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Cour suprême du Canada

Responsabilité délictuelle—Passing off—Formes traditionnelle et «élargie»—Réseau de ventes composé de concessionnaires agréés—Montres identiques, portant la même marque de commerce, vendues en dehors de ce réseau—Impossibilité pour les vendeurs non agréés d’assurer la garantie du fabricant et les moyens de promotion des ventes—Injonction interlocutoire imposant au vendeur non agréé d’aviser le public quant à la garantie—Injonction permanente interdisant au vendeur non agréé de faire de la publicité pour le produit ou de le vendre—Interdiction justifiée ou non par le délit civil de passing off.

L’intimée, distributrice agréée des montres Seiko au Canada, introduit une action visant à empêcher l’appelante de vendre les montres de cette marque tant qu’elle ne serait pas concessionnaire agréé. L’appelante avait vendu des montres Seiko légalement obtenues à l’extérieur du Canada par l’intermédiaire d’un concessionnaire agréé qui vendait en dehors du réseau de distribution. L’intimée ne reconnaissait pas la garantie accompagnant ces montres. L’appel de l’appelante a porté uniquement sur le paragraphe de l’injonction permanente qui lui interdit de faire de la publicité au Canada relativement aux montres Seiko ou de les y vendre. La Cour d’appel a retenu la conclusion du juge de première instance, savoir que le produit en cause est composé non seulement de la montre, mais aussi du guide de l’usager, du service fourni au moment de la vente, de la garantie et du service après vente. L’intimée, bien qu’elle ne soit ni un usager inscrit ni un cessionnaire de fa marque de commerce «Seiko», fait valoir que les ventes de l’appelante, malgré les avis publics, engen-

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drent de la confusion sur le marché; son argument se limite donc au délit civil de passing off (aussi bien dans sa forme traditionnelle que dans sa forme aélargie»).

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Ni la théorie traditionnelle du passing off ni la théorie élargie ne s’applique aux accessoires (y compris la garantie) qui se rattachent à un produit. En l’espèce, on n’a pas satisfait aux exigences fondamentales de la théorie traditionnelle et l’extension de celle-ci entraînerait des conséquences juridiques surprenantes. La confusion sur le marché, élément nécessaire à l’application de la théorie traditionnelle, n’existait plus après l’affichage, conformément à l’injonction interlocutoire, d’avis expliquant ce qui en était de la garantie. De plus, le simple recours à un moyen quelconque pour promouvoir les ventes comme le service après vente ne permet pas de distinguer des montres par ailleurs identiques. Élargir la doctrine de manière à comprendre ce type de circonstances aurait pour effet de créer des monopoles semblables à ceux créés par les brevets, et ce simplement parce que seuls les concessionnaires agréés seraient en mesure d’offrir le «produit au complet». Ce serait en outre un dur coup porté à la théorie relative aux restrictions à la liberté du commerce et au concept de la libre concurrence parce que cela équivaudrait à reconnaître implicitement à un individu qui vend un produit le droit d’imposer des restrictions à la vente, par une autre personne, de biens meubles identiques légitimement acquis. La «théorie élargie» du passing off formulée par certains tribunaux exige tout au moins qu’il y ait une fausse déclaration qui puisse porter préjudice au commerce ou à l’achalandage d’un commerçant et lui cause des dommages. Au cours de la période qui a suivi le prononcé de l’injonction interlocutoire, cette condition n’a pas été remplie.

Qu’elles se vendent à l’intérieur ou à l’extérieur du réseau des concessionnaires, les montres sont identiques puisqu’elles portent la marque de commerce Seiko qui les distingue des autres produits de ce genre. Qui plus est, les garanties ont le même effet juridique. Quoiqu’on n’honore pas la garantie lorsque la montre a été vendue hors du réseau, ni le fabricant japonais ni le distributeur canadien n’ont l’obligation de l’honorer dans le cas d’une montre achetée à l’intérieur du réseau. En effet, à défaut de contrat avec le fabricant (qui, dans la pratique, indemnise l’intimée des frais entraînés par les réparations qu’elle a effectuées), la situation juridique de l’intimée à l’égard de la garantie ne diffère aucunement de celle des personnes qui vendent en dehors du réseau.

Jurisprudence: distinction faite avec les arrêts: Erven Warnink BV v. J. Townend & Sons (Hull) Lid., [1979] 2 All E.R. 927; A.G. Spalding & Bros. v. A.W.

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Gamage Ltd. (1915), 32 R.P.C. 273; Bollinger v. Costa Brava Wine Co. (No. 1), [1959] 3 All E.R. 800, [1960] R.P.C. 16; arrêts mentionnés: Nordenfelt v. Maxim Nordenfelt Guns and Ammunition Co., [1894] A.C. 535; Attorney General of Australia v. Adelaide Steamship Co., [1913] A.C. 781; Millington v. Fox (1838), 3 M. & Cr. 338; Perry v. Truefitt (1842), 6 Beav. 66, 49 E.R. 749; Cellular Clothing Co. v. Maxton & Murray, [1899] A.C. 326; Bollinger v. Costa Brava Wine Co. (No. 2), [1961] 1 All E.R. 561, [1961] R.P.C. 116; Inland Revenue Commissioners v. Muller & Co.’s Margarine, Ltd., [1901] A.C. 217; Draper v. Trist, [1939] 3 All E.R. 513; Morris Motors, Ltd. v. Lilley, [1959] 3 All E.R. 737; Remington Rand Ltd. v. Transworld Metal Co., [1960] R.C. de l’É. 463.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 128 D.L.R. (3d) 767, 34 O.R. (2d) 481, 60 C.P.R. (2d) 222, qui a rejeté un appel d’un jugement du juge J. Holland. Pourvoi accueilli.

Benjamin Zarnett et Joel Wiesenfeld, pour l’appelante.

J.M. Roland, c.r., et B.G. Morgan, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE ESTEY—L’intimée a introduit en Cour suprême de l’Ontario une action visant à empêcher la défenderesse-appelante de vendre des montres Seiko au Canada, du moins tant que celle-ci ne sera pas concessionnaire agréé de l’intimée. Les montres en cause sont des montres à quartz fabriquées au Japon par K. Hattori & Company Limited ou pour son compte et commercialisées par elle partout dans le monde par un réseau de distribution formé de distributeurs agréés et des concessionnaires agréés qui en dépendent. Au Canada, le distributeur agréé est l’intimée dont la société mère, Seiko Time Corporation, remplit les mêmes fonctions aux États-Unis. Seiko Time Corporation est une filiale en propriété exclusive de Hattori. Ainsi, par l’intermédiaire de sa distributrice américaine, Hattori possède et contrôle l’intimée. Hattori est la titulaire inscrite de la marque de commerce «Seiko» employée à l’égard de [TRADUCTION] «montres, horloges, chronographes, dispositifs de commutation et de pièces détachées

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pour ces marchandises». La marque de commerce a été renouvelée le 30 juin 1976 après que Hattori eut, dans une lettre en date du 23 juin 1975, nommé l’intimée distributrice agréée pour le Canada. Aux termes de cette lettre, l’intimée est

[TRADUCTION] …distributrice exclusive au Canada de montres et d’horloges de marque «SEIKO» et, en cette qualité, jouit du droit exclusif pour le Canada de distribuer ces montres et horloges à des concessionnaires agréés et de nommer ces concessionnaires.

Hattori n’a pas fait de l’intimée un usager inscrit de la marque de commerce au sens de la Loi sur les marques de commerce S.R.C. 1970, chap. T-10; de plus, Hattori, la titulaire de la marque de commerce, n’est pas demanderesse en l’espèce. Il va sans dire que l’intimée n’a pas nommé l’appelante, Consumers Distributing Company Limited, concessionnaire agréé de produits de marque Seiko au Canada.

Dans le courant de 1978, l’appelante a commencé à importer des montres Seiko et à les vendre au détail. Elle avait obtenu ces montres légalement d’une source en dehors du Canada. Or, il se dégage du dossier que cette source est un distributeur agréé de Hattori qui vend des montres de marque Seiko à l’extérieur du réseau de distribution agréé, c’est-à-dire à des clients qui, comme l’appelante, ne sont pas des concessionnaires Seiko agréés. Dans le dossier, on donne à ce distributeur le nom de [TRADUCTION] «détourneur». Les parties conviennent que les montres proviennent de Hattori ou de son fabricant et fournisseur agréé au Japon et que l’appelante les reçoit dans leur emballage initial, accompagnées d’un guide de l’usager et d’une garantie portant le nom de Hattori. En bref, il s’agit de montres qui sont identiques aux produits Seiko distribués par l’intimée.

Cette garantie, placée dans les boîtes dans lesquelles l’appelante reçoit les montres, est décrite au dossier comme une garantie pour la distribution et la vente de montres Seiko aux États-Unis. En voici le texte:

Votre montre quartz SEIKO est garantie pour un an à compter de la date d’achat.

Puis, le certificat de garantie dit à l’acheteur que des services de réparation ne peuvent être obtenus

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«qu’aux Centres de service SEIKO indiqués à la page suivante». Parmi ces centres d’entretien on trouve le suivant:

Canada            285 YORKLAND BOULEVARD,

                          WILLOWDALE, ONTARIO M2J 1S8

                          Tél: (416) 496-2221—TELEX: 06-966801

                          CABLE: TORSEIKO TORONTO

Il s’agit là apparemment de l’adresse du lieu d’affaires de l’intimée.

Fait pertinent, le certificat de garantie joint à chaque montre reçue par l’intimée est délivré au nom de Hattori et est ainsi conçu:

[TRADUCTION] Nous certifions que votre montre SEIKO a été fabriquée par le groupe industriel SEIKO et qu’elle est garantie pendant un an à compter de la date d’achat. Au cours de cette période, toute défectuosité dans les matériaux et dans la fabrication sera réparée gratuitement, exception faite des dommages causés par accident ou par manque de soins. Pour faire réparer votre montre SEIKO, veuillez la faire parvenir au centre de service SEIKO agréé ou à l’agent de service SEIKO agréé le plus proche, en indiquant la date d’achat et la nature des réparations requises.

Le certificat se termine avec l’avis suivant:

IMPORTANT

2. Le présent certificat n’est pas valable lorsqu’il n’a pas été convenablement rempli par le distributeur.

Dans le livret qui accompagne les montres vendues par l’appelante (et remis à chaque acheteur au détail), l’avertissement est formulé différemment. Il s’agit de la formule de garantie 101 établie par Hattori en vue de son utilisation aux États-Unis. Cette garantie est ainsi conçue:

[TRADUCTION] Afin de bénéficier du service sous garantie, faire parvenir votre montre ainsi que la formule de réparation sous garantie, la page 13 du présent livret, dûment remplie par le concessionnaire SEIKO agréé auquel la montre a été achetée, soit une autre preuve de la date d’achat, à n’importe quel membre du réseau mondial de service SEIKO.

D’après la preuve produite en première instance, le centre de service n’effectuera les réparations que si le livret a été rempli par un concessionnaire agréé

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au moment de la vente. L’intimée a donné aux centres de service la consigne de refuser les autres montres. Il ressort du dossier que, sauf dans le cas des montres vendues au Canada, il n’existe aucun moyen sûr par lequel l’intimée peut déterminer si la montre a bien été vendue par un concessionnaire agréé quelque part dans le monde. C’est l’intimée qui supporte les frais de réparations effectuées sous garantie pour les montres vendues au Canada. L’intimée peut apparemment réclamer auprès de Hattori le remboursement de ces frais dans le cas de montres vendues par des concessionnaires agréés ailleurs, mais, dans la pratique, elle n’a jamais exercé ce droit. Le dossier ne dit pas si l’intimée a essayé de se faire rembourser par Hattori lorsqu’elle a exécuté la garantie à l’égard de montres Seiko vendues par l’appelante ou par d’autres marchands qui n’étaient pas des concessionnaires Seiko agréés.

En définitive, même si on ne connaît pas la provenance des montres détournées vendues au détail au Canada par l’appelante, il se dégage incontestablement de la preuve que ces montres provenaient, par l’intermédiaire d’un vendeur hors du Canada, du réseau de distribution mondial Seiko, que ce sont de véritables montres Seiko fabriquées par Hattori ou par ses fournisseurs, et que l’appelante n’est pas un concessionnaire Seiko agréé par l’intimée pour la vente de montres Seiko au Canada.

L’intimée a entamé en janvier 1979 des procédures visant à obtenir les deux sortes d’injonction suivantes:

[TRADUCTION]

a) une injonction interlocutoire et une injonction permanente pour empêcher la défenderesse d’acquérir des montres «Seiko», de faire de la publicité à leur égard et de les vendre;

b) subsidiairement, une injonction interlocutoire et une injonction permanente pour empêcher la défenderesse de se présenter comme un concessionnaire agréé de la demanderesse en faisant de la publicité pour les montres «Seiko» couvertes par la garantie internationale et en les vendant comme telles;

Aux termes d’une injonction interlocutoire prononcée en février 1979, et modifiée au mois de mars,

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et en attendant l’issue du procès ou tout autre règlement définitif de l’action, on a:

a) empêché l’appelante de se présenter comme un concessionnaire agréé de l’intimée en faisant de la publicité pour les montres Seiko couvertes par la garantie internationale et en les vendant comme telles;

b) ordonné à l’appelante d’afficher dorénavant dans tous les catalogues de ses magasins, dans les vitrines où sont exposées les montres Seiko et aussi dans toute publicité future relativement à ces montres, un avis permanent qu’elle n’est pas un concessionnaire agréé, que, les montres Seiko vendues par elle ne proviennent pas de l’intimée et qu’elles ne sont pas couvertes par la garantie internationale de l’intimée; et,

c) ordonné à l’appelante de ne pas délivrer ou distribuer de livrets de garantie de Seiko. (Cet alinéa ne figure toutefois pas dans l’injonction permanente rendue à l’issue du procès.)

Aux termes de l’injonction modifiée, l’appelante devait afficher l’avis suivant:

[TRADUCTION] Consumers Distributing n’est pas un «concessionnaire agréé» choisie par Seiko Time Canada Ltd. pour vendre des montres Seiko au Canada. Malgré la ressemblance entre les modèles de montres vendues par Consumers Distributing et ceux distribués au Canada par Seiko Time Canada Ltd. ou par des distributeurs Seiko ailleurs dans le monde, ils ne proviennent pas de Seiko Time Ltd. et ne sont pas protégées par la «garantie internationale», car Seiko Time Canada Ltd. a refusé d’honorer toute forme de garantie Seiko accompagnant nos montres Seiko.

Le procès a débuté en avril 1980 et la preuve a alors porté sur l’effet de la vente de montres Seiko par l’appelante sur l’entreprise de l’intimée et la confusion occasionnée, aussi bien à l’intérieur du réseau de distribution de l’intimée que parmi les consommateurs en général, par les activités de l’appelante. Dans le cas des consommateurs, les témoignages indiquent que cette confusion s’est dissipée à partir du 31 mars 1979, date où l’injonction interlocutoire précitée est entrée en vigueur et date où l’appelante a commencé à s’y conformer.

[Page 590]

Dès le début du procès, l’appelante a déclaré qu’elle ne s’opposait pas à ce que l’injonction interlocutoire provisoire soit rendue permanente. L’appelante a en outre abandonné tout argument selon lequel les montres vendues par elle pourraient être réparées par l’intimée pendant la durée de la garantie, si la formule de réparation sous garantie à la p. 13 du livret de garantie était dûment remplie de manière à indiquer une «autre preuve de la date d’achat». À l’issue du procès, on a rendu en faveur de l’intimée un jugement comportant les éléments suivants:

1. Une injonction permanente empêchant l’appelante:

[TRADUCTION] …de se présenter comme un concessionnaire Seiko agréé par la demanderesse en faisant de la publicité pour les montres «Seiko» couvertes par la garantie internationale et en les vendant comme telles;

2. Une injonction permanente empêchant l’appelante:

[TRADUCTION] …de faire de la publicité pour les montres «Seiko» ou de les vendre au Canada;

3. Des dommages-intérêts de 5 000 $ ont été accordés à l’intimée.

En Cour d’appel, l’appelante n’a contesté ni l’injonction décrite au paragraphe 1 ci-dessus ni l’attribution de dommages-intérêts; son appel portait uniquement sur l’injonction décrite au paragraphe 2.

L’arrêt de la Cour d’appel a été inscrit au dossier [(1981), 128 D.L.R. (3d) 767, à la p. 768]. En voici le texte:

[TRADUCTION] Appel rejeté avec dépens pour les motifs donnés par le juge de première instance. Nous retenons en particulier sa conclusion que la demanderesse ne vendait pas qu’une montre. Nous sommes convaincus qu’en l’espèce, une injonction qui reprendrait simplement les termes du par. 1 du jugement permettrait à l’appelante de continuer à profiter de la clientèle de la demanderesse et lui permettrait aussi de tromper le public.

La déclaration allègue qu’il y a eu des déclarations fausses ou que l’appelante s’est fait passer pour un concessionnaire agréé par l’intimée et, d’autre part, que l’appelante a fait du passing off

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contrairement à la Loi sur les marques de commerce, al. 7c) et à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, al. 36(1)a) et c). Toutefois, en cette Cour, l’intimée se limite au délit civil de passing off. L’intimée se fonde à la fois sur l’action traditionnelle en passing off et sur la variante moderne de cette action qu’on appelle parfois dans la jurisprudence la «théorie élargie» du passing off. Elle invoque à l’appui de son point de vue une série de conclusions tirées par le savant juge de première instance, d’où il ressort d’une façon générale (j’y reviendrai en détail plus loin) que la montre Seiko commercialisée par l’intimée est un produit qui comprend quatre éléments, savoir:

1. la montre elle-même;

2. le service fourni au point de vente et le guide de l’usager;

3. la garantie dûment remplie par un concessionnaire agréé et;

4. le service après vente.

Par conséquent, le juge de première instance a conclu [(1980), 112 D.L.R. (3d) 500] que, par la vente de la montre nue, sans les trois autres éléments, l’appelante a engendré de la confusion sur le marché et a nui à l’achalandage que l’intimée avait acquis par la vente du produit dans son ensemble grâce à son réseau étendu de distribution et de service après vente. Le juge de première instance a conclu que l’appelante, pour sa part, ne faisait pas de publicité pour ce produit et ne le vendait pas, mais se limitait à la vente de la montre nue, ce qui avait pour conséquence de [TRADUCTION] «causer vraisemblablement de la confusion dans l’esprit du public…» Si la demanderesse-intimée a obtenu gain de cause au procès, cela tient à la conclusion que l’intimée s’est constitué un achalandage pour la montre Seiko en raison de la vente et de la distribution de ce produit de la manière déjà indiquée. L’intimée y est parvenue grâce à des centres de service après vente, à des programmes de formation en vente et en choisissant ses concessionnaires agréés parmi [TRADUCTION] «Seules les bijouteries de premier ordre ou les grands magasins». De plus, elle dépense [TRADUCTION] «des sommes importantes chaque année pour la publicité nationale et a soutenu financière-

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ment la publicité locale entreprise par ses concessionnaires agréés». Le succès qu’a connu l’intimée se dégage des états financiers produits en preuve. D’un autre côté, le juge de première instance a conclu que l’appelante n’offrait à ses clients aucun service après vente ni aucun service de réparation et qu’elle ne vendait qu’un éventail restreint de onze modèles de la montre Seiko comparativement aux 250 modèles des concessionnaires agréés. Le savant juge de première instance a tiré en outre la conclusion suivante:

[TRADUCTION] C’est sur ce produit avec chacun de ses éléments que sont fondés la réputation de Seiko au Canada et les liens d’achalandage qui en sont nés entre la demanderesse, ses concessionnaires et les consommateurs.

En contraste avec le produit ainsi commercialisé par l’intimée, le savant juge de première instance a conclu que:

[TRADUCTION] La défenderesse n’offre pas le même produit, car elle n’a pas de personnel de vente qui connaît cette montre, ni aucun service sur place. Par ailleurs, elle est dans l’impossibilité de délivrer une garantie valide et ne fournit aucun service après vente. Je conclus que le produit offert par la défenderesse est différent. N’étant pas un concessionnaire agréé, la défenderesse ne peut remplir le livret de garantie. Il est donc évident que, dans l’esprit du public, cela portera vraisemblablement à confusion. Même si la montre et le livret de garantie vendus et distribués par la défenderesse sont bien de K. Hattori, le produit de la demanderesse n’en n’est pas moins différent en raison des divers éléments dont il se compose.

Antérieurement, le savant juge de première instance avait conclu:

[TRADUCTION] Les personnes qui achetaient des montres Seiko chez Consumers pouvaient bien croire qu’elles achetaient le «produit» offert par un concessionnaire Seiko agréé et que Seiko Time Canada avait ainsi agréé Consumers.

Le juge de première instance s’écarte un peu de ce thème lorsqu’il aborde la question du droit d’utiliser le mot «Seiko». En effet, il dit:

[TRADUCTION] La demanderesse a pu me convaincre que, grâce à ses techniques de commercialisation, elle a établi une entreprise ou un achalandage par l’emploi du nom «Seiko», ce qui mérite d’être protégé même si ce nom n’appartient pas à la demanderesse. Elle fait partie de la catégorie de ceux qui ont droit d’utiliser le nom

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distinctif «Seiko» pour décrire son produit et cela constitue d’ailleurs une partie précieuse de l’achalandage qu’a établi la demanderesse par sa méthode de commercialisation.

Ce sont précisément les techniques de commercialisation qui, en fin de compte, paraissent avoir provoqué la reconnaissance du droit de l’intimée que devait protéger l’injonction qui a suivi. La décision se termine ainsi:

[TRADUCTION] Je conclus en l’espèce:

(1) qu’en laissant croire, comme elle le fait dans son catalogue et dans ses magasins, qu’elle offre des montres Seiko (c’est-à-dire qu’elles comprennent tous les éléments qui, selon moi, se rattachent à ce nom), la défenderesse trompe les consommateurs sur le produit qu’elle vend;…

Bien sûr, l’intimée n’est ni un usager inscrit ni un cessionnaire de la marque de commerce Seiko et la distribution d’un produit désigné par une marque de commerce obtenue légalement n’est pas en soi interdite par la Loi sur les marques de commerce du Canada ni d’ailleurs par la common law. Soit dit en passant, la conclusion que le produit de l’intimée comprend quatre éléments paraît se fonder sur un dédoublement de la garantie et du service après vente, soit les éléments trois et quatre. Pendant la durée de la garantie, le service après vente est fourni gratuitement, sauf lorsque le personnel de l’intimée sait que la montre a été vendue en dehors du réseau de distribution agréé. Par la suite, les réparations se font vraisemblablement au tarif habituel. Il ne semble pas y avoir de distinction valide entre la garantie dûment remplie et le service après vente. En fait, si Hattori supportait les frais d’exécution de la garantie délivrée au moment de la vente initiale de la montre, aucune question ne se serait posée, sauf peut-être celle portant sur l’existence d’un droit découlant du service offert sur place par le concessionnaire agréé par l’intimée. Le fondement juridique de ce droit est pour le moins obscur; d’ailleurs, l’intimée ne l’invoque pas en l’espèce.

L’époque qui nous intéresse aux fins de l’analyse des techniques de commercialisation des parties au présent pourvoi se divise en deux. La première va du moment où l’appelante a commencé à vendre par catalogue et dans ses magasins des montres de

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marque Seiko jusqu’au prononcé de l’injonction interlocutoire le 14 février 1979 ou, au plus tard, jusqu’au 20 mars 1979, date de sa modification. Quant à la seconde période, elle comprend le temps écoulé entre cette date et l’issue du procès. L’appelante ne nie pas qu’au cours de la première période susmentionnée elle vendait des montres Seiko telles qu’elle les avait reçues du distributeur inconnu, c’est-à-dire avec la garantie et dans le même emballage, sans indiquer que la garantie délivrée au nom de Hattori, qui accompagnait la montre, pourrait ne pas être valide au Canada et sans indiquer non plus qu’elle vendait ces montres au Canada sans être concessionnaire agréé ni de l’intimée ni de Hattori. En première instance, l’appelante s’est dite d’accord pour que prenne un caractère permanent l’injonction (décrite ci-dessus comme la première injonction rendue en première instance) demandée à l’alinéa 16b) de la déclaration, qui aurait pour effet d’empêcher en permanence l’appelante de «…se présenter comme un concessionnaire [Seiko] agréé par la demanderesse en faisant de la publicité pour les montres «Seiko» couvertes par la garantie internationale et en les vendant comme telles». Qui plus est, l’appelante n’a pas porté en appel la décision d’accorder 5 000 $ de dommages-intérêts, pour la vente de ces montres au cours de la première période.

Devant cette Cour, l’appelante fait valoir qu’on n’a rien produit en première instance tendant à montrer que, après les injonctions de février et de mars 1979, il y a eu confusion sur le marché du fait que l’appelante a vendu la montre Seiko nue de la manière autorisée par l’injonction provisoire. D’autre part, l’intimée ne nous a rien signalé au dossier qui pourrait être décrit comme une preuve au contraire. Selon l’avocat de l’appelante, celle-ci avait déjà présenté cet argument en Cour d’appel. Or, c’est peut-être en guise de réponse à cet argument que la Cour d’appel a dit:

[TRADUCTION] …une injonction qui reprendrait simplement les termes du par. 1 du jugement permettrait à l’appelante de continuer à profiter de l’achalandage de la demanderesse et lui permettrait aussi de tromper le public.

Il n’existe toutefois aucun élément de preuve à l’appui de cette conclusion.

[Page 595]

Quelle est donc la question soulevée dans ce pourvoi? L’appelante prétend que le seul grief de l’intimée, qui est appuyé par la preuve, est que les montres Seiko ont été mises en vente au Canada dans des circonstances où le public canadien savait que l’intimée n’honorerait pas la garantie internationale et que l’appelante n’était pas un concessionnaire agréé par l’intimée. Celle-ci fait toutefois valoir que, même dans ces conditions, la vente de montres engendre la confusion chez le public ou l’induit en erreur; il s’ensuit, selon l’intimée, que l’injonction absolue empêchant la vente de montres Seiko par l’appelante dans quelques circonstances ou conditions que ce soit constitue un exercice valide du pouvoir qu’a la Cour en vertu des principes du passing off.

Du point de vue pratique, si l’argument de l’intimée devait être retenu, les conséquences en seraient les suivantes:

1. le public canadien se verrait privé du droit ou de la possibilité d’acheter une montre Seiko fabriquée par Hattori au Japon mais non protégée par la garantie du fabricant; et,

2. l’application de la théorie du passing off dans ces circonstances aurait pour effet de créer un monopole semblable à celui qui résulte normalement de la délivrance d’un brevet d’invention en vertu de la Loi sur les brevets du Canada, sauf qu’ici le monopole serait d’une durée illimitée.

Ces conséquences étonnantes requièrent un examen des principes du droit en matière de responsabilité délictuelle afin qu’on puisse déterminer si, dans ces circonstances, il est possible d’appliquer la théorie du passing off qu’on classe parfois sous la tromperie dommageable (injurious falsehood). D’une façon générale, les principes de common law en matière d’échanges et de commerce sont fondés sur une reconnaissance des avantages pour la société d’une concurrence libre et loyale. On en trouve diverses illustrations dans la jurisprudence plus ancienne, par exemple dans l’arrêt Nordenfelt v. Maxim Nordenfelt Guns and Ammunition Co., [1894] A.C. 535 (H.L.), lord Macnaghten, à la p. 565:

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[TRADUCTION] J’estime qu’à l’heure actuelle la théorie à retenir est la suivante: il est de l’intérêt du public et aussi de l’individu que chaque personne exploite librement son commerce. Toute atteinte à la liberté individuelle en matière commerciale et toute pratique restrictive du commerce sont, à défaut d’autres circonstances, en elles-mêmes contraires à l’intérêt public et, partant, nulles.

Dans l’arrêt ultérieur Attorney General of Australia v. Adelaide Steamship Co., [1913] A.C. 781, à la p. 794, lord Parker of Waddington dit au sujet de ce même principe:

[TRADUCTION] Les monopoles et les contrats restrictifs du commerce ont ceci en commun que leur exécution déroge à la common law qui accorde à tout membre de la société le droit d’exploiter le commerce ou l’entreprise de son choix au mieux de ses propres intérêts.

Cette règle générale souffre toutefois des exceptions bien connues et importantes. En effet, il est des circonstances où la loi approuve, voire exige, la restriction de ce droit à la liberté du commerce. C’est notamment le cas des restrictions que les acheteurs de l’achalandage imposent aux vendeurs, des pratiques commerciales trompeuses destinées à porter préjudice à autrui, de l’usage de diffamation à l’endroit d’un commerce ou d’une profession, de l’usage abusif ou déloyal de renseignements commerciaux fournis par un ex-employé, de la protection des secrets commerciaux, des monopoles accordés par un brevet, y compris les lettres patentes couvrant une invention, des monopoles créés par la loi ou des métiers et des professions régis par une réglementation. Il faut se montrer circonspect face à tout élargissement des principes de common law qui porterait atteinte à la liberté de concurrence sur le marche. Ce doit être le chemin de la prudence en ces temps d’intense activité législative où les politiques commerciales de la société sont réexaminées en quasi‑permanence. Toutefois, cela ne signifie aucunement que les tribunaux doivent renoncer à leur rôle d’adaptateur des principes de common law relativement aux pratiques commerciales appropriées aux caractéristiques et aux techniques commerciales en constante évolution. Malgré tout, la réticence à limiter cette règle générale se manifeste même dans l’arrêt Erven Warnink BV v. J. Townend &

[Page 597]

Sons (Hull) Ltd., [1979] 2 All E.R. 927, où lord Diplock écrit à la p. 933:

[TRADUCTION] …mais dans un système économique qui compte sur la concurrence pour empêcher l’escalade des prix et pour favoriser l’amélioration des produits, il peut exister des raisons d’ordre pratique pour lesquelles la common law aurait dû avoir pour politique dé ne pas courir le risque d’entraver la concurrence en accordant des recours civils à tous les commerçants qui par suite de déclarations inexactes, quelles qu’elles soient, que peuvent faire des concurrents relativement à leur propre marchandise, se voient lésés dans leur entreprise ou leur achalandage. Dans le milieu commercial qui a donné naissance à l’action en passing off, la modestie n’avait pas de place. Les annonces publicitaires ne sont pas des affidavits; les affirmations exagérées d’un commerçant quant à la qualité de ses marchandises, les assertions que ses marchandises étaient supérieures à celles de ses concurrents, même s’il sait que c’est faux, ont été acceptées par la common law comme du «battage» véniel qui ne donne à un concurrent aucune cause d’action, quoi qu’il soit en mesure de prouver que cela a nui de façon réelle à son entreprise.

Dans la plus récente édition de Salmond on Torts (17e éd.), aux pp. 400 et 401, le savant auteur discute du passing off en ces termes:

[TRADUCTION] 149. TROMPERIE DOMMAGEABLE: PASSING OFF.

Vendre des marchandises ou exploiter une entreprise sous une dénomination, une marque, une description ou de quelque autre façon de manière à faire à croire au public qu’il s’agit des marchandises ou de l’entreprise d’une autre personne constitue un délit civil donnant matière à des poursuites à la demande de cette autre personne. Cette forme de préjudice, selon la formule assez lourde communément employée, consiste à faire passer ses marchandises ou son entreprise pour celles d’une autre personne et constitue l’exemple le plus important du délit de tromperie dommageable, bien que les règles qui s’y appliquent soient à ce point spéciales qu’il vaut mieux le considérer comme un domaine à part. Si l’on réduit les choses à l’essentiel, il y a passing off dès lors que les marchandises donnent une fausse impression, et que cette impression est destinée à induire en erreur. Dans ce cas, le droit vise à protéger les commerçants contre le type de concurrence déloyale qui consiste à s’approprier, par la tromperie, l’avantage de la réputation qu’ont pu établir des concurrents. Normalement, le défendeur essaie d’en profiter en faisant passer ses marchandises pour celles du demandeur… [C’est moi qui souligne.]

[Page 598]

À la page 403, le savant auteur étudie le fondement du concept du passing off:

[TRADUCTION] Les tribunaux ont hésité entre deux conceptions de l’action en passing off soit en tant que recours en cas de violation du quasi-droit de propriété sur un nom commercial ou une marque de commerce et en tant que recours, analogue à l’action pour tromperie, pour atteinte au droit personnel à une protection contre tout préjudice découlant d’une concurrence frauduleuse. Le véritable fondement de l’action est que le passing off porte atteinte au droit de propriété du demandeur sur l’achalandage de son entreprise.

Il conclut, à la p. 404:

[TRADUCTION] À la vérité, il semble que ce délit civil consiste essentiellement à faire croire faussement que les marchandises en question sont celles de quelqu’un d’autre…

Nul doute que le rôle du délit civil de passing off en common law a été étendu de manière à tenir compte des réalités économiques de l’heure. Le simple délit de frauduleusement faire passer ses marchandises pour celles d’un autre n’est plus l’aspect principal de l’action. Il s’agit de nos jours de protéger la société contre les conséquences fâcheuses d’une concurrence déloyale ou des pratiques commerciales déloyales. Le professeur Fleming, dans son ouvrage Law of Torts (6e éd.), étudie cette tendance à la p. 674:

[TRADUCTION] De plus en plus, ce délit civil a été élargi de manière à s’appliquer à des pratiques commerciales «déloyales» qui dépassent de loin le cadre de l’ancien concept du passing off qui consistait en une vente de marchandises accompagnée d’une fausse déclaration quant à leur origine dans le but de tromper l’acheteur et de conquérir une partie du marché du demandeur.

puis le savant auteur ajoute à la p. 676:

[TRADUCTION] Mais ce n’est pas toute concurrence dommageable qui est déloyale ou illégale. Il est important de noter que, dans biens des cas, l’intérêt du public dans la libre concurrence doit primer. C’est notamment le cas de l’usage honnête de son nom de famille en affaires, même au risque d’une certaine confusion avec un concurrent; c’est le cas aussi de l’usage que tous peuvent faire de termes génériques et descriptifs, par opposition à des termes fantaisistes, à moins que ces termes n’aient acquis ce qu’on appelle une notoriété propre par une association exclusive avec le demandeur. [C’est moi qui souligne.]

[Page 599]

Le savant auteur de Prosser, The Law of Torts (4e éd.) traite aussi le passing off comme une espèce de concurrence déloyale, aux pp. 957 et 958:

[TRADUCTION] Un aspect important de la concurrence déloyale est ce qu’on peut appeler, à défaut d’un meilleur nom générique, la commercialisation sous de fausses apparences, ce qu’on appelait autrefois le «passing off», appellation encore assez courante. Le délit consiste à faire au public ou à des tiers de fausses déclarations qui les amèneront vraisemblablement à croire que les biens ou les services d’un autre sont ceux du demandeur. Cela peut se faire de différentes façons, par exemple, par la contrefaçon ou l’imitation de la marque de commerce ou du nom commercial du demandeur, de ses emballages, de ses étiquettes ou contenants, de ses véhicules, des insignes ou des uniformes de ses employés ou de l’apparence de son lieu d’affaires. Le critère établi pour ces cas est de savoir si la ressemblance est à ce point grande que le client ordinaire agissant avec la prudence dont on fait habituellement preuve dans de telles circonstances peut les confondre. Selon la règle antérieure, il devait y avoir preuve d’une intention frauduleuse ou d’une tromperie délibérée pour qu’il y ait responsabilité et cette règle s’applique encore parfois aujourd’hui; mais la tendance qui se dégage de la jurisprudence récente est qu’il suffit, du moins pour obtenir un redressement par voie d’injonction, que la conduite du défendeur soit de nature à provoquer de la confusion ou à induire en erreur, même si ce n’est pas là son intention.

Il est difficile, au premier abord, de voir en quoi la conduite de l’appelante peut constituer du passing off. L’appelante vend précisément la même montre que l’intimée et la source en est exactement la même. La montre est protégée par une garantie non pas au nom de l’intimée, mais au nom du fabricant, Hattori. La qualité du produit doit être pour quelque chose dans la réussite de l’intimée et, partant, dans l’accroissement de son chiffre d’affaires et de son achalandage dans l’industrie. Dans chaque cas, les montres vendues étaient toujours et sans exception celles de Hattori. L’intimée essaie, en attribuant à la montre des caractéristiques propres à la méthode de vente employée par elle, d’établir que la théorie classique du passing off s’applique. Suivant l’argument de l’intimée, elle peut faire ce rapprochement à cause de son contrat avec Hattori, le fournisseur des montres Seiko, qui l’autorise à limiter la garantie du

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fabricant aux montres vendues par des concessionnaires agréés par l’intimée. Il va sans dire que l’appelante et les entités (comme Woolco et K-Mart) qui, d’après la preuve, exploitent le même genre d’entreprise, ne peuvent pas commercialiser les montres de cette façon, puisqu’elles ne sont pas des concessionnaires agréés. La faille dans l’argument de l’intimée est que, poussé à son aboutissement logique, il accorde à tout vendeur qui se trouve dans la situation de l’intimée le même type de monopole à l’égard de la vente au Canada d’un produit quelconque qu’aurait ce vendeur si le produit en question faisait l’objet d’un brevet d’invention délivré en vertu de la Loi sur les brevets du Canada. De plus, cet argument bute inévitablement contre un second obstacle, savoir qu’il entraîne la conclusion que la common law en matière de biens meubles reconnaîtrait ainsi un droit d’imposer des restrictions à la vente de biens meubles, même légitimement acquis, chaque fois qu’une autre personne, dans une situation analogue à celle du vendeur, vend des articles identiques. Ce principe est étranger à notre droit. Il s’ensuit que ce droit de limiter la revente pourrait être exercé non seulement par l’intimée et par tous les autres bénéficiaires de cette protection offerte par le fabricant, mais aussi par le fabricant Hattori qui, vraisemblablement à des conditions qui lui convenaient, a placé ces montres dans le réseau de distribution qui les a finalement acheminées jusqu’à l’appelante. Chose ironique, si la loi permettait cela, le fabricant, avec les profits de la vente de ces montres en poche, pourrait alors empêcher l’appelante de les revendre. Une troisième conséquence serait un conflit inévitable entre d’une part ce résultat et d’autre part les principes de common law relatifs aux restrictions à la liberté du commerce et à la libre concurrence.

Il se peut fort bien que la technique de commercialisation employée par l’intimée ait engendré un achalandage non pas seulement pour l’intimée elle-même, mais aussi pour ses concessionnaires agréés. Sans aucun doute, l’efficacité, la bonne organisation et le dynamisme associés à ce que le dossier appelle un produit qui est foncièrement de bonne qualité, donneront toujours un léger avantage sur le marché, ce qu’on désigne parfois par l’expression «achalandage». Si, en l’espèce, on autorisait ce

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truisme commercial, il subtiliserait le principe du passing off. Si on met les choses au pire, l’appelante offre au public canadien la possibilité d’acheter une véritable montre Seiko, mais sans la garantie du fabricant. Vraisemblablement, l’appelante peut ainsi vendre cette montre à un prix inférieur à celui pratiqué par au moins certains sinon tous les concessionnaires Seiko agréés, ce qui explique peut-être en partie l’inquiétude de l’intimée. Toutefois, il n’est pas dit que l’intimée n’aurait pas légitimement intérêt à supprimer cette concurrence sinon en raison des coûts supplémentaires, du moins à cause des ennuis que cela entraîne pour ses centres de service. En effet, il ressort du dossier que l’intimée a reçu des montres «suspectes» à réparer, censément en vertu d’une garantie, c’est-à-dire des montres Seiko vendues hors du réseau de distribution Seiko. Assurément, le rejet de ces demandes de réparation occasionne certains frais. Toutefois, à la lecture du dossier, il n’y a rien qui indique que de tels cas se sont présentés au cours de ce que nous avons appelé la seconde période visée par l’injonction provisoire. De plus, on n’a pas fait valoir que l’intimée ne peut récupérer auprès de Hattori les frais de réparations effectuées en vertu de la garantie.

Si besoin est de faire une autre distinction entre les activités commerciales de l’appelante et le type d’activités interdites par la règle du passing off, il faut se rappeler que cette règle est fondée sur le délit civil de tromperie et, bien que depuis le milieu du dix-neuvième siècle l’intention de tromper ne soit plus nécessaire, il faut à tout le moins que la confusion dans l’esprit du public soit une conséquence probable de la vente ou de la mise en vente par le défendeur d’un produit non fabriqué par le demandeur et que l’on fait passer pour le produit du demandeur ou l’équivalent. Voir les affaires Millington v. Fox (1838), 3 M. & Cr. 338, à la p. 352; Perry v. Truefitt (1842), 6 Beav. 66, à la p. 68, 49 E.R. 749, à la p. 750; Cellular Clothing Co. v. Maxton & Murray, [1899] A.C. 326, à la p. 334. En l’espèce, cet élément est totalement absent. En vérité, une fois l’injonction provisoire en vigueur, on comprend mal comment les consommateurs auraient pu acheter une montre de l’appelante et quitter ses locaux avec l’idée que Hattori ou sa mandataire l’intimée, ou les mandataires de

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celle-ci, en l’occurrence les concessionnaires agréés, s’occuperaient de réparer la montre. C’est d’ailleurs dans ce but précis que l’intimée a obtenu l’injonction de la cour d’instance inférieure. L’article vendu par les deux parties est donc identique. Le mode de présentation du produit au public pourrait, dans certaines circonstances, appuyer certains droits exclusifs sur le marché qu’on peut faire valoir contre d’autres personnes qui essayent de fournir le même produit, mais, en l’espèce, on n’a pas établi de fondement juridique à ce recours.

Attardons-nous un instant sur l’autre élément, savoir «le service offert par le vendeur», qui est censé rendre le «produit» de l’intimée différent de celui de l’appelante. Le type de service en question, rendu par le bijoutier en sa qualité de concessionnaire agréé de l’intimée, consiste à ajuster le bracelet et à renseigner l’acheteur sur le fonctionnement de la montre. Rien dans le dossier ne permet de conclure que ce service avait la moindre valeur commerciale, mais, dans les circontances, une cour devrait peut-être pencher en faveur de la demanderesse (l’intimée en cette Cour) sans insister sur l’obligation de faire une démonstration. Si par contre, ce service minime n’était plus offert par l’intimée, la question alors serait simplement de savoir si une montre vendue avec une garantie est un produit qui diffère de la même montre vendue sans garantie ou s’il s’agit d’un seul et même produit. Si on devait ériger le service offert par le vendeur en un élément d’un produit, alors la théorie du passing off s’appliquerait de manière à conférer une protection quasi monopolistique à quiconque adopte un mode de commercialisation ou, comme on dit dans le langage courant, un «truc publicitaire» non encore employé par un concurrent de son voisinage dans la vente d’un produit «de marque». On ne nous a signalé aucune décision qui donne au passing off une portée aussi vaste. Je conclus donc qu’en l’espèce l’intimée ne peut invoquer l’action traditionnelle en passing off.

Mais l’intimée allègue en outre que les circonstances de la présente instance relèvent de ce qu’on a appelé au cours des plaidoiries [TRADUCTION] «l’action élargie» en passing off, expression qui figure même dans certains ouvrages sur le sujet.

[Page 603]

On prétend que cette théorie est le résultat de l’évolution progressive traduite par trois décisions du Royaume-Uni portant sur l’action en passing off: A.G. Spalding & Bros. v. A.W. Gamage Ltd. (1915), 32 R.P.C. 273; Bollinger v. Costa Brava Wine Co. (N° 1), [1959] 3 All E.R. 800, [1960] R.P.C. 16, et (2), [1961] 1 All E.R. 561; [1961] R.P.C. 116; et Warnink précitée.

Dans l’arrêt Spalding, la Chambre des lords avait à étudier une situation où une défenderesse avait vendu un produit (des ballons de football) que la demanderesse avait cessé de fabriquer en les faisant passer pour le produit [TRADUCTION] «amélioré» récemment lancé sur le marché par celle-ci. Dans une tentative de réparation du tort causé par sa première annonce publicitaire, la défenderesse en a publié une seconde qui décrivait ces ballons en employant des termes que, de l’avis de la Cour, le public reliait depuis longtemps au produit de la demanderesse. Lord Parker of Waddington fait l’analyse suivante du délit civil de passing off, à la p. 284:

[TRADUCTION] A ne peut, sans violer les droits de B, faire passer pour des marchandises de B des marchandises qui ne sont pas celles de B, ni faire passer pour des marchandises de B d’une catégorie ou d’une qualité particulière des marchandises de B qui ne sont pas de cette catégorie ou qualité. Dans chaque cas, c’est précisément là le tort qu’on essaie de faire réparer dans une action en passing off.

Or, puisque l’action en passing off est fondée sur une fausse déclaration du défendeur, il faut établir dans chaque cas la réalité de sa fausse déclaration.

Puis, à la même page, il dit que, pour déterminer s’il y a eu délit civil de passing off, il faut se demander:

[TRADUCTION] …si l’usage de cette marque, nom ou présentation par le défendeur est de nature à tromper.

Il faut préciser ici que l’expression «de nature à tromper» signifie, pour employer les termes de lord Diplock, que la tromperie ou la confusion est une [TRADUCTION] «conséquence raisonnablement prévisible» de la conduite en question. Voir l’arrêt Warnink, précité, aux pp. 932 et 933.

Compte tenu des faits de l’affaire Spalding, le juge de première instance et la Chambre des lords

[Page 604]

ont conclu que les actes de la défenderesse n’étaient [TRADUCTION] «guère compatibles avec des pratiques commerciales loyales ou honnêtes» et que [TRADUCTION] «Rien dans les annonces subséquentes n’exprime un désir de la part de la défenderesse de réparer le tort causé par les premières annonces. En fait, je ne suis pas sûr qu’elles ne sont pas formulées de manière à renforcer l’impression créée par les premières… [annonces].»

C’est loin d’être la situation en l’espèce. Le correctif a été conçu par la demanderesse-intimée et adopté par la cour par suite de la demande d’injonction interlocutoire présentée par celle‑ci, pour permettre à l’acheteur de connaître avec exactitude les conditions de vente et pour protéger le commerce de l’intimée en attendant l’issue de l’action. La demanderesse (la fabricante) avait mis les ballons de football au rebut, les excluant ainsi de la vente publique. Ici, par contre, la fabricante avait placé les montres en question sur le marché de la même façon qu’elle l’avait fait dans le cas des montres vendues par l’intimée.

On dit qu’au Royaume-Uni les principes du passing off ont encore été élargis ou modernisés dans le jugement du juge Danckwerts dans l’affaire Bollinger v. Costa Brave Wine Co. (N° 1), précitée. La question y était de savoir si des demanderesses qui se livraient à la commercialisation de champagne produit dans la région de la France qui porte ce nom pouvaient obtenir une injonction qui aurait empêché la vente au Royaume-Uni, sous le nom «Spanish Champagne», d’un vin espagnol qui était censé posséder les mêmes caractéristiques que le champagne français. Contrairement à l’affaire Spalding, on ne reprochait pas à la défenderesse d’avoir vendu des marchandises mises au rebut par la demanderesse, en faisant croire au public par une description trompeuse qu’il s’agissait du produit ordinairement vendu par la demanderesse. De plus, la défenderesse n’a pas fait passer les marchandises en question pour identiques à celles vendues par les demanderesses au Royaume-Uni. Dans l’affaire Bollinger (N° l), la défenderesse a bien informé le public que le vin ne provenait pas de France mais d’Espagne. La question essentielle était de savoir si la défenderesse pouvait s’arroger pour son vin le

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mot «Champagne» et donc profiter des avantages dont jouissaient les demanderesses du fait qu’il était notoire sur le marché que ce mot désigne un vin produit par les demanderesses à partir de raisins de la Champagne en France. Dans son examen de cette question, le juge Danckwerts a traité de l’inclusion du concept de la concurrence déloyale dans l’action en passing off, à la p. 805:

[TRADUCTION] L’action bien connue en «passing off» consiste en l’utilisation d’un nom ou d’une présentation destiné à faire confondre des marchandises avec celles d’un concurrent en particulier, et, selon moi, il serait juste de dire qu’à cet égard la loi s’intéresse à la concurrence déloyale entre commerçants plutôt qu’à la tromperie dont le public peut être victime en raison de la conduite de la demanderesse, car l’action dite «en passing off» n’est pas intentée par le membre du public qui a été induit en erreur, mais par le commerçant dont le commerce risque de subir un préjudice par suite de la tromperie pratiquée à l’endroit du public, mais sans qu’il soit lui-même le moindrement trompé.

Sur la question fondamentale de savoir si les demanderesses pouvaient à bon droit empêcher la défenderesse d’utiliser le nom géographique jusqu’alors employé par les demanderesses sans autorisation ni droit particuliers, la cour s’est prononcée en faveur de ces dernières, disant aux pp. 810 et 811:

[TRADUCTION] Il semble ne pas y avoir de raison pour laquelle on devrait accorder une telle liberté à une personne active dans le commerce et qui veut faire associer à son produit un nom ou une description n’ayant aucun lien naturel avec ce produit, de manière à tirer profit de la bonne réputation et de l’achalandage acquis par un produit auquel cette description s’applique vraiment. À mon avis, il importe peu que les véritables titulaires du droit de décrire des marchandises par les nom et description en question soient une catégorie de producteurs de marchandises dans une localité précise, et non pas simplement une seule personne. La description fait partie de leur achalandage et ils ont sur elle un droit de propriété. Selon moi, le droit relatif au passing off qui vise à empêcher les pratiques commerciales déloyales, n’a pas une portée aussi restreinte.

Le juge Danckwerts a conclu que les demanderesses avaient établi un achalandage ou une réputation grâce au lien entre leur produit et la région d’origine de celui-ci. De l’avis de la cour, l’emploi délibéré de ce nom par un concurrent en vue

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d’améliorer son chiffre d’affaires équivaut à s’approprier la propriété d’autrui, en l’occurrence son achalandage. Ce terme «achalandage» est employé dans le sens que lui donnait lord Macnaghten dans l’arrêt Inland Revenue Commissioners v. Muller & Co.’s Margarine, Ltd., [1901] A.C. 217, à la p. 224: [TRADUCTION] «Il s’agit de la force attractive qui fait venir les clients.» Pour arriver à cette conclusion, la cour dans l’affaire Bollinger s’est appuyée sur l’arrêt Draper v. Trist, [1939] 3 All E.R. 513, où lord Goddard dit à la p. 526:

[TRADUCTION] Toutefois, dans le cas des affaires portant sur le passing off, le véritable fondement de l’action est que le défendeur, en faisant passer ses marchandises pour celles du demandeur, porte atteinte au droit de propriété qu’a celui-ci sur l’achalandage de son entreprise.

Cette extension de l’action en passing off, s’il s’agit effectivement d’une extension, ne s’applique pas à la situation en l’espèce. Dans l’affaire Bollinger, la défenderesse n’a pas présenté ses marchandises comme celles des demanderesses, mais les a injustement mises en valeur en les associant aux marchandises des demanderesses par l’emploi délibéré d’un nom qui, sur le marché, évoquait les marchandises des demanderesses. On a voulu créer chez les acheteurs de vin l’impression que le produit de la défenderesse était de mêmes qualité et acceptabilité que le vin des demanderesses. En l’espèce, l’appelante a vendu des montres de Hattori sous la marque Seiko, soit la marque de commerce de Hattori; or, l’intimée pas plus que l’appelante n’avait de droit sur cette marque de commerce. Si l’appelante avait essayé de vendre les montres après avoir enlevé la marque de commerce Seiko, elle aurait porté atteinte à d’autres droits et fait naître un droit d’action contre elle chez d’autres personnes sans que l’intimée en ait nécessairement un. La meilleure analogie en l’espèce serait le cas d’une personne qui achète une voiture Chevrolet à un concessionnaire agréé et qui la revend sans que le fabricant lui ait accordé le statut de concessionnaire. À supposer que la propriété de la voiture ait été légalement acquise et qu’il n’y ait pas eu de fausse déclaration quant à l’état du véhicule et quant à l’existence d’une garantie, un concessionnaire dûment agréé par le fabricant, le fabricant lui-même ou quelqu’un

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d’autre pourrait-il chercher par voie d’injonction à empêcher la vente de la voiture? Bien sûr que non, et la réponse sera la même qu’il s’agisse d’une voiture neuve ou d’une voiture d’occasion. Voir l’affaire Morris Motors, Ltd. v. Lilley, [1959] 3 All E.R. 737. Toutefois, il pourrait en être autrement lorsqu’il s’agit d’une action fondée sur la législation en matière de marques de commerce. L’intimée n’a pu citer aucune décision qui impose une telle restriction au droit de disposer de biens meubles.

En première instance, les demanderesses ont obtenu gain de cause parce que la cour a conclu que l’emploi du nom «Spanish Champagne» avait pour objet [TRADUCTION] «d’attirer au produit espagnol l’achalandage conquis par la réputation du «Champagne» [des demanderesses]»: [1961] 1 All E.R. 561, à la p. 568.

L’intimée, comme d’ailleurs certains auteurs de doctrine, soutient que la version correcte de la théorie «élargie» du passing off se dégage d’un arrêt plus récent de la Chambre des lords, savoir l’arrêt Warnink, précité, dont les faits sont essentiellement les mêmes que ceux de l’affaire Bollinger. Il s’agit en effet de substituer des spiritieux et du xérès au champagne et de substituer des fournisseurs néerlandais aux viticulteurs de la Champagne. Toutefois, l’intérêt de l’arrêt Warnink en l’espèce tient non pas à ses faits ni à la solution retenue, mais à l’analyse qu’il contient du délit civil de passing off. D’ailleurs, d’après les faits, l’arrêt Warnink n’appuie manifestement pas l’argument fondamental de l’intimée, car la cour a conclu que tout véritable producteur de la boisson que des producteurs néerlandais vendaient depuis longtemps sur le marché du Royaume-Uni sous le nom d’Advocaat, pourrait également vendre son produit sous le nom d’Advocaat. Les défenderesses ont commercialisé leur produit sous ce nom sauf qu’il n’était pas fait à partir des mêmes ingrédients que celui que les fournisseurs néerlandais avaient depuis longtemps commercialisé au Royaume-Uni sous le même nom. Ce qui était défendu, c’était la vente d’une autre boisson sous le nom d’Advocaat ou sous tout autre nom qui le comprenait, par exemple le nom «Old English Advocaat» employé par les défenderesses. Par analogie, l’appelante en

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l’espèce pouvait vendre sous le nom Seiko des montres fabriquées par Hattori et (sauf des considérations de brevets et de marques de commerce) d’autres fabricants de montres Seiko seraient irrecevables à invoquer l’arrêt Warnink. De fait, le lord juge Diplock a pris pour point de départ la proposition selon laquelle les demanderesses n’avaient aucune cause d’action [TRADUCTION] «pour passing off au sens traditionnel» (à la p. 930), et cela en raison de l’impossibilité d’établir qu’un acheteur du produit de la défenderesse [TRADUCTION] «le prendrait vraisemblablement pour des marchandises fournies» (à la p. 930) par les demanderesses. Mais, sa Seigneurie est passée à l’examen de l’application de l’action au sens plus large, disant à la p. 931:

[TRADUCTION] Les pratiques commerciales déloyales en tant que délit donnant lieu à des poursuites par d’autres commerçants qui, par suite de ces pratiques, perdent des affaires ou leur achalandage, peuvent revêtir différentes formes dont certaines ont une dénomination propre en droit anglais. Le complot en vue de léser une personne dans son commerce ou son entreprise en est un exemple, la dépréciation déloyale de la qualité des marchandises en est une autre, mais de loin le plus protéiforme est ce qu’on appelle généralement de nos jours, bien que cette appellation puisse être trompeuse, le «passing off». Les diverses formes de pratiques commerciales déloyales varieront en fonction des méthodes commerciales, de la réputation de l’entreprise et de l’achalandage acquis.

Il appert que cette tendance a été amorcée par l’affaire Spalding, précitée, qui, selon le lord juge Diplock, établit que, aux pp. 932 et 933:

[TRADUCTION] …cinq éléments sont nécessaires pour qu’il y ait une cause valide d’action en passing off. (1) une fausse déclaration (2) faite par un commerçant dans le cadre de son activité commerciale, (3) à ses clients éventuels ou aux consommateurs des marchandises ou des services fournis par lui, (4) cette fausse déclaration ayant pour objet de porter préjudice à l’entreprise ou l’achalandage d’un autre commerçant (en ce sens qu’il s’agit là d’une conséquence raisonnablement prévisible) et (5) qui nuit effectivement à l’entreprise ou à l’achalandage du commerçant qui introduit l’action ou, (dans le cas d’une action dite quia timet) y nuira vraisemblablement.

Les observations de lord Fraser vont dans le même sens aux pp. 943 et 944:

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[TRADUCTION] Il est indispensable que le demandeur dans une action en passing off établisse au moins les faits suivants: (1) que son commerce consiste en totalité ou en partie à vendre en Angleterre une catégorie de marchandises à laquelle s’applique le nom commercial en question; (2) que cette catégorie de marchandises soit clairement définie et que, dans l’esprit du public anglais ou d’une partie de ce public, ce nom commercial distingue ladite catégorie de marchandises des autres marchandises de même nature; (3) qu’en raison de la renommée des marchandises, il y a un achalandage qui se rattache au nom; (4) que lui, le demandeur, en tant que membre de la catégorie des vendeurs des marchandises en question, possède un achalandage en Angleterre qui est d’une valeur considérable; (5) qu’il a subi ou qu’il court un risque réel de subir une atteinte grave à son droit de propriété sur cet achalandage du fait que les défenderesses vendent les marchandises faussement décrites par le nom commercial auquel se rattache l’achalandage.

Dans les motifs des deux lords juges, il s’agit d’une atteinte à l’achalandage acquis grâce à «la renommée du produit» (lord Diplock, à la p. 937), attribuable aux [TRADUCTION] «qualités reconnaissables et distinctives» de ce produit.

On se rend vite compte que cette «théorie élargie» n’a pas le moindre rapport avec la conduite présentement en cause. Les montres ne sont pas, pour reprendre les mots de lord Fraser, «faussement décrites» (à la p. 944) par l’appelante. Bien au contraire, on les vend sous la marque de commerce originale, la seule et unique marque de commerce. Les deux parties en leur qualité de venderesses donnaient à l’acheteur au détail une forme de garantie émanant d’un tiers, en l’occurrence Hattori. Dans les deux cas, l’acheteur avait à faire exécuter une garantie à laquelle la venderesse n’était pas partie. À ce que nous pouvons voir, l’intimée n’a jamais donné aux acheteurs une assurance ayant force exécutoire qu’elle continuerait à reconnaître la garantie de Hattori pendant toute la durée de celle-ci. De même, rien n’indique que, du point de vue juridique (malgré les difficultés insurmontables sur le plan pratique), un acheteur ne pouvait pas faire exécuter la garantie de Hattori. Il nous est impossible de conclure que, grâce au prix payé à l’intimée par les concessionnaires agréés, Hattori a pu récupérer les frais entraînés par l’exécution de la garantie. De plus, la preuve

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n’indique pas si Hattori avait pu effectuer une telle récupération lors de la vente des montres en question au fournisseur de l’appelante, quels qu’aient pu être le lieu et le moment de cette opération. Finalement, d’après le dossier, ni Hattori ni l’intimée ne sont tenues d’exécuter la garantie portant le nom de Hattori et donnée à l’acheteur au détail.

Passons maintenant à une autre considération d’ordre pratique, savoir le nom commercial «Seiko» qui figure sur toutes les montres. Ces montres et la marque de commerce Seiko sont indissociables et ni l’intimée ni l’appelante ne pouvaient acquérir de droits sur celle-ci. La marque de commerce à elle seule distingue le produit de tous les autres et l’«achalandage» de la marque de commerce découle de la qualité intrisèque du produit. L’intimée ne pouvait devenir titulaire d’un droit (analogue à celui accordé par l’arrêt Warnink, précité) d’empêcher d’autres personnes de vendre des produits identiques. Les principes du passing off, dans sa forme traditionnelle ou dans sa forme élargie, peuvent-ils être assouplis davantage en raison des activités de l’intimée au moment de la vente ou du fait que celle-ci s’engage volontairement à exécuter la garantie de Hattori? Vu l’injonction provisoire rendue en attendant l’instruction, cette question ne revêt plus qu’un intérêt théorique. Celui qui achète chez l’appelante doit se débrouiller tout seul si sa montre a besoin d’être réparée pendant la durée de la garantie. On pourrait à ce moment-là essayer d’obtenir l’exécution de la garantie de Hattori ou encore essayer de faire réparer la montre ailleurs. Toutefois, il s’agit là d’un risque couru par l’acheteur en pleine connaissance de cause. On voit d’ailleurs mal pourquoi un acheteur prendrait ce risque, si ce n’est à cause du prix plus avantageux. En tout état de cause, il s’agit d’une opération qui ne peut faire l’objet d’aucune espèce d’action en passing off.

L’opération sur laquelle porte le présent pourvoi doit être examinée sous un dernier aspect. Aucun contrat entre Hattori et l’intimée relativement à l’exécution de la garantie internationale n’a été versé au dossier. Si l’intimée n’est pas juridiquement tenue à l’exécution de l’engagement de Hattori relativement aux réparations, comment peut-on savoir si, une fois mise à l’abri de toute

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concurrence grâce au maintien de l’injonction interlocutoire, l’intimée continuerait à respecter jusqu’à son expiration chaque garantie de Hattori qui entre en vigueur au moment de la vente au détail? Cette situation durera aussi longtemps que l’exécution de la garantie de Hattori par l’intimée tiendra uniquement au fait qu’elle est une filiale en propriété exclusive de Hattori. Bien sûr, cette considération ne jouerait plus si Hattori décidait d’aliéner sa participation dans l’intimée. De toute façon, si l’intimée exécute la garantie à titre gracieux, que devrait faire la Cour face à sa plainte que l’appelante n’en fait pas autant?

Par contre, si Hattori a obtenu un engagement de la part de ses distributeurs d’exécuter sa garantie en échange d’une réduction du prix ou d’autre considération, alors le recours de Hattori consiste à obtenir l’exécution de cet engagement contre l’appelante par l’intermédiaire du «distributeur-détourneur» qui lui a vendu les montres. Si Hattori a omis de se protéger de cette façon ou d’une autre, il serait étonnant de constater qu’il existe en droit un recours parallèle que Hattori pourrait exercer par le biais de sa filiale en propriété exclusive, en l’occurrence l’intimée. En fait, à supposer qu’un tel recours existe, Hattori se trouverait alors à vendre des montres au «détourneur» en question sans lui accorder de rabais, mais tout en obtenant de lui l’engagement d’exécuter la garantie, ce qui permettrait à Hattori de réaliser des profits plus importants que ceux recueillis dans le cas des ventes à des distributeurs comme l’intimée. Ainsi enrichie, Hattori, suivant l’argument de l’intimée, pourrait alors empêcher la vente de montres par les clients du «détourneur», faisant ainsi le bonheur de ses distributeurs et concessionnaires agréés. Le dossier ne permet pas d’établir si le système de distribution de Hattori comporte une telle différence quant au prix.

Dans l’un ou l’autre cas, rien ne justifie que le recours en passing off soit élargi de manière à s’appliquer à la situation de l’intimée. Lorsqu’elles ont été lancées sur le marché mondial par Hattori, ces montres étaient accompagnées d’une garantie en son nom. Sur le plan juridique, Hattori a déjà obtenu un avantage du fait que la cour a rendu permanente l’injonction interlocutoire. En effet,

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grâce à cette injonction Hattori n’est plus tenue d’exécuter les réparations pendant la période de garantie, du moins pas dans ses ateliers canadiens. Du point de vue pratique, étant donné l’importance des frais occasionnés par toute tentative d’obtenir l’exécution de la garantie par rapport au coût vraisemblable des réparations, Hattori évite la majeure partie, sinon la totalité, des coûts entraînés par la garantie dans le cas de ventes par l’intermédiaire du «détourneur». Dans des circonstances comme celles de l’espèce, les tribunaux devraient permettre à l’acheteur au détail et à Hattori de régler entre eux la question de savoir qui est tenu à l’exécution de la garantie. De là à reconnaître à un vendeur qui fait partie du réseau des distributeurs agréés un monopole de commercialisation de ces montres, il y a loin, particulièrement en l’absence de considérations de marques de commerce ou de brevets.

Selon les éléments du passing off établis dans l’arrêt Warnink, il faut qu’il y ait eu tout au moins une fausse déclaration destinée à léser un concurrent dans son commerce ou dans son achalandage ou que cela en soit une conséquence raisonnablement prévisible et que, par suite de cette fausse déclaration, le concurrent subisse un préjudice réel. À la lecture du dossier, je ne puis relever aucune fausse déclaration faite au cours de la seconde période, ce qui est essentiel pour conclure que l’intimée a le droit d’empêcher de façon générale l’appelante de vendre, de quelque manière que se soit, des montres Seiko. Rappelons que la seconde injonction, la seule d’ailleurs qui est visée par le présent pourvoi, est ainsi formulée: la défenderesse (appelante) [TRADUCTION] «doit s’abstenir de façon permanente de faire de la publicité pour des montres «Seiko» ou de les vendre au Canada». La délivrance d’une telle injonction suppose que le tribunal a conclu que le vendeur d’un bien meuble identifié par une marque de commerce déposée détenue par un tiers, ne peut procéder à une telle vente si quelqu’un d’autre vend cette même marchandise de façon différente, ou avec une particularité quelconque, par exemple la garantie d’un an dont il s’agit en l’espèce. Pour les raisons déjà exposées, j’estime que notre droit ne permet rien de tel.

Avant de quitter le sujet de la vente d’articles fabriqués identifiés par une marque de commerce

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déposée, je tiens à faire remarquer qu’en l’espèce l’intimée n’a soulevé aucun point portant sur les droits qu’elle peut avoir du fait qu’une marque de commerce a été inscrite au nom de Hattori en vertu de la Loi sur les marques de commerce du Canada, S.R.C. 1970, chap. T-10. En fait, il aurait fallu alors que Hattori soit une demanderesse. Peut-être que si l’intimée était nommée usager inscrit de la marque de commerce déposée en vertu de la Loi sur les marques de commerce du Canada, elle aurait à ce moment-là la qualité requise. Voir Fox on Copyrights (2e éd. 1967), aux pp. 440 et 441. Ici, ni l’une ni l’autre condition n’a été remplie. Il ne s’agit donc pas ici de la même situation que celle qui s’est présentée à la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Remington Rand Ltd. v. Transworld Metal Co., [1960] R.C. de l’É. 463.

Pour ces motifs, je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de modifier, par la suppression de son par. 2, l’ordonnance rendue en première instance. L’injonction interlocutoire accordée le 14 février 1979 interdisait notamment à l’appelante de délivrer ou de distribuer des livrets de garantie Seiko. Cette disposition n’a pas été reprise dans l’injonction permanente rendue à l’issue du procès. L’intimée n’a apparemment pas demandé le rétablissement de cet aspect de l’injonction. Cela semble être le résultat approprié parce que la garantie émane, non pas de l’intimée, mais de Hattori et parce que les acheteurs canadiens devraient avoir la possibilité de forcer Hattori à exécuter cette garantie. L’appelante a droit à ses dépens en cette Cour et en Cour d’appel, mais non à l’égard de la demande reconventionnelle. Je ne modifierai pas l’ordonnace rendue en première instance quant aux dépens parce qu’il n’est pas tout à fait clair que l’appelante, avant l’audience, ait donné le consentement et l’engagement relativement au maintien de l’injonction interlocutoire, ce qui aurait rendu inutile de continuer l’action jusqu’au stade du prononcé du jugement en première instance.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Fogler, Rubinoff, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

 



[1] Le juge en chef n’a pas pris part au jugement.

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