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Cour suprême du Canada

Contrat—Clause restrictive—Restriction à la liberté du commerce—Vendeur de l’entreprise employé subséquemment par l’acheteur—Clause restreignant la concurrence—Période de cinq ans—Somme déterminée—Montant stipulé à titre de dommages-intérêts liquidés—Il faut faire un choix quant au recours.

Le 24 avril 1956, l’intimée a acheté l’entreprise d’assurance générale d’une société concurrente, D.C. Elsley Limited, propriété de Elsley. Aux termes du contrat, le vendeur s’engageait à ne pas exploiter d’entreprise d’assurance générale dans la région en cause et à payer $1,000 «pour chaque violation» à titre de dommages-intérêts liquidés. Par une seconde convention, Elsley a été engagé à titre de gérant des entreprises de l’intimée sous réserve de ne pas exploiter une entreprise d’agent d’assurance générale tant qu’il serait à l’emploi de l’intimée ou pendant les cinq ans qui suivront la cessation de son emploi. Les dommages‑intérêts liquidés en cas de violation de cette clause étaient simplement fixés à $1,000. Après dix-sept ans, Elsley a démissionné et formé sa propre entreprise d’assurance générale. En première instance, on a ordonné à Elsley de s’abstenir d’exploiter l’entreprise d’agent d’assurance générale dans la zone définie; on a également ordonné un renvoi pour l’évaluation des dommages‑intérêts dus en raison des affaires enlevées, à condition que ces dommages-intérêts fussent limités à la perte de commissions entre la démission et la date du procès relativement aux contrats d’assurance d’anciens clients énumérés. La Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, avec une modification, soit que Collins soit indemnisé pour la perte de commissions sur tous les contrats d’assurance générale conclus par Elsley au cours de la période pertinente, compte tenu des frais afférents à l’obtention des contrats et aux démarches subséquentes. Le juge Jessup était dissident au motif que la clause était trop large, puisqu’elle n’interdisait pas uniquement la sollicitation des propres clients de l’employeur, et ne pouvait donc pas être imposée.

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Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Les principes applicables lorsqu’on examine les clauses restrictives en matière d’emploi sont bien établis. Le critère du caractère raisonnable vis-à-vis des parties et dans le sens de l’intérêt public ne peut toutefois s’appliquer que dans les circonstances spéciales d’un cas particulier. La distinction faite en jurisprudence entre une clause restrictive contenue dans un contrat de vente d’une entreprise et celle contenue dans un contrat de louage de services est bien conçue et répond à des considérations pratiques. En l’espèce, la clause du contrat de vente avait cessé d’avoir des effets. La clause restrictive du contrat de louage de services ne pouvait être alimentée par le contrat de vente et pour être exécutée, elle devait répondre aux critères plus rigoureux appliqués dans le contexte des relations employeur‑employé. Dans des cas exceptionnels comme celui-ci, la nature de l’emploi peut justifier une clause interdisant à un employé, non seulement de solliciter des clients, mais également d’établir son propre commerce ou de travailler pour le compte de tiers de façon à s’approprier éventuellement la clientèle de l’employeur du fait qu’il la connaît.

Relativement aux dommages-intérêts, lorsqu’une somme déterminée est stipulée à titre de dommages-intérêts liquidés en cas de violation, le bénéficiaire doit choisir, à l’occasion de chaque violation, entre ces dommages-intérêts liquidés et une injonction. S’il opte pour l’injonction et non pour le montant liquidé stipulé, il peut obtenir des dommages-intérêts en equity pour la perte effectivement subie jusqu’à la date de l’injonction ou, s’il est en retard, jusqu’à la date à laquelle il aurait dû demander l’injonction, mais, dans les deux cas, ces dommages-intérêts ne doivent pas excéder le montant stipulé en cas de violation. Lorsque la somme stipulée est inférieure au préjudice réel, la somme fixée représente le montant maximum qui peut être recouvré, que le montant corresponde à une pénalité ou à une clause valide de dommages-intérêts liquidés. En conséquence, l’intimée a droit à une injonction et aux dommages-intérêts qu’elle peut justifier jusqu’à la date du procès, sans toutefois dépasser $1,000.

Jurisprudence: Herbert Morris Limited v. Saxelby, [1916] 1 A.C. 688; Stenhouse Australia Ltd. v. Phillips, [1974] 1 All E.R. 117; Robert W. Maguire c. Northland Drug Company Limited, [1935] R.C.S. 412; Nordenfelt v. Maxim Nordenfelt Guns and Ammunition Co. Ltd., [1894] A.C. 535; Mason v. Provident Clothing and Supply Co., [1913] A.C. 724; Attwood v. Lamont, [1920] 3 K.B. 571; Scorer v. Seymour-John, [1966] 3 All E.R. 347; Gledhow Autoparts Ltd. v. Delaney, [1965] 1 W.L.R. 1366; Silverman v. Silverman (1969),

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113 Sol. J. 563; Fitch v. Dewes, [1921] 2 A.C. 158; Marion White v. Francis, [1972] 1 W.L.R. 1423; P.C.O. Services Ltd. v. Rumleski, [1963] 2 O.R. 62; Campbell, Imrie and Shankland v. Park, [1954] 2 D.L.R. 170; Putsman v. Taylor, [1927] 1 K.B. 637; Jones v. Heavens (1877), 4 Ch.D. 636; National Provincial Bank of England v. Marshall (1888), 40 Ch.D. 112; Snider v. McKelvey (1900), 27 O.L.R. 339; General Accident Assurance Corporation v. Noel, [1902] 1 K.B. 377; H.F. Clarke Limited v. Thermidaire Corporation Limited, [1976] 1 R.C.S. 319; Cellulose Acetate Silk Company Limited v. Widnes Foundry (1925) Limited, [1933] A.C. 20; Wilbeam v. Ashton (1807), 1 Camp. 78; Imperial Tobacco v. Parslay, [1936] 2 All E.R. 515.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a rejeté l’appel et accueilli le contre-appel d’une décision du juge Stark[2] en faveur du demandeur relativement à une action visant à faire valoir une clause restrictive. Pourvoi rejeté. Le jugement d’instance inférieure est modifié de façon à prévoir le versement de dommages-intérêts, d’au plus $1,000, qui pourront être établis pour la période allant jusqu’à la date du procès.

G.J. Smith, c.r., pour l’appelante.

R.A. O’Donnell et R.F.L. Rose, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE DICKSON—La question à trancher en l’espèce est de savoir si une clause restrictive contenue dans un contrat de louage de services, auquel je me référerai brièvement, est valide.

A toutes fins pratiques, les faits ne sont pas contestés. Par contrat en date du 24 avril 1956, la compagnie Collins a acheté l’entreprise d’assurance générale d’une société concurrente, D.C. Elsley Limited, au prix de $46,137. L’assurance-vie et les activités immobilières exploitées par la compagnie Elsley n’étaient pas comprises dans la vente. Aux termes du contrat, le vendeur s’engageait à ne pas exploiter d’entreprise d’assurance générale à Niagara Falls, dans le canton de Stamford et dans le village de Chippawa, tous sis dans

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le comté de Welland, et le vendeur devait payer à l’acheteur $1,000 pour chaque violation. Par nouvelle convention des parties datée du 1er mai 1956, Elsley a été engagé à titre de gérant provisoire des entreprises combinées d’assurance générale dont Collins était maintenant propriétaire. Les conditions contenaient une clause restrictive presque identique à celle du contrat de vente du 24 avril 1956.

Le contrat de gérance provisoire a été de courte durée. Il a été remplacé par un contrat daté du 30 mai 1956 selon lequel Elsley s’engageait à travailler comme gérant des entreprises d’assurance générale de la compagnie Collins dans l’agglomération de Niagara Falls, à consacrer à cet emploi tout le temps et l’attention nécessaires, sous réserve qu’il puisse superviser les entreprises immobilières et d’assurance-vie de la compagnie Elsley. Le contrat est entré en vigueur le 1er juin 1956 et devait se poursuivre d’année en année jusqu’à ce que l’une des parties le résilie en donnant un préavis de trois mois. En fait, il est demeuré en vigueur jusqu’en mai 1973.

La clause 3 du contrat de gérance contient l’engagement qui a donné lieu à la présente procédure. Elle stipule:

[TRADUCTION] 3. Sous réserve des clauses restrictives contenues au contrat de louage de services intervenu entre parties le 1er mai 1956, le gérant ne doit pas, tant qu’il est à l’emploi de la compagnie ou de ses successeurs et ayants droit, soit en sa qualité actuelle soit en toute autre qualité, ou pendant les cinq ans qui suivront la cessation de son emploi, pour cause de renvoi, de retraite ou autre, directement ou indirectement, à titre de patron, mandataire, administrateur d’une compagnie, voyageur, préposé ou autre, exploiter une entreprise d’agent d’assurance générale, s’engager dans pareille entreprise, s’en occuper ou y participer, dans la municipalité de Niagara Falls, dans le canton de Stamford et le village de Chippawa, tous dans le comté de Welland; et dans le cas où il manquerait d’observer ou d’exécuter ladite convention, il devra payer à la compagnie, ses successeurs ou ayants droit, ou à toute autre personne qui en sera à ce moment titulaire, la somme de mille dollars ($1,000) à titre de dommages-intérêts liquidés et Mme Elsley, épouse du gérant, en signant les présentes,

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accepte l’engagement précité et est liée par lui.

La clause diffère substantiellement des clauses restrictives des deux conventions précédentes. Elle stipule une période de cinq ans après la cessation de l’emploi. Elle est assujettie à l’engagement contenu au contrat de vente du 1er mai 1956, dans le but, sans aucun doute, d’assurer une période restrictive minimum de dix ans et une période restrictive maximum équivalant à la durée de l’emploi plus cinq ans. Elsley devait payer la somme de $1,000 à défaut de respecter ou d’exécuter la convention. Les conventions précédentes stipulaient le paiement de $1,000 [TRADUCTION] «pour chaque violation».

Pendant le procès, Collins a demandé que la convention soit rectifiée en y ajoutant les termes «pour chaque violation». La preuve révèle, toutefois, que bien que les deux parties eussent convenu qu’il y aurait une clause restrictive, elles en avaient laissé la rédaction et le détail à leur avocat. Ce dernier est mort avant la date du procès et aucune des parties ne se souvient de la discussion sur les termes de la clause. Il n’y a pas de note à ce sujet ni d’autres documents écrits. La demande de rectification a été à bon droit rejetée par le juge de première instance, en l’absence de preuve d’une erreur mutuelle permettant de conclure que l’accord réel des parties était autre que celui qui avait été mis par écrit. A la suite de ce refus, l’avocat de Collins a abandonné toute réclamation de dommages-intérêts liquidés.

Pour en revenir aux faits, Elsley a dirigé les entreprises combinées d’assurance générale pendant 17 ans, du 1er juin 1956 au 31 mai 1973, date à laquelle il a donné le préavis de cessation d’emploi prévu. Pendant ces dix-sept ans, Elsley a traité avec les clients de l’agence presque sans aucune participation de Collins. Pour eux, Elsley, c’était l’entreprise, Collins, c’était à peine un peu plus qu’un nom. Elsley rencontrait les clients, leur téléphonait fréquemment, plaçait leurs polices d’assurance et répondait à leurs demandes. C’est ce que le juge de première instance a conclu. Les gens se sont habitués à traiter avec Elsley sur une base personnelle et il pourvoyait à leurs besoins en

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matière d’assurances. Il servait non seulement la clientèle de l’entreprise qui lui avait appartenu, mais également celle de Collins.

De 1956 à 1973, l’entreprise a fait affaire sous la raison sociale «Collins & Elsley Insurance Agencies». Pendant cette période, pour des raisons de commodité, un grand nombre de détenteurs de polices ont payé leurs primes dans les bureaux de D.C. Elsley Limited, l’entreprise immobilière de Elsley, parce qu’une grande partie des affaires achetées par Collins à Elsley provenait de la région dans laquelle ce bureau se trouvait. En tant que gérant général des entreprises combinées, Elsley avait évidemment accès aux dossiers de tous les détenteurs de polices; il était très au courant de la nature et de l’étendue de la couverture ainsi que de la prime payée par chacun. Vu ses relations continues et confidentielles avec sa clientèle, très semblables à celles d’un avocat avec son client ou d’un médecin avec son malade, il connaissait les biens assurables, la solidité financière, les goûts, les aversions et les petites manies de chacun de ses clients. Il n’était que naturel que les détenteurs de polices le suivent s’il changeait de situation.

I

A la suite de la cessation de son emploi auprès de la compagnie Collins, Elsley forma sa propre entreprise d’assurance générale sous la raison sociale D.C. Elsley Limited. Il prit avec lui deux courtiers en assurances et un employé précédemment au service de la compagnie Collins & Elsley. Un grand nombre d’anciens clients de la compagnie transférèrent leurs affaires auprès de Elsley. La pièce 10 comprend une liste d’à peu près 200 anciens clients qui avaient avisé Collins qu’ils transféraient leurs assurances auprès d’Elsley. Dans tout le litige, la seule contestation de fait est de savoir si Elsley a sollicité les anciens clients. Il le conteste. Collins ne pouvait pas dire qu’Elsley lui-même avait sollicité d’anciens clients, mais il a déclaré que les employés d’Elsley l’avaient fait. Quand on lui a demandé avec combien d’anciens clients il avait fait affaire après avoir quitté son emploi auprès de Collins, Elsley a répondu qu’il n’avait jamais [TRADUCTION] «pensé à les compter». Il est prouvé qu’une partie de la publicité qu’il

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a faite au sujet de son entreprise d’assurance générale parle de lui comme étant [TRADUCTION] «précédemment de Collins & Elsley Insurance Agencies». En Cour d’appel de l’Ontario, le juge Evans (avec lequel le juge MacKinnon était d’accord) a conclu qu’Elsley avait activement sollicité d’anciens clients. Le juge Jessup était d’avis contraire. Les deux tribunaux d’instance inférieure ont considéré que Collins et Elsley étaient des hommes d’affaires compétents et expérimentés et qui avaient réussi.

En première instance, le juge Stark a ordonné à Elsley de s’abstenir, jusqu’au 1er septembre 1978, d’exploiter l’entreprise d’agent d’assurance générale dans la zone définie. Il a également ordonné un renvoi au Master local pour l’évaluation des dommages-intérêts dus à Collins en raison des affaires que lui avait enlevées Elsley du 1er juin 1973 jusqu’à la date du procès, à condition que ces dommages‑intérêts fussent limités à la perte de la part des primes de l’agent relativement aux contrats d’assurance énumérés à la pièce 10 précitée.

La majorité de la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, avec une modification. La Cour a ordonné que Collins soit indemnisé pour la perte de commissions sur tous les contrats d’assurance générale conclus par Elsley du 1er juin 1973 jusqu’à la date de l’injonction (pas seulement sur les polices énumérées à la pièce 10), compte tenu des frais afférents à l’obtention des contrats et aux démarches subséquentes. Le juge Jessup était dissident.

La question soulevée par le juge Jessup est cruciale en l’espèce. La voici. On soutient que la clause restrictive n’empêche pas simplement Elsley de solliciter des clients de la compagnie Collins & Elsley; elle interdirait à ce dernier de se livrer d’une façon quelconque à des activités d’assurance générale dans une zone étendue et aurait pour effet, en conséquence, d’éliminer la concurrence en soi, sans égard à l’intérêt public et par-delà la protection nécessaire des intérêts de Collins. En résumé, l’argument est que la clause aurait été valide si elle avait interdit à Elsley de solliciter les clients de son ancien employeur mais, rédigée en termes trop généraux, elle ne peut être imposée car elle constitue une restriction à la liberté du com-

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merce et une immixtion dans la liberté d’action individuelle. Parmi les arrêts cités à l’appui de cette théorie, on trouve Herbert Morris Limited v. Saxelby[3]; Stenhouse Australia Ltd. v. Phillips[4] et Robert W. Maguire c. Northland Drug Company Limited[5].

II

Les principes applicables lorsqu’on examine les clauses restrictives en matière d’emploi sont bien établis. On les trouve dans les décisions susmentionnées et dans d’autres arrêts connus comme Nordenfelt[6], Mason v. Provident Clothing and Supply Co.[7] et Attwood v. Lamont[8]. Et plus récemment: Scorer v. Seymour-John[9] et Gledhow Autoparts Ltd. v. Delaney[10]. Une clause restreignant le commerce ne peut être exécutoire que si elle est raisonnable vis-à-vis des parties et de l’intérêt public. Comme dans beaucoup d’affaires dont les tribunaux ont à connaître, on doit peser des exigences contradictoires. Dans l’intérêt public, il est important de décourager les restrictions à la liberté du commerce et de maintenir une concurrence exempte des entraves que constituent les clauses restrictives. En revanche, les tribunaux n’ont pas été enclins à restreindre le droit de contracter, particulièrement quand ce droit a été exercé par des personnes expérimentées ayant un pouvoir de négociation égal. En évaluant les intérêts opposés, on constate qu’on retrouve dans toutes les affaires le mot «raisonnable». Le critère du caractère raisonnable ne peut toutefois s’appliquer que dans les circonstances spéciales d’un cas particulier. Les circonstances varient à l’infini. Si d’autres affaires peuvent aider à énoncer des principes généraux, elles sont, par ailleurs, de peu d’utilité.

Il est important, je crois, de résister au désir de sortir une clause restrictive d’un contrat de louage de services et de l’examiner hors de son contexte,

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comme s’il s’agissait de l’examen microscopique d’un spécimen scientifique rare. La validité ou tout autre aspect d’une clause restrictive ne peut être déterminé que par une évaluation générale de cette clause, du contrat où elle est insérée et de toutes les circonstances qui l’entourent.

La distinction faite en jurisprudence entre une clause restrictive contenue dans un contrat de vente d’une entreprise et celle contenue dans un contrat de louage de services est bien conçue et répond à des considérations pratiques. Celui qui cherche à vendre son entreprise peut se retrouver avec une chose invendable si on lui conteste le droit d’assurer l’acheteur que lui, le vendeur, ne lui fera pas concurrence plus tard. La difficulté réside dans la définition de la période au cours de laquelle la clause de non‑concurrence doit jouer et la région visée; mais si ces deux éléments sont raisonnables, les tribunaux donneront normalement effet à la clause.

Une situation différente, du moins en théorie, surgit dans la négociation d’un contrat de louage de services où un déséquilibre dans le pouvoir de négociation peut conduire à de l’oppression et à nier à l’employé son droit, à la suite de la cessation de son emploi, d’exploiter dans l’intérêt public et dans son propre intérêt, les connaissances et la compétence qu’il a acquises au cours de son emploi. De nouveau, on fait une distinction. Bien que les tribunaux jugent le plus souvent que les restrictions générales à la liberté de la concurrence ne sont pas exécutoires, ils reconnaissent et accordent une protection raisonnable aux secrets commerciaux, aux renseignements confidentiels et à la clientèle de l’employeur.

La majorité de la Cour d’appel a considéré que la présente affaire n’entre nettement ni dans la catégorie de la vente d’entreprise ni dans celle du louage de services, les deux étant liées d’une façon inextricable comme dans l’affaire Silverman v. Silverman[11]. Dans un sens, cela est vrai, mais je ne crois pas que la clause restrictive du contrat de louage de services puisse être alimentée par le contrat de vente. La clause du contrat de vente est

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expirée et a cessé d’avoir des effets sept ans avant que la clause restrictive du contrat de louage de services n’entre en vigueur. Le contrat de louage de services a été négocié subséquemment à l’acte de vente et indépendamment de ce dernier. La présente action est introduite en vertu du contrat de louage de services. A mon avis, il serait erroné d’utiliser à l’égard de ce contrat les critères applicables à un contrat entre un vendeur et un acheteur ou un critère hybride. Pour être exécutoire, la clause restrictive doit répondre aux critères plus rigoureux appliqués dans le contexte des relations employeur-employé.

III

Comme je l’ai indiqué, la question cruciale est de savoir si l’employeur, en cherchant à protéger sa clientèle, est allé trop loin dans la formulation de la clause 3 du contrat du 30 mai 1956.

On doit peser plusieurs questions quand on évalue le caractère raisonnable de la clause relativement à l’intérêt des parties. Premièrement, est-ce que Collins a un droit de propriété qu’il peut protéger? La réponse à cette question doit certainement être affirmative. Peu de temps avant qu’Elsley ne signe son contrat d’engagement, il avait vendu à Collins sa clientèle dans le domaine de l’assurance générale pour quelque $46,000. Ce contrat donnait à Elsley le contrôle non seulement de cette clientèle, mais également celui de la clientèle dont Collins bénéficiait antérieurement. Deuxièmement, est-ce que les stipulations temporelles et territoriales de la clause sont trop larges? On a plaidé sur ces questions devant la Cour, mais je souscris complètement à l’avis des cours d’instance inférieure selon lequel ces stipulations ne peuvent être attaquées avec succès. La question essentielle qui suit est de savoir si la clause n’est pas inexécutoire parce qu’elle vise la concurrence d’une façon générale et ne se limite pas à interdire la sollicitation des clients de l’ancien employeur. Dans une situation employeur-employé classique, la clause pourrait être jugée invalide pour ce motif. Le fait qu’elle aurait pu être rédigée en termes plus étroits ne l’aurait pas sauvée, car, comme l’a dit le vicomte Haldane dans l’arrêt Mason v. Provident Clothing and Supply Co., précité, à la p.

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732, [TRADUCTION] «…la question n’est pas de savoir s’ils auraient pu conclure un contrat valide, mais si le contrat effectivement conclu était valide». La seule façon de déterminer s’il est raisonnable d’insérer une clause restrictive pour la protection du stipulant est d’examiner la nature de son entreprise, ainsi que la nature et les attributs de l’emploi. Il est admis qu’un employeur ne peut pas avoir de droit à l’égard de personnes qui n’étaient pas ses clients actuels ou potentiels. Néanmoins, dans des cas exceptionnels, et je crois que celui-ci en est un, la nature de l’emploi peut justifier une clause interdisant à un employé, non seulement de solliciter des clients, mais également d’établir son propre commerce ou de travailler pour le compte de tiers de façon à s’approprier éventuellement la clientèle de l’employeur du fait qu’il la connaît. En vérité, c’est peut-être là la seule clause restrictive efficace pour protéger le droit de propriété de l’employeur. Une simple clause de non-sollicitation ne suffirait pas.

Des arrêts ont confirmé la validité d’une clause interdisant à un employé de prendre part à un genre de travail particulier dans une zone déterminée et ce, pendant une période de temps acceptable après la cessation de son emploi: voir par exemple les arrêts Fitch v. Dewes[12]; Marion White v. Francis[13]; P.C.O. Services Ltd. v. Rumleski[14]; Campbell, Imrie and Shankland v. Park[15]. Dans chacune de ces affaires, l’employé occupait un poste qui lui avait fait connaître personnellement les clients de l’entreprise. Pour reprendre les termes de lord Birkenhead dans l’arrêt Fitch v. Dewes, à la p. 165, pareille clause restrictive était raisonnable pour que l’employé [TRADUCTION] «ne fût pas en mesure d’utiliser les relations étroites et l’expérience qu’il avait acquises au cours de son emploi pour créer sa propre affaire au même endroit et, ce faisant, saper l’entreprise et la clientèle de l’employeur». En l’espèce, lorsque la clause a été rédigée, on savait qu’Elsley avait, ou aurait, une connaissance spéciale et intime de la clientèle de son employeur éventuel et les moyens de l’influencer.

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Dans l’affaire faisant autorité, Morris v. Saxelby, précitée, lord Parker a clairement énoncé les conditions dans lesquelles une clause restrictive imposée par un employeur à son employé ou à son apprenti serait exécutoire. Il a dit à la p. 709:

[TRADUCTION] Chaque fois que l’on a confirmé pareilles clauses, ce n’était pas pour le motif que le préposé ou l’apprenti, vu son emploi ou son apprentissage, obtiendrait la compétence et la connaissance nécessaires pour devenir un concurrent éventuel dans le commerce, mais parce qu’il pourrait obtenir une connaissance personnelle des clients de son employeur et une influence sur eux, ou une connaissance des secrets commerciaux de son employeur, qui lui permettrait, si la concurrence était autorisée, de tirer profit de la clientèle de son employeur ou d’utiliser les renseignements confidentiels ainsi obtenus.

Il est difficile d’imaginer une situation de fait dans laquelle un employé serait dans une meilleure position que celle d’Elsley en l’espèce, pour acquérir [TRADUCTION] «une connaissance personnelle des clients de son employeur et une influence sur eux». Plus loin dans son exposé, lord Parker a relevé qu’il était important de savoir si [TRADUCTION] «le défendeur est jamais entré en contact personnel avec les clients du demandeur». On retrouve le même point dans le passage suivant de Cheshire & Fifoot, The Law of Contract (8e éd.) à la p. 369:

[TRADUCTION] Une clause restrictive n’est valide que si la nature de l’emploi est telle que les clients apprendront soit à s’en remettre à l’expérience ou au jugement du préposé ou traiteront avec lui directement et personnellement en excluant virtuellement le patron, de sorte que si le préposé s’établit à son compte, il acquerra probablement leur clientèle.

Vu mon optique en l’espèce, une clause interdisant la sollicitation n’aurait pas été appropriée pour protéger le droit de propriété comme il se doit. La pièce 10 appuie ce point de vue. Elsley a témoigné qu’il n’avait pas sollicité d’anciens clients; malgré cela, deux cents clients lui ont transféré leur clientèle. C’est un exemple vivant de ce que lord Parker avait en vue en parlant de l’influence d’un employé sur les clients de son employeur. Personne n’a prétendu que la pièce 10 est une liste complète de tous ceux qui ont changé d’assureur. On l’a déposée à titre d’exemple seulement. Collins a estimé qu’Elsiey a pris près de la

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moitié du portefeuille quand il est parti. Comme l’a dit le juge Salter dans l’arrêt Putsman v. Taylor[16] à la p. 642, une clause de non-sollicitation [TRADUCTION] «est difficile à faire exécuter; il est difficile de prouver la violation et difficile de formuler une injonction». La difficulté est démontrée en l’espèce. Est-ce qu’une annonce qui attire l’attention d’anciens clients équivaut à une sollicitation? Elsley a-t-il sollicité? Je n’ai pas besoin d’essayer de répondre à ces questions. Le fait est qu’une clause de non‑sollicitation, dans les circonstances de l’espèce, aurait été dénuée de sens.

Le juge Jessup a suggéré dans ses motifs qu’une simple stipulation dans une convention de non-sollicitation aurait permis au demandeur d’examiner de temps à autre les livres et registres du défendeur de façon à lui permettre de détecter la sollicitation de ses clients acquis. Je ne crois pas qu’un homme d’affaires expérimenté consentirait à faire examiner ses livres par un concurrent, qu’il s’agisse d’un ex-employeur ou non. Je doute que les clients du défendeur verraient d’un bon æil cette intrusion dans leurs affaires confidentielles ou l’autoriseraient s’ils l’apprenaient. Si le défendeur avait été engagé par un tiers au lieu de travailler pour son compte, de quel droit pourrait-il ouvrir les livres de son employeur pour qu’ils puissent être examinés par un ancien employeur? En résumé, je ne puis accepter l’efficacité de la simple stipulation envisagée par le juge Jessup.

Pour les motifs qui précèdent, la clause attaquée n’est pas plus large qu’il est raisonnablement requis pour protéger Collins de façon appropriée.

Après que la partie qui s’appuie sur une clause restrictive a établi son caractère raisonnable entre parties, il incombe à celle qui l’attaque de prouver qu’elle est contraire à l’intérêt public: Morris v. Saxelby, précité. Vu qu’à mon avis, l’intimée a établi ce qu’on lui demande, il faut maintenant examiner la question de l’intérêt public.

A moins que l’on puisse dire que toute restriction à la concurrence est néfaste, je ne crois pas que l’on puisse considérer que la mise en vigueur

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de la clause soit contraire à l’intérêt public. Selon la preuve, il y avait à Niagara Falls, à la date du procès, de vingt à vingt-deux agents généraux employant quatre-vingts à quatre-vingt-dix personnes. Rien ne permet de penser que les habitants de Niagara Falls souffriraient de la perte, pendant une période limitée, des services d’Elsley dans l’assurance générale.

Je suis d’avis que la clause litigieuse est valide et exécutoire conformément à ses conditions.

IV

La seule autre question est celle des dommages-intérêts. L’injonction accordée en première instance et confirmée en Cour d’appel a cessé de faire effet avec le décès d’Elsley, après l’arrêt de la Cour d’appel. La procédure devant cette Cour a été reprise par sa veuve, en sa qualité d’exécutrice de la succession.

La question des dommages-intérêts est importante et présente des difficultés. Elle se subdivise en deux points: (i) le droit d’un demandeur qui fait appliquer une clause restrictive de réclamer à la fois une injonction et des dommages-intérêts; (ii) la question de savoir si le quantum des dommages est ou doit être limité au montant stipulé à titre de dommages‑intérêts liquidés dans la clause restrictive. En d’autres termes, Collins peut-il demander des dommages-intérêts quels qu’ils soient? S’il le peut, le montant en est-il limité à $1,000? Je suis d’avis que la réponse à ces deux questions doit être affirmative.

On a renvoyé la Cour à de nombreux arrêts. Le premier et le plus ancien est l’arrêt Jones v. Heavens[17]. La clause interdisait l’exploitation d’une sellerie sous peine d’une somme de £100 due à titre de dommages-intérêts liquidés pour chaque infraction. En défense à la demande d’injonction, le défendeur a plaidé que le demandeur devait recourir à une action en recouvrement de la somme indiquée à titre de dommages-intérêts liquidés. Une injonction a été accordée. Ainsi, même s’il existe une stipulation de dommages-inté-

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rêts liquidés, le demandeur peut choisir de demander une injonction pour empêcher la violation du contrat.

Dans une affaire subséquente, National Provincial Bank of England v. Marshall[18], le défendeur, en entrant au service de la demanderesse, une banque, avait signé une garantie contenant une clause pénale de £1,000, montant qu’il devait payer à la demanderesse à titre de dommages-intérêts liquidés, si, après avoir quitté son service, il acceptait, dans un délai déterminé, un emploi auprès d’une autre banque. Le défendeur a accepté un autre emploi, en violation de la garantie, et la demanderesse a présenté une demande d’injonction. En réponse à l’action, le défendeur a offert de payer la somme de £1,000 faisant l’objet de la clause pénale. La Cour a jugé qu’il ne pouvait pas acheter la liberté de faire l’acte interdit. Le lord juge Cotton a dit que si le créancier intente une action en common law, il peut obtenir des dommages-intérêts, mais (p. 116) [TRADUCTION] «…s’il se présente devant une cour d’equity et qu’aucune action en dommages-intérêts n’a été intentée, la convention sera appliquée et une injonction accordée». Cette affaire illustre le principe que si le demandeur a droit à une injonction, le défendeur ne peut pas le priver de ce recours en payant des dommages-intérêts. Le demandeur peut utiliser le recours auquel il a droit quel qu’il soit, même s’il lui accorde clairement un redressement plus étendu qu’un autre recours qui lui est ouvert. Le lord juge Cotton a ajouté que si la banque avait intenté une action, elle n’aurait pas été obligée de prouver le préjudice qu’elle avait subi et aurait eu droit, sans preuve de préjudice, à £1,000 à titre de dommages-intérêts liquidés. Le lord juge Lindley, dans la même affaire, a parlé du recours subsidiaire ouvert à la demanderesse sous forme d’injonction pour faire exécuter la convention si elle n’intentait pas une action.

Une ancienne affaire canadienne, Snider v. McKelvey[19] a également traité de cette question. Le défendeur, qui avait vendu son cabinet de médecin, avait contrevenu aux conditions de l’acte

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de vente en vertu duquel il s’était engagé à payer la somme de $400 s’il pratiquait pendant une période et dans une zone déterminées. Le juge Robertson a accordé une injonction et des dommages-intérêts de $100. En appel, la Cour a statué que le demandeur devait choisir entre obtenir un jugement pour les $400 et l’injonction. Le demandeur a soutenu que les $400 constituaient une peine et que, cela étant, il pouvait obtenir des dommages-intérêts pour la violation de la condition aussi bien qu’une injonction pour en empêcher d’autres. Le juge d’appel Osler, dans le jugement principal, a rejeté cet argument. Il a refusé de faire une distinction entre une garantie accompagnée d’une peine et un accord de payer des dommages-intérêts liquidés, parce que si l’on avait recours à l’injonction en equity, le demandeur obtiendrait l’exécution intégrale du contrat ainsi que ce à quoi il a droit seulement en cas de non‑exécution. A son avis, les $400 étaient dus à titre de dommages-intérêts liquidés. Après avoir cité le passage de la Lord Cairns’ Act, 21-22 Vict. c. 27, le savant juge a dit, à la p. 344:

[TRADUCTION] Il est clair que la Loi n’a pas permis à la Cour de donner au demandeur un double recours là où, avant la Loi, il devait faire un choix—recours en common law ou en equity, mais pas les deux: Sainter v. Ferguson (1849), 7 C.B. 716; I Mac. & G. 286.

Le passage suivant du jugement du juge Osler présente un intérêt particulier parce qu’il distingue les affaires relatives à la vente d’un achalandage lorsqu’il n’y a pas de clause ou de garantie valide dont la violation aurait permis au demandeur d’introduire une action en common law et où il n’y avait donc aucun choix possible entre une poursuite en common law et une injonction en equity (aux pp. 344 et 345):

[TRADUCTION] Le savant juge de première instance s’est appuyé sur l’arrêt Mossop v. Mason (1869), 16 Gr. 302, (1870) 18 Gr. 360, (1871), 18 Gr. 453 (en appel), qui a accordé des dommages-intérêts et une injonction. Toutefois, cette affaire est clairement différente. En l’espèce, le défendeur a notamment vendu au demandeur l’achalandage d’une auberge qu’il exploitait. La déclaration a été déposée pour l’empêcher de poursuivre le commerce qu’il avait vendu et pour le préjudice subi du fait qu’il l’avait poursuivi. Comme la Cour l’a décidé, il n’y avait aucune clause de garantie valide dont la violation aurait permis au demandeur d’introduire une action

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en common law. Le demandeur n’avait, en conséquence, aucun autre recours possible et son droit à un redressement s’appuyait uniquement sur l’obligation du défendeur en equity, découlant implicitement de la vente de l’achalandage, de ne montrer en aucune façon qu’il exploitait une entreprise en continuation ou à titre de successeur de l’entreprise qu’il exploitait antérieurement et dont il avait vendu l’achalandage. Voir l’arrêt Labouchere v. Dawson (1872), L.R. 13 Eq. 322; approuvé dans l’arrêt Trego v. Hunt, [1896] A.C. 7.

Par conséquent, il n’y avait rien qui empêchait la Cour d’ordonner un renvoi pour fixer le préjudice que le demandeur avait subi à la suite de la non-exécution de l’obligation en equity.

Évidemment, nous ne traitons pas ici de la vente d’un achalandage, mais d’un contrat de louage de services. Le juge d’appel McLennan partageait l’avis du juge d’appel Osler selon lequel les $400 constituaient nettement des dommages-intérêts liquidés et il considérait comme clairement établi qu’en ce cas, le demandeur devait choisir entre dommages-intérêts et injonction. Cette affaire souligne que le principe fondamental appliqué est l’interdiction d’une double indemnisation. Le montant fixé à titre de dommages-intérêts liquidés est le redressement complet si la violation stipulée se réalise. Une fois ce montant alloué, accorder une injonction, même pour une partie de la violation, équivaudrait à utiliser des recours qui chevauchent.

Un an plus tard, le juge Wright dans l’arrêt General Accident Assurance Corporation v. Noel[20] a conclu que la tendance de la jurisprudence en Angleterre était telle que, si le demandeur choisissait de recourir à l’injonction, il ne pourrait pas en même temps obtenir un jugement pour les dommages-intérêts liquidés stipulés au contrat de travail.

Au cours des plaidoiries, on a cité une affaire de la Colombie-Britannique, Campbell, Imrie and Shankland v. Park, précitée. Dans cette affaire, un comptable agréé engagé à titre de directeur de succursale par une firme de comptables avait consenti à une clause restrictive. Le contrat était muet quant au paiement d’un montant déterminé en cas de violation. Les demandeurs ont requis à la fois une injonction et des dommages-intérêts. Le défen-

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deur, se fondant sur l’arrêt General Accident Assurance Corporation v. Noel, précité, a dit qu’ils ne pouvaient avoir les deux. Voici ce que le juge Wilson, tel était alors son titre, a dit au sujet de cette prétention, à la p. 183:

[TRADUCTION] La demanderesse a requis une injonction et des dommages-intérêts. Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Gen’l Accident Ass’ce Corp. v. Noel, 1902 1 K.B. 377, pour dire qu’elle ne peut avoir les deux et doit donc choisir. Dans l’affaire citée, la convention restrictive contenait une clause qui obligeait le débiteur, en cas de violation, à payer £100 à titre de dommages-intérêts liquidés. On a très raisonnablement demandé au stipulant de choisir. Les parties avaient convenu que la somme de £100 était le montant total du préjudice que subirait le stipulant s’il y avait violation. Si on lui paye cette somme, il ne peut raisonnablement pas demander une injonction pour interdire qu’on fasse une chose pour laquelle il a déjà touché des dommages-intérêts complets. Mais, en l’espèce, la demanderesse ne peut pas dire quel peut être son préjudice total, c’est-à-dire que si le défendeur est autorisé à continuer d’attirer les clients de la demanderesse, elle peut seulement me dire quel préjudice elle a subi à ce jour et me demander d’interdire à ce dernier de lui en faire subir davantage. Je ne doute pas que j’ai le droit et le devoir de le faire. Je me reporte à l’arrêt Garbutt Business College Ltd. v. Henderson, [1939] 4 D.L.R. 151, une affaire où l’on a accordé les deux formes de redressement.

Le juge a fixé les dommages-intérêts à $1,000 et a accordé une injonction.

Dans l’affaire récemment tranchée par cette Cour, H.F. Clarke Limited c. Thermidaire Corporation Limited[21], il s’agissait d’une demande en dommages-intérêts pour violation d’une clause restrictive contenue dans un contrat de distribution. La question de l’injonction n’était pas en litige. Le contrat stipulait que la partie en défaut devrait payer à titre de dommages‑intérêts liquidés le profit brut réalisé par la vente des produits concurrents. La question était de savoir si le demandeur pouvait obtenir ce montant ou seulement la réparation du préjudice susceptible d’être prouvé. La majorité de la Cour s’est prononcée en faveur de cette dernière solution. Dans le jugement de la majorité, le Juge en chef a dit en obiter, à la p. 335:

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Il ne fait pas de doute qu’un créancier ne peut obtenir à la fois une injonction durant la période de la clause et des dommages-intérêts fondés sur une violation toute la période durant lorsque ceux‑ci sont basés sur une formule. Il est des arrêts qui ont décidé que lorsqu’une somme fixe est stipulée pour valoir comme montant de dommages liquidés lors d’une violation, le créancier ne peut avoir à la fois les dommages-intérêts et une injonction mais doit choisir entre les deux recours: voir General Accident Assurance Corp. v. Noel, [1902] 1 K.B. 377; Wirth and Hamid Booking Inc. v. Wirth (1934), 192 N.E. 297. Je n’interprète pas toutefois ces arrêts comme excluant des dommages-intérêts pour une perte passée qui est due à la violation, mais seulement comme empêchant le recouvrement du montant liquidé se rapportant à la violation ultérieure que ce montant était destiné à couvrir et contre laquelle une injonction a été accordée.

L’arrêt Campbell Imrie and Shankland ainsi que les passages précités des arrêts Snider et H.F. Clarke soulignent, à mon avis, le fait qu’un demandeur peut avoir droit à des dommages‑intérêts en equity en plus d’une injonction, s’il peut établir son droit en vertu de considérations d’equity pertinentes. En Ontario, le pouvoir des tribunaux d’allouer des dommages-intérêts en equity est fondé sur ce qui est maintenant l’art. 21 de The Judicature Act, R.S.O. 1970, c. 228, qui dérive de la Lord Cairns’ Act de 1858. L’article 21 dispose:

[TRADUCTION] 21. Lorsqu’un tribunal est compétent pour connaître d’une demande d’injonction visant la violation d’un engagement, d’un contrat ou d’une convention, ou un acte illicite ou sa continuation, ou l’exécution intégrale d’un engagement, d’un contrat ou d’une convention, le tribunal peut accorder des dommages-intérêts à la partie lésée soit en sus soit à la place de l’injonction ou de l’exécution intégrale et le préjudice peut être constaté de la manière que le tribunal ordonnera, ou le tribunal peut accorder tout autre redressement qu’il considère juste.

Il faut se souvenir que si un demandeur a droit à une injonction pour faire interdire la violation d’une clause restrictive, il a le droit d’empêcher la violation totale et pas seulement une partie de cette dernière. Ainsi, pour toute partie non interdite par l’injonction, il peut avoir droit, en equity, à des dommages-intérêts non liquidés. Il n’y aura pas double indemnisation, pourvu que les domma-

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ges-intérêts ne visent pas une période durant laquelle la violation était interdite par l’injonction. Ce droit à des dommages-intérêts ne serait pas fondé sur la clause accordant des dommages-intérêts liquidés, mais sur le droit que donne l’art. 21 à des dommages-intérêts en equity à la place d’une injonction pour la période de violation antérieure à celle-ci. Évidemment, un demandeur ne peut pas retarder la demande d’injonction pour gonfler les dommages-intérêts. Il n’y aurait pas droit pour la période suivant le moment où il aurait dû demander l’injonction.

Comment donc déterminer l’importance de ces dommages-intérêts? Il sera généralement approprié d’adopter en equity des règles semblables à celles qui sont appliquées en common law: Spry, Equitable Remedies (1971), aux pp. 552-554. Il en est ainsi non pas parce que la Cour est tenue d’appliquer des critères juridiques similaires, mais parce que le montant de l’indemnité qui réparé le préjudice subi, et que la Cour considère approprié en equity, est habituellement équivalent aux dommages-intérêts qui seraient appropriés en common law. Toutefois l’indemnité est toujours soumise à des considérations générales d’équité qui ne seraient pas applicables si le demandeur actionnait en dommages-intérêts en common law plutôt que de le faire en equity. Ces considérations peuvent servir, par exemple, à réduire le montant, en raison de facteurs tels que le retard ou l’acquiescement. De plus, si les parties ont convenu d’un montant déterminé de dommages-intérêts en common law, ou d’un montant maximum, il serait déraisonnable, à mon avis, d’accorder un montant plus important de dommages-intérêts en equity.

Dans le cas d’une sous-évaluation flagrante des dommages-intérêts, comme c’est probablement le cas en l’espèce, le demandeur peut recevoir un montant équivalent aux dommages-intérêts liquidés, ainsi qu’une injonction. Il semble donc ainsi bénéficier d’un redressement double. Mais tel n’est pas le cas. L’injonction se rapporte à la dernière partie de la période d’interdiction visée par la clause restrictive alors que les dommages-intérêts (qui n’excèdent pas les dommages-intérêts liquidés) se rapportent à la période antérieure à l’injonction et remplacent le redressement par injonction pendant cette période.

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V

La question du droit du demandeur d’obtenir des dommages-intérêts pour un préjudice effectivement subi lorsqu’un montant inférieur est stipulé a été examinée dans la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Cellulose Acetate Silk Company Limited v. Widnes Foundry (1925) Limited[22]. Le montant stipulé était de £20 par semaine de retard dans la construction d’une fabrique de récupération d’acétone. Les entrepreneurs avaient trente semaines de retard. Le préjudice effectivement subi se montait à £5,850. L’affaire est intéressante à deux égards. Premièrement, l’indemnité a été limitée à £600, dommages-intérêts convenus. Deuxièmement, lord Atkin, rendant le jugement, a dit qu’il avait jugé inutile d’examiner quelle serait la situation si les £20 par semaine stipulés constituaient une peine; il ajoute à la p. 26:

[TRADUCTION] L’appelante a soutenu que, s’il s’agissait d’une peine, elle aurait eu la possibilité d’actionner soit en recouvrement de la peine soit en dommages-intérêts pour violation de l’engagement relatif à la date de livraison. Je ne veux pas me prononcer sur la question de savoir s’il y a une objection juridique à intenter une action en se fondant sur la peine ou, dans un cas pertinent, à y passer outre et à poursuivre en dommages‑intérêts, quand la peine est clairement inférieure au montant des dommages-intérêts éventuels.

Selon un courant de jurisprudence, une clause pénale est inefficace même lorsqu’elle est inférieure au préjudice effectivement subi (voir Hals. 4e vol. 12, par. 118, à la p. 422 et la jurisprudence qui y est citée). Il en résulterait que l’on pourrait effectivement obtenir des dommages-intérêts excédant le montant fixé par la clause pénale. Dans cette mesure, cette thèse me paraît contraire aux principes et être injuste. Le fondement du redressement en equity par opposition aux clauses pénales est exposé par Story dans Equity Jurisprudence (14e éd.), art. 1728, comme suit:

[TRADUCTION] Lorsqu’une peine ou une déchéance est conçue uniquement à titre de garantie d’exécution de l’obligation principale, il serait tout aussi contraire à la conscience de permettre à une partie de l’utiliser dans un but différent et oppressif que de lui permettre de changer l’obligation principale.

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Cet article explique également l’effet du redressement en présence d’une entente en sens contraire entre les parties:

[TRADUCTION] Si l’on dit que cette stipulation est le fruit de sa propre sottise, on peut tout aussi bien dire que la sottise de l’un ne peut autoriser l’oppression flagrante de l’autre.

Il est maintenant évident que le pouvoir d’annuler une clause pénale constitue une ingérence criante dans la liberté contractuelle et qu’il vise seulement à fournir un redressement contre l’oppression de la partie qui doit payer la somme convenue. Ce pouvoir n’existe pas s’il n’y a pas oppression. S’il s’avère que le préjudice réel excède la peine, les règles normales d’exécution des contrats doivent s’appliquer pour permettre le recouvrement de la somme convenue seulement. La partie qui impose la peine ne doit pas être en mesure de profiter de la force d’intimidation que peut avoir la clause pénale pour forcer l’exécution et ensuite la laisser de côté quand il s’avère avantageux de le faire. Une clause pénale doit servir à limiter les dommages-intérêts recouvrables, tout en restant sans effet pour augmenter les dommages-intérêts au-delà de la perte réelle subie quand cette dernière est inférieure au montant convenu. Comme l’a dit lord Ellenborough dans l’arrêt Wilbeam v. Ashton[23]: [TRADUCTION] «N’allez pas au-delà de la peine; dans les limites de cette dernière, accordez à la partie toute l’indemnité qu’elle peut justifier». Évidemment, si une somme fixée est une clause valide de dommages-intérêts liquidés, le demandeur a droit, en common law, de recouvrer cette somme indépendamment de la perte effectivement subie.

Dans le contexte de cette discussion sur l’étendue des dommages-intérêts, il ressort qu’une somme fixée, due en cas d’inexécution, représente le montant maximum qu’on peut obtenir qu’il s’agisse d’une clause pénale ou d’une clause valide de dommages-intérêts liquidés.

Il faut souligner que les principes précités s’appliquent uniquement dans les cas où il n’y a qu’une seule somme fixée en cas d’inexécution du contrat, ou d’une seule violation. Lorsqu’il y a plusieurs violations et que le contrat stipule un montant

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déterminé de dommages-intérêts liquidés pour chacune, rien ne s’oppose à ce qu’on accorde des dommages-intérêts liquidés pour chaque violation jusqu’à la date du procès ainsi qu’une injonction pour prévenir des violations futures. Dans l’arrêt Imperial Tobacco v. Parslay[24], la Cour d’appel a jugé qu’un montant fixé, dû à chaque violation d’un engagement, constituait un montant de dommages-intérêts liquidés recouvrable pour des violations passées, quoiqu’une injonction eût également été accordée pour prévenir des violations futures. En principe, ce résultat est approprié. Il n’y a pas double redressement, parce que le versement des dommages-intérêts liquidés et l’injonction se rapportent à des violations différentes.

En résumé:

1. Lorsqu’une somme déterminée est stipulée à titre de dommages-intérêts liquidés en cas de violation, le bénéficiaire doit choisir, à l’occasion de chaque violation, entre ces dommages‑intérêts liquidés et une injonction.

2. S’il opte en faveur des dommages-intérêts liquidés convenus, il peut les obtenir indépendamment de la perte réelle qu’il a subie.

3. Quand la somme stipulée est une peine, il peut seulement recouvrer les dommages qu’il peut justifier, mais le montant attribué ne peut pas dépasser la somme stipulée.

4. S’il opte pour l’injonction et non pour le montant liquidé stipulé, il peut obtenir des dommages‑intérêts en equity pour la perte effectivement subie jusqu’à la date de l’injonction ou, s’il est en retard, jusqu’à la date à laquelle il aurait dû demander l’injonction, mais, dans les deux cas, ces dommages-intérêts ne doivent pas excéder le montant stipulé en cas de violation.

5. Lorsqu’un montant de dommages-intérêts liquidés est stipulé pour chaque violation, le stipulant peut obtenir cette somme relativement à chacune et il peut également obtenir une injonction pour empêcher des violations futures.

Si j’applique ces principes en l’espèce, le demandeur a droit à une injonction et aux dommages-

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intérêts qu’il peut justifier jusqu’à la date du procès, sans toutefois dépasser $1,000.

En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’ordonner le paiement des dommages-intérêts que l’intimée pourra établir, mais ne dépassant pas $1,000, pour la période du 1er juin 1973 à la date du procès, au titre des commissions perdues sur tous les contrats d’assurance générale conclus par Elsley au cours de cette période, compte tenu des frais afférents à l’obtention des contrats et aux démarches subséquentes.

Les deux parties ont partiellement gain de cause en l’espèce. L’intimée a fait reconnaître la validité de la clause; l’appelante a réussi à faire limiter les dommages-intérêts au montant stipulé. Je n’adjuge donc les dépens à aucune des parties.

Jugement en conséquence.

Procureurs de l’appelante: Weir & Faulds, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Fitzpatrick, O’Donnell & Poss, Toronto.

 



[1] (1976), 13 O.R. (2d) 177.

[2] (1974), 18 C.P.R. (2d) 1187.

[3] [1916] 1 A.C. 688.

[4] [1974] 1 All E.R. 117.

[5] [1935] R.C.S. 412.

[6] [1894] A.C. 535.

[7] [1913] A.C. 724.

[8] [1920] 3 K.B. 571.

[9] [1966] 3 All E.R. 347.

[10] [1965] 1 W.L.R. 1366.

[11] (1969), 113 Sol. J. 563.

[12] [1921] 2 A.C. 158.

[13] [1972] 1 W.L.R. 1423.

[14] [1963] 2 O.R. 62.

[15] [1954] 2 D.L.R. 170.

[16] [1927] 1 K.B. 637.

[17] (1877), 4 Ch.D. 636.

[18] (1888), 40 Ch.D. 112.

[19] (1900), 27 O.L.R. 339.

[20] [1902] 1 K.B. 377.

[21] [1976] 1 R.C.S. 319.

[22] [1933] A.C. 20.

[23] (1807), 1 Camp. 78.

[24] [1936] 2 All E.R. 515.

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