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Revenu — Impôt sur le revenu — Compagnies pétrolières — Déductions —Dépenses d’exploration et de forage — Transmissibilité du droit de déduire ces dépenses à la compagnie remplaçante — Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, avec modifications, art. 83A(8a), maintenant 1970-71-72 (Can.), c. 63, art. 66(6).

Depuis 1949, la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifié par 1970-71-72, c. 63, encourage la recherche du pétrole et du gaz naturel en autorisant les compagnies pétrolières à déduire les dépenses de forage et d’exploration du revenu des années subséquentes. En 1956, les corporations remplaçantes ont été autorisées à exercer ce droit en vertu d’un texte de loi prévoyant qu’une compagnie pétrolière qui acquérait tous ou presque tous les biens d’une autre compagnie pétrolière pouvait déduire les dépenses de forage et d’exploration engagées par la corporation remplacée. Cependant, il fallait que l’acquisition résulte a) d’un échange d’actions du capital social de la remplaçante, ou b) de la distribution des biens à la compagnie rempla­çante lors de la liquidation de la compagnie remplacée, postérieurement à l’achat des actions de la compagnie remplacée, par la compagnie remplaçante, moyennant les actions de cette dernière. En 1962, on a retiré ces conditions. La compagnie pétrolière appelante a engagé des dépenses de forage et d’exploration d’un montant supérieur à son revenu avant 1960, année durant laquelle la compagnie-mère a acquis presque tous ses biens en contrepartie de l’annulation d’une dette que celle-ci avait à son égard. La compagnie-mère n’a pas acquis le droit de déduire les dépenses de forage et d’exploration parce que l’opération ne s’est pas faite selon les conditions énoncées dans la Loi de 1956. L’appelante est restée inactive jusqu’en 1964, date à laquelle une autre compagnie a acheté, à la suite de la liquidation de la compagnie-mère, l’ensemble de ses actions. Après un changement de nom, l’appelante a repris ses activités comme compagnie pétrolière avec des biens nouvellement acquis dont aucun n’avait été possédé

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ni utilisé par elle avant juin 1964. Dans le calcul de son revenu des années subséquentes, l’appelante a cher­ché à déduire les dépenses accumulées de forage et d’exploration. Le Ministre a établi une nouvelle cotisa­tion et rejeté ces déductions. La Commission d’appel de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’appelante mais, par la suite, les parties se sont entendues pour exposer les questions en appel dans un mémoire spécial et l’appel interjeté par le Ministre devant la Cour fédérale a été accueilli par le juge Cattanach dont le jugement a été confirmé en appel.

Arrêt (les juges Pigeon et de Grandpré étant dissi­dents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Judson et Dickson: Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Interprétée littéralement, la Loi attribue nettement à l’appelante la qualité de compagnie remplacée; cette dernière perd donc le droit aux déduc­tions. En présence d’un texte de loi clair et précis il n’est pas nécessaire de recourir aux règles d’interprétation pour déterminer quelle était l’intention du législateur. On ne peut soutenir que la Loi de 1962 avait un effet rétroactif ou que l’abrogation des paragraphes en question a eu un effet sur quelque droit acquis par l’appelante sous leur régime.

Les juges Pigeon et de Grandpré, dissidents: La modification législative de 1962 n’a apporté aucun changement au principe de la déductibilité des dépenses de forage et d’exploration. Elle a seulement modifié les règles de la transmissibilité du droit à ces déductions. Le principe de la non-rétroactivité des lois n’est qu’une règle d’interprétation et sa force varie selon la nature du texte législatif, mais elle n’est jamais plus grande que lorsqu’une autre interprétation modifierait l’effet de contrats déjà conclus. L’intention du Parlement, en apportant la modification législative de 1962, était de faciliter le transfert du droit aux déductions, et non de modifier l’effet de contrats antérieurs de façon à confis­quer les droits des compagnies pétrolières qui avaient antérieurement transféré leurs biens à certaines conditions qui n’impliquaient pas le transfert des droits en question au cessionnaire.

[Arrêts mentionnés: Assessment Commissioner of The Corporation of the Village of Stouffville c. Men­nonite Home Association, [1973] R.C.S. 189; Acme Village School District c. Steele-Smith, [1933] R.C.S. 47; Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conserva­tion Board & A.G. (Alta.), [1933] R.C.S. 629; Abbott v. Minister for Lands, [1895] A.C. 425; Western Lease-holds Ltd. v. Minister of National Revenue, [1961] C.T.C. 490 (Ech.);

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Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] 2 All E.R. 721 (C.P.); Hargal Oils Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1965] R.C.S. 291].

POURVOI interjeté d’un arrêt de la Cour d’ap­pel fédérale[1] confirmant le jugement du juge Cattanach accueillant un appel exposé dans un mémoire spécial à l’encontre d’une décision de la Commission d’appel de l’impôt qui avait accueilli un appel interjeté par l’appelante d’une cotisation à l’impôt sur le revenu. Pourvoi rejeté, le juge Pigeon et de Grandpré étant dissidents.

John McDonald, c.r., F. R. Matthews, c.r., et D. C. Nathanson, pour l’appelante.

G. W. Ainslie, c.r., et L. P. Chambers, pour l’intimé.

Le jugement des juges Martland, Judson et Dickson a été rendu par

LE JUGE DICKSON—Il s’agit d’une question d’impôt sur le revenu portant sur le droit de l’appe­lante Gustavson Drilling (1964) Limited de déduire dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 1965, 1966, 1967 et 1968, les dépenses de forage et d’exploration qu’elle a faites de 1949 à 1960.

Depuis 1949, le Parlement encourage la recher­che du pétrole et de gaz naturel en autorisant les compagnies dont «l’entreprise principale est la pro­duction, le raffinage ou la mise en vente du pétrole, des produits du pétrole ou du gaz naturel, ou l’exploration ou le forage en vue de découvrir du pétrole ou du gaz naturel» (ci-après appelées «compagnies pétrolières») à déduire leurs dépenses de forage et d’exploration, dans le calcul de leur revenu aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. En 1956, les corporations remplaçantes ont été autorisées à exercer ce droit en vertu d’un texte de loi qui prévoyait qu’une corporation dont l’entreprise principale est l’exploration et le forage en vue de découvrir du pétrole ou du gaz naturel et qui acquiert tous les biens ou sensiblement tous les biens d’une autre corporation dont l’entreprise principale est la même, peut déduire les dépenses de forage et d’exploration engagées par la corpora­tion remplacée. En l’absence de cette loi, ni la

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corporation remplaçante ni la corporation rempla­cée n’aurait pu se prévaloir pour des fins fiscales des dépenses de forage et d’exploration. Toutefois, cette loi de 1956 comporte certaines réserves. La corporation remplaçante n’a droit à cette déduction que si elle acquiert les biens de la corporation remplacée (a) en échange d’actions de son propre capital social, ou (b) par suite de la distribution desdits biens à la corporation remplaçante lors de la liquidation de la corporation remplacée, postérieurement à l’achat des actions de la corporation remplacée, par la corporation remplaçante, moyen­nant des actions de cette dernière. En 1962, on a retiré ces conditions; dans la suite, la loi prévoyait simplement que toute compagnie pétrolière qui, en tout temps après 1954, avait acquis tous les biens ou sensiblement tous les biens d’une autre compagnie pétrolière, pouvait réclamer une déduction à titre de dépenses de forage et d’exploration faites par la corporation remplacée alors que cette dernière ne pouvait, elle, se prévaloir de ce droit. Le présent litige tire son origine de ce contexte.

En 1949, l’appelante a été constituée en corpora­tion sous le nom de Sharples Oil (Canada) Ltd., en tant que filiale exclusive de la corporation améri­caine Sharples Oil Corporation, et jusqu’en 1960, elle était une compagnie pétrolière au Canada qui a engagé, durant cette période, des dépenses de forage et d’exploration d’un montant de $1,987,-547.19 supérieur au revenu que lui a procuré la production de pétrole et de gaz naturel. Le 30 novembre 1960, la compagnie-mère Sharples Oil Corporation, a acquis presque tous les biens de l’appelante en contrepartie de l’annulation d’une dette que celle-ci avait à son égard. Les parties conviennent qu’à cette époque-là la compagnie-mère n’a pas acquis le droit de déduire les dépen­ses de forage et d’exploration parce que la transaction ne s’est pas opérée aux termes de l’une ou l’autre des conditions énoncées dans la Loi.

A la suite du transfert de ses biens, l’appelante a interrompu ses opérations et est restée inactive jusqu’en 1964. Cependant, en juin 1964, Mikas Oil Co. Ltd. a acheté des actionnaires de Sharples Oil Corporation, à la suite de la liquidation de cette dernière, l’ensemble des actions émises du capital social de l’appelante. En octobre 1964, l’appelante

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a adopté le nom de Gustavson Drilling (1964) Limited; par la suite, elle a repris ses activités comme compagnie pétrolière avec des biens nou­vellement acquis dont aucun n’avait été possédé ni utilisé par elle avant juin 1964. Dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 1965, 1966, 1967 et 1968, l’appelante a déduit des sommes de $119,290.49, $447,369.99, $888,084.10 et $31,179.00 respectivement, qu’elle a réclamées comme partie des dépenses accumulées de forage et d’exploration chiffrées à $1,987,547.19. Le Ministre lui a imposé une nouvelle cotisation et a rejeté ces déductions. La Commission d’appel de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’appelante; par la suite, les parties se sont entendues pour exposer les questions en appel dans un mémoire spécial, conformément à la règle 475 de la Cour fédérale, et l’appel interjeté par le Ministre devant la Cour fédérale a été accueilli par le juge Cattanach dont le jugement a été confirmé par la Cour d’appel fédérale. Voici le libellé de la question litigieuse exposée dans le mémoire spécial:

[TRADUCTION] La question soumise à la Cour est celle de savoir si le paragraphe (8a) de l’article 83A de la Loi de l’impôt sur le revenu tel que modifié par l’abrogation des alinéas c) et d) dudit article par les statuts du Canada, 1962-63, c. 8, article 19, paragraphes (11) et (15), interdit à l’intimée de déduire, dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 1965, 1966, 1967 et 1968 les sommes représentant les dépenses de forage et d’exploration mentionnées au paragraphe 4 des présentes que, n’eût été l’abrogation, l’intimée aurait pu déduire en vertu des paragraphes (l) et (3) de l’article 83A de la Loi.

Les paragraphes (1) et (3) de l’art. 83A de la Loi de l’impôt sur le revenu, en vertu desquels l’appelante prétend avoir droit aux déductions, se lisent comme suit, tels qu’ils s’appliquaient aux années d’imposition 1965 à 1968:

83A. (1) Une corporation ... peut déduire, dans le calcul de son revenu, aux fins de la présente Partie, pour une année d’imposition, le moindre de

a) l’ensemble des dépenses de forage et d’exploration ... qui ont été faites au cours des années civiles 1949 à 1952, en tant qu’elles n’étaient pas déductibles dans le calcul du revenu pour une année d’imposition anté­rieure, ou

b) de cet ensemble, un montant égal à son revenu pour l’année d’imposition

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moins les déductions allouées pour l’année par les paragraphes (8a) et (8d) du présent article .. .

(3) Une corporation ... peut déduire, dans le calcul de son revenu aux fins de la présente Partie, pour une année d’imposition, le moindre de

c) l’ensemble

(i) des dépenses de forage et d’exploration . .

qui ont été faites après l’année civile 1952 et avant le 11 avril 1962, en tant qu’elles n’étaient pas déductibles dans le calcul du revenu pour une année d’imposition antérieure, ou

d) dudit ensemble, un montant égal à son revenu pour l’année d’imposition

moins les déductions allouées pour l’année par les paragraphes (1), (2), (8a) et (8d) du présent article

Il n’y a aucun doute qu’en l’absence du par. (8a) de l’art. 83A, l’appelante aurait pu déduire les dépenses de forage et d’exploration qu’elle réclame. Il faut donc examiner ce par. (8a) dont l’interprétation sera déterminante du sort de cette affaire. En 1960, lorsque Sharples Oil Corporation a acquis les biens de l’appelante, les dispositions pertinentes du par. (8a) se lisaient comme suit:

83A. (8a) Nonobstant le paragraphe (8), lorsqu’une corporation (ci-après appelée, au présent paragraphe, la «corporation remplaçante»).. .

a, en tout temps après 1954, acquis d’une corporation (ci-après appelée, au présent paragraphe, la «corporation remplacée»)...tous les biens ou sensiblement tous les biens de la corporation remplacée, utilisés par elle dans l’exercice de ladite entreprise au Canada,

c) en vertu de l’achat desdits biens par la corporation remplaçante moyennant des actions du capital social de la corporation remplaçante, ou

d) par suite de la distribution desdits biens à la corporation remplaçante lors de la liquidation de la corporation remplacée, postérieurement à l’achat de toutes les actions ou sensiblement toutes les actions du capital social de la corporation remplacée, par la corporation remplaçante, moyennant des actions du capital social de la corporation remplaçante,

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cette dernière peut déduire, dans le calcul de son revenu selon la présente Partie pour une année d’imposition, le moindre

e) de l’ensemble

(i) des dépenses de forage et d’exploitation. .faites par la corporation remplacée.. .

et, à l’égard de toutes semblables dépenses comprises dans l’ensemble déterminé selon l’alinéa e), aucune déduction ne peut être faite aux termes du présent article par la corporation remplacée dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition subséquente à son année d’imposition où les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante.

Le paragraphe (11) de l’art. 19 du c. 8 des Statuts du Canada 1962-63 a abrogé les al. c) et d) du par. (8a), et cette abrogation est entrée en vigueur à compter de l’année d’imposition 1962 et suivantes.

En résumé: la compagnie A a fait des dépenses de forage et d’exploration; la compagnie B a acquis les biens de la compagnie A en 1960, mais à cause de la façon dont s’est opérée la transaction, la compagnie B ne pouvait pas être considérée à cette époque-là comme une compagnie rempla­çante de sorte qu’elle n’a pu acquérir le droit de déduire de son revenu les dépenses non déduites de forage et d’exploration engagées par la compagnie A; en 1962 et par la suite, si l’on s’en tient aux prétentions du Ministre, la compagnie B a acquis la qualité de compagnie remplaçante et à ce titre, elle était dorénavant autorisée à déduire les dépen­ses en question; la fin du par. (8a) empêchait la compagnie A de se prévaloir de ce droit.

Avant d’examiner les prétentions rivales, il convient de formuler quelques remarques. La pre­mière porte sur le fardeau incombant au contri­buable qui se prévaut d’une exemption. Il doit établir clairement que son cas s’insère dans l’exemption réclamée: The Assessment Commissioner of the Corporation of the Village of Stouffville c. The Mennonite Home Association of York County et The Corporation of the Village of Stouffville[2], à la p. 194.

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Deuxièmement, le principe selon lequel une déduction peut être effectuée par un contribuable autre que celui qui a encouru la dépense n’est pas étranger à la Loi de l’impôt sur le revenu. Le paragraphe (3) de l’art. 85I de la Loi autorise la nouvelle corporation, issue de la fusion de deux ou plusieurs corporations après 1957, à déduire les dépenses de forage et d’exploration engagées par la corporation remplacée. Le paragraphe (3c) de l’art. 83A permet à une corporation d’exploration en commun de renoncer en faveur d’une autre corporation à une partie convenue de ses dépenses de forage et d’exploration.

Troisièmement, en abrogeant les al. c) et d) du par. (8a), le Parlement a élargi les cadres de la disposition en permettant à un plus grand nombre de corporations remplaçantes de s’en prévaloir. Je crois que le Parlement n’a jamais envisagé la possibilité qu’une compagnie qui a vendu ses biens ou en a autrement disposé puisse plus tard se prévaloir de l’art. 83A. Le Parlement a choisi d’accorder à la compagnie remplaçante le droit de déduire les dépenses de forage et d’exploration engagées par la compagnie remplacée et, la seule difficulté dans la mise en oeuvre de cette politique consistait à déterminer quelle compagnie serait autorisée à se prévaloir de la déduction pour l’année de l’acquisition. La loi a accordé ce droit au remplaçant. Les dispositions modificatrices de 1962 ont conféré à certaines compagnies remplaçantes le droit de se prévaloir des déductions en question. C’était donc un droit nouveau accordé par le Parlement et non par la compagnie remplacée. Jamais la loi n’a permis à une compagnie remplacée de céder à une compagnie remplaçante le droit de se prévaloir des déductions relatives aux dépenses de forage et d’exploration.

Il convient maintenant d’examiner de plus près les allégations de l’appelante et du Ministre. Les allégations de ce dernier se résument en quelques mots et reposent sur le texte de la Loi qui, selon lui, est clair et précis lorsque son lecteur tient compte de l’ensemble et de l’esprit général de la Loi. On allègue qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours aux présomptions portant sur l’intention du législateur puisque ces règles d’interprétation ne sont utiles dans la détermination du sens véritable

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que lorsque le texte est obscur et ambigu: voir les propos du juge Lamont dans Acme Village School District c. Steele-Smith[3], à la p. 51. Cette allégation est fort pertinente. Je ne crois pas que l’appelante puisse obtenir gain de cause en s’en tenant au sens littéral du par. (8a) puisque sa rédaction attribue nettement à lappelante la qualité de compagnie remplacée. Toutefois, elle cherche à éviter une interprétation littérale de ce paragraphe et soumet à cet effet une triple argumentation qu’il convient d’examiner équitablement et qui se fonde sur a) la présomption à l’encontre de la rétroactivité des lois; b) la présomption voulant qu’on ne puisse porter atteinte aux droits acquis; c) la signification à donner au mot «ensemble» du par. (8a). Concernant les points a) et b), l’appelante doit faire plus que démontrer la portée rétroactive de la loi; elle doit également établir qu’elle possédait un droit acquis auquel la loi a porté atteinte.

Premièrement, la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu’elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu’elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif. A première vue, la présente affaire peut s’apparenter au deuxième cas, mais je suis d’avis que l’analyse de la disposition abrogative démontre qu’elle n’a aucune portée rétroactive dans le sens qu’elle modifie des droits acquis, bien qu’elle porte incontestablement atteinte aux transactions passées. L’article, tel que modifié par la disposition abrogative, ne vise pas les années d’imposition antérieures à la date de la modification; il ne cherche pas à s’immiscer dans le passé et ne prétend pas signifier qu’à une date antérieure, il faille considérer que le droit ou les droits des parties étaient ce qu’ils n’étaient pas alors. Pour autant que l’appelante soit concernée, cet article ne vise qu’à retirer pour l’avenir le droit de faire certaines déductions dont il était auparavant

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possible de tirer avantage; l’article n’a aucune incidence sur ce droit dans la mesure où il a été exercé à une date antérieure à l’adoption de la loi modificatrice.

L’appelante prétend qu’elle avait en 1960, à l’époque de la transaction en question, la qualité d’une compagnie non remplacée aux termes du par. (8a) de l’art. 83A, tel qu’alors libellé, ainsi que le droit de reporter des déductions au cours des années d’imposition subséquentes; elle soutient également que la modification de 1962 ne peut avoir d’effet rétroactif de façon à lui conférer maintenant la qualité de compagnie remplacée aux termes du par. (8a) de l’art. 83A, de sorte que les dépenses de forage et d’exploration pouvaient être déduites, par la suite, uniquement par Sharples Oil Corporation, la compagnie remplaçante. Finalement, l’appelante conclut qu’elle conserve à perpé­tuité le droit de déduire les dépenses en question. Je ne peux partager cette prétention. Il importe peu que la compagnie appelante ait eu une qualité particulière sous l’ancienne loi. Sans outrepasser sa compétence, le Parlement a statué qu’à compter des années d’imposition 1962 et suivantes, pour les fins du calcul du revenu imposable, l’appelante aurait une qualité différente.

La prétention de l’appelante selon laquelle l’abrogation agit seulement sur les acquisitions faites ultérieurement à l’adoption de la loi abrogative, a pour effet de restreindre la portée du par. (8a) dans sa forme modifiée, ce que le texte du paragraphe en question ne démontre aucunement. Cette prétention a également pour effet d’empê­cher les corporations remplaçantes de se prévaloir des droits que leur accorde semble-t-il, l’art. 83A. L’interprétation mise de l’avant par l’appelante tend également à ignorer les mots «en tout temps après 1954». Cette dernière prétend que ces mots peuvent et doivent agir uniquement dans la mesure où ils permettent de garantir les droits d’une corporation remplaçante qui, antérieurement à la loi abrogative, a fait une acquisition suivant l’une ou l’autre des méthodes décrites aux al. e) et d) et qui, par conséquent, tirait avantage du par. (8a) avant l’abrogation. Ce qui fait obstacle à cette prétention est l’impossibilité de trouver dans cette partie de la loi portant sur les années d’imposition 1965 et suivantes, un indice qui étayerait une

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distinction entre les corporations qui ont fait l’acquisition des biens d’autres corporations avant la modification de 1962, en conformité avec les al. c) et d), et celles qui ont fait l’acquisition des biens d’autres corporations postérieurement à la modification.

La Loi de l’impôt sur le revenu contient une série de règles très complexes modifiées fréquemment qui servent au calcul annuel du revenu global. Pour déterminer le revenu imposable d’un contribuable pour une année particulière, il faut appliquer la loi qui était alors en vigueur. La disposition abrogative de 1962 a simplement pour effet d’introduire pour les années subséquentes de nouvelles règles touchant la déductibilité des dépenses d’exploration et de mise en valeur. Bien que la disposition abrogative puisse paraître avoir pour effet de dépouiller l’appelante du droit dont elle jouissait auparavant de faire certaines déductions et d’une certaine façon causé la transmutation d’une transaction antérieure, je suis d’avis qu’un examen attentif de la question démontre qu’il n’en est pas ainsi. De 1949 à 1960, la Loi en vigueur au cours de chacune de ces années autorisait l’appelante à se prévaloir de la déduction. En 1960, l’appelante a transféré son actif. Le contrat de vente, s’il en existe un, n’apparaît pas au dossier et dans la mesure des révélations qui y sont contenues, il n’a pas été question à l’époque des dépenses de forage et d’exploration. Après avoir disposé de ses biens, l’appelante n’était plus une corporation s’occupant principalement de faire de l’exploration ou forage pour la découverte de pétrole ou de gaz naturel, et elle n’avait plus de revenu. Elle ne pouvait donc plus se prévaloir de la déduction en question. Au cours des années d’imposition 1961, 1962, 1963 et 1964, elle n’a fait aucune réclamation. A l’époque où l’appelante a repris ses activités, elle n’avait plus le droit, en vertu de la loi alors en vigueur, de réclamer les dépenses de forage et d’exploration engagées antérieurement. Il lui était possible de réclamer uniquement les dépenses de forage et d’exploration engagées après qu’elle eut repris ses activités. Il est peut-être malheureux qu’une modification dont le but est de libéraliser la loi en facilitant la transmission des dépenses de forage et d’exploration, ait pour effet de priver une compagnie remplacée comme l’appelante

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d’un droit dont elle aurait pu se prévaloir en l’absence de l’abrogation, mais il n’en demeure pas moins que la loi dans sa forme modifiée est claire et précise. Après l’abrogation des al. c) et d) du par. (8a) en 1962 et aux fins du calcul de l’impôt à payer pour les années postérieures à 1962, la com­pagnie appelante est une compagnie remplacée au sens du par. (8a) et de ce fait, il lui est impossible de déduire les dépenses de forage et d’exploration engagées par elle avant le 10 novembre 1960.

Deuxièmement, l’interférence avec des droits acquis. Selon la règle, une loi ne doit pas être interprétée de façon à porter atteinte aux droits existants relatifs aux personnes ou aux biens, sauf si le texte de cette loi exige une telle interprétation: Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Cas Conserva­tion Board[4], à la p. 638. La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l’intention contraire, s’applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu’elle produise son effet dans l’avenir. Ce dernier type de loi peut être mauvais s’il porte atteinte à des droits acquis sans l’exprimer clairement. Toutefois, cette présomption s’applique seulement lorsque la loi est d’une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations. Il est évident que la plupart des lois modifient des droits existants ou y portent atteinte d’une façon ou d’une autre, et les lois fiscales ne font pas exception. Les seuls droits dont un contribuable peut se prévaloir au cours d’une année d’imposition au regard de réclamations d’exemptions sont ceux que lui accordent la Loi de l’impôt sur le revenu alors en vigueur. L’appelante fonde son argumen­tation sur le fait qu’elle possède un droit acquis et continu de déduire dans le calcul de son revenu les dépenses de forage et d’exploration engagées par elle, alors qu’il est clair que la Loi de l’impôt sur le revenu de 1960 et des années antérieures n’accorde aucun droit à l’égard des années d’imposition 1965 et suivantes. C’est une erreur que de considérer les dépenses de forage et d’exploration comme un compte en banque duquel il est possible d’effectuer des retraits indéfiniment ou, du moins,

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jusqu’à l’épuisement du solde. Personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l’évolution des besoins sociaux et de l’attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l’espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d’une modification à la législation.

Le simple droit de se prévaloir d’un texte législatif abrogé, dont jouissent les membres de la communauté ou une catégorie d’entre eux à la date de l’abrogation d’une loi, ne peut être considéré comme un droit acquis: Abbott v. Minister of Lands[5], à la p. 431; Western Leaseholds Ltd. v. Minister of National Revenue[6], Director of Public Works v. Ho Po Sang[7].

L’article 35 de la Loi dinterprétation, S.R.C. 1970, c. I-23 est cité en appui de la thèse de l’appelante. En voici le texte:

35. Lorsqu’un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l’abrogation

b) n’atteint ni l’application antérieure du texte légis­latif ainsi abrogé ni une chose dûment faite ou subie sous son régime;

c) n’a pas d’effet sur quelque droit, privilège, obliga­tion ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé.

Je partage l’avis du juge Thurlow de la Cour d’appel fédérale selon lequel il ne peut être dit que l’abrogation des al. c) et d) atteint leur application antérieure ni une chose dûment faite ou subie sous leur régime par l’appelante, puisque les al. c) et d) ne se sont jamais appliqués à l’appelante ni à une chose dûment faite ou subie par elle. Je souscris encore une fois à l’avis du juge Thurlow lorsqu’il affirme que l’on ne peut pas dire que l’abrogation des al. c) et d) a eu un effet sur quelque droit acquis par l’appelante sous leur régime, puisque cette dernière n’a jamais acquis de droits sous le régime de l’un quelconque d’entre eux. Cet article représente simplement la consécration législative de la présomption de droit commun relative aux

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droits acquis telle qu’elle existe à l’égard de l’abro­gation des dispositions législatives et, selon moi, cet article n’ajoute rien à l’argumentation de l’ap­pelante. Cette dernière doit toujours démontrer qu’elle possède un droit ou un privilège né ou acquis sous le régime du texte législatif avant son abrogation, ce qu’elle ne peut faire.

Troisièmement, le mot «ensemble». Cet argument quelque peu tortueux reprend en grande partie, sous un jour plus favorable, l’argument de la rétroactivité. En voici l’essentiel: même si l’appelante est considérée comme une corporation remplacée, elle peut néanmoins déduire les dépenses accumulées de forage et d’exploration parce que (1) l’interdiction spécifiée dans le dernier alinéa du par. (8a) porte uniquement sur «l’ensemble déterminé selon l’al. e)»; (2) cet ensemble pour chacune des années d’imposition 1965 à 1968 est nul, vu la nécessité, aux termes des sous-al. (iii) et (iv) de l’al. e), de déterminer d’abord cet ensemble «pour l’année d’imposition où les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante», c.-à-d. 1960; (3) les sous-al. (iii) et (iv) de I’al. e) du par. (8a) ont été interprétés par cette Cour dans Hargal Oils Ltd. c. Le ministre du Revenu national[8], aux pp. 295 et 296, où cette dernière a statué que le mot «ensemble»:

[TRADUCTION] ... comprend les dépenses qui n’étaient pas déductibles par la compagnie remplacée dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition où ses biens ont été acquis par la compagnie remplaçante, mais qui auraient été déductibles par la compagnie remplacée dans le calcul de son revenu pour cette année d’imposition-là «en l’absence des dispositions ... du présent paragraphe».

(4) cet extrait présuppose l’existence de corporations remplacées et remplaçantes autorisées à l’époque du transfert des biens, et il est possible de déterminer le montant à inclure dans l’ensemble uniquement au cours de l’année d’imposition où s’est effectuée la transaction; (5) au cours de l’année d’imposition 1960, le par. (8a) n’était pas applicable à l’appelante, et il ne pouvait y avoir à cette époque soit une corporation remplacée ou une corporation remplaçante, ni aucun «ensemble» auquel pourrait se rattacher dans les années d’imposition

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subséquentes, le dernier alinéa du par. (8a); (6) le texte législatif abrogatif est applicable aux années d’imposition 1962 et suivantes et ne peut rétroagir de façon à déterminer ce qu’il faut inclure dans l’«ensemble».

Je ne suis pas d’avis que le texte du par. (8a) et l’interprétation spécieuse qui, prétend-on, en a été donnée dans l’extrait cité de l’arrêt Hargal mènent à la conclusion recherchée par l’appelante. L’extrait cité de l’arrêt Hargal ne fait que condenser le texte du par. (8a). Tel qu’appliqué aux faits de la présente affaire, le par. (8a) dispose que la corporation remplaçante peut déduire l’«ensemble» des dépenses de forage et d’exploration enga­gées par l’appelante (c.-à-d. approximativement $2,000,000) dans la mesure où lesdites dépenses a) n’étaient pas déductibles par l’appelante en 1960 ou avant cette date; et b) auraient été déductibles par l’appelante en 1960 en l’absence des disposi­tions du par. (8a). Ce paragraphe ne présuppose pas l’existence, au cours de l’année d’acquisition, de corporations remplaçantes et remplacées. Le montant de l’ensemble doit être déterminé chaque année où l’on se prévaut de la déduction, et non pour l’année d’imposition où s’est faite l’acquisition. Pour déterminer le montant de l’ensemble, il faut d’abord établir le total des dépenses de forage et d’exploration; ce montant doit ensuite être réduit dans la mesure où les dépenses étaient déductibles par la corporation remplacée dans le calcul de son revenu pour l’année d’acquisition ou pour toute l’année antérieure; le montant déductible par la corporation remplaçante ne doit pas dépasser celui que la compagnie remplacée aurait pu déduire du calcul de son revenu pour l’année de l’acquisition en absence du par. (8a). Il convient de souligner que l’appelante prétend avoir droit à une déduction en vertu des par. (1) et (3) de l’art. 83A, qui traitent de l’«ensemble» des dépenses de forage et d’exploration, dans le mesure où elles n’étaient pas déductibles du revenu d’une année d’imposition antérieure. Il serait plutôt étrange que l’«ensemble» calculé en conformité du texte des par. (1) et (3) de l’art. 83A totalise un montant de $2,000,000, tandis qu’il serait nul lorsque calculé en conformité du texte analogue du par. (8a) de l’art. 83A. A mon avis, l’«ensemble» est le même, qu’il soit calculé selon les par. (1) et (3) de l’art. 83A ou selon

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le par (8a) de l’art. 83A. L’application des termes du par. (8a) de l’art. 83A ne soulève aucune difficulté en l’espèce. L’ensemble des dépenses de forage et d’exploration déductibles par l’appelante avant le texte législatif abrogatif, et depuis lors déductible par la corporation remplaçante, est facilement identifiable et a été déterminé.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Le jugement des juges Pigeon et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE PIGEON (dissident)—L’appelante est une compagnie pétrolière. Elle a été constituée par charte fédérale le 26 mai 1949 sous le nom de Sharples Oil (Canada) Ltd. Elle était une filiale exclusive de Sharples Oil Corporation, une compa­gnie américaine. Elle a engagé des dépenses de forage et d’exploration pour lesquelles il lui était possible, dans les années à venir, de réclamer une déduction dans le calcul de son revenu imposable. Le 30 novembre 1960, le montant de ces dépenses susceptibles d’être reportées totalisait presque $2,000,000 (les parties ayant convenu d’un montant exact de $1,987,547.19). Antérieurement à la liquidation de la compagnie-mère, l’appelante lui a transféré, à cette date-là, presque tout son actif. En vertu du par. (8a) de l’art. 83A de la Loi de l’impôt sur le revenu, tel qu’alors libellé (c’est-à-dire, tel que mis en vigueur par 1956 c. 39, art. 23 avec quelques modifications non pertinentes), ce transfert de l’actif n’a pas entraîné le transfert à la compagnie-mère du droit de l’appelante à des déductions futures parce que l’actif n’a pas été acquis conformément aux dispositions des al. c) et d). Par conséquent, en vertu du dernier alinéa du par. (8a) que voici, ce transfert n’a pas eu pour effet de retirer à l’appelante le droit de réclamer, pour les années d’imposition à venir, des déduc­tions relatives aux dépenses engagées:

et, à l’égard de toutes semblables dépenses comprises dans l’ensemble déterminé selon l’alinéa e), aucune déduction ne peut être faite aux termes du présent article par la corporation remplacée dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition subséquente à son année d’imposition où les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante.

Au cours des procédures de liquidation de la compagnie-mère, ses actionnaires ont acquis les

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actions de l’appelante et, le 18 juin 1964, ils les ont vendues à Mikas Oil Co. Ltd. pour la somme de $280,000. L’appelante a alors adopté le nom de Gustavson Drilling (1964) Limited et elle a repris ses activités comme compagnie pétrolière. Ayant réalisé des profits, l’appelante a réclamé, dans le calcul de son revenu, la déduction de certaines sommes au regard de ses dépenses de forage et d’exploration engagées antérieurement. Ces déduc­tions, qui totalisaient plus de $1,500,000 pour les années 1965 à 1968, ont été refusées à l’occasion de nouvelles cotisations. La Commission d’appel de l’impôt les a rétablies mais elles ont ensuite été refusées par la Cour fédérale en première instance et en appel.

Les déductions ont été refusées en raison de l’abrogation, en 1962, soit deux ans après le trans­fert de l’actif de l’appelante à la compagnie-mère, des sous-alinéas c) et d) du par. (8a) par une loi applicable aux années d’imposition 1962 et suivan­tes. En fait, on a statué qu’en vertu de cette modification, la compagnie-mère en tant que «cor­poration remplaçante» avait acquis, en même temps que l’actif, le droit aux déductions futures. Naturellement, vu la liquidation de cette dernière, elle n’a pu tirer profit de cette disposition, mais on a statué, en vertu du dernier alinéa du par. (8a), tel que modifié en 1962 et reproduit ci-après, que cela avait retiré à l’appelante, à compter de 1962, le droit de se prévaloir d’une déduction à titre de dépenses de forage et d’exploration engagées avant le 30 novembre 1960:

et, à l’égard de toutes semblables dépenses comprises dans l’ensemble déterminé selon l’alinéa e), aucune déduction ne peut être faite aux termes du présent article par la corporation remplacée dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition subséquente à son année d’imposition où les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante.

A mon avis, la modification législative apportée en 1962 par l’abrogation des al. c) et d) du par. (8a) n’a apporté aucun changement au principe de la déductibilité des dépenses de forage et d’explo­ration; elle a seulement modifié les règles de la transmissibilité du droit à ces déductions. Selon le Ministre, bien que le transfert des biens de l’appe­lante à Sharples Oil Corporation effectué le 13 novembre 1960 ne s’étendait pas au droit à ces

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déductions, ce droit a été incorporé au transfert en question lorsqu’en 1962 une modification à la Loi de l’impôt sur le revenu a abrogé les dispositions qui consacraient l’intransmissibilité de ce droit à la personne à qui les biens avaient été transférés. Cette prétention du Ministre a prévalu devant le tribunal d’instance inférieure à l’encontre de la conclusion de la Commission d’appel de l’impôt.

Le principe de la non-rétroactivité des lois n’est qu’une règle d’interprétation. Sa force varie selon la nature du texte législatif, mais elle n’est jamais plus grande que lorsqu’une autre interprétation modifierait l’effet de contrats déjà conclus. Dans Reid v. Reid[9], le lord juge Bowen tient les propos suivants (aux pp. 408 et 409):

[TRADUCTION] Or, la règle particulière d’interprétation dont on a fait mention, mais qui est utile uniquement lorsque le texte d’une loi du Parlement est obscur, se rattache à la célèbre maxime omnis nova constitutio futuris formam imponere debet non praeteritis, c’est-à-dire que sauf exception, la nouvelle loi doit être interpré­tée de façon à minimiser au possible l’interférence avec des droits acquis. Selon moi, même lorsque nous inter­prétons une loi ou un article qui ont une portée rétroac­tive, nous devons toujours avoir à l’esprit que cette maxime entre en jeu ès que le texte cesse d’être clair, Il s’agit là d’un corollaire nécessaire et naturel de la règle générale selon laquelle il ne faut pas donner à un article une portée rétroactive plus considérable que ce le que la législature a manifestement voulu lui donner même si cette loi a, dans une certaine mesure, un effet rétroactif.

Or, quant à l’art. 5, il s’applique expressément aux mariages contractés avant l’entrée en vigueur de la Loi. Allons-nous donc adopter l’opinion émise par M. Barber, … cette interprétation peut toucher ou porter atteinte à des actes antérieurs, elle est donc inadmissible selon le principe énoncé au début de mes motifs, à moins qu’il nous apparaisse clairement que la prétention de M. Barber est conforme à l’intention du législateur.

En l’espèce, le contrat avait pour effet de laisser intact entre les mains du cédant le droit aux déductions, mais, si la modification législative est jugée applicable, il y a alors déchéance complète de ce droit précieux à cause de la liquidation du

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cessionnaire. Selon cette interprétation, si le ces­sionnaire était une compagnie pétrolière existante il obtiendrait, sans contrepartie, ce droit précieux en plus des biens cédés. Dans la présente affaire, on a vendu les actions de l’appelante après l’entrée en vigueur de la modification de 1962 mais, de l’aveu même du Ministre, les acheteurs auraient perdu l’objet de leur achat même s’ils avaient acheté les actions avant l’entrée en vigueur de la modification. En ayant à l’esprit la présomption contre la rétroactivité, peut-on interpréter la loi présentement en cause de façon à éviter ce résultat injuste?

La disposition visant l’application de la loi modi­ficatrice de 1962 prévoit que le paragraphe en question s’appliquera aux années d’imposition 1962 et suivantes. Selon le Ministre, cela signifie que les cotisations pour ces années-là doivent s’ef­fectuer en conformité du droit modifié par la nouvelle loi. Je ne nie pas que ce soit ordinairement l’effet d’un texte législatif ainsi libellé. Tou­tefois, en raison de la nature du système de déduc­tions dont il s’agit, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas l’interpréter différemment à l’égard des dispositions en cause, c’est-à-dire celles qui portent sur l’effet juridique des contrats conclus en relation avec ce système de déductions à faire pendant plusieurs années à venir. A cause du risque particulier propre à l’exploration et au forage visant à découvrir du pétrole, le Parlement s’est écarté du principe de la déduction annuelle des dépenses en autorisant les compagnies pétroliè­res à déduire au cours des années subséquentes leurs dépenses de forage et d’exploration.

Bien qu’après la vente de son actif l’appelante ne fût plus en mesure de se prévaloir du droit de déduire ses dépenses de forage et d’exploration, elle conservait néanmoins le droit légitime de reprendre plus tard ses activités et de réclamer alors les déductions. Elle n’avait pas perdu le droit de faire ces déductions dans des circonstances appropriées, et ce droit était un bien précieux de valeur permanente qui comporte d’importants avantages éventuels à l’instar d’autres types de pertes admissibles pour fins fiscales. Bien que la réalisation profitable de semblables actifs soit soumise à des restrictions et conditions, ils sont régulièrement

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achetés et vendus par l’acquisition des actions de la compagnie qui les possède. Les faits de l’espèce le démontrent et, de toute façon, j’estime que nous devons en prendre connaissance d’office. Il ne s’agit pas d’une situation dont le Parlement pouvait ignorer l’existence lors de l’adoption du texte législatif. Vu le caractère du droit aux déductions futures pour dépenses de forage et d’exploration, on ne doit pas présumer qu’une compagnie qui possède un tel actif ne cher­chera pas plus tard à le réaliser, uniquement parce qu’à une certaine époque, elle a vendu ses biens ou en a autrement disposé. On ne doit pas interpréter la modification de 1962 comme ayant pour seul effet de donner à l’acquéreur le droit aux déduc­tions. La prétendue générosité du Parlement com­porte également le retrait corrélatif de ce droit au vendeur. La disposition a donc pour but véritable d’effectuer le transfert du droit aux déductions.

Je ne peux partager l’avis selon lequel nos présentes lois fiscales doivent être interprétées suivant les règles spéciales établies à l’époque où le Comité des voies et moyens rédigeait annuellement les lois fiscales. Notre Loi de l’impôt sur le revenu est une loi permanente, et nous sommes aux prises ici en présence de dispositions visant à encourager les investissements par l’instauration d’un régime de déductions. Il est vrai que le Parlement a le pouvoir de briser les promesses de traitement privilégié sur la foi desquelles des investissements ont été faits. Toutefois, une forte présomption existe à l’encontre d’une intention semblable. En l’espèce, il n’y a trace d’aucune telle intention. Le régime de déduction n’a pas été abrogé. De toute évidence, l’appelante aurait droit aux déductions si elle n’avait, quelques années auparavant, transféré ses biens à une autre corporation comme elle pouvait légitimement le faire sans porter atteinte à son droit de se prévaloir des déductions. A cette épo­que-là, ce transfert n’emportait pas celui du droit aux déductions, bien qu’aujourd’hui il en soit autrement. Dans de telles circonstances, j’estime qu’on ne peut, à bon droit, interpréter la disposi­tion visant l’application de la nouvelle loi comme signifiant qu’elle est applicable à un contrat déjà exécuté, de façon à en modifier l’effet, surtout lorsqu’une telle modification ne constitue rien de moins qu’une confiscation entièrement injustifiée de droits précieux.

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Quant à l’arrêt rendu par cette Cour dans Acme Village School District c. Steele-Smith[10], je tiens à souligner que la situation était très différente. Le litige était entre un enseignant et son employeur, une commission scolaire. La convention qui les liait stipulait que l’une ou l’autre des parties pou­vait y mettre fin par préavis de trente jours. Après la conclusion de la convention, la législature a modifié l’article du School Act relatif à la cessa­tion d’emploi d’un enseignant suite à un tel préa­vis. Selon la modification, le préavis ne pouvait plus être donné, sauf au mois de juin, sans l’accord préalable d’un inspecteur. Cette Cour a statué que l’enseignant était autorisé à se prévaloir de la modification. Le juge Lamont, au nom de la majo­rité, s’est exprimé ainsi (à la p. 52):

[TRADUCTION] Compte tenu du caractère et de la portée de la Loi et du contrôle que le Ministre a conservé sur la convention liant l’enseignant et la Com­mission, et compte tenu également du fait que le redres­sement apporté par la Législature s’adresse à un problè­me actuel que cette dernière se propose de régler en subordonnant au consentement d’un inspecteur le droit de chacune des parties de mettre fin à la convention, j’estime qu’il y en a assez pour réfuter la présomption que l’article ne doit produire son effet que dans l’avenir.

Avec respect pour l’opinion contraire, je suis d’avis que l’application de ce raisonnement au contrat et à la Loi en question incite plutôt à conclure que l’intention du Parlement, en appor­tant la modification législative de 1962, était de faciliter le transfert du droit aux déductions, et non de modifier l’effet de contrats antérieurs de façon à confisquer les droits des compagnies pétro­lières qui avaient antérieurement transféré leurs biens à certaines conditions qui n’impliquaient pas le transfert des droits en question au cessionnaire. A mon avis, les mots employés par le Parlement ne nous obligent pas à conclure dans le sens que le voudrait le Ministre. Selon moi, il importe peu qu’il s’agisse en l’espèce d’une question de fiscalité à l’égard de laquelle aucun recours en equity ne peut être exercé.

J’accueillerais le pourvoi avec dépens dans toutes les cours en faveur de l’appelante, j’infirmerais

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les jugements rendus par la Cour fédérale en première instance et en appel, et je rétablirais le jugement de la Commission d’appel de l’impôt.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges PIGEON et DE GRANDPRÉ étant dissidents.

Procureurs de l’appelante: McDonald & Hayden, Toronto.

Procureur de l’intimé: D. S. Maxwell, Ottawa.



[1] [1972] C.F. 1193.

[2] [1973] R.C.S. 189.

[3] [1933] R.C.S. 47.

[4] [1933] R.C.S. 629.

[5] [1895] A.C. 425.

[6] [1961] C.T.C. 490 (Exch.).

[7] [1961] 2 All. E.R. 721 (P.C.).

[8] [1965] R.C.S. 291.

[9] (1886), 31 Ch.D. 402.

[10] [1933] R.C.S. 47.

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