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Droit municipal — Plans et devis pour travaux municipaux — Honoraires professionnels — Résolu­tion du conseil — Approbation de la Commission municipale — Loi de la Commission municipale, S.R.Q. 1941, c. 207, art. 24, 25, 26.

Interprétation — Historique de la législation — Non-rétroactivité des lois — Sens compatible avec les versions anglaise et française — Loi concernant les statuts refondus, 1941, 1941 (Qué.), c. 15, art. 7 — Loi modifiant la Loi de la Commission municipale, 1965 (Qué.), c. 55, art. 6 — Loi d’interprétation, S.R.Q. 1964, c. 1, art. 50.

L’appelant a préparé des plans et devis pour la cons­truction d’un réseau d’aqueduc et d’égout. Ce travail a été fait à la suite de deux résolutions du Conseil de ville de l’intimée, adoptées respectivement en 1953 et 1957. En 1959, l’appelant fut requis par résolution du Conseil de produire les plans et devis préparés et de suspendre tout travail additionnel. II a alors présenté sa note d’honoraires tant pour les plans des travaux exécutés (quelque $4,000) que pour ceux des travaux non exécu­tés (quelque $697,000). L’intimée ayant refusé de payer,: l’appelant s’est adressé à la Cour supérieure qui a accueilli sa réclamation pour le tout. La Cour d’appel a déclaré non recouvrable la dernière somme parce que, selon elle, la municipalité en retenant les services de l’appelant avait «engagé son crédit» et ne pouvait donc, en vertu de l’art. 25 de la Loi de la Commission municipale, être liée que si la Commission avait approuvé la convention, ce qui n’avait pas été fait. L’appelant se pourvoit devant cette Cour et invoque essentiellement un arrêt antérieur de la Cour d’appel du Québec, Ville de Sept-Iies c. Trépanier, [1962] B.R. 956, pour soutenir que l’art. 25 ne s’applique qu’aux emprunts municipaux et non au paiement d’honoraires.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Judson, Ritchie et Pigeon: L’ap­pelant soutient que les mots «engageant son crédit» de l’art. 25 doivent être lus avec l’art. 26 qui traite des

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emprunts municipaux. L’historique législatif de ces arti­cles va à l’encontre de cette prétention. L’article 26 est antérieur au second alinéa de l’art. 25, il ne peut en restreindre la portée. Dire que ce dernier ne s’applique pas à une convention qui engage le crédit d’une munici­palité, parce qu’il ne s’agit pas d’un emprunt, ce n’est pas interpréter le texte, c’est le priver de tout effet. La Cour d’appel a eu raison de refuser de suivre l’opinion exprimée dans l’arrêt Trépanier.

Quant aux modifications apportées à l’art. 25 par la Loi de 1965, qui exempte une convention relative au paiement d’honoraires de l’approbation de la Commis­sion municipale, il n’y a lieu d’en tenir compte d’aucune manière en raison du principe de non-rétroactivité. La législature a le pouvoir de décréter des lois ayant un effet rétroactif, mais la rétroactivité ne se présume pas.

On ne peut interpréter l’art. 25 comme ne visant que les conventions qui ont un effet sur le crédit de la municipalité, en ce sens qu’elles portent atteinte à sa solvabilité. Même si le mot «affecting» employé dans la version anglaise a le plus souvent ce sens-là, il faut s’arrêter au seul sens qui soit compatible avec la défini­tion du mot «engager» employé dans la version française qui vise toute obligation pour le paiement futur de sommes d’argent. A la lumière du budget de l’intimée pour les années en cause et du coût des services rendus, on ne peut dire que l’engagement de l’appelant tombe sous le coup de l’exception formulée au second alinéa de l’art. 25, exception qui vise les actes d’administration ordinaire dont les dépenses peuvent être payées à même les revenus de l’année courante.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson: La question de savoir si un contrat est une «... conven­tion ... engageant [le] crédit», est une question de fait. Dans les présentes circonstances, le contrat en cause est une convention engageant le crédit de l’intimée et, par conséquent, assujetti à l’approbation de la Commission municipale. Ce défaut d’approbation fait directement obstacle à la demande de redressement faite par l’appelant.

Arrêt non suivi: Ville de Sept-Îles c. Trépanier, [1962] B.R. 956; arrêts mentionnés: Gingras c. General Motors Prod. of Canada, [1976] 1 R.C.S. 426; Ace Holdings Corporation c. La Commission des écoles catholiques de Montréal, [1972] R.C.S. 268; Village de la Malbaie c. Boulianne, [1932] R.C.S. 374; Cusson c. Robidoux, [1977] 1 R.C.S. 650; M.F.F. Equities c. La Reine, [1969] R.C.S. 595; Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388; Quebec Railway v. Vandry, [1920] A.C. 662; Bernardin c. North Dufferin (1891), 19 R.C.S. 581; Olivier c. Wottonville, [1943] R.C.S. 118.

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POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a infirmé en partie un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi rejeté.

Bertrand Lacombe, pour l’appelant.

Alfred Tourigny, c.r., et J. Roch St-Germain, c.r., pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE DICKSON—J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement rédigés par mon collègue le juge Pigeon. Comme lui, je suis d’avis de rejeter le pourvoi mais pour des motifs différents. J’estime que la question de savoir si un contrat est une «.. . convention ... engageant [le] crédit», ou en anglais un «... agreement ... affecting ... credit» est une question de fait. Dans les présentes circons­tances, je suis d’avis que le contrat en cause était une convention engageant le crédit de la Cité de St-Léonard. Je développe ce point dans mes motifs de jugement qui seront rendus simultanément à ceux-ci dans Lalonde et autres c. La Cité de Montréal-Nord[2].

Le défaut de se conformer aux exigences de l’art. 25 de la Loi de la Commission municipale, S.R.Q. 1941, c. 207, fait directement obstacle à la demande de redressement faite par l’appelant en l’espèce. Puisque l’avocat de l’appelant s’est désisté de toute réclamation fondée sur le recours de in rem verso, il n’est pas nécessaire d’examiner davantage ce point.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Le jugement des juges Martland, Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par

LE JUGE PIGEON—Le pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a retranché du jugement rendu par la Cour supérieure contre la Cité de St-Léonard («la Ville»), la majeure partie du montant accordé à l’appelant Charles Édouard Gravel.

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L’action de l’appelant, ingénieur professionnel, réclame des honoraires pour la préparation des plans d’un réseau d’aqueduc et d’égout. Ce travail a été fait à la suite de deux résolutions du Conseil de ville. La première, adoptée le 25 août 1953, se lit comme suit:

Que l’offre de service formulée à cette assemblée par M. Charles Éd. Gravel, Ingénieur conseil, à l’effet de faire l’étude préliminaire comprenant l’emplacement exact des bâtisses, rues, etc. de même qu’un relevé au niveau des rues et autres endroits possibles à l’emplacement d’un système d’égouts et d’aqueduc avec estimé et plan préliminaire soit acceptée, et ce, aux conditions suivan­tes: Qu’advenant la réalisation du système d’égouts et d’aqueduc ou d’une partie de ces systèmes, les services de ce dernier sont retenus par la ville au taux de 6% du coût des travaux exécutés. Ce taux comprenant la livraison des plans détaillés et de devis, la préparation des formules de soumissions à être demandées, la surveillance des travaux par visites faites au cours des travaux et les estimés progressifs avec certificats des montants à être payés aux entrepreneurs, et advenant le cas de l’acceptation de ces conditions par le dit Sieur Gravel, il est par les présentes entendu et convenu que le taux de 6% sera sur le coût des travaux réalisés en tout ou en partie. Le Maire et le secrétaire-trésorier, sont par les . présentes autorisés, à signer pour et au nom de la ville, l’engagement à être passé, pour donner suite à la présente résolution.

La seconde résolution, adoptée le 30 novembre 1957, après un préambule mentionnant la précé­dente, prévoit l’engagement suivant:

Qu’il soit demandé à Charles-Édouard Gravel, Ingé­nieur-Conseil, dont les bureaux sont situés à 3717 boule­vard Lévesque, L’Abord-à-Plouffe, de préparer les plans complets des réseaux d’égouts et d’aqueduc, de pavage et de trottoir dans le territoire de la Ville de Saint-Léo­nard-de-Port-Maurice, au taux de trois pour cent (3%) pour les plans, devis et estimations et trois pour cent (3%) pour la surveillance partielle, celle-ci payable au fur et à mesure de l’exécution des travaux.

Le 24 février 1959, une nouvelle résolution était adoptée dans les termes suivants:

Que Monsieur C. É. Gravel, Ing. Conseil soit par les présentes requis de produire tous les plans, devis, esti­més, préparés pour le compte de la Ville de St-Léo­nard-de-Port-Maurice, suivant résolution et autorisation au bureau du Secrétaire-trésorier de la Ville le ou avant le 3 mars 1959, de même qu’un état détaillé des honoraires

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qui lui sont dus ou peuvent être dus, et qu’instruction soit et lui est donnée de suspendre tout travail jusqu’à ce que le conseil ait eu le temps de prendre connaissance du tout et de lui donner de nouvelles instructions sauf en ce qui concerne les travaux d’égouts et d’aqueduc en cours d’exécution.

A la suite de cette dernière résolution, l’appelant acheva de préparer ses plans qui étaient presque terminés. La Ville, ayant refusé de payer la note tant pour un petit montant relatif aux plans de travaux exécutés que pour la forte somme récla­mée pour les plans de travaux non exécutés, une poursuite lui fut intentée en Cour supérieure.

Une expertise faite sur l’ordre du premier juge a fixé à $696,617.17 la valeur du travail de l’appe­lant pour les plans de travaux non exécutés. C’est cette somme que la Cour d’appel a déclarée non recouvrable en se fondant exclusivement sur l’art. 25 de la Loi de la Commission municipale (Sta­tuts refondus du Québec 1941, c. 207). Cet article est le deuxième de la Section IV dont le titre et les deux premiers articles se lisent comme suit:

De l’approbation des emprunts par la Commission

24. Sous la réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article, tout emprunt contracté par une municipalité ou tout renouvellement d’emprunt consenti par une municipalité doit, pour lier cette municipalité, être approuvé par la commission.

25. Aucun billet promissoire donné par une municipa­lité en paiement d’un compte ou d’une autre dette, excédant cent dollars, ne lie la municipalité à moins que son émission n’ait été approuvée par la commission.

Toute convention quelconque consentie par une muni­cipalité engageant son crédit, doit, pour lier cette muni­cipalité être approuvée par la Commission sauf une convention concernant des actes d’administration ordi­naire en raison de laquelle convention les dépenses encourues doivent être payées entièrement à même les revenus de l’année alors courante.

Pour soutenir que l’art. 25 ne fait pas obstacle à la demande de l’appelant, son avocat invoque essentiellement un arrêt antérieur de la Cour d’ap­pel du Québec: Ville de Sept-Îles c. Trépanier[3]. Dans cette affaire-là comme ici, il s’agissait d’honoraires

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pour la préparation de plans d’un réseau d’aqueduc et d’égout. Voici ce qu’on y lit aux pages 959 et 960:

Toute la question est donc de savoir ce que veulent dire les mots: «engageant son crédit». Employés seuls, ils auraient peut-être le sens que la défenderesse veut leur donner. Cependant, cet article 25 doit être lu avec l’article 26 de la même loi, dont les trois premiers paragraphes édictent:

26. Lorsqu’il s’agit d’une corporation municipale, l’approbation prévue par l’article 24 ou 25 s’obtient sur une demande formulée par simple résolution et présentée à la commission:

a) Après que le règlement d’emprunt a été approuvé par les électeurs propriétaires, lorsque ce règlement doit être soumis à cette formalité; ou

b) Immédiatement après l’adoption de la procédure qui a décrété l’emprunt dans les autres cas.

Or, il résulte clairement de ce texte, à mon avis, que l’article 25 ne s’applique qu’à des règlements d’emprunt municipaux et non à des dépenses telles que celles autorisées par les résolutions précitées.

Pour apprécier le bien-fondé de ce raisonnement, il convient de faire l’historique législatif des art. 24, 25 et 26 de la Loi de la Commission municipale du Québec. Le premier, tout comme le titre de la section, fait partie de la rédaction primitive de 1932 (22 Geo. V, c. 56), sauf les mots «ou tout renouvellement d’emprunt consenti par une municipalité» ajoutés au premier alinéa en 1933 (23 Geo. V, c. 50, art. 1). Le premier alinéa de l’art. 25 a également été ajouté en 1933 comme art. 24a (même loi, art. 2). Le second alinéa de l’art. 25 est de 1935 (25-26 Geo. V, c. 50, art. 2). Mais, c’est l’année précédente que par la Loi 24 Geo. V, c. 35, art. l, on avait donné à l’art. 26 la forme ci-dessus citée en remplaçant au début du premier alinéa les mots «l’article précédent» par «l’article 24 ou 24a», ce qui est devenu «l’article 24 ou 25» dans la refonte de 1941.

On voit donc que le texte de l’art. 26 est anté­rieur au second alinéa de l’art. 25, cet alinéa n’ayant été décrété qu’un an plus tard. On ne peut donc pas se servir de l’art. 26 pour en restreindre la portée car ayant été édicté subséquemment, c’est lui qui est l’expression la plus récente de la volonté du législateur. Il ne saurait être privé d’effet parce que l’on a omis d’apporter au texte

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antérieur de l’article suivant tous les changements souhaitables. Lorsque l’on a décrété ce qui est aujourd’hui l’art. 26, on n’y a parlé que d’em­prunts parce que c’est là tout ce que visait la section où il se trouvait. Plus tard cependant, la Législature a assujetti aux mêmes exigences les billets qui, généralement mais pas nécessairement, constituent un mode d’emprunt. Après cela, on a édicté un autre texte qui vise manifestement autre chose qu’un emprunt d’une municipalité savoir, «toute convention quelconque ... engageant son crédit». Il aurait évidemment été à propos de modi­fier en même temps l’article relatif à l’obtention de l’approbation de la Commission municipale, de façon à tenir compte de ce que cette législation ne visait plus seulement les emprunts, mais aussi toutes conventions engageant le crédit d’une muni­cipalité. Ce défaut de rédaction ne saurait cepen­dant faire échec à la volonté du législateur de rendre la disposition applicable à toute conven­tion engageant le crédit et non seulement à tout emprunt.

S’il s’agissait d’interpréter le texte de 1935 de façon à lui donner un sens conciliable avec l’art. 26, il y aurait beaucoup à dire en faveur de la thèse de l’appelant. Mais vouloir que le second alinéa de l’art. 25 ne s’applique pas à une conven­tion qui engage le crédit d’une municipalité parce qu’il ne s’agit pas d’un emprunt, ce n’est pas interpréter ce texte, c’est le priver de tout effet et cela ne me paraît pas possible. Je signale que la Loi concernant les statuts refondus, 1941 (5 Geo. VI, c. 15) décrète à l’art. 7:

7. Ces statuts refondus ne seront pas censés faire office de lois nouvelles mais ils seront interprétés et auront force de loi à titre de refonte des lois qu’ils remplacent.

Il me paraît donc que la Cour d’appel n’a pas fait erreur en refusant de suivre l’opinion exprimée dans l’arrêt Trépanier et dans les jugements qui l’ont suivi. Comme dans Gingras c. General Motors Prod. of Canada[4], à la p. 437, il ne me paraît pas que l’on trouve ici des circonstances analogues à celles qui ont amené cette Cour à considérer décisive la jurisprudence provinciale

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dans Ace Holdings Corporation c. La Commission des écoles catholiques de Montréal’[5] et Village de la Malbaie c. Boulianne[6]. Du reste, il ne s’agit pas dun cas où la Cour d’appel a suivi la jurispru­dence antérieure, mais bien d’une affaire où elle l’a écartée.

Que faut-il dire maintenant de la Loi de 1965 (13-14 Eliz. II, c. 55) dont l’art. 6 a inséré au second alinéa de lart. 25: «sauf s’il sagit dune convention qui l’oblige au paiement d’honoraires pour services professionnels ...0? A mon avis, il ny a lieu d’en tenir compte d’aucune manière et cela suivant le principe de non-rétroactivité. La Législature a le pouvoir de décréter des lois ayant un effet rétroactif, y compris des lois déclaratoires (Voir Cusson c. Robidoux[7], Cependant, cela ne se présume pas. L’article 50 de la Loi d’interpréta­tion (S.R.Q. 1964, c. 1) le constate en décrétant:

50. Nulle disposition légale n’est déclaratoire ou n’a d’effet rétroactif pour la raison seule qu’elle est énoncée au présent du verbe.

Quand une loi ne sapplique pas à un litige parce quelle est postérieure aux faits qui ,y ont donné naissance, on ne saurait en tirer aucune conclusion: M.F.F. Equities c. La Reine[8] (aux pp. 598-599). Lhistorique d’une législation peut servir à l’inter­préter parce que les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant. On peut même, puisque la Loi d’interprétation du Québec n’y fait pas obstacle tenir compte d’arrêts rendus avant ladop­tion dune loi, quand il est raisonnable de penser que le législateur lui-même en tenait compte, (Voir Hôpital Notre-Dame c. Patry[9], à la p. 394). La situation est toute autre lorsque l’on est en pré­sence d’une loi subséquente aux faits qui ont donné lieu au litige. La décision sur le sens de la législa­tion antérieure est alors du ressort exclusif des tribunaux. En s’abstenant de donner au texte nou­veau leffet rétroactif ou déclaratoire, le législateur évite de se prononcer sur l’état antérieur du droit et laisse aux tribunaux le soin de le faire.

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Dans le cas présent du reste, comment pourrait on avec quelque certitude tirer de la modifica­tion de 1965 la conclusion que le législateur tenait pour bien fondé l’arrêt Trépanier? Ne peut-on pas penser au contraire que tout en trouvant le résultat souhaitable, il redoutait qu’il ne fût pas conforme au texte de la loi? Tout ce que l’on peut affirmer c’est que le législateur voulait que tel fût le sens du texte, soit qu’il sentît le besoin d’en limiter la portée ou qu’il voulût éviter toute controverse à l’avenir. Il a aussi pu vouloir tenir compte de tous les inconvénients que peut comporter en pratique l’application de la règle de l’art. 25 à tous les contrats relatifs à des services professionnels con­clus par une municipalité. Ces inconvénients sont indéniables mais c’est au législateur et non aux tribunaux, qu’il appartient de décider s’ils requiè­rent une exception à la règle de l’approbation préalable de la Commission municipale.

Au cours du délibéré, nous nous sommes deman­dés s’il fallait interpréter l’art. 25 comme ne visant que les conventions qui ont un effet sur le crédit de la municipalité en ce sens qu’elles portent atteinte à sa solvabilité. Vu que cette question n’avait pas été débattue à l’audition, une nouvelle audition a été ordonnée par la Cour. A cette nouvelle audi­tion, on nous signale le passage suivant des motifs du juge Montgomery:

[TRADUCTION] Quoi que l’on puisse dire de la première des deux résolutions, la seconde me paraît tomber nettement sous le coup du deuxième paragraphe de l’art. 25. Ce paragraphe vise «toute convention quelconque consentie par une municipalité engageant son crédit» ou, dans la version anglaise «every agreement whatsoever entered into by a municipality affecting its credit». Ces termes ont une portée très large et je ne vois pas comment on peut prétendre que l’engagement pris par une municipalité de verser à un ingénieur 3 p. 100 du coût estimatif de tous les travaux dont il peut juger à propos de préparer des plans, ne constitue pas une convention engageant le crédit de la municipalité.

L’avocat de l’intimé fait valoir que durant la période précédant l’adoption de la résolution du 24 février 1959, ce dernier n’a pas, en fait, réclamé d’honoraires à la Ville sauf pour la préparation des plans relatifs aux projets autorisés par règlement, de sorte que le crédit de la Ville n’a pas été engagé. Cela, à mon avis, n’est pas pertinent. L’intimé ne prétend pas que, par sa conduite, il a renoncé au droit de réclamer des honoraires avant

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que les plans ne soient utilisés, mais s’il l’a fait, sa réclamation pour les honoraires relatifs à ces plans n’est manifestement pas fondée. Si, au contraire, comme il le prétend maintenant, il s’est réservé le droit de recouvrer des honoraires pour des plans préparés mais inutilisés, alors la résolution créant un droit semblable engage, à mon avis, le crédit de la Ville.

A mon avis, on ne saurait, dans le contexte de l’art. 25, interpréter le mot «affecting» (engageant) dans le sens de «porter atteinte» de façon à res­treindre l’application de la disposition aux seuls cas où il pourrait être démontré que de fait l’enga­gement, lorsqu’il a été contracté, portait atteinte au crédit de la municipalité. Il est vrai que le mot employé dans la version anglaise peut avoir ce sens-là. Dans Black’s Law Dictionary (3e éd.), on le définit comme suit:

«AFFECT». [TRADUCTION] Donner suite à; agir sur; modifier; accroître ou diminuer; fréquemment employé au sens de porter atteinte à quelqu’un ou à quelque chose.

Cependant, il est bien évident que l’on ne peut pas s’arrêter à la seule version anglaise. II faut tenir compte également de la version française l’expression utilisée est «engageant» son crédit. «Engager» vient de «en» et «gage» et signifie (voir Dictionnaire Robert, sens 1 et 2) «mettre en gage, lier par une promesse, une convention». Rien dans le sens français du mot ne permet de restreindre la portée de l’expression à ce qui porte atteinte au crédit d’une municipalité, elle vise tout ce qui la lie. Le mot «affecting» dans la version anglaise étant susceptible d’avoir ce sens-là, même si l’autre est fréquent, il me paraît qu’il faut nécessairement s’y arrêter, car il est le seul dont la version fran­çaise soit susceptible; l’avocat de l’appelant n’a pu nous citer aucune définition du mot «engager» qui lui donne un sens susceptible de correspondre au dernier sens indiqué par Black pour «affect». Je signale que dans Quebec Railway v. Vandry[10], à la p. 674, le Conseil privé a de même écarté un sens possible de la version anglaise inconciliable avec le texte français du Code.

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L’exception que renferme le second alinéa de l’art. 25 fait bien voir que la règle générale qui y est formulée vise toutes les obligations pour le paiement futur de sommes d’argent. En effet, cette exception est dans les termes suivants: «sauf une convention concernant des actes d’administration ordinaires en raison de laquelle convention les dépenses encourues doivent être payées entièrement à même les revenus de l’année alors cou­rante». A ce sujet, le juge Deschênes a fait les observations suivantes:

Il reste à se demander si, en retenant ainsi les services de l’intimé, le conseil municipal de l’appelante a posé «un acte d’administration ordinaire» sans «engager le crédit» de la Cité (art. 25 du chapitre 207).

L’intimé, affirmant agir en vertu de sa résolution d’engagement P-2, a préparé des plans pour des travaux d’une valeur de $27,207,934.41 et a réclamé, au taux de 3%, un honoraire de $816,238.03.

En 1957-1958, l’époque qui nous intéresse, l’appelante comptait quelque 2,000 habitants, dont environ 600 propriétaires.

En 1957, l’évaluation municipale s’élevait à $2,092,-436.00. En 1958, elle s’élevait à $2,338,000.00 (page 954).

D’après la pièce D-4 (Volume 10, page 606), le budget de l’appelante pour les deux mêmes années s’éta­blissait comme suit:

Année Revenus           Dépenses      Surplus ou déficit

1957    $ 48,684.14    $ 45,666.94   $3,017.20 (surplus)

1958    $127,713.74   $132,088.09  $4,374.35 (déficit)

En présence de ces chiffres, aucun argument ne sau­rait venir au secours de l’appelante.

Avant de terminer, je tiens à souligner que l’avocat de l’appelant qui a invoqué dans sa plai­doirie l’arrêt de cette Cour dans Bernardin c, North Dufferin[11], a admis en réplique que la ques­tion de l’enrichissement sans cause ne se posait pas en l’instance. Il n’y a donc pas lieu d’analyser notre arrêt Olivier c. Wottonville[12] à ce sujet.

Non seulement l’intimée n’a pas formé de pour­voi incident à l’encontre de la condamnation aux honoraires dus pour plans relatifs à des travaux exécutés, mais la Cour a été informée à l’audition

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qu’un montant additionnel considérable avait été payé à l’égard d’honoraires pour des plans relatifs à des travaux exécutés après l’institution des procédures.

Je conclus au rejet du pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, MacKell & Clermont, Montréal.

Procureur de l’intimée: Alfred Tourigny, Montréal.



[1] [1973] C.A. 779.

[2] [1978] 1 R.C.S. 672, infra.

[3] [1962] B.R. 956.

[4] [1976] 1 R.C.S. 426.

[5] [1972] R.C.S. 268.

[6] [1932] R.C.S. 374.

[7] [1977] 1 R.C.S. 650.

[8] [1969] R.C.S. 595.

[9] [1975] 2 R.C.S. 388.

[10] [1920] A.C. 662.

[11] (1891), 19 R.C.S. 581.

[12]  [1943] R.C.S. 118.

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