendre que dans ce cas la reconnaissance d’un droit de propriété véritable pourrait s’effectuer au moyen de la fiducie par interprétation.

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Il semblerait qu’en droit anglais, l’existence d’un enrichissement sans cause a été reconnue dans des réclamations en remboursement d’argent, ce qui était le cas dans l’arrêt Moses v. Macferlan (précité) où lord Mansfield a fait sa déclaration.

J’examinerai maintenant la nature d’une fiducie par interprétation telle qu’on l’a reconnue jusqu’ici. C’est généralement dans des situations de relations fiduciaires que l’on a reconnu l’existence d’une fiducie par interprétation, par exemple, un fiduciaire qui profite de sa situation pour s’avantager. On a également reconnu l’existence d’une telle fiducie lorsqu’une personne informée de l’existence d’une fiducie acquiert le titre de propriété du bien en fiducie. Sur le sujet de l’enrichissement sans cause, on trouve le passage suivant dans Snell’s Principles of Equity, 27e éd., à la p. 186:

[TRADUCTION] Dans certains ressorts, on en est venu à considérer la fiducie par interprétation comme un moyen de remboursement pour de nombreux cas d’enrichissement sans cause; lorsqu’un tribunal est d’avis que le bien en question devrait être restitué, il impose simplement une fiducie par interprétation au bénéficiaire. En Angleterre, cependant, la fiducie par interprétation demeure essentiellement une institution indépendante; il ne faut pas confondre la propriété et les obligations, et il ne faut pas transformer la relation débiteur-créancier en une relation de fiduciaire‑bénéficiaire de la fiducie. Toutefois, l’attitude des tribunaux est peut-être en voie de se modifier; et bien que la fiducie par interprétation ne soit sans doute pas confinée aux situations découlant d’une relation fiduciaire, on est loin de connaître avec certitude les autres circonstances qui suffisent à la faire jouer ou dans quelle mesure on peut l’utiliser comme moyen de redressement d’equity pour faire respecter des droits reconnus par la loi.


On trouve un appui à la déclaration que [TRADUCTION] «l’attitude des tribunaux est peut‑être en voie de se modifier» dans l’arrêt Hussey v. Palmer[27]. Dans cette affaire, la demanderesse est allée vivre avec sa fille et son gendre et a payé les frais de l’addition d’une chambre à leur maison. Ils ne se sont pas entendus et la demanderesse est partie. Elle a intenté une action en recouvrement de l’argent qu’elle avait dépensé. En Cour d’appel, lord Denning a conclu à l’existence d’une fiducie

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par interprétation. Le lord juge Phillimore a considéré qu’il s’agissait d’une fiducie par déduction et le lord juge Cairns était dissident.

On peut s’interroger sur la validité de cet arrêt comme le fait ressortir le commentaire paru à (1973), 89 L.Q.R. 2. Lord Denning, à la p. 1290, a parlé de la fiducie par interprétation comme d’une [TRADUCTION] «fiducie imposée en droit lorsque la justice et la bonne conscience l’exigent». Voici le commentaire de cette généralisation dans le Law Quarterly Review, à la p. 4:

[TRADUCTION] Ces grandes généralisations seront plus familières aux avocats américains qu’aux avocats anglais. Cela s’applique particulièrement à la notion que les fiducies par déduction et par interprétation vont de pair et que leur réunion fournit un redressement en equity: voir par exemple A.W. Scott (1955) 71 L.Q.R. 39. En réalité, même les auteurs qui ont quelque sympathie pour la notion ne prétendent pas qu’elle fait déjà partie du droit anglais: voir Hanbury’s Modem Equity (9e éd. 1969) aux pp. 222 et 223; Goff & Jones, Restitution (1966) à la p. 37.

A mon avis, l’adoption de ce concept comporte un élargissement du droit que cette Cour a déjà défini. Un tel élargissement n’est pas souhaitable à mon avis. Il conférerait aux juges un très vaste pouvoir d’appliquer ce que l’on a appelé «la justice distributive» sans le bénéfice de quoi que ce soit pour les orienter. Quel critère doit appliquer le juge pour décider ce qui constitue l’enrichissement sans cause? Le seul critère serait sa perception personnelle de ce qu’il considère comme injuste.

Comme l’a dit mon collègue le juge Ritchie dans ses motifs, ce pourvoi peut être tranché en faveur de l’intimée selon la jurisprudence existante et sans recourir aux concepts de l’enrichissement sans cause et de la fiducie par interprétation.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE RITCHIE:—J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge Dickson qui contiennent un exposé précis des faits qui ont donné lieu à ce pourvoi.

Je suis d’accord avec la conclusion de mon collègue le juge Dickson, mais puisque mes motifs


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diffèrent considérablement des siens, j’estime nécessaire de rédiger un avis distinct.

La différence entre nos motifs découle de ma conclusion que les contributions de la demanderesse au cours de sa vie commune avec le défendeur appuient l’existence d’une fiducie par déduction régie par les principes de droit adoptés par la majorité de cette Cour dans les arrêts Murdoch c. Murdoch[28] et Rathwell c. Rathwell[29] alors qu’en appliquant les opinions dissidentes de ces arrêts à son interprétation de la preuve, mon collègue le juge Dickson a conclu que les circonstances révélaient l’existence d’une fiducie par interprétation qui découle et est tributaire de l’applicabilité de la doctrine de «l’enrichissement sans cause».

Les arrêts qui font autorité, Pettitt v. Peltitt[30] et Gissing v. Gissing[31] offrent un examen d’ensemble, bien qu’il ne soit pas entièrement cohérent, du droit relatif au partage des biens matrimoniaux lorsqu’il y a rupture du mariage. Il ressort clairement des motifs de lord Denning dans l’arrêt Cooke v. Head[32] à la p. 40, que les mêmes considérations s’appliquent dans le cas d’un homme et de sa concubine qui ont vécu ce que, de nos jours, on appelle souvent une relation «de fait».

Je dois dire clairement au départ qu’à mon avis, les contributions d’un conjoint, librement acceptées par l’autre pour servir à l’achat et à l’entretien d’un foyer commun, font naître une présomption réfutable qu’au moment des contributions et de leur acceptation, les deux parties avaient l’intention de créer, en faveur du donateur, une fiducie par déduction, équivalente à la valeur des contributions. Cette opinion me paraît confirmée par le passage suivant extrait des motifs de jugement de lord Pearson dans Gissing v. Gissing, précité, à la p. 902 où il dit:

[TRADUCTION] Pour être valide, la réclamation de l’intimée doit s’appuyer sur ce qu’en raison de ses contri-

[Page 861]


butions à l’achat de la maison, il s’est créé une fiducie par déduction en sa faveur. Si ses contributions à l’achat de la maison sont importantes, il y aura de prime abord une fiducie par déduction en sa faveur. Il y aura une présomption quant à l’intention des parties à l’époque ou aux époques où elle a versé les contributions et où il les a acceptées. Cette présomption est réfutable: elle peut être réfutée par une preuve établissant une autre intention. La question de déterminer l’intention est une question de fait qui doit être laissée à l’appréciation du jury ou du juge agissant comme jury, le cas échéant.

La même proposition est élaborée dans les motifs de jugement de lord Reid, qui parlait pour lui-même, dans l’arrêt Pettitt v. Pettitt, précité; il a dit à la p. 795:

[TRADUCTION] Mais il convient, je crois, d’examiner si sans nous écarter des principes de common law, nous pouvons donner effet à l’opinion voulant que, même en l’absence d’une entente, on peut se demander à quel accord les conjoints, ou des personnes raisonnables placées dans leur situation, seraient parvenus s’ils avaient fait l’effort de déterminer les droits dont bénéficierait le conjoint qui a contribué à l’achat ou à l’amélioration des biens de l’autre conjoint. Il y a déjà une présomption qui s’applique, en l’absence de preuves, quant à l’argent versé par un conjoint pour permettre l’achat de biens par l’autre conjoint. Aussi, pourquoi une autre présomption semblable ne s’appliquerait-elle pas lorsque le conjoint a contribué à l’amélioration des biens de l’autre? Il n’est pas très convaincant de prétendre que si un étranger améliore les biens d’une autre personne sans que cette dernière le lui ait demandé ou n’y ait consenti, il n’acquiert aucun droit. L’amélioration est faite pour l’avantage commun des deux conjoints pendant le mariage. La situation serait certainement différente si l’un des conjoints apportait les améliorations alors que l’autre conjoint, qui détient le titre de propriété, est absent et qu’il n’est pas au courant ou n’a pas donné son consentement. Mais si le conjoint propriétaire consent à ce que l’autre apporte des améliorations dans des circonstances où il serait raisonnable de supposer que les parties auraient convenu qu’un certain droit en découlerait si elles s’étaient arrêtées à considérer la situation juridique, il n’y a, à mon avis, rien de contraire aux principes juridiques ordinaires à conclure que le conjoint qui apporte les améliorations a acquis un tel droit.

On a fait mention de la doctrine de l’enrichissement sans cause. A mon avis, cela n’est d’aucune utilité. On a appliqué l’expression à des situations où une personne qui a effectué des paiements en réclame le rembourse-

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ment en justice. Mais il ne semble pas y avoir dans la jurisprudence anglaise de cas où l’on ait appliqué la doctrine à une personne qui a participé à l’amélioration des biens d’une autre.

Dans l’arrêt Gissing v. Gissing, précité, quatre des lords juges ont parlé de «fiducie par interprétation ou fiducie par déduction» sans faire de distinction évidente et cela se retrouve dans d’autres arrêts anglais. Il convient néanmoins de souligner que, lorsque les parties sont mariées, il y a une présomption de fiducie par déduction en faveur du donateur si l’on démontre qu’un conjoint a fait une contribution financière, ou son équivalent, pour permettre à l’autre d’acquérir des biens. Cette présomption subsiste jusqu’à ce qu’il y ait rupture du mariage, à moins qu’elle ne soit réfutée par [TRADUCTION] «une preuve établissant une autre intention».


On a prétendu au nom de l’appelant que la différence d’âge de cinq ans entre les parties était une preuve qui permettait au savant juge de première instance de parvenir à la conclusion suivante:

[TRADUCTION] Maintenant la demanderesse réclame une part de la ferme parce qu’au début de leur relation, ils avaient convenu implicitement de mener une entreprise commune: le demanderesse devait payer les dépenses courantes et le défendeur épargner. Je suis certain que la demanderesse, qui tenait à se marier, n’aurait pas formulé expressément une telle proposition à l’époque, de crainte d’éloigner un mari éventuel. Je considère que sa contribution aux dépenses du ménage pendant les premières années de leur relation était de la nature d’un capital à risques investi dans l’espoir d’amener, le défendeur, un homme plus jeune qu’elle au mariage.

Avec égards pour ceux qui sont d’avis contraire, je suis obligé de reconnaître que cette conclusion insultante et gratuite s’appuie sur l’opinion du juge de première instance que, quels qu’aient pu être les motifs de l’intimée lorsqu’elle a fait ses contributions, son intention était de donner des avantages à l’appelant. Il est évident que ce dernier les a acceptées librement et qu’il les a utilisées pour l’entretien et la vie courante de leur foyer commun. Par conséquent, les derniers commentaires du juge de première instance que je viens de citer, appuient à mon avis l’existence d’une intention commune qui donne naissance à une présomp-

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tion de fiducie par déduction et rien de ce qu’il dit dans ce paragraphe ne peut être considéré comme une preuve réfutant la présomption à laquelle donnent naissance les contributions de l’intimée.

Dans la dernière partie de ses motifs, le juge de première instance conclu également [TRADUCTION] “qu’aucune des parties n’avait envisagé¼, même implicitement,” une fiducie donnant droit à une partie des fermes de l’Ontario à l’intimée.

Mon collègue le juge Dickson a conclu que “Le juge de première instance a décidé qu’il n’y avait pas d’intention commune, expresse ou implicite. Il est important de souligner que la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas écarté cette conclusion”.

Toutefois, pour ma part, je suis d’avis d’adopter le passage suivant des motifs de jugement de Madame le juge Wilson de la Cour d’appel:


[TRADUCTION] Avec égards pour le savant juge de première instance, je crois qu’il a grandement sousestimé la contribution de l’appelante à l’acquisition des avoirs dont l’intimé détient les titres de propriété. Les parties ont vécu ensemble comme mari et femme, sans être mariées, pendant presque vingt ans; au cours de cette période, elle a non seulement rendu possible l’acquisition de leur première propriété à Franklin Center en payant uniquement à même son revenu les dépenses d’entretien pendant “les années maigres”, mais elle a travaillé à ses côtés pendant quatorze ans à mettre sur pied l’exploitation apicole, leur principale source de revenus. L’intimé n’a pas nié qu’elle a assuré sa subsistance pendant les cinq ou six premières années de leur vie commune alors qu’il mettait ses économies à la banque.

A mon avis ces conclusions constituent la preuve que les propriétés de Hawkesbury et l’exploitation apicole sont assujetties à une fiducie par déduction en faveur de l’intimée et je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’emprunter la doctrine de “l’enrichissement sans cause” au droit des quasi-contrats pour trancher ce pourvoi.

Quant à la part à laquelle l’intimée a droit à la rupture de la relation, je suis, comme mon collègue le juge Dickson, en accord avec la décision de la Cour d’appel sur cette question.

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Puisque je parviens à la même conclusion que mon collègue le juge Dickson, on croira peut‑être que ces motifs sont superflus, mais je me sens incapable de souscrire à l’application de la doctrine de la fiducie par interprétation dans les circonstances de l’espèce et je désire me dissocier de toute proposition qui suit la critique sévère que le juge de première instance a adressée à l’intimée.

Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis de rejeter ce pourvoi avec dépens à l’intimée.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs du défendeur, appelant: Barry B. Swadron et Susan G. Himel, Toronto.

Procureurs de la demanderesse, intimée: Langlois & Wilkins, Hawkesbury.

 

 



[1] (1978), 87 D.L.R. (3d) 101, (1978), 20 O.R. (2d) 105.

[2] [1978] 2 R.C.S. 436.

[3] [1970] A.C. 777.

[4] [1971] A.C. 886.

[5] [1975] 1 R.C.S. 423.

[6] [1957] 1 All E.R. 357.

[7] (1760), 2 Burr. 1005.

[8] (1978), 1 R.F.L. (2d) 95 (C.A. Ont.).

[9] (1975), 52 D.L.R. (3d) 146 (C.A. N.-E.).

[10] (1978), 8 R.F.L. (2d) 98 (H.C. Ont.).

[11] (1978), 93 D.L.R. (3d) 128 (H.C. Ont.).

[12] [1900] A.C. 6.

[13] [1972] 2 All E.R. 38.

[14] [1975] 3 All E.R. 768.

[15] (1976) 557 P.2d 106.

[16] (1888), 13 A.C. 88 (C.L.).

[17] [1939] R.C.S. 11.

[18] [1975] 1 R.C.S. 423.

[19] [1970] A.C. 777.

[20] [1971] A.C. 886.

[21] [1978] 2 R.C.S. 436.

[22] (1760), 2 Burr. 1005.

[23] [1923] 1 K.B. 504.

[24] [1938] 1 K.B. 49.

[25] [1943] A.C. 32.

[26] [1951] A.C. 507.

[27] [1972] 1 W.L.R. 1286.

[28] [1975] 1 R.C.S. 423.

[29] [1978] 2 R.C.S. 436.

[30] [1970] A.C. 777.

[31] [1971] A.C. 886.

[32] [1972] 2 All E.R. 38.

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