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Tribunaux — Compétence de la Cour fédérale — Action en dommages-intérêts et en annulation de con­trats — Demande de redressement en vertu d’une légis­lation fédérale applicable — Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, art. 101 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, 2e Supp., c. 10, art. 23.

Les appelantes s’étaient engagées par contrat à cons­truire une gare maritime à Baie Comeau (Québec) pour le transport de papier journal à destination des États-Unis. La construction de cette gare maritime, devant être terminée le 15 mai 1975, était un élément essentiel du projet. Le 14 mars 1975, les appelantes ayant manqué à leurs engagements et n’ayant même pas com­mencé la construction de la gare maritime, une action en dommages-intérêts et en annulation des contrats fut introduite par les intimées devant la Cour fédérale. Les appelantes ont contesté la compétence de la Cour fédé­rale. La Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement de la division de première instance et jugé que la Cour fédérale était compétente pour entendre le litige en vertu de l’art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

La question de compétence dépend de la signification et de l’application de l’art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale compte tenu des contrats qui ont donné nais­sance aux réclamations. Cet art. 23 doit être analysé à la lumière de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. On ne peut donner aux termes «demande de redressement faite en vertu d’une loi du Parlement du Canada ou autrement» de l’art. 23 une interprétation dépassant la portée de l’expression «exécution des lois du Canada» de l’art. 101. Le redressement réclamé ne l’est pas en vertu d’une loi du Parlement du Canada. La question de compétence tourne donc autour des termes «ou autrement» employés à l’art. 23 et l’on ne peut dire que du fait que les lois du Québec s’appliquent à la présente demande de redressement, ces lois font partie

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des lois du Canada, lorsqu’elles n’ont pas été promul­guées comme lois fédérales ni adoptées par renvoi. Si la loi est valide et applicable, comme c’est le cas en l’espèce pour la loi du Québec (les parties ayant convenu que leur contrat serait régi par les lois du Québec), elle ne constitue pas, pro tanto, une loi fédérale et ne peut être transposée dans le droit fédéral afin de donner compé­tence à la Cour fédérale.

La compétence judiciaire de la Cour fédérale ne recouvre pas les mêmes domaines que la compétence législative du Parlement. L’article 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne traite pas de la création des tribunaux pour connaître des sujets relevant de la compétence législative fédérale, mais «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Le terme «exécution» et le mot pluriel «lois» supposent tous deux l’existence d’une législation fédérale applicable. L’article 23 de la Loi sur la Cour fédérale exige que la demande de redressement soit faite en vertu de pareille loi. Cette exigence n’étant pas remplie en l’espèce, les jugements des tribunaux d’instance inférieure doivent être infirmés.

Arrêts discutés: Consolidated Distilleries Ltd. c. Con­solidated Corporation Ltd., [1930) R.C.S. 531; Con­solidated Distilleries Ltd. c. Le Roi, [1933] A.C. 508 infirmant [1932] R.C.S. 419; arrêts mentionnés: La Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. NorMin Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322; Johannesson c. West St-Paul, [1952] 1 R.C.S. 292; Camp­bell-Bennett Ltd. e. Comstock Midwestern Ltd., [1954] R.C.S. 207.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] ayant confirmé le jugement de la Cour fédérale, première instance, et jugé que la Cour fédérale était compétente pour entendre le litige. Pourvoi accueilli.

Peter M. Laing, e.r., et Graham Nesbitt, pour les appelants.

C. R. O. Munro, c.r., pour les intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF—Les appelantes en l’espèce agissent en défense dans une action en dommages-intérêts, intentée par les intimées devant la Cour fédérale du Canada, pour inexécution d’une obligation

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contractuelle de construire une gare maritime à Baie Comeau (Québec) qui devait être terminée le 15 mai 1975. Cette obligation résulte d’un contrat du 22 janvier 1974 et de deux con­trats accessoires datés des 13 février et 26 mars 1974. Le préambule du contrat daté du 22 janvier 1974, intitulé «Articles de l’accord», se lit comme suit:

[TRADUCTION] Les articles suivants consistent dans une entente relative à l’exploitation de bacs porte-trains pour transporter du papier-journal de Quebec North Shore Paper Company, entre Baie Comeau (Québec) et la ville de Québec, devant être acheminé à New York (État de New York) et Chicago (État de l’Illinois) et d’autres destinations, et pour le transport de marchandi­ses diverses en provenance et à destination d’endroits situés sur la rive nord du Saint-Laurent; leur but est de définir les obligations et responsabilités de Québec North Shore Paper Company, Canadien Pacifique Limi­tée, Quebec & Ontario Transportation Company Lim­ited et Incan Ships Limited, dans la mise en œuvre de ce projet.

Ce document détaillé prévoit, comme le paragrahe [sic] précité l’indique, l’exploitation de navires pour acheminer du papier-journal, produit à Baie Comeau par Quebec North Shore Paper Company Limited, à destination de divers endroits aux États-Unis. La construction d’une gare maritime à Baie Comeau était un élément essentiel du projet. Alléguant qu’elles avaient respecté leurs obliga­tions en vertu des contrats mais que, le 14 mars 1975, les appelantes avaient manqué à leurs enga­gements et n’avaient même pas commencé la cons­truction de la gare maritime, les intimées ont introduit, à cette date, une action en dommages-intérêts et réclamé l’annulation des contrats.

Les appelantes ont contesté la compétence de la Cour fédérale alléguant que l’action aurait dû être introduite devant la Cour supérieure du Québec, d’autant plus que les contrats prévoyaient qu’ils devaient être interprétés conformément aux lois du Québec, où ils avaient été conclus. Trois des quatre parties à l’action, une appelante et deux intimées, ont leur siège social au Québec; la seconde appelante, Québec & Ontario Transportation Company Limited a son siège social en Ontario. Le juge Addy a rejeté l’argument contestant la

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compétence de la Cour fédérale et son jugement a été maintenu en Cour d’appel fédérale.

La question de compétence dépend de la signifi­cation et de l’application de l’art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, 2e Supp., c. 10, compte tenu des contrats qui ont donné naissance aux réclamations. L’article de 23 se lit comme suit:

23. La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu’autrement, dans tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu d’une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d’aéronautique ou d’ouvrages et entreprises reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province, sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l’objet d’une attribution spéciale.

Dans la version française de cet article, le second «autrement» est suivi d’une virgule et, à mon avis, cela signifie que le terme se rapporte à l’expression «loi du Parlement du Canada». Je souligne que si la thèse des intimées est soutenable, le Parlement aurait alors évidemment le pouvoir de conférer à la Cour fédérale une compétence exclusive à l’égard de ce que vise l’art. 23.

Il faut d’abord analyser l’art. 23 à la lumière de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britan­nique, seule disposition qui autorise le Parlement du Canada à établir des tribunaux de première instance et d’appel en plus de permettre la création de cette Cour. Voici le texte de l’art. 101:

101. Nonobstant toute disposition du présent acte, le Parlement du Canada pourra à l’occasion, pourvoir à l’institution, au maintien et à l’organisation d’une cour générale d’appel pour le Canada, ainsi qu’à l’établissement d’autres tribunaux pour assurer la meilleure exécu­tion des lois du Canada.

Aux fins de la présente affaire, les termes perti­nents sont «exécution des lois du Canada». Lorsque l’art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale parle d’une demande de redressement faite «en vertu d’une loi du Parlement du Canada ou autrement», on ne

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peut donner à ces termes une interprétation qui leur ferait dépasser la portée de l’expression «exé­cution des lois du Canada» à l’art. 101.

En l’espèce, le redressement réclamé ne l’est pas en vertu d’une loi du Parlement du Canada. La question de la compétence de la Cour fédérale tourne donc autour des termes «ou autrement» employés à l’art. 23 et cela, indépendamment de la question subsidiaire de savoir si la demande se rattache à une matière relevant de la catégorie de sujets énumérés dans la dernière partie de l’art. 23. Selon l’argument des intimées, retenu en première instance et en appel par la Cour fédérale, la com­pétence judiciaire en vertu de l’art. 101 recouvre le même domaine que la compétence législative en vertu de l’art 91. Par conséquent, l’art. 23 doit être interprété de façon à donner compétence à la Cour fédérale dans les domaines énumérés à la fin de l’article et ce, même en l’absence de législation sur ces sujets, si le Parlement a le pouvoir de légiférer à leur égard. On affirme en outre, à l’appui de ce point, qu’il existe une législation applicable régis­sant les demandes de redressement, jusqu’à ce que le Parlement légifère, et que c’est la législation provinciale qui doit, pro tanto, être considérée comme de la législation fédérale. Cette prétention suppose l’incorporation de l’ensemble de la législa­tion provinciale ou son adoption par renvoi afin d’alimenter la compétence de la Cour fédérale en vertu de l’art 23.

L’avocat des intimées a soutenu subsidiairement que la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, fournit un cadre législatif fédéral aux ques­tions litigieuses soulevées en l’espèce. Je ne peux souscrire à cette prétention. Rien dans cette loi ne vise des contrats de construction d’une installation comme celle en cause dans la présente affaire. La compétence de la Cour fédérale doit être examinée sur la base de la question plus vaste soulevée en l’espèce et énoncée ci-dessus.

Les parties reconnaissent qu’il convient d’étudier tout particulièrement, à cet égard, les deux arrêts prononcés l’un par cette Cour dans Consolidated Distilleries Limited c. Consolidated Exporters Corporation Ltd.[2]

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et l’autre par le Conseil privé dans Consolidated Distilleries Limited c. Le Roi[3], infirmant le jugement de cette Cour[4]. Les juge­ments ont trait à deux affaires différentes résultant du même litige, soit la question de savoir si lappe­lante, Consolidated Distilleries Limited, et deux autres, étaient responsables envers la Couronne du chef du Canada pour certains cautionnements déli­vrés relativement à l’exportation de boissons alcoo­liques sur lesquelles la taxe daccise navait pas été acquittée. La Couronne a intenté une poursuite fondée sur les cautionnements devant la Cour de lÉchiquier; on a soulevé la question de la compé­tence pour connaître de laction.

Larrêt rendu par cette Cour, dans la première affaire, portait sur la validité d’une demande en garantie par laquelle la défenderesse, Consolidated Distilleries Limited, réclamait une indemnité de Consolidated Exporters Corporation Ltd. en vertu dun contrat quelles avaient conclu. Le juge Audette de la Cour de lÉchiquier a annulé la demande en garantie et, en appel, sa décision a été confirmée par cette Cour, le juge Newcombe étant dissident. Parlant au nom des autres juges, le juge en chef Anglin a étudié la portée de l’art. 101 en vue de déterminer s’il autorisait le Parlement à donner compétence à la Cour de lÉchiquier relati­vement à un contrat entre sujets, ce qui était l’objet de la demande en garantie. Il a déclaré (à la p. 534):

[TRADUCTION] Notons que les «autres tribunaux» que le Parlement est autorisé à établir en vertu de l’art. 101 sont des tribunaux «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Compte tenu du contexte et des autres dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, l’expression «les lois du Canada» doit viser des lois adoptées par le Parlement fédéral et qui sont de son ressort. Si l’on devait entendre par ces mots, comme on le propose, les lois en vigueur au Canada, l’art. 101 serait d’une portée assez générale pour habiliter le Parlement à créer des tribunaux pouvant connaître de toutes les matières relevant exclusivement de la compé­tence des législatures provinciales, y compris «la pro­priété et les droits civils» dans les provinces, .. .

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Après audition de l’affaire au fond, la Cour de l’Échiquier a décidé que la Couronne était fondée à recouvrer les montants cautionnés. Cette Cour a confirmé le jugement et a étudié plus en détail la question de la compétence de la Cour de l’Échi­quier. Le juge en chef Anglin a déclaré pour sa part (à la p. 421):

[TRADUCTION] Je n’ai jamais douté que la Cour de l’Échiquier était compétente pour entendre les appels interjetés dans ces affaires.

Si l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britan­nique n’habilite pas le Dominion à conférer à une cour qu’il a établie pour «assurer la meilleure exécution des lois du Canada» la compétence d’entendre et de juger de telles demandes, je ne vois pas quel pourrait être l’objet dudit article.

A mon avis, il ne fait aucun doute que le Parlement du Dominion entendait conférer une telle compétence à la Cour de l’Échiquier, probablement en vertu de l’al. a) de l’art. 30 de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, sinon, certainement clairement en vertu de l’al. d) du même aticle [sic].

Le juge Duff, rendant ses motifs et ceux de deux autres membres de la Cour (le juge Newcombe étant décédé avant le prononcé du jugement), a fait les remarques suivantes (à la p. 422):

[TRADUCTION] Il me semble évident que le Parlement du Canada, en vertu des pouvoirs que lui confère l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, peut accorder à la Cour de l’Échiquier la compétence pour juger des actions comme celles-ci. Je ne doute pas qu’interprétée correctement, l’expression «la meilleure exécution des lois du Canada» comprend notamment l’exécution d’une obligation contractée conformément aux dispositions d’une loi de ce Parlement ou d’un règlement ayant force de loi. Je ne crois pas la question susceptible d’une longue discussion, aussi m’en tien­drai-je à ce que j’ai dit.

En ce qui concerne la compétence de la Cour de l’Échiquier, dans la mesure où elle dépend de l’interpré­tation de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, on peut avancer que ces affaires ne relèvent pas des cas prévus à l’al. A de l’art. 30; cela n’a toutefois aucune importance car ils sont clairement couverts par l’al. D.

Le renvoi par le juge en chef Anglin et par le juge Duff à l’art. 30 de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, S.R.C. 1927, c. 34 est pertinent aux motifs rendus par le Conseil privé dans un pourvoi

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subséquent et il convient donc, à ce stade, de citer cet article.

30. La Cour de l’Échiquier a juridiction concurrente au Canada, en première instance,

a) dans tous les cas se rattachant au revenu où il s’agit d’appliquer quelque loi du Canada, y compris les actions, poursuites et procédures par voie de dénonciation pour l’application in rem, et aussi bien dans les poursuites qui tam pour amendes ou confisca­tions que lorsque la poursuite est intentée au nom de la Couronne seule;

b) dans tous les cas ou il s’agit, à l’instance du procureur général du Canada, de contester ou d’annu­ler un brevet d’invention, ou des lettres patentes, un bail ou quelque autre titre relatif à des terres;

c) dans tous les cas où une demande est faite ou un recours est cherché contre un fonctionnaire de la Couronne pour une chose faite ou omise dans l’accom­plissement de ses devoirs comme tel; et,

d) dans toutes autres actions et poursuites d’ordre civil, en common law ou en equity, dans lesquelles la Couronne est demanderesse ou requérante.

Le Conseil privé a infirmé les jugements des tribunaux d’instance inférieure relativement à l’exécution des cautionnements mais a reconnu la compétence de la Cour de l’Échiquier pour connaî­tre de l’action intentée par la Couronne à leur égard. Traitant de la question de compétence, lord Russell of Killowen a souligné qu’elle dépendait de l’interprétation de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et de la Loi sur la Cour de l’Échi­quier, dont il a analysé les art. 101 et 30 respecti­vement. Il a déclaré (aux pp. 520 et 521):

[TRADUCTION] ...Les appelants, dans leur plaidoyer devant le Conseil, ont reconnu (à juste titre, selon leurs Seigneuries) que le Parlement du Canada pouvait, dans l’exercice du pouvoir conféré par l’art. 101, donner à la Cour de l’Échiquier compétence pour entendre et juger des actions visant à faire sanctionner la responsabilité du signataire d’un cautionnement fait en faveur de la Cou­ronne en vertu d’une loi fiscale adoptée par le Parlement du Canada. La question de compétence se résout ainsi en la question de savoir si la Loi sur la Cour de l’Échiquier est censée conférer la compétence néces­saire. L’article pertinent est l’art. 30 .. .

Le savant Président a jugé que la Cour de l’Échiquier avait compétence dans la mesure où le cautionnement devait être fourni aux termes d’une loi adoptée par le Parlement du Canada relativement à un sujet relevant

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clairement de sa compétence législative. L’objet des actions découlait directement d’une loi du Parlement portant sur l’accise.

Le juge en chef était d’avis que les affaires tombaient clairement sous le coup de l’art. 30d) et probablement aussi de l’art. 30a). Le juge Duff, tout en exprimant ses doutes quant à l’application de l’al. a), était convaincu que les affaires relevaient de l’al. d).

Leurs Seigneuries voudraient éviter d’exprimer des opinions générales sur l’étendue de la compétence confé­rée par l’art. 30, préférant s’en tenir à ce qui est nécessaire au règlement du litige. Il faut juger chaque cas en fonction des faits et des circonstances qui lui sont particuliers. En l’espèce leurs Seigneuries se rendent compte qu’il peut exister une difficulté en ce qui concerne l’al. a). Bien que ces actions soient assurément des «cas se rattachant au revenu» on pourrait peut-être dire qu’il ne s’agit pas d’appliquer une loi du Canada. Cepen­dant leurs Seigneuries ont conclu que ces actions relè­vent de l’al. d). On a avancé qu’interprété de façon littérale, sans aucune restriction, cet alinéa autoriserait la Couronne à poursuivre devant la Cour de l’Échiquier et à soumettre à la compétence de la Cour les défen­deurs dans toute cause d’action, et qu’une telle disposi­tion serait ultra vires du Parlement du Canada parce qu’elle ne relèverait pas des pouvoirs conférés par l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Tou­tefois, leurs Seigneuries estiment que, vu son contexte, on ne peut considérer l’al. d) comme exempt de toutes restrictions. Elles pensent qu’étant donné les dispositions des trois alinéas précédents, les actions et poursuites envisagées à l’al. d) se limitent à des actions portant sur des matières ressortissant au pouvoir législatif du Domi­nion. Interprété de cette façon, l’alinéa en question ne serait pas ultra vires, et il semble à leurs Seigneuries que les présentes actions entrent dans son domaine d’application. En conséquence, la Cour de l’Échiquier avait compétence en l’espèce.

Le juge en chef Anglin, dans la première affaire Consolidated Distilleries, puis le juge Duff dans la seconde, ont tous deux considéré que l’expression «lois du Canada», à l’art. 101, visait, pour l’un, les [TRADUCTION] «lois adoptées par le Parlement» et l’autre, [TRADUCTION] «l’exécution d’une obliga­tion contractée conformément aux dispositions d’une loi (du) ... Parlement». De même, dans la seconde affaire Consolidated Distilleries, le Con­seil privé parlait du pouvoir découlant de l’art. 101, de donner compétence à la Cour de l’Échi­quier relativement à des actions portant sur les

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cautionnements faits en faveur de la Couronne [TRADUCTION] «en vertu d’une loi fiscale adoptée par le Parlement du Canada». En outre, dans cet arrêt, le Comité judiciaire a indiqué qu’il pouvait être difficile d’assujettir l’affaire à l’art. 30a) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier car, bien que les actions aient été des (cas se rattachant au revenu», on pouvait dire qu’il ne s’agissait pas d’appliquer une loi du Canada. Cela est conforme aux remar­ques précitées du juge en chef Anglin et du juge Duff.

Toutefois, on insiste sur ce qu’a dit le Conseil privé sur l’application de l’art. 30d) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, qui donne compétence à la Cour de l’Échiquier en matière d’actions d’ordre civil dans lesquelles la Couronne est demanderesse ou requérante. Je ne considère pas que sa déclara­tion selon laquelle [TRADUCTION] «les actions .. . envisagées à l’al. d) se limitent à des actions portant sur des matières ressortissant au pouvoir législatif du Dominion» fasse plus qu’exprimer une restriction quant à l’étendue des domaines à l’égard desquels la Couronne du chef du Canada peut intenter une action comme demanderesse devant la Cour de l’Échiquier. La Couronne devrait de toute façon fonder son action sur une loi qui serait fédérale aux termes de cette restriction. Il est bon de rappeler que le droit relatif à la Couronne a été introduit au Canada comme partie du droit constitutionnel ou du droit public de la Grande-Bretagne; on ne peut donc prétendre que ce droit est du droit provincial. Dans la mesure où la Couronne, en tant que partie à une action, est régie par la common law, il s’agit de droit fédéral pour la Couronne du chef du Canada, au même titre qu’il s’agit de droit provincial pour la Cou­ronne du chef d’une province, qui, dans chaque cas, peut être modifié par le Parlement ou la législature compétente. Il n’est pas question en l’espèce de droit de la Couronne.

Le juge Addy n’a pas étudié l’effet de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique sur l’art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale. Il semble avoir présumé qu’il avait compétence si l’entreprise prévue dans l’accord relevait du pouvoir législatif fédéral. Comme je l’ai déjà souligné, il lui fallait d’abord conclure que la demande de redressement

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était faite «en vertu d’une loi du Parlement du Canada ou autrement». En Cour d’appel fédérale, le jugement rendu par le juge LeDain, rédigé en son nom et au nom du juge Ryan, le juge Thurlow (tel était alors son titre) ayant rendu des motifs concomitants, formule également la question .. en litige sans tenir compte de l’expression susmentionnée:

Il s’agit donc de trancher la question de savoir si la demande de redressement en l’espèce se rattache à une matière tombant dans la catégorie des «ouvrages et entreprises reliant une province à une autre ou s’éten­dant au-delà des limites d’une province».

Cependant, le juge LeDain examine alors le sens des termes «ou autrement» qui signifient à son avis «toute autre loi faisant partie des «lois du Canada» au sens de l’art. 101 de lActe de l’A.N.B.». Puis vient un passage sur lequel se fonde l’avocat des intimées:

... L’expression «lois du Canada», au sens de l’art. 101 de l’Acte de l’A.N.B., comprend non seulement les lois fédérales existantes mais aussi toutes lois que le Parlement peut validement édicter, modifier ou abroger. Consolidated Distilleries Limited c. Le Roi, [1933] A.C. 508. Dans cet arrêt, les intimées ne fondaient pas leur demande de redressement sur une loi fédérale mais sur le droit civil des obligations du Québec. Les contrats litigieux prévoyaient tous qu’on devait les interpréter et les analyser, de même que toute controverse soulevée à leur égard, conformément aux lois de la province du Québec. Dans la mesure où le droit civil du Québec s’applique à une matière tombant sous la compétence législative fédérale à l’égard d’une entreprise extra-pro­vinciale aux termes de l’art. 92(10)a) de l’Acte de l’A.N.B., il fait partie des lois du Canada au sens de l’art. 101 de l’Acte de l’A.N.B., car le Parlement du Canada pourrait l’édicter, le modifier ou l’abroger. En d’autres termes, le Parlement peut légiférer en matière de contrats dans les domaines relevant de sa compétence à l’égard de ces entreprises.

Je ne partage pas son opinion selon laquelle «dans la mesure où le droit civil du Québec s’appli­que à une matière tombant sous la compétence législative fédérale ... il fait partie des lois du Canada au sens de l’art. 101 de l’Acte de l’A.N.B., car le Parlement du Canada pourrait l’édicter, le modifier ou l’abroger». Je ne vois pas comment des

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lois provinciales peuvent être modifiées ou abro­gées par le Parlement, même si elles portent sur un domaine relevant de la compétence fédérale, à moins d’être auparavant adoptées ou promulguées en tant que lois fédérales. A mon avis, il serait tautologique de dire à propos de l’expression «ou autrement» que du seul fait que les lois du Québec s’appliquent à la présente demande de redressement, comme ce serait manifestement le cas si l’action était portée devant la Cour supérieure du Québec, ces lois font partie des lois du Canada, sans même avoir été promulguées comme lois fédé­rales ni adoptées par renvoi.

Il convient de rappeler que lorsqu’une loi provin­cial s’applique à des litiges concernant des person­nes ou des compagnies engagées dans une entreprise relevant de la compétence fédérale, c’est parce qu’elle est en elle-même valide: voir La Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. NorMin Supplies Ltd.[5] La législation provinciale ne peut entrer en conflit avec l’intégrité des entreprises relevant de la compétence régle­mentaire fédérale: voir Johannesson c. West St. Paul[6]. En outre, si la législation provinciale est de portée générale, elle devra être interprétée de façon à ne pas s’appliquer à ces entreprises: voir Campbell-Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd.[7] Si la loi est en elle-même valide et applica­ble, comme c’est de toute évidence le cas pour la loi du Québec en l’espèce (les parties ont en effet convenu que leur contrat serait régi par les lois du Québec), elle ne constitue pas une loi fédérale et ne peut être transposée dans le droit fédéral afin de donner compétence à la Cour fédérale. Il y a compétence en vertu de l’art. 23 si la demande de redressement relève du droit fédéral existant et non autrement.

Il convient également de souligner que l’art. 101 ne traite pas de la création des tribunaux pour connaître des sujets relevant de la compétence législative fédérale, mais «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Le terme «exécu­tion» est aussi significatif que le mot pluriel «lois». LA mon avis, ils supposent tous deux l’existence

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d’une législation fédérale applicable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la Couronne, sur lesquels la Cour fédérale peut fonder sa compétence.. L’article 23 exige que la demande de redressement soit faite en vertu de pareille loi. Cette exigence n’étant pas remplie en l’espèce, j’accueille le pourvoi, j’infirme les jugements des tribunaux d’instance inférieure et je déclare que la Cour fédérale n’a pas compé­tence pour connaître des réclamations des inti­mées. Les appelantes ont droit à leurs dépens devant tous les tribunaux.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelantes: Weldon, Courtois, Clarkson, Parsons & Tétrault, Montréal.

Procureurs des intimées: Gadbois, Joannette & Durand, Montréal.

 



[1] [1976] 1 C.F. 646.

[2] [1930] R.C.S. 531.

[3] [1933] A.C. 508.

[4] [1932] S.C.R. 419.

[5] [1977] 1 R.C.S. 322.

[6] [1952] 1 R.C.S. 292.

[7] [1954] R.C.S. 207.

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