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Droit constitutionnel Télévision par câble — Suppression de messages publicitaires — Réglementation du C.R.T.C. — Traités — Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 3, 17, 29 — Loi sur la radio, S.R.C. 1970, c. R-1, art. 2 — Règlement général sur la radio — Convention interaméricaine de radiocommuni­cation du 13 décembre 1937 — A.A.N.B., art. 91, 92(10).

Radio et télévision — Télévision par câble — Suppression de messages publicitaires — Réglementation du CR.T.C. — Traités — Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 3, 17, 29 — Loi sur la radio, S.R.C. 1970, c. R-1, art. 2 — Règlement général sur la radio — A.A.N.B„ art. 91, 92(10).

Les appelantes exploitent à Buffalo (New York) des stations de télévision dont les émissions sont reçues dans les localités canadiennes des environs. Certaines émis­sions et certains messages publicitaires étaient payés par des commanditaires canadiens. L’intervenante Rogers Cable TV Limited détenait une licence en vertu de la Loi sur la radiodiffusion l’autorisant à exploiter, dans un secteur limité de Toronto, un système de télévision

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communautaire par câble et de capter des émissions des stations des appelantes. En vertu de la Loi sur la radiodiffusion, les appelantes n’étaient pas tenues d’ob­tenir une licence du CRTC. Ce qui précipita les problè­mes qui ont donné lieu au présent pourvoi fut la décision de Rogers de supprimer des messages commerciaux des émissions provenant des stations des appelantes et de transmettre ces émissions à ses abonnés après avoir substitué à ces messages publicitaires ses propres annonces.

Avant juillet 1971, le CRTC avait accepté de mainte­nir l’ancienne politique du ministère des Transports qui interdisait aux systèmes de câble d’altérer les signaux reçus des stations de télévision. Le 16 juillet 1971, le CRTC a modifié sa politique concernant les modifica­tions à la suite d’audiences publiques et de l’examen de nombreux mémoires et lettres, pour répondre «à l’ur­gence qu’il y avait à élaborer une politique sur la télévision par câble afin de favoriser le développement harmonieux de la télévision et de la télévision par câble». Rogers a demandé au CRTC que ces licences soient modifiées pour l’autoriser à supprimer des messages publicitaires et à les remplacer par ses propres annonces. Les appelantes sont intervenues pour s’opposer à la modification. Le CRTC a décidé que Rogers ne pouvait insérer des signaux de remplacement contenant des messages publicitaires mais l’a autorisé à supprimer les messages publicitaires à la condition de les remplacer par des messages d’intérêt public. A la suite de la décision du CRTC, les appelantes ont interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale conformément à l’art. 26 de la Loi sur la radiodiffusion et, en même temps, ont demandé à cette Cour-là l’examen des décisions du CRTC en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10. Ces appels et demandes d’examen ont été rejetés. L’autorisation d’in­terjeter appel a été donnée sur certaines questions de droit [voir pp. 150 et 151]

Arrêt (les juges Pigeon, Beetz et de Grandpré étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Dickson: Relativement à la qualité des appelantes pour agir (5» question), les questions de fond relatives aux droits de propriétés ou autres droits (des appelantes) font directement l’objet d’autres procé­dures. Cependant, leur qualité pour agir ne doit pas être déniée. Leur thèse est quelque peu incohérente mais certaines considérations économiques sont à l’origine de la question constitutionnelle.

Au sujet de la constitutionnalité (2e question): Bien que la Cour suprême ne soit pas liée par les jugements du Conseil privé, pas plus que par ses propres décisions,

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l’affaire de la Radiocommunication, [1932] A.C. 304, a été correctement jugée en vertu des art. 91 et 92(10)a) de l’A.A.N.B. et est pertinente. Cet arrêt et d’autres portant sur la définition d’«entreprise» ont établi avec certitude que le pouvoir législatif fédéral s’étend à la réglementation de la réception de signaux de télévision provenant de l’extérieur du Canada et à la réglementa­tion de la transmission de ces signaux à l’intérieur du Canada. De plus, il serait illogique de reconnaître cette portée à la compétence législative fédérale, niais de lui nier le pouvoir de réglementation corollaire, dès que les signaux sont interceptés et transmis aux téléspectateurs

par des moyens techniques différents. L’exploitation d’un système de câblodistribution ne comprend pas deux entreprises simplement parce que la transmission aux abonnés du signal reçu par ondes hertziennes se fait par une technique différente. La réglementation du contenu des émissions est inséparable de la réglementation de l’entreprise qui les reçoit et les transmet, comme partie intégrante d’une opération globale. Finalement, puisque les émissions d’origine locale ne sont pas en cause dans les faits sur lesquels la question constitutionnelle a été soulevée, la prétention selon laquelle un système de câblodistribution est nécessairement un ouvrage ou une entreprise locale en ce qui concerne les signaux, transmis à l’intérieur de la province par câble coaxial ne peut être acceptée.

Relativement à la compétence du CRTC (Ire ques­tion): La Cour d’appel fédérale a eu raison de rejeter l’attaque dirigée contre le pouvoir exercé par le CRTC. Un système de câblodistribution, du moins s’il reçoit des signaux d’un radiodiffuseur et les transmet, est une entreprise de réception de radiodiffusion et relève à cet égard des pouvoirs du CRTC en matière de réglementa­tion et de licences; ce point de vue est renforcé par le par. 29(3), de la Loi sur la radiodiffusion. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un système de télévision en circuit fermé ne relevant pas de la radiodiffusion au sens de la Loi. L’alinéa 3c) de la Loi ne protège pas les systèmes de câblodistribution contre tout pouvoir dont disposerait le CRTC pour autoriser la suppression de messages publicitaires captés par eux. De plus l’ensemble de la Loi et l’al. 17(1)a) pris dans son contexte montrent clairement que l’al. 17(1)b) vise simplement tout chan­gement dans les conditions régissant les licences déli­vrées par le comité de direction.

Relativement à l’excès de pouvoir (3e question): Compte tenu de la grande portée des matières confiées au CRTC par l’art. 15 de la Loi, qui comprennent la surveillance de tous les aspects du système de la radio-diffusion canadienne en vue de mettre en oeuvre la

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politique de radiodiffusion énoncée dans l’art. 3, il était approprié que le Conseil énonce des principes directeurs à l’égard de la télévision par câble.

Relativement à la convention internationale (4e ques­tion): On ne peut soutenir que le CRTC est un mandataire ou une extension du gouvernement canadien et à ce titre lié par les dispositions d’une convention (dans ce cas, la Convention Interaméricaine de Radiocommuni­cation de 1937 à laquelle les États-Unis étaient également parties) de la même manière que le gouvernement. Le CRTC est un organisme fédéral de contrôle aux pouvoirs statutaires bien définis. En tout état de cause, les seules conséquences intérieures ou internes possibles viendraient de l’application d’une législation donnant â la Convention un effet juridique au Canada.

Les juges Pigeon, Beetz et de Grandpré dissidents: Relativement à la question de constitutionnalité: la ques­tion en appel vise exclusivement la compétence du Con­seil pour autoriser la suppression de messages publicitai­res d’émissions de télévision transmises par ondes hertziennes par des stations américaines. Abstraction faite de toute autre considération, l’arrêt Caloil Inc. c. Le procureur général du Canada, [1971] R.C.S. 543, est décisif à l’appui de la compétence fédérale sur le con­trôle de ces matières.

Relativement à la compétence du CRTC: Il faut examiner l’affaire en considérant que la décision atta­quée du CRTC autorise Rogers à s’approprier la valeur commerciale des émissions des appelantes retransmises par son réseau. Pour maintenir cette décision, il faut décider que le CRTC a le pouvoir d’autoriser cette appropriation ou décider que les exploitants peuvent légalement le faire sans autorisation à moins que cela leur soit spécifiquement interdit par le CRTC. Aucune thèse n’est soutenable. Les titulaires de licences ne possèdent pas le canal qui leur est attribué et jouissent seulement d’un privilège qui peut être révoqué par l’or­ganisme qui le leur a attribué, mais la licence est révocable pour cause seulement et elle est réellement exclusive (ils ne sont pas dans la même situation que des usagers de services radio généraux ou des radios ama­teurs). Le CRTC ne peut autoriser la suppression de messages publicitaires, car ce serait porter atteinte aux droits conférés par la licence et signifierait que le CRTC pourrait retirer au radiodiffuseur une partie de ses droits à l’égard de sa clientèle régulière.

Relativement à la convention internationale: Le Canada est partie à la Convention Interaméricaine de Radiocommunication qui traite d’interférence avec les services des autres pays et de retransmissions. Le libellé de la Convention montre bien que les parties étaient conscientes du fait qu’elles traitaient d’un domaine technologique

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en évolution. Il faut donner effet à l’intention générale de cette convention en regard des progrès actuels, plutôt que selon une interprétation stricte du texte. Bien que Rogers ne cause aucune interférence avec les ondes hertziennes émises par les antennes des appelantes, il faut considérer qu’il radiodiffuse à ses nombreux abonnés. Que la retransmission soit faite par câbles coaxiaux ne fait aucune différence lorsque le résultat final est essentiellement le même. Si l’on dit que Rogers ne retransmet pas, cela signifie qu’il doit être considéré comme un simple conduit et, en conséquence, que la suppression de messages publicitaires est une interférence. Rogers est assujetti au Règlement général concernant la radio et en conséquence tenu de se confor­mer à la Convention. Le CRTC doit prendre connais­sance d’office de la Convention et ne peut autoriser une violation de ses dispositions.

[Arrêts mentionnés: In re la réglementation et le contrôle de la radiocommunication au Canada, [1932] A.C. 304; Public Utilities Commission v. Victoria Cablevision Ltd. (1965), 52 W.W.R. 286; Re CFRB and Attorney-General of Canada, [1973] 3 O.R. 819; La Régie des Services Publics c. Dionne, [1978] 2 R.C.S. 191; Le procureur général de l’Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541; United Artists Television, Inc. v. Fortnightly Corporation (1967), 377 F. 2d 872, infirmé par (1968), 392 U.S. 390; Validity and applicability of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act (l’affaire des débardeurs), [1955] R.C.S. 529; C.P. Ry. Co. v. A.G. (B.C.) et al., [1950] A.C. 122; Caloil Inc. c. Le procureur général du Canada, [1971] R.C.S. 543; R. v. Port of London Authority ex p. Kynoch, [1919] 1 K.B. 176; British Oxygen Co. v. Board of Trade, [1971] A.C. 610; R. v. Chief Immigration Officer, Heathrow Airport, [1976] 3 All E.R. 843.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] qui a rejeté une demande d’exa­men judiciaire et un appel présentés en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale et de l’art. 26 de la Loi sur la radiodiffusion. Pourvoi rejeté, les juges Pigeon, Beetz et de Grandpré étant dissidents.

G. F. Henderson, c.r., B. A. Crane, et E. Bina­vince, pour les appelantes.

J. J. Robinette, c.r„ T. G. Heitzman, et Peter Grant, pour l’intimé.

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D. J. Wright, c.r., et B. C. MacDonald, pour les intervenants Rogers et autres.

G. W. Ainslie, c.r., D. Friesen, et A. Desjardins, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

D. Hilton, c.r., et E. Goldberg, pour l’interve­nant le procureur général de l’Ontario.

R. Langlois, et A. Tremblay, pour lintervenant le procureur général du Québec.

M. H. Smith, pour lintervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

W. Henkel, c.r., et Peter Feasdale, pour lintervenant le procureur général de l’Alberta.

Lysyk, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE EN CHEF—Les questions soulevées dans ce pourvoi résultent de trois décisions du Conseil de la Radio-Télévision canadienne (devenu le Conseil de la radiodiffusion et des télécommu­nications canadiennes: voir 1975 (Can.), c. 49) en date du ler mai 1974, à l’égard des demandes déposées par Rogers Cable TV Limited, Coaxial Colourview Limited et Bramalea Telecable Limi­ted, pour obtenir la modification de leurs licences de télévision par câble [TRADUCTION] «afin de les autoriser à supprimer ou remplacer au hasard des messages publicitaires provenant de stations de télévision américaines et transmis par leur service de base qui inclut actuellement les canaux 2, 4 et 7 de Buffalo». Les demandes, envoyées par télex, poursuivaient: [TRADUCTION] «Par «au hasard», nous voulons dire au moins trois substitutions par soirée sur au moins un de ces canaux, en alter­nance. Tous les messages de remplacement consis­teront en informations publicitaires s’adressant aux abonnés, comme le démontage gratuit des antennes, le rabais sur le paiement d’avance à l’année, l’offre de nouveaux canaux en supplément, etc., ainsi que des messages d’intérêt général». Puisque Rogers et les deux autres requérantes sont

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des compagnies associées, ayant un intérêt commun, il suffit de traiter de la demande présen­tée par Rogers pour définir les questions soumises à cette Cour et les trancher.

La licence de Rogers, qui est en fait une licence d’exploitation d’une «entreprise de réception de radiodiffusion», selon la définition de la Loi sur la radiodiffusion, 1967-68 (Can.), c. 25, maintenant S.R.C. 1970, c. B-11 (sur laquelle je reviendrai ci-après), l’autorisait à desservir certains secteurs du Toronto métropolitain à l’aide d’une antenne de réception de télévision, située à un endroit bien déterminé. La licence énumérait onze stations de télédiffusion dont les signaux ou les émissions pou­vaient être captés par Rogers et distribués ou retransmis par cette dernière sur le même canal ou un canal différent, ainsi qu’un grand nombre de stations de radio AM et FM dont elle pouvait également recevoir et distribuer les signaux et les émissions et enfin sept canaux que le titulaire de la licence pouvait utiliser pour des émissions d’origine locale. Parmi les onze stations de télédiffusion mentionnées dans la licence, se trouvaient les trois stations de Buffalo, exploitées respectivement par les trois compagnies appelantes, dont les signaux ou émissions étaient transmis sur les canaux 2, 4 et 7.

Les appelantes n’avaient pas de licence du CRTC et n’étaient pas tenues d’en obtenir une. Leurs émissions parviennent aux téléspectateurs canadiens des régions voisines de Buffalo, y com­pris Toronto, et sont librement accessibles à tous ceux dont les postes de télévision peuvent les capter directement. Ils peuvent aussi les recevoir, ainsi que d’autres émissions que leurs postes de télévision ne peuvent capter, en s’abonnant aux services de câblodistribution de Rogers. Je parlerai de la nature de ces services ci-après. Ce qui préci­pita les problèmes dont cette Cour est maintenant saisie, fut la décision de Rogers, prise et mise en oeuvre peu avant octobre 1973, de supprimer des messages commerciaux des émissions provenant des stations des appelantes et de transmettre ces émissions à ses abonnés après avoir substitué à ces messages publicitaires ses propres annonces. Les appelantes ont menacé Rogers de poursuites judi­ciaires qu’elles ont effectivement intentées, et ce

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litige est pendant devant les tribunaux d’instance inférieure. Rogers a alors demandé la modification de sa licence, dans les termes précités.

Les appelantes sont intervenues, sans que quiconque s’y oppose, aux auditions publiques tenues par le CRTC pour entendre les demandes soumises par Rogers et les deux autres requérantes. Parmi les motifs avancés à l’appui de leur opposition à la modification de la licence, les appelantes contes­taient notamment la compétence du CRTC. Le Conseil intimé approuva en partie les demandes dans une décision en date du 1er mai 1974. Puisque l’avocat des appelantes s’est vigoureusement atta­qué au fait que le CRTC, en rendant sa décision, s’était appuyé sur un de ses énoncés de politique, il convient de citer ici les passages essentiels de cette décision:

En ce qui concerne le projet du titulaire de licence d’effectuer librement la suppression des messages publi­citaires et leur substitution de toutes les stations de télévision des Etats-Unis, distribuées de temps à autre à son service de base, l’Énoncé de politique du Conseil sur la télévision par câble du mois de juillet 1971 stipule que:

«Le Conseil permettra aux exploitants de câble de supprimer la valeur commerciale des signaux de sta­tions qui ne détiennent pas de licence de diffusion au Canada. Même s’il ne sera pas permis aux entreprises de télévision par câble de vendre elles-mêmes des messages publicitaires en remplacement, elles seront toutefois encouragées à conclure des ententes avec les stations de télévision de leur région pour insérer des signaux de remplacement contenant des messages publicitaires dont la vente aura, au préalable, été assurée par des stations de télévision canadiennes».

Conformément à son énoncé de politique, le Conseil autorise le titulaire de licence à supprimer les messages publicitaires librement des signaux de télévision améri­cains qu’il distribue, comme il a été demandé. L’objectif de la politique du Conseil sur la suppression des messa­ges publicitaires vise à rétablir la raison d’être de la licence locale et à renforcer le service de la télévision canadienne. Les revenus et autres avantages découlant de l’application de la politique sont destinés à affermir la position des radiodiffuseurs. En conséquence, comme le titulaire de licence n’a pas conclu d’ententes contractuelles avec des stations de télévision canadiennes de sa région, le Conseil ne permettra pas au titulaire de licence d’insérer des signaux de remplacement compor­tant des messages publicitaires. Le Conseil n’est pas

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disposé non plus à permettre au titulaire de licence d’insérer des messages comportant une information publicitaire destinée à ses abonnés, parce que ceci ne s’accorde pas avec l’objectif de la politique du Conseil. Par contre, le conseil autorise le titulaire de licence à insérer des messages d’intérêt public et autre matériel convenable du genre à la condition que ce soit en remplacement des messages supprimés.

Le Conseil n’ignore pas que des stations de Buffalo ont introduit des instances à la Cour fédérale contre le titulaire de licence. Lorsqu’il se présente un litige qui peut affecter les obligations que les titulaires de licence doivent remplir en vertu de la Loi sur la Radiodiffusion, le Conseil se préoccupe à juste titre que les titulaires de licence ne règlent pas volontairement un tel litige selon des conditions qui pourraient les empêcher de se confor­mer à la politique du Conseil et aux exigences de la Loi sur la radiodiffusion. C’est pourquoi les titulaires de licence, avant d’accepter de leur plein gré des conditions quelconques et, en particulier, d’injonction doivent d’abord obtenir le consentement du Conseil.

La demande en vue de distribuer un service d’annonces et de messages est approuvée à titre expérimental jusqu’à l’expiration de la présente licence. Il est entendu que ce service ne sera pas assuré au moyen de publicité commerciale.

La demande en vue de distribuer les nouvelles des aéroports et autres données numériques est approuvée à titre expérimental jusqu’à l’expiration de la présente licence. Il est entendu que ce service ne sera pas assuré au moyen de publicité commerciale, et que ce sera un service visuel plutôt qu’un service sonore.

L’énoncé de politique mentionné et brièvement cité dans cette décision est un long document, daté du 16 juillet 1971 et intitulé:

La Radiodiffusion canadienne
«Un système unique»
Enoncé de politique sur la télévision par câble

Dans un énoncé de politique antérieur sur la télévi­sion par câble, daté du 13 mai 1969, le CRTC disait que «[il] acceptait, du moins pour le moment, de maintenir l’ancienne politique du ministère des Transports qui interdisait aux systè­mes de câble d’altérer les signaux reçus des sta­tions de télévision.» On retrouve cet extrait dam l’énoncé de politique du 16 juillet 1971 qui poursuit:

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Depuis cette date, le Conseil a entrepris des études approfondies qui démontrent que la retransmission inchangée de certains de ces signaux empêche des sta­tions de télévision canadiennes de remplir le mandat qui leur a été confié.

L’énoncé de politique du 16 juillet 1971 faisait suite à des auditions publiques et à l’examen de nombreux mémoires et lettres et répondait, selon les termes mêmes du CRTC, à l’urgence qu’il y avait à élaborer une politique sur la télévision par câble afin de favoriser le développement harmo­nieux de la télévision et de la télévision par câble.

A la suite des décisions rendues le 1er mai 1974, les appelantes ont interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale, conformément à l’art. 26 de la Loi sur la radiodiffusion et, en même temps, ont demandé à cette Cour l’examen des décisions en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2c Supp.), c. C-10. Les appels et les demandes d’examen ont été rejetés le 17 janvier 1975. Les motifs de la Cour d’appel fédérale ont été prononcés par le juge Thurlow[2] (tel était alors son titre) et par le juge Ryan, le juge Urie souscri­vant aux motifs de ce dernier. L’autorisation d’in­terjeter appel devant cette Cour a été donnée sur les cinq questions suivantes:

[TRADUCTION] 1. La Cour d’appel fédérale a-t-elle commis une erreur en décidant que le Conseil de la Radio-Télévision canadienne avait compétence, con­formément à la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, e. B-11, pour réglementer les systèmes de distribution par câble qui reçoivent et distribuent les signaux de télévision?

2. La Cour d’appel fédérale a-t-elle commis une erreur en statuant que la Loi sur la radiodiffusion, en ce qu’elle conférait cette compétence au Conseil de la Radio-Télévision canadienne, était intra vires du Parlement du Canada?

3. La Cour d’appel fédérale a-t-elle commis une erreur en ne statuant pas que le Conseil de la Radio-Télévi­sion canadienne avait excédé sa compétence

a) en essayant d’établir une réglementation en confor­mité d’un énoncé de politique qui n’avait aucune force ni aucun effet juridiques et,

b) en déclarant que le titulaire de la licence devrait obtenir l’autorisation du Conseil avant d’accepter les conditions d’une transaction qui pourrait faire

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c) obstacle à l’application de la politique du Conseil et des exigences de la Loi sur la radiodiffusion.

4. La Cour d’appel fédérale a-t-elle commis une erreur en ne statuant pas que les décisions du Conseil de la Radio-Télévision canadienne étaient en violation de la Convention Interaméricaine de Radiocommunications de 1937 et donc invalides?

5. Le juge Thurlow a-t-il commis une erreur en statuant que les requérantes ne possédaient aucun droit de propriété ni aucun autre droit sur leurs signaux transmis dans l’espace aérien canadien à partir des stations émettrices situées aux Etats-Unis?

Une fois obtenue l’autorisation de se pourvoir sur les cinq questions précitées, les appelantes ont demandé ex parte, conformément aux règles de la présente Cour, la signification de la question cons­titutionnelle soulevée dans le pourvoi au procureur général du Canada et aux procureurs généraux des provinces. La question fut formulée de la manière suivante:

[TRADUCTION] La loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chapitre B-11, et ses règlements d’application, sont-ils ultra vires du Parlement du Canada en ce qu’ils ont pour but de réglementer ou d’autoriser le Conseil de la Radio-Télévision canadienne à délivrer des licences et à réglementer le contenu d’émissions transmises par des STAC situés entièrement à l’intérieur d’une province?

Le 30 avril 1975, une ordonnance fut prise à cette fin. Pour une raison inconnue, ni l’ordonnance ni le nouveau libellé de la question n’ont été inclus au dossier d’appel déposé le 9 septembre 1975. Toutefois, l’ordonnance a été signifiée aux procureurs généraux. Elle fixait au 6 juin 1975 la date à laquelle les demandes d’intervention devaient être présentées.

Dans leurs factums, les procureurs généraux intervenants ont traité de la question dont ils ont reçu signification. Cette dernière ne faisait que mettre l’accent sur le problème résultant de la question constitutionnelle qui faisait partie de celles sur lesquelles l’autorisation de se pourvoir avait été accordée. Son libellé peut être considéré comme reflétant l’importance accordée à l’aspect constitutionnel dans les motifs du juge Ryan en Cour d’appel fédérale. A mon avis, les différentes formulations de la question constitutionnelle n’ont aucune incidence et je considère que, dans ses deux

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expressions, le problème soulevé est celui qui est formulé à la 2e question des questions dont nous sommes saisis.

Je me propose de traiter ces questions dans l’ordre suivant: d’abord la Sc question, puis la 2e (la question constitutionnelle fondamentale); ensuite la l’ question; puis la 3e question et enfin la 4e question.

5e question: Qualité des appelantes pour agir

Bien que cette question soit formulée en des termes qui invitent cette Cour à décider quels droits de propriété ou autres droits, s’il en est, les appelantes possèdent sur leurs signaux dans l’espace aérien canadien, notamment à l’encontre de Rogers et ses compagnies associées, la question soulevée par les remarques du juge Thurlow est liée, selon les avocats, à la qualité des appelantes pour agir en Cour fédérale et maintenant devant cette Cour. Les questions de fond relatives aux droits de propriété ou autres droits font directement l’objet d’autres procédures.

Le juge Ryan, aux motifs duquel le juge Urie a souscrit, n’a pas mis en cause la qualité des appe­lantes pour agir qui, comme je l’ai déjà souligné, ne fut pas contestée dans les procédures intentées devant le CRTC. Dans ces circonstances et compte tenu du fait que les questions soulevées devant nous résultent de la suppression de messages publi­citaires d’émissions transmises par les appelantes et reçues par Rogers et ses compagnies associées à leur antenne, je ne dénierai pas aux appelantes leur qualité pour agir à ce stade des procédures. Je maintiens cette opinion malgré la thèse quelque peu incohérente des appelantes: elles ne se plai­gnent pas de la réception libre et intégrale de leur émissions par des postes de télévision canadiens et, bien entendu, comme dirait leur avocat, s’en réjouissent tant que leurs émissions sont captées intégralement, y compris les messages publicitai­res; mais par contre elles se plaignent de la suppression de messages publicitaires par les systèmes de câblodistribution qui reçoivent les émissions et les transmettent à leurs abonnés. Certaines consi­dérations économiques sont donc à l’origine de la question constitutionnelle.

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2e question: Constitutionnalité

Les prétentions des appelantes à l’égard de cette question sont appuyées par les procureurs géné­raux de l’Ontario, du Québec, de la Colombie-Bri­tannique et de l’Alberta. La thèse contraire adop­tée par le CRTC est appuyée par le procureur général du Canada et, dans une large mesure, par le procureur général de la Saskatchewan ainsi que par Rogers et les companies [sic] associées qui, comme les divers procureurs généraux, interviennent dans ces procédures.

Pour traiter du pouvoir constitutionnel du Parlement en matière de réglementation des systèmes de câblo-distribution qui reçoivent et distribuent des signaux de télévision, je laisserai de côté, aux fins de l’espèce, la question du pouvoir de régle­mentation des émissions diffusées par ces systèmes eux-mêmes, qui sont transmises seulement à leurs abonnés dans la province d’où ils proviennent et qui ne sont pas reçues par les autres télespecta­teurs de la province.

L’argument principal des appelantes et de ceux qui appuient leur thèse est que la compétence législative est partagée en ce qui concerne la régle­mentation de signaux de télévision reçus par des compagnies de télévision par câble. On admet que la réception de signaux de télévision étrangers ou canadiens à l’antenne des compagnies de télévision par câble relève de la compétence exclusive fédé­rale. On prétend par contre qu’une fois captés par ces antennes, ils ne relèvent plus du pouvoir légis­latif fédéral et que la distribution ultérieure de ces signaux, modifiés ou non, à l’intérieur d’une pro­vince donnée relève exclusivement de la compé­tence de la province en question.

La prétention des appelantes et des procureurs généraux qui appuient leur thèse, exige que l’on fasse une distinction avec l’affaire de la Radio-communication (In re la réglementation et le con­trôle de la radiocommunication au Canada[3]) et qu’on en restreigne l’effet, ainsi que, par voie de conséquence, celui des arrêts rendus par des tribunaux

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provinciaux qui ont suivi l’affaire de la Radiocommunication tels Public Utilities Com­mission v. Victoria Cablevision Ltd.[4], Re CFRB and Attorney-General of Canada[5], et La Régie des Services Publics c. Dionne, un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec, prononcé le 12 janvier 1977, non encore publié, et actuellement en appel devant cette Cour[6]. L’avocat des appelantes a fort insisté sur le fait que le point en litige dans laf­faire de la Radiocommunication devait être exa­miné en fonction des faits particuliers de l’espèce puisquils étaient fondés sur létat des techniques à cette époque, alors que le système de câblodistribu­tion nexistait pas.

Voici les deux questions renvoyées à la Cour suprême du Canada dans l’affaire de la Radio-communication:

[TRADUCTION] 1. Le Parlement du Canada est-il com­pétent pour réglementer et contrôler la radiocommu­nication, y compris: la transmission et réception des signaux, images et sons de toutes sortes par ondes hertziennes avec le droit de fixer le caractère, l’utilisa­tion et l’emplacement des appareils nécessaires?

2. Sinon, sur quel(s) point(s) particulier(s) et de quelle manière la compétence du Parlement est-elle limitée?

Cette Cour, dans son jugement majoritaire, a répondu par l’affirmative à la première question et par conséquent na pas donné de réponse à la seconde. Lorsque l’affaire fut portée devant le Conseil privé, ce tribunal fit remarquer que la Cour suprême avait rendu sa décision dans l’af­faire de la Radiocommunication sans avoir eu lavantage de savoir à quelle conclusion le Conseil privé parviendrait sur la question soumise dans laffaire de lAéronautique (In re la Réglementa­tion et le contrôle de l’aéronautique au Canada[7]. Le Conseil privé a rendu sa décision dans cette espèce avant d’être saisi de l’affaire de la Radio-communication. Bien que ces deux affaires aient trait aux pouvoirs fédéraux en matière d’exécution des traités, je nai pas besoin de métendre sur cet aspect de la question en lespèce. [Le Conseil privé décida dans l’affaire de la Radiocommunication que la législation fédérale promulguée aux fins de lexécution de la Convention radiotélégraphique

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internationale de 1927, à laquelle le Canada est partie, à titre de signataire indépendant, relève du pouvoir du gouvernement fédéral de faire des lois «pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada», puisqu’elle vise un sujet qui n’est pas expressément mentionné aux art. 91 ou 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.]

Puisque les deux provinces, le Québec et l’Onta­rio, qui contestaient la compétence fédérale en matière de radiodiffusion, affirmaient que, même si la compétence fédérale comprend l’exécution d’une convention internationale, elle ne s’étend pas à la radiodiffusion interprovinciale, le Conseil privé alla plus loin et traita plus généralement, dans ses motifs, de la compétence en matière de radiodiffusion, comme bien entendu il était obligé de le faire pour répondre à la question principale renvoyée à la Cour suprême. Parlant des argu­ments avancés par les provinces, le Conseil privé les définit en ces termes (aux pp. 313 et 315):

[TRADUCTION] ... mais même si l’on suppose qu’il est possible d’établir une ligne de démarcation rigide entre radiodiffusion interprovinciale et nationale, on ne saurait s’en tenir là. On constatera que l’argument avancé en faveur des provinces repose en réalité sur l’établissement d’une distinction nette entre les opéra­tions des postes émetteurs et des postes récepteurs. La province admet que l’emploi irrégulier d’un poste émet­teur pourrait, en s’emparant d’une longueur d’onde non assignée au Canada par un accord international, consti­tuer une violation d’une clause de la Convention. Mais elle prétend que cette manière de voir ne s’applique pas à l’emploi d’un poste récepteur... .

La prétention de la province repose en réalité, comme on l’a déjà dit, sur une distinction nette entre les postes émetteurs et récepteurs. De l’avis de leurs Seigneuries, cela est impossible. Une fois admis, comme il doit l’être compte tenu des obligations imposées par la Convention, que le poste émetteur doit, pour ainsi dire, être placé sous l’autorité du Dominion, il s’ensuit, de l’avis de leurs Seigneuries, que le récepteur doit partager le même sort. Un réseau de radiodiffusion ne peut exister sans qu’il y ait à la fois un poste émetteur et un poste récepteur. Certes, le récepteur est inutile sans l’émetteur, et il peut être réduit à l’impuissance si l’on ferme cc dernier. Le système ne peut être divisé en deux parties indépendan­tes l’une de l’autre.

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En rejetant la prétention des provinces, le Conseil privé statua que la compétence exclusive fédérale en la matière résulte de l’effet combiné des der­niers mots des art. 91 et 92(10)a). I1 exprima son point de vue de la manière suivante (à la p. 315):

[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ne doutent donc pas que la radiodiffusion est une entreprise «reliant la province à d’autres provinces et s’étendant au-delà des limites de la province». Mais en outre, comme on l’a déjà dit, elles sont d’avis que la radiodiffusion tombe dans le domaine des «télégraphes».

A n’en pas douter, dans le langage courant, le mot télégraphe sert presque exclusivement à désigner l’appa­reil électrique qui, au moyen d’un fil reliant à un autre appareil, permet de transmettre des signes ou des mots de toutes sortes. Mais, d’après son sens primitif, le mot anglais «telegraph», tel que le donne le Dictionnaire Oxford, signifie «un appareil pour la transmission à distance des messages, d’ordinaire par des signes de quelque sorte». Or, pour la transmission d’un message, il faut un récepteur aussi bien qu’un émetteur. Le message peut ne pas être entendu, mais du moins il arrive à destination....

Il ajouta, en conclusion (à la p. 317):

[TRADUCTION] Bien que la question doive évidem­ment être décidée en appliquant la loi, il est heureux que le résultat obtenu soit conforme au bon sens. Un con­trôle différent sur l’émetteur et le récepteur n’aurait pu mener qu’à la confusion et à l’inefficacité.

Le Conseil privé fonde le pouvoir fédéral en la matière sur l’al. 92(10)a) qui, par exception, con­fère au Parlement un pouvoir relatif aux entrepri­ses «reliant la province à d’autres provinces et s’étendant au-delà des limites de la province»; la portée de son raisonnement peut être étendue, à mon avis, par ce qui ressort de ses motifs dans Le Procureur général de l’Ontario c. Winner[8], à la p. 574, savoir qu’une entreprise relève de l’exception précitée à l’al. 92(10)a) même si son point de départ se trouve à l’extérieur de la province, de sorte qu’elle «s’étend au-dedans»; l’expression «s’étendant au-delà des limites de la province» ne se limite pas au cas où une entreprise a son point d’attache dans la province et «s’étend au-dehors».

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La question soulevée à la suite de l’affaire de la Radiocommunication est de savoir si la large portée des motifs, à partir d’une question visant spécifiquement la transmission et la réception par voie d’ondes hertziennes (comme un des moyens de radiocommunication) doit être restreinte aux fins de l’espèce parce que les ondes hertziennes se terminent à l’antenne des systèmes de câblodistri­bution et que les signaux portés par ces ondes sont alors convertis pour être transmis par câbles coaxiaux aux postes de télévision des abonnés.

Les appelantes et l’intimé ont accepté la descrip­tion technique de la télévision et des sytèmes [sic] de câblodistribution donnée par la Cour d’appel des États-Unis, deuxième circuit, dans United Artists Television, Inc. v. Fortnightly Corporation[9], une affaire de droit d’auteur. Le juge en chef Lum­bard, aux pp. 875 et 876, a décrit son fonctionnement de la manière suivante:

[TRADUCTION] ... Les installations de diffusion de télévision transposent d’abord l’image et le son de l’émis­sion diffusée en deux signaux électriques, le signal vidéo, qui analyse, à l’aide d’un faisceau d’électrons, l’intensité de la lumière à chaque point d’un écran photosensible placé à l’intérieur de la caméra, et le signal audio qui mesure l’intensité du son. Ces deux signaux variables sont alors codés sur une onde porteuse de radiofré­quence, aux fins de la diffusion; le signal vidéo est utilisé pour faire varier, ou moduler, l’amplitude, c’est-à-dire l’éloignement maximum, de l’onde porteuse, et le signal audio sert à moduler la fréquence de l’onde porteuse. L’onde porteuse modulée est alors diffusée par une antenne sous forme de radiation électromagnétique. Lorsque cette radiation parvient à l’antenne de télévision d’un particulier, elle produit une tension aux bornes de l’antenne, qui reproduit l’onde porteuse modulée. Cette dernière est alors acheminée jusqu’au poste de télévision, où elle est démodulée afin de reproduire les signaux vidéo et audio. Le signal vidéo contrôle l’intensité du faisceau de balayage qui reproduit sur l’écran fluores­cent du tube cathodique l’image vue par la caméra et le signal audio contrôle le son. Comme la radiation émise se propage à la vitesse de la lumière, toutes les opéra­tions de diffusion et de réception de signaux de télévision ne prennent qu’une fraction de seconde.

Les rayonnements provenant de stations de télévision, lorsqu’ils arrivent à l’antenne correspondante d’un STAC de la défenderesse, provoquent dans celui-ci une

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reproduction de l’onde porteuse de radiofréquence modulée, de la même manière qu’à l’antenne d’un parti­culier. L’appareillage de tête de ligne du STAC, à l’intérieur d’un immeuble situé près des antennes, amplifie l’onde porteuse, la convertit s’il s’agit d’une onde VHF, de haute fréquence ou de bande haute (canaux 7 à 13) aux canaux de bande basse VHF (2 à 6) afin de diminuer les pertes dans la transmission par câbles coaxiaux, réduit sa gamme de fréquence et l’envoie par rayonnements électromagnétiques par les câbles du sys­tème. La radiation, amplifiée par de nombreux amplifi­cateurs de la ligne principale, le long des câbles, est transmise à presque la vitesse de la lumière aux récep­teurs des abonnés, dans la plupart des cas à travers des transformateurs de couplage.

Avant 1958 et après 1964, la conversion des ondes VHF de bande haute à bande basse, à la tête de ligne de chaque système était exécutée par des appareils qui hétérodynaient l’onde d’entrée, c’est-à-dire la combi­naient avec une onde produite localement dont la fré­quence était choisie de manière à ce que l’onde de battement résultant du mélange, dont la fréquence était égale à la différence de fréquence des deux ondes mélan­gées, possède la fréquence voulue. De 1958 à 1964, cette conversion était faite par des appareils qui démodulaient le signal vidéo de l’onde d’entrée et l’utilisaient pour remoduler une onde produite localement et possédant la fréquence voulue, et qui hétérodynaient le signal audio de l’onde d’entrée. Ainsi les émissions de télévisions diffusées n’ont jamais été ni visibles ni audibles à l’inté­rieur du STAC de la défenderesse... .

Bien que Fortnightly Corporation v. United Artists Television, Inc.[10] soit une affaire de droit d’auteur, j’estime utiles, aux fins de l’espèce, les remarques suivantes (à la p. 399) du juge Stewart qui a prononcé le jugement de la Cour suprême des États-Unis:

[TRADUCTION] ... Pour l’essentiel, un STAC ne fait rien de plus qu’améliorer pour le téléspectateur la récep­tion des signaux du radiodiffuseur; il fournit une antenne bien située et adéquatement reliée aux postes de télévision des particuliers. Il est vrai qu’un STAC joue un rôle «actif» en ce qu’il rend possible dans une région donnée la réception des signaux mais c’est aussi ce que font les postes de télévision et les antennes. Les installa­tions STAC sont puissantes et complexes, mais leur rôle fondamental est peu différent de celui des appareils dont dispose généralement un téléspectateur.

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Si un particulier érigeait une antenne sur une colline, faisait courir un câble jusqu’à sa maison et installait les amplificateurs nécessaires, on ne pourrait dire qu’il donne une «représentation» des émissions captées par son poste de télévision. Le résultat serait le même si plusieurs personnes se groupaient pour ériger une antenne collective aux mêmes fins. La seule différence dans le cas du STAC est que les installations ne sont ni construite ni possédées par les usagers, mais par un entrepreneur.

Je ne puis admettre la prétention des appelantes et des procureurs généraux qui l’appuient, selon laquelle aux fins de la loi, on peut tirer une ligne de démarcation à l’endroit où les systèmes de câblodisiribution reçoivent les ondes hertziennes. Il est évident que ces systèmes sont des entreprises qui s’étendent au-delà des limites de la province où sont situées leurs installations; en outre, bien plus que dans l’affaire Winner, ils constituent chacun une seule entreprise qui traite les signaux lui parvenant par-delà la frontière et les transmet, quoique après les avoir convertis, à ses abonnés grâce à son réseau de câbles. Le bon sens dont parlait le Conseil privé dans l’affaire de la Radiocommunication me semble encore plus nécessaire en l’es­pèce pour empêcher un partage de compétence à l’égard des mêmes signaux ou des mêmes émis­sions selon qu’ils parviennent aux téléspectateurs par ondes hertziennes ou par câbles coaxiaux.

Les arguments avancés par les procureurs géné­raux de l’Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique, ainsi que par les appelantes, sont erronés en ce qu’ils s’appuient sur la technique de transmission pour justifier un changement de com­pétence constitutionnelle, alors que l’ensemble de l’entreprise dépend de signaux provenant de l’exté­rieur de la province que le STAC reçoit et distri­bue à ses abonnés. II ne leur sert à rien non plus d’affirmer que le système de câblodistribution ne fait pas de radiodiffusion. Pour fonctionner, le système doit recevoir des émissions de télévision et il n’est donc rien de plus qu’un conduit qui permet d’acheminer les signaux provenant de ces émis­sions aux abonnés qui, par son intermédiaire, béné­ficient de techniques nouvelles.

Comme l’avocat du procureur général du Québec, j’estime que, puisque le renvoi relatif à la

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Radiocommunication traitait d’une question géné­rale de compétence législative, cette décision ne permet pas en elle-même de déterminer la validité d’une loi particulière. La question constitutionnelle posée en l’espèce vise toutefois une loi déterminée, la Loi sur la radiodiffusion promulguée en 1968, mais sa constitutionnalité repose sur le postulat que la Loi autorise la réglementation des systèmes de câblodistribution qui reçoivent et distribuent des signaux de télévision. Ces signaux peuvent bien sûr être transmis par ondes hertziennes d’un endroit situé dans la même province ou à l’exté­rieur de celle-ci. On semble prétendre que, puisqu’un système de câblodistribution peut être de caractère local et peut recevoir des signaux provenant de l’intérieur de la province, ce système ne relève pas entièrement de la compétence législative fédérale. J’ai cru comprendre cependant qu’il était admis que la compétence fédérale est exclusive à l’égard de la réception de signaux à l’antenne d’un système de câblodistribution quelle que soit leur provenance. Si c’est le cas, je ne vois pas comment la compétence législative disparaît à l’égard de ces signaux pour la simple raison que l’entreprise qui les reçoit et les envoie à ses abonnés locaux le fait grâce à des techniques différentes.

En plus des arguments précités, qui ne diffèrent pas de ce qu’ont avancé les autres opposants à la compétence fédérale, l’avocat du procureur général du Québec nie toute compétence fédérale à l’égard du contenu de la télévision par câble, du moins au niveau de la distribution par câbles coaxiaux. Cela n’est en fait qu’une nouvelle formulation de la question posée en l’espèce, sans en changer le fond. Mais cette nouvelle formulation suggère cependant que le Parlement du Canada peut réglementer, éventuellement par un système de licences, les installations ou les appareils utilisés pour recevoir les signaux transmis de l’étranger ou d’une autre province, mais rien de plus. Il fut un temps où la législation fédérale rendait obligatoires les licences pour les récepteurs; mais si, comme on le prétend, il n’existe aucun pouvoir de réglementation du contenu, je vois mal comment on peut justifier constitutionnellement le pouvoir fédéral de délivrer des licences pour les récepteurs situés dans une province ou même pour les installations de transmission qui envoient des signaux par transmission

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internationale ou interprovinciale. Pris sous un autre angle, ce serait comme si un transporteur interprovincial ou international de marchandises pouvait obtenir une licence l’autorisant à effectuer un transport, mais sans aucun contrôle fédéral sur ce qui peut être transporté ni sur les conditions du transport.

Une telle prétention revient à nier toute compétence législative fédérale réelle sur ce qui passe par communication interprovinciale ou internationale que ce soit par la radio ou par la télévision, et revient en réalité à demander à cette Cour de désavouer la décision rendue dans l’affaire de la Radiocommunication. Cela laisserait probablement intact le pouvoir fédéral en matière de «télégraphe», tout en restreignant le sens que le Conseil privé a donné à ce terme dans cette affaire-là.

Bien que cette Cour ne soit pas plus liée par les jugements du Conseil privé que par ses propres jugements, je suis d’avis que la décision rendue dans l’affaire de la Radiocommunication est bien fondée aux termes des art. 91 et 92(10)a). Les objections soulevées à l’égard du pouvoir législatif fédéral sur le contenu des émissions de télévision transmises par les systèmes de câblodistribution impliquent une restriction du sens de l’expression «entreprise ... s’étendant au-delà des limites de la province», à l’al. 92(10)a).

Dans l’affaire de la Radiocommunication, le Conseil privé a souligné qu’ [TRADUCTION] « «une entreprise» n’est pas une chose matérielle, mais une organisation dans laquelle on utilise des choses matérielles» ([1932] A.C. 304, à la p. 315). Il est revenu sur la question dans l’affaire Winner, où il a fait une distinction entre «un ouvrage qui relie» et «une entreprise qui relie», disant que [TRADUC­TION] «dans l’affaire de la Radiocommunication, il n’y avait pas d’ouvrages qui reliaient, mais seulement une entreprise, à moins que l’on n’adopte l’idée assez fantaisiste que le flux d’une décharge électrique traversant la frontière d’une province peut être considéré comme un lien matériel» ([1954] A.C. 541, à la p. 574). Un système de câblodistribution qui utilise des signaux provenant de l’extérieur du Canada n’est pas moins une «entreprise» en raison des techniques de la télévi­sion par câble, que les entreprises de radiodiffusion

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en cause dans l’affaire de la Radiocommunication. On a donné à ce terme un sens très large, comme l’indiquent, dans laffaire des débardeurs[11], à la p. 556, les renvois du juge Kellock à linterprétation qu’en a donnée laffaire Winner[12], où les termes «undertaking» (entreprise) et «enterprise» sont uti­lisés indifféremment, et dans laffaire de lhôtel Empress[13] où le mot «entreprise» est considéré comme l’équivalent d’«organisation».

Je suis donc certain que le pouvoir législatif fédéral s’étend à la réglementation de la réception de signaux de télévision provenant de l’extérieur du Canada et à la réglementation de la transmission de ces signaux à l’intérieur du Canada. Lesdits signaux transmettent des émissions qui parviennent en définitive aux téléspectateurs; il serait évidemment illogique de reconnaître cette portée à la compétence législative fédérale, mais de lui nier le pouvoir de réglementation corollaire, dès que les signaux sont interceptés et transmis aux téléspec­tateurs par des moyens techniques différents. La réglementation du contenu des émissions est insé­parable de la réglementation de l’entreprise qui les reçoit et transmet, comme partie intégrante dune opération globale.

Les conclusions de lavocat du procureur général de la Saskatchewan apportent une autre réponse à la prétention avancée par lavocat du procureur général du Québec. Invoquant la formulation de la question constitutionnelle soumise à cette Cour, cet avocat affirme que la compétence législative sur le contenu commercial étranger relève de la compétence fédérale exclusive dans la mesure où le système de transmission provincial utilise des signaux provenant de lextérieur du Canada.

En outre, à lappui du pouvoir législatif fédéral en l’espèce, cet avocat a insisté sur le fait que le Parlement a la compétence législative en matière d’importation. Il n’a pas retenu la thèse avancée par les autres intervenants, selon laquelle Rogers exploite un système provincial de transport, mais il prétend qu’en l’espèce le contrôle du contenu relève de la compétence du Parlement en raison de

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ses pouvoirs en matière de réglementation des échanges et du commerce. En outre, s’appuyant sur le jugement de cette Cour dans Caloil Inc. c. Le Procureur général du Canada[14], il affirme que, puisque le Parlement peut, dans le domaine des importations, imposer des restrictions sur l’utilisa­tion subséquente du produit importé, il a, par analogie, le pouvoir de réglementer ici l’utilisation ou la substitution de messages publicitaires transmis par des signaux provenant de l’étranger.

Je ne puis admettre la prétention du procureur général de l’Ontario selon laquelle l’exploitation d’un système de câblodistribution comprend deux entreprises, la réception et la transmission des signaux de télévision, simplement parce que la transmission aux abonnés du signal qu’il reçoit par ondes hertziennes se fait par une technique diffé­rente. On a essayé d’étayer cette prétention en se référant à des affaires relatives au transport par chemin de fer et par camion. Sans en discuter, il suffit de dire que ces décisions ne démontrent pas qu’un transporteur interprovincial de marchandi­ses ou de passagers dont l’entreprise consiste à acheminer marchandises ou passagers à leur desti­nation en combinant le transport par rail et par route, exploite de ce fait deux entreprises au lieu d’une seule entreprise intégrée.

De même, je ne puis admettre la prétention avancée par les procureurs généraux du Québec et de la Colombie-Britannique selon laquelle, prima facie, un système de cablodistribution est un ouvrage ou entreprise locale en ce qui concerne les signaux provenant de l’extérieur du Canada et transmis à l’intérieur de la province par câble coaxial. J’ai déjà souligné que les émissions d’ori­gine locale ne sont pas en cause dans les faits sur lesquels la question constitutionnelle a été soule­vée.

1re question: Compétence du Conseil

Cette question a trait à la portée de la Loi sur la radiodiffusion et au point de savoir si elle délègue au Conseil de la Radio-Télévision canadienne le

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pouvoir de réglementer les systèmes de câblodistri­bution. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’attaque dirigée contre l’exercice de ce pouvoir par le Con­seil et, à mon avis, elle a eu raison.

Les prétentions des appelantes sur ce point se fondent principalement sur la définition de «radio-diffusion» à l’art. 2 de la Loi, définition qui englobe celle du mot «radiocommunication», défini lui aussi au même article. D’après les appelantes, ceci en limite le sens à la transmission de signaux par ondes hertziennes destinées à être captées directement par le public en général. L’accent est mis sur les derniers mots de la définition de radio-communication, à savoir, l’expression «sans guide artificiel». Il faudrait donc, selon les appelantes, distinguer les systèmes de câblodistribution, comme systèmes de réception, des stations d’émis­sion de radiodiffusion. Cet argument présente des similitudes avec l’argument avancé à l’égard de la question constitutionnelle.

Les définitions de «radiodiffusion» et de «radiocommunication» sont les suivantes:

«radiodiffusion» désigne toute radiocommunication dans laquelle les émissions sont destinées à être captées directement par le public en général;

«radiocommunication» désigne toute transmission, émis­sion ou réception de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature, au moyen d’ondes électromagnétiques de fréquences inférieures à 3,000 gigacycles par seconde transmises dans l’espace sans guide artificiel;

Notons que la définition de radiocommunication comprend à la fois la rédeption [sic] et la transmission de signaux par ondes hertziennes.

En ce qui concerne cette question, les disposi­tions de la Loi qui confèrent des pouvoirs au Conseil sont pertinentes. Ces pouvoirs visent la réalisation des objets de la Loi énoncés à l’art. 3. Ceux qui nous intéressent, à l’égard de cette ques­tion et de la question 3 qui sera traitée plus loin, sont les suivants:

3. Il est, par les présentes, déclaré

a) que les entreprises de radiodiffusion au Canada font usage de fréquences qui sont du domaine public

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et que de telles entreprises constituent un système unique, ci-après appelé le système de la radiodiffusion canadienne, comprenant des secteurs public et privé;

b) que le système de la radiodiffusion canadienne devrait être possédé et contrôlé effectivement par les Canadiens de façon à sauvegarder, enrichir et raffer­mir la structure culturelle, politique, sociale et écono­mique du Canada;

c) que toutes les personnes autorisées à faire exploiter des entreprises de radiodiffusion sont responsables des émissions qu’elles diffusent, mais que le droit à la liberté d’expression et le droit des personnes de capter les émissions, sous la seule réserve des lois et règle­ments généralement applicables, est incontesté;

d) que la programmation offerte par le système de la radiodiffusion canadienne devrait être variée et com­préhensive et qu’elle devrait fournir la possibilité rai­sonnable et équilibrée d’exprimer des vues différentes sur des sujets qui préoccupent le public et que la programmation de chaque radiodiffuseur devrait être de haute qualité et utiliser principalement des ressour­ces canadiennes créatrices et autres;

Les articles 15, 16 et 17 de la Loi définissent les pouvoirs respectifs du Conseil et de son comité de direction:

15. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur 1 radio et des instructions à l’intention du Conseil émises, à l’occasion, par le gouverneur en conseil sous l’autorité de la présente loi, le Conseil doit réglementer et surveiller tous les aspects du système de la radiodiffusion canadienne en vue de mettre en oeuvre la politique de radiodiffusion énoncée dans l’article 3 de la présente loi. i

16. (1) Dans la poursuite de ses objets, le Conseil, sur la recommandation du comité de direction, peut

a) prescrire les classes de licences de radiodiffusion;

17. (I) Dans la poursuite des objets du Conseil, le comité de direction, après avoir consulté les membres à temps partiel qui assistent à une réunion du Conseil, peut

a) attribuer des licences de radiodiffusion pour les périodes d’au plus cinq ans et sous réserve des condi­tions propres à la situation du titulaire

(i) que le comité de direction estime appropriées pour la mise en oeuvre de la politique de radiodiffu­sion énoncée dans l’article 3, et

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(ii) dans le cas de licences de radiodiffusion attri­buées à la Société, que le comité de direction juge compatibles avec la fourniture, par l’intermédiaire de la Société, du service national de radiodiffusion envisagé par l’article 3; et

b) à la demande d’un titulaire de licence, modifier toutes conditions d’une licence de radiodiffusion à lui attribuée;

c) renouveler des licences de radiodiffusion pour les périodes d’au plus cinq ans que le comité de direction estime raisonnables et sous réserve des conditions auxquelles les licences renouvelées étaient antérieurement assujetties ou de toutes autres conditions confor­mes à l’alinéa a);

Liées aux dispositions précédentes on trouve les définitions de «entreprise de radiodiffusion» et «licence de radiodiffusion» à l’art. 2 de la Loi. Les voici:

«entreprise de radiodiffusion» comprend une entreprise d’émission de radiodiffusion, une entreprise de récep­tion de radiodiffusion et l’exploitation d’un réseau situé en tout ou en partie au Canada ou sur un navire ou un aéronef immatriculé au Canada;

«licence de radiodiffusion», ou, aux Parties Il et III, «licence», désigne une licence d’exploitaton [sic] d’une entreprise de radiodiffusion, attribuée en vertu de la présente loi;

Il me semble évident qu’un système de câblodis­tribution, du moins s’il reçoit des signaux d’un radiodiffuseur et les transmet, est une entreprise de réception de radiodiffusion et relève, au moins à cet égard, des pouvoirs du Conseil en matière de réglementation et de licence. Ce point de vue est renforcé par le par. 29(3) de la Loi que voici:

29. …

(3) Quiconque fait exploiter une entreprise de radio-diffusion sans avoir une licence de radiodiffusion valide et non périmée ou, étant le détenteur d’une licence de radiodiffusion, exploite une entreprise de radiodiffusion en tant qu’élément d’un réseau, autrement qu’en confor­mité des conditions de cette licence, est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration sommaire de cul­pabilité, d’une amende n’excédant pas mille dollars pour chaque jour que dure cette violation.

[Page 167]

Nous n’avons pas affaire en l’espèce à un système de télévision en circuit fermé ne relevant pas de la radiodiffusion au sens de la Loi.

Il est assez curieux en l’espèce que les compa­gnies Rogers, qui exploitent leurs systèmes de câblodistribution sous des licences accordées en vertu de la Loi, ne contestent pas l’autorité du Conseil et que ce soient les appelantes, qui n’ont jamais obtenu de licences du Conseil, qui s’oppo­sent au contrôle exercé par ce dernier, par le truchement des licences, sur les titulaires de licences.

Toutefois, en l’espèce, le pouvoir général de réglementation n’est pas seul en cause. On prétend que les pouvoirs du Conseil ne comprennent pas la réglementation du contenu des émissions de télévi­sion et que, de toute façon, ils ne s’étendent pas à la modification de ces émissions une fois que les signaux ont été reçus aux antennes des systèmes de câblodistribution. A ce sujet, on attire l’attention sur les al. 3c) et 17(1)6) de la loi que je cite à nouveau pour plus de commodité:

3. ...

c) que toutes les personnes autorisées à faire exploiter des entreprises de radiodiffusion sont responsables des émissions qu’elles diffusent, mais que le droit à la liberté d’expression et le droit des personnes de capter les émissions, sous la seule réserve des lois et règlements généralement applicables, est incontesté;

17. (1) Dans la poursuite des objets du Conseil, le comité de direction, après avoir consulté les membres à temps partiel qui assistent à une réunion du Conseil, peut

b) à la demande d’un titulaire de licence, modifier toutes conditions d’une licence de radiodiffusion à lui attribuée;

J’estime non fondée la prétention selon laquelle, en vertu de l’al. 3c), les systèmes de câblodistribu­tion sont protégés contre tout pouvoir dont disposerait le Conseil pour autoriser la suppression de messages publicitaires captés par eux. Je peux admettre que les titulaires de licence mentionnés à l’al. 3c) sont des stations d’émission de radiodiffusion,

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mais cela ne veut pas dire que les systèmes de câblodistribution sont couverts par l’expression «le droit des personnes de capter les émissions ... est incontesté». (Les parties ont concédé qu’il n’y avait pas de «lois ou règlements généralement applicables» en dehors de la Loi sur la radiodiffusion et de ses règlements d’application.) Cette expression s’applique mieux aux téléspectateurs, mais, que ce soit ou non le cas, je ne considère pas que l’al. 3c), une clause qui définit un objet général, puisse prévaloir sur le pouvoir spécifiquement conféré au Conseil d’accorder des licences, un pouvoir conféré par une loi généralement applicable. Me Robinette a prétendu, au nom du Conseil, que compte tenu des sous-al. 16(1)b)(iii) et (iv) de la Loi et du par. 28(2) (qui parle d’«émissions, avis ou annonces»), le terme «émission» à l’al. 3c) doit exclure les messages ou annonces publicitaires. Je n’ai pas besoin de m’appuyer sur cette prétention en l’espèce.

Un second argument avancé à l’encontre de ce que le Conseil a fait en l’espèce se fonde sur la portée de l’al. 17(1)b) de la Loi qui autorise le comité de direction, «à la demande d’un titulaire de licence, [à] modifier toutes conditions d’une licence de radiodiffusion à lui attribuée». Il est allégué que les licences des compagnies Rogers ne contenaient pas de conditions que l’on pouvait considérer comme modifiées, en l’espèce, par l’au­torisation de supprimer des messages publicitaires pour y substituer des messages d’intérêt public. Cela me semble contredire carrément les disposi­tions des licences des compagnies Rogers qui les autorisaient à recevoir et distribuer les signaux des diverses stations exploitées par les appelantes.

Les appelantes donneraient un sens strictement technique au terme «conditions» et un sens limité au terme «modifié» à l’al. 17(1)b). A mon avis, l’ensemble de la Loi et le par. 17(l) pris dans son contexte montrent très clairement que l’al. 17(1)b) vise simplement tout changement dans les condi­tions régissant les licences délivrées par le comité de direction. Le libellé du par. 17(1) ne doit pas être interprété comme le serait celui d’un acte de cession en common law.

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3e question: Excès de pouvoir

En admettant que le Conseil ait compétence, de la manière décrite dans la réponse à la première question, deux nouvelles questions se posent à l’égard de l’exercice de ce pouvoir en l’espèce. L’alinéa b) de la question 3 renvoie à la partie de la décision du Conseil où il déclare qu’avant de transiger à l’égard des poursuites introduites contre elles par les appelantes en Cour fédérale, les intimées doivent préalablement obtenir le consen­tement du Conseil. A mon avis, rien dans la Loi n’impose cette obligation. On peut comprendre que le Conseil craigne que par suite d’une transaction, les intimées ne soient plus à même de s’acquitter de leurs obligations en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Le Conseil dispose toutefois d’un pouvoir de contrôle en matière de licences qu’il peut exercer â cette fin. Il se peut que certains points d’une transaction n’intéressent aucunement le Conseil, du moins en ce qui concerne sa compé­tence, et en spécifiant dans sa décision que le règlement d’un litige privé doit être soumis à son consentement, il excède nettement sa compétence. Cette partie de la décision est clairement séparable du reste; en fait les appelantes n’ont jamais prétendu que l’ensemble de la décision devait être annulée si cette exigence constituait un excès de pouvoir du Conseil.

On allègue, à l’al. a) de la 3e question, l’excès de pouvoir parce que la décision du Conseil est fondée sur un énoncé de politique et non sur une loi ou un règlement. Deux points sont avancés à cet égard; tout d’abord l’al. 3c) est à nouveau invoqué pour affirmer qu’il ne peut y avoir aucune réglementa­tion du contenu des émissions à moins que ce ne soit en vertu de règlements applicables (et l’on n’a pas démontré qu’il en existe); on se reporte également au par. 16(1) qui autorise le Conseil à établir ces règlements applicables à toutes les personnes qui détiennent des licences de radiodiffusion, quant aux normes des émissions, la nature de la publicité et le temps qui peut être consacré aux émissions, annonces ou avis. Certaines exigences doivent être remplies à la fois aux termes de l’art. 16(2) et de la Loi sur les textes réglementaires, 1970-72 (Can.), c. 38, avant qu’un règlement prenne effet et l’on a affirmé, sans que cela soit contredit, qu’il n’existe encore aucun règlement relatif aux systèmes de câblodistribution.

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La question se pose donc de savoir si le Conseil ou son comité de direction, agissant en vertu de son pouvoir d’attribuer des licences, a le droit d’exercer ce pouvoir en se fondant sur des énoncés de politique ou si son champ d’action, lorsqu’il traite de demandes de licences ou de modifications de licences, se restreint à l’application de règle­ments. Je suis certain que s’il existait des règlements en vigueur relatifs au pouvoir d’accorder des 1 ;licences, ces règlements devraient être suivis même si des énoncés de politique les contredisaient, Les règlements prévaudraient sur tout énoncé de politique. Toutefois, en l’absence de règlement, le Con­seil est-il tenu de ne rendre que des décisions ad hoc sur les demandes de licences ou de modifica­tions de licences et lui est-il interdit d’annoncer les politiques sur lesquelles il se fondera lorsqu’il exa­minera ces demandes?

Hormis l’argument selon lequel les pouvoirs du Conseil ne s’étendent pas aux systèmes de câblo­distribution, un argument que j’ai rejeté, les appe­lantes ne prétendent pas que l’énoncé de politique dont il est fait mention dans la décision du Conseil traite de questions exorbitantes des pouvoirs du Conseil. On invoque cependant les art. 16 et 17 de la Loi, qui traitent respectivement du pouvoir de faire des règlements et du pouvoir d’attribuer et de modifier des licences, des pouvoirs qui, selon les premiers mots des articles, sont accordés au Con­seil pour poursuivre ses objets. Les appelantes semblent considérer que ces dispositions exigent que l’on fasse appel aux considérations de politique énoncées à l’art. 3 seulement dans le cas de pro­mulgation de règlements ou pour chaque demande présentée.

A cela l’intimé répond que, puisque le Conseil a tenu une audition pour entendre la demande des compagnies Rogers et qu’à cette audition les appe­lantes ont pu faire valoir leurs arguments sur la politique du Conseil et sur le fond de la demande, on ne peut reprocher au Conseil d’avoir exercé incorrectement son pouvoir. L’intimé s’est également appuyé sur ce que disait le lord juge Bankes dans R. v. Port of London Authority ex p. Kynoch[15], à la p. 184 et par la Chambre des lords

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dans British Oxygen Co. v. Board of Trade[16], à la p. 624.

A mon avis, compte tenu de la grande portée des matières confiées au Conseil par l’art. 15 de la Loi, qui comprennent la surveillance de «tous les aspects du système de la radiodiffusion canadienne en vue de mettre en oeuvre la politique de radiodif­fusion énoncée dans l’art. 3 de la présente loi», il était tout à fait approprié d’énoncer des principes directeurs comme le Conseil l’a fait à l’égard de la télévision par câble. Les principes en cause ont été f établis après de longues auditions auxquelles les parties intéressées étaient présentes et ont pu faire des observations. Sous le régime de réglementation établi par la Loi sur la radiodiffusion, il est dans l’intérêt des titulaires éventuels de licences et du public d’avoir une politique d’ensemble. Même si une telle politique peut ressortir d’une succession de demandes, il est plus judicieux de la faire connaître à l’avance.

L’objection énoncée à l’al. a) de la question 3 doit donc être rejetée.

4e question: La Convention internationale

Les avocats des appelantes ont présenté un cer­tain nombre d’arguments liés à l’adhésion du Canada, à titre de partie, à la Convention Intera­méricaine de Radiocommunication de 1937 à laquelle les États-Unis sont aussi partie. Voici les arguments avancés pour contester la validité de la décision autorisant la suppression de messages publicitaires des émissions des appelantes: (1) le Conseil est le mandataire du gouvernement cana­dien et à ce titre est lié par les termes de la Convention; (2) la Loi sur la radiodiffusion doit être interprétée à la lumière de la Convention, ou du moins de manière à ne pas violer les obligations internationales du Canada en découlant; et (3), l’argument le plus important, la mise en vigueur de la Convention à l’intérieur du Canada est prescrite par l’al. 3(1)c) de la Loi sur la radio, (1938) (Can.), c. 50 et l’application de la Convention est actuellement prescrite par l’al. 7(1)d) et l’art. 8 de la Loi sur la radio, S.R.C. 1970, c. R-l et l’art. 11 du Règlement de la radio, Partie II qui donne

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effet aux articles 11 et 21 de la Convention comme faisant partie de la législation fédérale.

La Convention en cause fut signée par le Canada et les autres parties contractantes le 13 décembre 1937 et ratifiée par le Canada le 22 décembre 1938, date à laquelle les Parties I, III et IV entraient en vigueur. La Partie III qui com­prend les articles 11 à 22 est pertinente en l’espèce. L’alinéa 3(1)c) de la Loi sur la radio de 1938 se lit comme suit:

3. (1) Le gouverneur en conseil peut

c) Adhérer à quelque convention internationale sur la radio, établir les règlements sur la radio, établir les règlements qui peuvent être nécessaires pour mettre à exécution et rendre effectifs les termes de cette con­vention …

L’actuelle Loi sur la radio, à l’al. 7(1)d), confère au ministre responsable le pouvoir d’édicter des règlements

... aux fins d’appliquer les termes de tout accord ou traité international ou de toute convention internationale concernant les télécommunications auxquelles le Canada est partie et de leur donner effet.

Le paragraphe 8(1) prévoit que:

8. (1) Le Ministre doit entreprendre telle action qui peut être nécessaire pour assurer au moyen d’une régle­mentation internationale ou autrement, les droits de Sa Majesté du chef du Canada dans les questions de télé-communications et doit consulter le Conseil de la radio-diffusion et des télécommunications canadiennes sur celles de ces questions qui, selon lui, intéressent ou concernent la radiodiffusion.

Si j’examine les arguments avancés par les appe­lantes dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés, je ne vois pas comment on peut soutenir que le Conseil est un mandataire ou une extension du gouvernement canadien et à ce titre lié par les dispositions de la Convention de la même manière que le gouvernement. Rien dans la Loi sur la radiodiffusion ne donne au Conseil d’autre statut que celui d’organisme fédéral de contrôle aux pou­voirs statutaires bien définis et l’on ne nous a cité aucune autre loi qui aurait cet effet. Rien n’indi­que que le Conseil tire un pouvoir quelconque de la Convention ni que la Convention, en elle-même,

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limite le pouvoir de contrôle conféré au Conseil par la Loi sur la radiodiffusion. En fait, si la prétention des appelantes avait une valeur quelcon­que en ce qui concerne le premier argument, ce ne pourrait être qu’en rapport avec les obligations du Canada, en vertu de la Convention, à l’égard des autres signataires. Les seules conséquences inté­rieures ou internes possibles viendraient de l’appli­cation d’une législation donnant à la Convention un effet juridique au Canada.

En second lieu, on demande à cette Cour de dire que les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion sont ambiguës en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil et que, pour les interpréter, il y a lieu de recourir aux termes de la Convention. Je ne vois aucune ambiguïté qui exigerait que l’on se reporte à la Convention qui n’est de toute façon jamais mentionnée spécifiquement dans la Loi sur la radiodiffusion; en outre, il est évident que la Con­vention elle-même ne peut prévaloir sur les disposi­tions expresses de la Loi: voir R. v. Chief Immi­gration Officer, Heathrow Airport[17], à la p. 850.

Ceci m’amène à leur dernière prétention quant à l’effet, s’il en est, de l’application de la Convention de manière à restreindre les pouvoirs du Conseil.

Je ne vois pas comment le par. 8(1) de la Loi sur la radio pourrait avoir une influence quelconque sur la thèse avancée par les appelantes, mais il faut examiner l’al. 7(1)d) et les règlements pris en vertu de la Loi sur la radio, actuellement en vigueur. Le terme (télécommunications», utilisé à l’al. 7(1)d), est défini à l’art. 2 de la Loi sur la radio de la manière suivante:

«télécommunication» désigne toute transmission, émis­sion ou réception de signes, signaux, écrits, images, son ou renseignements de toute nature par fil, par radio, par un procédé visuel ou un autre procédé électromagnétique.

Cette définition, puisqu’elle fait mention du terme (radio», englobe bien sûr le sens donné à ce mot par l’art. 2 de la Loi et qui n’est, en fait, qu’une description des ondes hertziennes. Les appelantes invoquent l’art. 11 du Règlement général sur la

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radio, Partie II, et affirment qu’il est applicable en l’espèce aux compagnies Rogers. Voici cet article 11:

11. Le titulaire d’une licence devra se conformer aux dispositions de la Convention internationale des télécom­munications et des accords bilatéraux ou plurilatéraux sur les télécommunications pour lors en vigueur et obser­ver les règlements sur la radio établis en vertu de ladite convention et desdits accords.

Elles prétendent que la Convention invoquée ici était en vigueur en vertu de la Loi sur la radio de 1938 et qu’elle est maintenant couverte par l’art. 11 précité. Les appelantes invoquent tout particu­lièrement les articles 11 et 21 de la Convention. L’article 11 est intitulé «Principes généraux» et se lit comme suit:

ARTICLE  Il
Principes généraux

a) Les Gouvernements contractants reconnaissent le droit souverain de toutes les nations à l’usage de toutes les voies de radio-diffusion.

b) Les Gouvernements américains, sous la seule con­dition de ne causer aucune interférence aux services des autres pays, peuvent assigner n’importe quelle espèce d’ondes et n’importe quelle fréquence aux sta­tions de radio-diffusion qui se trouvent sous leur juridiction.

c) Cependant les États reconnaissent que jusqu’à ce que le progrès technique atteigne un point qui permette d’éliminer les interférences de radio-communications de caractère international, les accords régio­naux sont essentiels pour établir la normalisation et diminuer les interférences.

d) Pour résoudre les problèmes qui, à cause des caractéristiques spéciales de propagation et des condi­tions d’interférence des émissions radio-électriques dans les diverses zones géographiques, nécessitent de dispositions spéciales, les Gouvernements contractants conviennent de diviser en trois régions le Continent américain: la zone septentrionale, la zone centrale, et la zone méridionale. (Annexe 3.)

En admettant que cet article s’applique à la télévision, je ne vois pas ce qu’il apporte à l’appui de la thèse des appelantes selon laquelle il limite les pouvoirs du Conseil pour ce qui est d’autoriser la suppression des messages publicitaires des émis­sions des appelantes. L’article 11 ne fait que confirmer les droits des États à l’usage des voies de

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radiodiffusion et le droit des signataires de la Convention d’assigner des fréquences sous la seule condition de ne pas causer d’interférence aux services des autres pays. Cet article traite de l’élimina­tion des interférences de radiocommunications, du fait par exemple de changement de fréquences, et non de programmation.

On peut également donner une autre réponse à ce troisième argument des appelantes. L’article 11 du Règlement de la radio traite de titulaires de licence en vertu de la Loi sur la radio et, en fait, les compagnies Rogers détiennent seulement des certificats techniques de construction et de fonc­tionnement en vertu de cette loi; leurs licences de programmation leur sont attribuées en vertu de la Loi sur la radiodiffusion et cette loi ne prévoit pas l’application de la Convention.

L’article 21 de la Convention, intitulé «Retrans­mission» se lit comme suit:

ARTICLE 21

Retransmissions

Les Gouvernements contractants prendront les mesu­res nécessaires pour éviter que les programmes transmis par une station de radiodiffusion soient retransmis ou émis, totalement ou partiellement par une autre station sans avoir obtenu auparavant l’autorisation de la station d’origine.

Le poste qui retransmettra n’importe quel programme devra annoncer la retransmission, et, à intervalles appro­priés, la nature de l’émission, la position du poste d’ori­gine et l’indicatif d’appel ou toute autre identification de celui-ci.

Le juge Ryan de la Cour d’appel fédérale a répondu à l’argument fondé sur cet article, en faisant remarquer dans ses motifs que l’expression «une autre station» s’applique à une autre station de radiodiffusion alors que les compagnies Rogers n’en sont pas, mais sont des entreprises de récep­tion de radiodiffusion. En outre, comme l’a fait remarquer l’intimé, l’article 21 lui-même laisse au gouvernement contractant l’application spécifique de ses dispositions, et ce n’est que dans cette mesure qu’il prend effet à l’intérieur d’un pays. Les licences octroyées aux systèmes de câblodistri­bution, avant 1970, comportaient une condition interdisant la modification des signaux reçus d’une

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station émettrice, sans le consentement de cette station, mais le règlement en vertu duquel cette condition était incluse a été révoquée en 1970. Il n’est donc plus interdit d’autoriser des modifica­tions de signaux reçus d’une station émettrice. J’ajouterai qu’il n’est pas du tout certain que l’article 21 de la Convention soit applicable à des systèmes de câblodistribution, mais je n’ai pas à me prononcer sur cette question.

En définitive, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens dans cette Cour et je répondrais aux questions soumises à la Cour de la manière suivante:

1re Question:   Non.

2e Question:     Non.

3e Question:

a):          Non.

b):          Oui.

4e Question:     Non.

5e Question: Le point en litige dans cette question n’a pas à être tran­ché ici, ce qui ne justifie pas qu’on refuse aux appelantes le droit d’agir devant cette Cour.

Il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens à l’égard des intervenants.

Le jugement des juges Pigeon, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE PIGEON (dissident)—Chaque appe­lante exploite à Buffalo une station de télévision dont les émissions sont reçues à Toronto et dans les environs. Rogers Cable TV Limited, Coaxial Colourview Limited et Bramalea Telecable Limi­ted exploitent des réseaux de câbles («STAC») distribuant des signaux de télévision et de radio FM à quelque 120,000 abonnés (au 1er octobre 1973) à Toronto et aux environs. Elles seront ci-après désignées sous le nom de «Rogers».

Le 16 juillet 1971, le Conseil de la Radio-Télévi­sion canadienne (le «Conseil») publia un énoncé de politique dont voici un extrait:

... Le Conseil permettra aux exploitants de câbles de supprimer la valeur commerciale des signaux de stations

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qui ne détiennent pas de licence de diffusion au Canada. Même s’il ne sera pas permis aux entreprises de télévi­sion par câble de vendre elles-mêmes des messages publicitaires en remplacement, elles seront toutefois encouragées à conclure des ententes avec les stations de télévision de leur région pour insérer des signaux de remplacement contenant des messages publicitaires dont la vente aura, au préalable, été assurée par des stations de télévision canadienne.

Le 16 août 1973, Rogers envoya à l’intimé le message telex suivant:

[TRADUCTION] Nous avons reçu des canaux 2, 4 et 7 de Buffalo, sous la signature de Gordon Henderson, trois lettres de menaces au sujet de la suppression ou du remplacement de certains messages publicitaires. Le groupe de compagnies Rogers demande par la présente une modification de licence afin de l’autoriser à suppri­mer ou remplacer au hasard des messages publicitaires provenant de stations de télévision américaines et transmis par son service de base qui comprend actuellement les canaux 2, 4 et 7 de Buffalo. Par eau hasard» nous voulons dire au moins trois substitutions par soirée sur au moins un de ces canaux, en alternance. Tous les messages de remplacement consisteront en informations publicitaires s’adressant aux abonnés, comme le démon­tage gratuit des antennes, le rabais sur le paiement d’avance à l’année, l’offre de nouveaux canaux en sup­plément, etc., ainsi que des messages d’intérêt général. Veuillez inclure cela dans notre demande de modifica­tion de licence, qui nous l’espérons, sera entendue à une audience publique en novembre.

Les appelantes sont intervenues pour s’opposer à cette demande qui fut cependant accordée par le Conseil le Pr mai 1974. L’appel à la Cour d’appel fédérale ainsi que la demande d’examen présentée en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, furent rejetés le 17 janvier 1975. Sur autorisation, ce pourvoi a été interjeté devant nous. A cette occasion, on a donné avis d’une question constitu­tionnelle relative au pouvoir du Conseil [TRADUC­TION] «de délivrer des licences et de réglementer le contenu des émissions transmises par des STAC situés entièrement à l’intérieur d’une province». Le procureur général du Canada est intervenu pour appuyer la législation et les procureurs généraux des provinces de l’Ontario, du Québec, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et de l’Alberta pour la contester.

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A mon sens, il n’est pas utile en l’espèce d’exa­miner l’ensemble de la question de la compétence fédérale sur les STAC. Nous n’avons ici à exami­ner que la compétence du Conseil pour autoriser la suppression de messages publicitaires d’émissions de télévision transmises par ondes hertziennes par des stations émettrices américaines. Cela veut dire que seule nous intéresse la réglementation de l’usage de signaux reçus d’un pays étranger par des personnes autorisées à les recevoir à des fins com­merciales, c’est-à-dire leur distribution à des abon­nés. A mon avis, abstraction faite de toute autre considération, l’arrêt de la Cour dans Caloil Inc. c. Le Procureur général du Canada[18], est décisif à l’appui de la compétence fédérale sur le contrôle de cet usage. Le juge Laskin, alors juge puîné, a exprimé comme suit le motif sur lequel la Cour était unanime (à la p. 553):

... Le Parlement a validement exercé son pouvoir reconnu de réglementer l’entrée de marchandises en provenance de pays étrangers, en insérant dans la régle­mentation une disposition restreignant l’aire de distribu­tion de marchandises au Canada par l’importateur.

Sans m’attarder aux aspects techniques de la télévision et de la câblodistribution, j’estime qu’il est nécessaire de parler un peu de ta structure économique de ces entreprises. Le revenu des radiodiffuseurs provient essentiellement de la vente de messages publicitaires. La valeur de leurs émis­sions dépend donc du nombre de téléspectateurs, car le prix qu’ils peuvent obtenir pour les flashes publicitaires dépend de l’importance de l’auditoire. On peut bien sûr vendre le temps d’antenne pour la diffusion de discours et de messages divers, mais il ressort nettement du dossier qu’une émission de télévision ordinaire perd toute valeur commerciale lorsqu’on en supprime les messages publicitaires. Le mode de fonctionnement des stations de télévi­sion ne leur permet pas de se faire financer direc­tement par les téléspectateurs.

Par contre les STAC fournissent un service à Ieurs abonnés moyennant des frais d’installation et un abonnement mensuel. Pour certains abonnés, les STAC sont le seul moyen d’obtenir des signaux clairs, et pour bien d’autres, ce système permet non seulement d’éliminer les problèmes inhérents

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aux antennes, mais il fournit également des signaux plus variés ou de meilleure qualité. Quelles que soient les raisons du succès des STAC auprès des téléspectateurs, le fait est que le nombre tou­jours croissant des abonnés constitue maintenant une proportion considérable des téléspectateurs, parfois jusqu’à 60 pour cent, ce qui a des inciden­ces commerciales importantes. Comme le mention­nait une chronique publiée à la Harvard Law Review (Vol. 79, 1965-66, aux pp. 366 et 367), le branchement d’un poste de télévision sur le STAC signifie habituellement que les signaux ne sont plus reçus autrement.

Par conséquent, si les exploitants de STAC étaient autorisés à supprimer les messages publici­taires de l’ensemble des émissions de télévision pour y substituer des messages à leur profit, toute la base économique des stations émettrices de télévision, ainsi que celle des stations privées de radio FM, pourrait s’en trouver sérieusement ébranlée. C’est pourquoi il faut se demander si les droits des radiodiffuseurs (télévision et radio FM) sur leurs signaux transmis par les STAC, dépendent exclusi­vement de la politique établie à cet égard par l’organisme chargé de délivrer les licences? L’énoncé de politique du 16 juillet 1971 semble suggérer que les exploitants de STAC peuvent légalement s’approprier la valeur commerciale des émissions distribuées à leurs abonnés, quand cela ne leur est pas interdit par l’organisme qui leur a accordé la licence. Cet énoncé de politique dit que: Même s’il ne sera pas permis aux entreprises de télévi­sion par câble de vendre elles-mêmes des messages publicitaires en remplacement, elles seront toutefois encouragées à conclure des ententes avec les stations de télévision de leur région pour insérer des signaux de remplacement contenant des messages publicitaires dont la vente aura, au préalable, été assurée par des stations de télévision canadienne. (Les italiques sont de moi)

Rogers n’a pas conclu d’entente pour la vente de messages publicitaires de remplacement avec des stations de télévision canadiennes et il n’y a donc pas lieu de rechercher la nature juridique d’une telle appropriation de la valeur commerciale des émissions des appelantes. Il est évident toutefois que lorsqu’il a été menacé de poursuites judiciai­res, Rogers eut quelques inquiétudes sur la validité des prémisses de l’énoncé de politique. À sa

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demande, le Conseil a rendu une décision qu’il cherche maintenant à faire confirmer à titre de condition de licence. Pour éviter, autant que possi­ble, d’aborder des questions qui pourraient faire l’objet d’autres litiges, je ne m’attarderai pas à l’aspect civil de l’opération autorisée par le Con­seil, si ce n’est pour faire remarquer qu’elle com­porte l’appropriation par des exploitants de STAC d’une partie de la valeur commerciale des émis­sions transmises par les appelantes, dans la région desservie par Rogers, dans la mesure où les postes de télévision de cette région sont alimentés par STAC et non par antenne. Cette appropriation se fait en partie au profit de Rogers (informations publicitaires), en partie au profit de ce que Rogers considère comme intérêt général.

Je ne vois pas pourquoi il y aurait une distinc­tion à faire, en ce qui concerne la validité de la décision attaquée, selon le bénéficiaire des messa­ges de remplacement. D’ailleurs, on n’y a fixé aucune proportion minimale de messages d’intérêt général. Du point de vue juridique, il faut exami­ner l’affaire en considérant que la décision autorise Rogers à s’approprier la valeur commerciale des émissions des appelantes retransmises par son STAC. L’ordonnance n’autorise pas une appro­priation dans le but de réaliser un bénéfice en vendant des messages de remplacement; mais je ne vois pas quelle différence cela peut faire si le bénéfice éventuel se limite à de la publicité pour l’entreprise au lieu de s’étendre à des ventes, comme le proposait l’énoncé de politique, Je crois donc que, pour maintenir la décision attaquée, il faut tout d’abord décider que le Conseil a le pouvoir d’autoriser les exploitants de STAC à s’approprier la valeur des émissions de télévision retransmises par leurs réseaux ou décider que ces exploitants peuvent légalement le faire sans autori­sation à moins que cela leur soit spécifiquement interdit parle Conseil.

Pour déterminer si l’une ou l’autre thèse est soutenable, il ne faut pas oublier la nature des droits conférés aux radiodiffuseurs. II ne faut pas se méprendre sur la portée de l’assertion que les titulaires de licences ne possèdent pas le canal qui leur est attribué, mais jouissent seulement d’un privilège qui peut être révoqué par l’organisme qui

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le leur a attribué. La licence n’est pas révocable discrétionnairement mais pour cause seulement. De plus, elle est réellement exclusive. Les titulaires de licences de canaux de télévision ne sont pas dans la même situation que des usagers de services radio généraux ou des radio amateurs. Un canal est attribué en exclusivité à une station de télévi­sion pour la région qu’elle doit desservir et aucune licence ne sera accordée à une station dans une autre région, si ses signaux peuvent provoquer un brouillage. L’énoncé de politique parle, à cet égard, de «territoire exclusif». Bien que sans maté­rialité, le canal attribué par la licence à une station de télévision est donc aussi exclusif dans la région desservie que le territoire attribué par une licence un exploitant de STAC. Ces exploitants sont évidemment dans la situation de services publics sous licence à l’égard d’un territoire bien défini, selon certaines modalités soumises au contrôle de l’organisme qui délivre la licence. Il est évident que chacun d’eux bénéficie, en vertu de la licence, d’une concession exclusive du droit de desservir le territoire attribué. Je ne vois pas pourquoi la situa­tion d’un télédiffuseur, à l’égard du canal qui lui est attribué, serait légalement inférieure parce que ce canal n’est pas matérialisé.

Vu ce que je viens de dire, je ne crois pas que le Conseil pourrait autoriser un exploitant de STAC à supprimer les messages publicitaires des émis­sions de télévision transmises par une station titu­laire d’une licence pour un canal dans la région. Ce serait porter atteinte aux droits conférés par la licence. Cela signifierait que le Conseil pourrait retirer au radiodiffuseur une partie de ses droits à l’égard de sa clientèle régulière. Il est tout aussi évident, à mon avis, que, même sans règle ou politique établie à cet effet par le Conseil, les exploitants de STAC n’ont pas le droit de s’appro­prier la valeur commerciale d’émissions provenant de stations titulaires de licence et retransmises sur leurs réseaux, en vendant des messages publicitai­res en remplacement de ceux qui sont transmis par ces stations. Ce serait une atteinte aux droits découlant de la licence, et peut-être à d’autres droits. Le cas des émissions en provenance de stations éloignées et retransmises par les STAC est différent. Il est douteux que ces stations subissent un préjudice en raison de la modification de leurs

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signaux dans une région où autrement ils ne pourraient pas être captés. Dans son énoncé de politi­que, le Conseil s’est inquiété du préjudice subi, dans ces conditions, par une station locale en raison de la concurrence accrue pour l’auditoire, mais il ne s’agit pas de l’invasion d’un canal sous licence.

En l’espèce, les émissions touchées par la suppression et le remplacement de messages publicitaires par Rogers ne provenaient pas de stations canadiennes titulaires de licence, mais de stations américaines voisines. Cependant cela se faisait dans une région où les signaux de ces stations peuvent être reçus directement sur les canaux qui leur sont attribués. L’énoncé de politique montre clairement que même si l’intention était de proté­ger jalousement les intérêts des stations de télévi­sion canadiennes, il avait également pour but de favoriser, dans leur intérêt, la politique d’agression économique contre les stations américaines à laquelle Rogers se prêtait avec son appui:

Le Conseil a déjà précisé dans ses directives précédentes combien une invasion massive et sans frein du territoire canadien par les émissions américaines irait complètement à l’encontre des principes du système de radiodif­fusion canadienne en matière d’octroi de licences, tel que décrit dans la Loi sur la radiodiffusion. Si l’on ne trouve pas le moyen d’intégrer la télévision par câble à l’ensemble du système, cette pénétration, en sapant les fondements économiques des radiodiffuseurs privés, dis­loquerait les objectifs canadiens des secteurs publics et privés du système de radiodiffusion canadienne en matière de culture, d’éducation et d’information.

Bien sûr le protectionisme [sic] ne date pas d’hier. Depuis longtemps les gouvernements perçoivent des droits de douane, fixent des quotas ou décrè­tent des embargos pour diverses raisons auxquelles les tribunaux n’ont rien à voir. Mais le Conseil n’est pas le gouvernement et il ne possède pas les prérogatives du pouvoir exécutif qui servent parfois à justifier ce qu’on appelle «des actes de l’État» contre lesquels un étranger est sans recours. Le Conseil est un organisme administratif régi par une loi, la Loi sur la radiodiffusion (S.R.C., c. B-11) et il est chargé d’appliquer la politique énoncée à l’art. 3. Les deux premiers alinéas de cet article disent que:

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3. Il est, par les présentes, déclaré

a) que les entreprises de radiodiffusion au Canada font usage de fréquences qui sont du domaine public et que de telles entreprises constituent un système unique, ci-après appelé le système de la radiodiffusion canadienne, comprenant des secteurs public et privé;

b) que le système de la radiodiffusion canadienne devrait être possédé et contrôlé effectivement par des Canadiens de façon à sauvegarder, enrichir et raffer­mir la structure culturelle, politique, sociale et écono­mique du Canada;

Outre ces dispositions, il convient de tenir compte de ce que le Canada est partie à la Con­vention Interaméricaine de Radio-communications du 13 décembre 1937, dont voici les articles 11 et 21:

Article 11
Principes généraux

(a) Les Gouvernements contractants reconnaissent le droit souverain de toutes les nations à l’usage de toutes les voies de radio-diffusion.

(b) Les Gouvernements américains, sous la seule con­dition de ne causer aucune interférence aux services des autres pays, peuvent assigner n’importe quelle espèce d’ondes et n’importe quelle fréquence aux sta­tions de radio-diffusion qui se trouvent sous leur juridiction.

(c) Cependant les États reconnaissent que jusqu’à ce que le progrès technique atteigne un point qui permette d’éliminer les interférences de radio-communi­cations de caractère international, les accords régio­naux sont essentiels pour établir la normalisation et diminuer les interférences.

(d) Pour résoudre les problèmes qui, à cause des caractéristiques spéciales de propagation et des condi­tions d’interférence des émissions radio-électriques dans les diverses zones géographiques, nécessitent de dispositions spéciales, les Gouvernements contractants conviennent de diviser en trois régions le Continent américain: la zone septentrionale, la zone centrale, et la zone méridionale. (Annexe 3.)

Article 21
Retransmissions

Les Gouvernements contractants prendront les mesu­res nécessaires pour éviter que les programmes transmis par une station de radio-diffusion soient retransmis ou émis, totalement ou partiellement par une autre station sans avoir obtenu auparavant l’autorisation de la station d’origine.

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Le poste qui retransmettra n’importe quel programme devra annoncer la retransmission, et, à intervalles appro­priés, la nature de l’émission, la position du poste d’ori­gine et l’indicatif d’appel ou toute autre identification de celui-ci.

Les premières questions qui se posent au sujet de ces clauses de la Convention, sont de savoir si la suppression de messages publicitaires par Rogers constitue une «interférence» avec les signaux émis par les stations américaines et celle de savoir si la distribution par Rogers à ses abonnés, d’émissions provenant de stations américaines, est une retrans­mission par une autre station. Rogers prétend que la Convention vise seulement l’interférence avec les ondes hertziennes et la retransmission par ce moyen. A l’époque de la signature de la Conven­tion, la télévision par câble était inconnue et même inconcevable. La prétention de Rogers est sans doute inattaquable si on lit les articles 11 et 21 à la lumière des techniques de l’époque, mais je ne pense pas qu’il faille interpréter de cette manière ces dispositions-là.

Le libellé de la Convention montre bien que les parties étaient conscientes du fait qu’elles trai­taient d’un domaine technologique en évolution. A mon avis, il faut donner effet à l’intention générale de cette Convention en regard des progrès actuels, plutôt que selon une interprétation stricte du texte. Il est vrai que Rogers ne cause aucune interférence avec les ondes hertziennes émanant des antennes des appelantes, car ces ondes peuvent toujours être reçues par une antenne sur les canaux qui leur ont été attribués. Toutefois le STAC a pour effet que les émissions des appelantes ne parviennent en réalité aux abonnés du STAC que sous la forme sous laquelle Rogers les distribue. Ce dernier est une «entreprise de radiodiffusion» au sens de la Loi sur la radiodiffusion. Il faut donc considérer qu’il radiodiffuse à ses nombreux abonnés. A mon avis, conclure qu’il ne s’agit pas là d’une retransmission au sens de l’article 21 de la Convention revient à ne pas en respecter l’intention véritable. En effet, c’est permettre d’éluder cette intention en usant d’un moyen différent pour parvenir au même résultat. Si Rogers captait les émissions des appe­lantes avec une antenne appropriée, et les retrans­mettait par ondes hertziennes sur un autre canal, malgré l’opposition des appelantes, il contreviendrait

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manifestement à l’article 21. Pourquoi cela ferait-il une différence du point de vue de la Convention, si la retransmission est faite par câbles coaxiaux, lorsque le résultat final est essen­tiellement le même?

Certaines conséquences juridiques de la transmission d’émissions de télévision par câbles coaxiaux ont été examinées, du point de vue de la législation sur le droit d’auteur, dans deux affaires qui sont venues en même temps devant les tribu­naux, l’une devant cette Cour, l’autre devant la Cour suprême des États-Unis. Devant cette Cour, il s’agissait de l’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Ltée c. CTV Television Network Ltd.[19] La question était de savoir si CTV violait le droit d’auteur des composi­teurs en transmettant des émissions à des stations titulaires de licences de radiodiffusion d’oeuvres protégées par le droit d’auteur. Après avoir conclu que cette transmission ne constituait pas «une com­munication des oeuvres» au sens littéral de la Loi, cette Cour statua que, vu l’intention exprimée par le traité annexé à la Loi, cette transmission ne constituait pas une contrefaçon, parce que la disposition du traité visait seulement les communica­tions au public par radio, c’est-à-dire la radiodiffu­sion. Peu après, la Cour suprême des États-Unis infirmait l’arrêt de la Cour d’appel fédéral que l’on avait invoqué devant nous (Fortnightly Corp. v. United Artists[20]. Elle concluait que l’exploitant du STAC (Fortnightly Corp.) ne violait pas le droit d’auteur en distribuant à ses abonnés des émissions de télévision diffusées par des stations détenant une licence de droit d’auteur. Voici ce qu’a dit le juge Stewart, porte-parole de la Cour (aux pp. 395 let 396):

[TRADUCTION] Il est évident au départ que les instal­lations de la requérante n’ont pas donné «une représenta­tion» des oeuvres de l’intimée protégées par le droit d’auteur, au sens habituel de ce terme, ou d’une manière envisagée par le Congrès en adoptant la loi de 1909. Nous ne pouvons cependant nous en tenir au sens ordi­naire des mots et à l’histoire législative, puisqu’il s’agit d’une loi qui a été rédigée bien avant l’essor de l’électro­nique dont il s’agit. En 1909, le radio elle-même en était

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à ses tous débuts, et la télévision n’avait pas encore été inventée. Nous devons interpréter le texte législatif rédigé il y a près de 60 ans à la lumière d’un changement technologique radical.

A mon avis, si ce principe s’applique à l’inter­prétation d’une loi, il doit s’appliquer à plus forte raison à l’interprétation d’une convention interna­tionale. Même si le texte reflète l’état du dévelop­pement technologique à l’époque de la rédaction, cela ne doit pas servir à empêcher l’application des principes énoncés. L’intention manifestée doit s’ap­pliquer aux progrès imprévus et ne doit pas se limiter à ce qui existait à l’époque de la rédaction. Dans Fortnightly Corp., il fut décidé que le STAC est un simple conduit qui permet d’acheminer aux téléspectateurs les émissions diffusées par les sta­tions de télévision titulaires de licences. Vu les motifs de cette décision, je pense qu’on serait venu à une conclusion différente si les émissions avaient été enregistrées et retransmises par l’exploitant du STAC. Il se serait agi alors de nouvelles réprésen­tations [sic] plutôt que d’un simple moyen d’acheminer les émissions à l’auditoire.

En l’espèce, je doute cependant que l’on doive considérer à juste titre que Rogers cause de l’inter­férence avec la réception des émissions des appe­lantes, en supprimant et remplaçant des messages publicitaires. Je suis plutôt porté à conclure que Rogers retransmet les émissions des appelantes. Mais je suis bien certain que ce doit être l’un ou l’autre. Si l’on dit que Rogers ne retransmet pas, cela signifie qu’il doit être considéré comme un simple conduit et, en conséquence, que la suppres­sion de messages publicitaires est une interférence.

Je n’attache aucune importance au fait que jusqu’ici aucune station de télévision ne s’est plainte de ce qu’un exploitant de STAC retrans­met ses émissions sans y être autorisé. Il est évi­dent que lorsque l’ensemble des émissions d’une station est transmis par un exploitant de STAC, elle ne subit aucun préjudice, mais bien au contraire, y trouve avantage. Toutefois la situation est radicalement différente lorsque, au lieu de distri­buer aux abonnés les émissions telles qu’elles sont reçues, on en supprime les messages publicitaires pour y substituer d’autres messages. Ce faisant, l’exploitant du STAC, comme je l’ai déjà fait

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remarquer, au lieu de permettre à la station de radiodiffusion de conserver la valeur commerciale de ses émissions, s’approprie cette valeur commer­ciale à son bénéfice ou à celui de tiers. Je ne vois aucune raison, dans de telles circonstances, de ne pas reconnaître aux radiodiffuseurs le droit d’invo­quer les dispositions de la Convention pour s’oppo­ser à ce genre de retransmission sans leur autorisation.

Ensuite vient la question de savoir si les appe­lantes peuvent invoquer la convention internatio­nale au soutien d’un appel de la décision du Con­seil devant les tribunaux. La Loi sur la radio, (S.R. c. R-1, art. 7) contient la disposition suivante:

7. (1) Le Ministre peut édicter des règlements

d) aux fins d’appliquer les termes de tout accord ou traité international ou de toute convention internatio­nale concernant les télécommunications auxquels le Canada est partie et de leur donner effet;

Le Règlement général concernant la radio (DORS/63/297), édicté en vertu de la Loi sur la radio antérieure, contient la disposition suivante qui est toujours en vigueur:

11. Le titulaire d’une licence devra se conformer aux dispositions de la Convention internationale des télécom­munications et des accords bilatéraux ou plurilatéraux sur les télécommunications pour lors en vigueur et obser­ver les règlements sur la radio établis en vertu de ladite convention et desdits accords.

A l’époque de la promulgation de ce règlement, toutes les licences de radio, y compris celles des stations de télévision et des réseaux de STAC étaient délivrées en vertu de la Loi sur la radio. Mais lorsque la Loi sur la radiodiffusion fut promulguée, en 1968 (1967-1968 (Can.), c. 25), il fut prévu que les licences d’exploitation d’une entreprise de radiodiffusion, une expression qui comprend les STAC comme les stations de télévi­sion, seraient délivrées par le Conseil sur présenta­tion d’un «certificat technique de construction et fonctionnement» accordé par le ministère des Transports. En raison de cette modification Rogers prétend ne pas être titulaire de licence au sens de l’art. 11 du Règlement. A mon avis, une interprétation

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aussi formaliste du Règlement ne se justifie pas. L’expression «titulaire d’une licence» n’est pas définie au Règlement général concernant la radio ni dans la Loi sur la radio. Normalement elle ne s’appliquerait qu’aux titulaires de licences en vertu de cette dernière loi. Cependant il s’agit ici d’une situation très particulière. L’attribution des licen­ces relève de deux organismes gouvernementaux. Même si Rogers n’est pas titulaire de licence aux termes de la Loi sur la radio, il l’est à l’égard de son entreprise de radiodiffusion. Rien dans la législation de 1968, ni dans les modifications du Règlement, n’indique l’intention d’exempter les entreprises de radiodiffusion de l’obligation de se conformer aux clauses de la Convention. L’article 11 du Règlement a simplement été conservé tel quel. Dans ces circonstances cela doit signifier que sa portée et sa signification demeurent inchangées.

Même en supposant que l’art. 11 du Règlement ne s’applique plus maintenant aux entreprises de radiodiffusion, je n’admettrais pas pour autant que le Conseil puisse valablement donner des autorisa­tions qui contreviennent aux obligations du .Canada en vertu du traité. Il est chargé de mettre en œuvre la ligne de conduite établie par le Parlement. Même si celle-ci ne fait pas mention des obligations du Canada résultant du traité, le prin­cipe que les relations internationales sont de la compétence du gouvernement fédéral fait partie intégrante de notre régime constitutionnel. Ce serait simplifier à outrance que de dire que les traités n’ont aucun effet juridique à moins d’être mis en vigueur par une loi. A cet égard, je veux mentionner l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre, dans Post Office v. Estuary Radio Ltd.[21] Il fallait déterminer si une station de radiodiffusion construite en mer, au-delà de la limite de trois milles en vigueur lors de la promulgation du Wire-less Telegraphy Act, 1949 était exploitée illégalement parce qu’elle était maintenant située en-deçà de la nouvelle limite établie par une convention internationale proclamée par décret. Le lord juge Diplock a dit (aux pp. 756 et 757):

[TRADUCTION] Il est admis que la région comprise dans les eaux intérieures du Royaume-Uni, en vertu de la Convention, du moins en ce qui concerne les «baies», est plus étendue que celle que revendiquait auparavant la

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Couronne. Il ne s’agit donc pas d’un abandon de souve­raineté sans l’autorisation du Parlement; la Convention, dont cette cour doit prendre connaissance d’office, cons­titue une déclaration par la Couronne d’une extension du secteur sur lequel elle revendique l’exercice de sa souveraineté territoriale, au titre d’eaux intérieures du Royaume-Uni, dès l’entrée en vigueur de la Convention, c’est-à-dire le 10 septembre 1964—une question qui relève des seules prérogatives de la Couronne sans obli­gation constitutionnelle d’obtenir auparavant le consen­tement du Parlement. La Convention en elle-même aurait lié ce tribunal et aurait suffi pour déterminer péremptoirement quel était le secteur compris dans les «eaux territoriales» du Royaume-Uni. Mais le 25 sep­tembre 1964, cette Convention fut suivie par une autre déclaration de la Couronne, sous forme de décret, et puisque ce décret est postérieur, c’est le document qui nous lie et que nous devons interpréter. Si son sens est clair, nous devons lui donner effet, même s’il diffère de celui de la Convention, car il se peut que la Couronne ait changé d’avis entre la date de la ratification de la Convention, le 14 mars 1960, et la promulgation du décret, et aussi parce que la Couronne a le droit souve­rain, qu’il n’appartient pas aux tribunaux de contester, de changer sa politique, même si elle doit, ce faisant, violer une convention internationale à laquelle elle est partie et qui n’est entrée en vigueur que quinze jours plus tôt.

Mais il existe également la présomption que la Cou­ronne n’avait pas l’intention de violer le traité internatio­nal (voir Salomon v. Commissioners of Customs and Excise) et, en cas d’ambiguïté du décret, ce dernier devrait être interprété selon les termes de la Convention dans la mesure où elle peut plausiblement correspondre au sens des termes utilisés dans le décret... .

En appliquant ces principes, je dirais qu’en ce qui concerne l’appel de la décision du Conseil, il convient de prendre connaissance d’office du fait que, en vertu de la Convention, les appelantes ont un droit juridiquement protégé à l’utilisation des canaux qui leur sont attribués, pour la diffusion d’émissions dans une région qui s’étend en-deçà des frontières canadiennes. En conséquence, le Conseil ne pouvait autoriser à bon droit une inter­férence avec ces droits, en violation de la Conven­tion signée par le Canada. Je ne pense pas que l’on ait allégué qu’une telle interférence constitue un délit et que, pour ce motif également, le Conseil ne pouvait validement l’autoriser. Je tiens à souligner que je n’exprime aucune opinion sur ces deux questions dans un sens ou dans l’autre.

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Les appelantes ont prétendu que la décision du Conseil était invalide parce qu’elle relève du pouvoir réglementaire et non de l’exercice d’un pouvoir administratif discrétionnaire, J’estime inutile en l’espèce d’examiner dans quelle mesure le Con­seil peut exercer ses pouvoirs par l’addition de nouvelles conditions aux licences plutôt que par règlement. Toutefois je tiens à souligner que rien dans ces motifs n’entend venir à l’encontre du jugement majoritaire dans Brant Dairy Co. c. Milk Commission of Ontario22.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt de la Cour d’appel fédérale ainsi que les ordonnances 74-100, 74-101, 74-102 du Conseil de la Radio-Télévision cana­dienne. Les appelantes n’ont pas demandé de dépens et il n’y a donc pas lieu d’en adjuger contre qui que ce soit.

Pourvoi rejeté, les juges PIGEON, BEETZ et DE GRANDPRÉ étant dissidents.

Procureurs des appelantes: Gowling & Hender­son, Ottawa.

Procureur de l’intimé: J. E. Lawrence, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante Rogers Cable TV Limited: Peyton, Biggs & Graham, Toronto.

Procureur du procureur général du Canada: D. S. Thorson, Ottawa.

Procureur du procureur général de l’Ontario: F. W. Callaghan, Toronto.

Procureurs du procureur général du Québec: Langlois, Drouin, Roy, Fréchette & Gaudreau, Québec.

Procureur du procureur général de la Colom­bie-Britannique: David H. Vickers, Victoria.

Procureur du procureur général de l’Alberta: W. Henkel, Edmonton.

Procureur du procureur général de la Saskat­chewan: K. Lysyk, Vancouver.

22 [1973] R.C.S. 131.



[1] [1975] C.F. 18.

[2] [1975] C.F. 18.

[3] [19321 A.C. 304.

[4] (1965), 52 W.W.R. 286.

[5] [1973] 3 O.R. 819.

[6] [1978] 2 R.S.C. 191.

[7] [1932] A.C. 54.

[8] [1954] A.C. 541.

[9] (1967), 377 F. 2d 872, infirmé (1968), 392 U.S. 390.

[10] (1968), 392 U.S. 390.

[11] [1955] R.C.S. 529.

[12]  [1954] A.C. 541.

[13]  [1950] A.C. 122.

[14] [1971] R.C.S. 543.

[15] [1919] 1 K.B. 176.

[16] [1971] A.C. 610.

[17] [1976] 3 All E.R. 843.

[18] [1971] R.C.S. 543.

[19] [1968] R.C.S. 676.

[20] (1968), 392 U.S. 390.

[21] [1968] 2 Q.B. 740.

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