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Cour suprême du Canada

Assistance sociale—Particulier sans emploi par suite d’un lock-out ou grève exclu des bénéfices—Intimés agissant selon les pouvoirs et attributions conférés par la loi en formulant la ligne de conduite—Critère pour déterminer «personne nécessiteuse»—Social Assistance Act, R.S.B.C. 1960, c. 360—Régime d’assistance publique du Canada, 1966-67 (Can.), c. 45.

L’appelant a intenté contre les intimés une action concernant une classe de personnes pour obtenir une déclaration qu’il a droit à ce que sa demande ou ses demandes d’assistance sociale, faites en conformité du Social Assistance Act, R.S.B.C. 1960, c. 360, du Régime d’assistance publique du Canada, 1966-67 (Can.), c. 45, et de l’accord fédéral-provincial conclu par le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique le 10 mars 1967, soit examinée ou soient examinées quant au fond, et que les intimés n’ont pas le droit de l’exclure de l’allocation sociale ou de toute autre forme d’assistance sociale pour le motif qu’il s’est trouvé sans emploi et est devenu une personne nécessiteuse par suite d’un lock-out ou d’une grève. Il a ensuite présenté une requête en vue d’obtenir une injonction jusqu’au procès de la cause em-

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pêchant les intimés de le déclarer inadmissible à l’allocation sociale ou à toute autre forme d’assistance sociale en raison du fait qu’il s’est trouvé sans emploi et est devenu une personne nécessiteuse par suite d’un lock-out ou d’une grève.

Toutes les parties ont consenti à ce que les procédures ayant trait à la requête soient considérées comme le procès de la cause. Le juge de première instance a rejeté l’action et son jugement a été confirmé par la Cour d’appel. L’appelant a obtenu l’autorisation d’appeler à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

C’est le critère établi par la législation provinciale (Social Assistance Act) qui doit déterminer qui est une «personne nécessiteuse» aux fins du Régime d’assistance publique du Canada et de tout accord conclu en vertu de cette loi, tout comme ce critère détermine le sens de cette expression dans les règlements établis par le directeur du Bien-être social en conformité des dispositions de l’art. 13 (d) de la Loi.

Les besoins dont il est fait mention dans les règlements doivent signifier les «besoins» visés par l’art. 3 de la Loi qui établit et limite les conditions régissant l’octroi de «l’assistance sociale» à l’aide des fonds votés par la législature à cette fin; les particuliers auxquels pareille assistance peut être accordée sont uniquement, d’après cet article, ceux «qui, à cause de maladies mentales ou physiques ou pour d’autres raisons, se voient dans l’impossibilité de se procurer, en tout ou en partie, par leurs propres efforts, …les choses essentielles au maintien d’une existence raisonnablement normale et saine ou qui aident à maintenir cette existence.»

Le texte de l’article ne crée pas une obligation d’accorder l’assistance sociale aux particuliers qui sont capables de se procurer par leurs propres efforts les choses essentielles au maintien d’une existence raisonnablement normale et saine, mais qui sont temporairement privés de leur revenu en raison d’un différend du travail.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], confirmant un jugement du Juge Dohm. Appel rejeté.

T.R. Berger et D.J. Rosenbloom, pour l’appelant.

L.G. McKenzie, c.r., et T.R. Braidwood, pour les intimés.

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Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE RITCHIE—Le présent appel est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique confirmant le jugement rendu en première instance par le Juge Dohm, et par lequel était rejetée l’action concernant une classe de personnes intentée par «Ross Alden en son propre nom et au nom de toutes les autres personnes de la Colombie‑Britannique qui sont devenues des personnes sans emploi et nécessiteuses par suite d’une grève ou d’un lock-out.»

L’objet de la demande de l’appelant est décrit comme suit à l’endos du bref d’assignation:

[TRADUCTION] 1. Une déclaration que le demandeur a droit à ce que sa demande ou ses demandes d’assistance sociale, faites en conformité du Social Assistance Act, R.S.B.C. 1960, chapitre 360, et de ses règlements d’application, du Régime d’assistance publique du Canada, S.C. 1966-67, chapitre 45, et de ses règlements d’application et de l’accord fédéral-provincial conclu par le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique le 10 mars 1967, soit examinée ou soient examinées quant au fond sans que le demandeur soit déclaré inadmissible à l’allocation sociale ou à toute autre forme d’assistance sociale pour le motif qu’il s’est trouvé sans emploi et est devenu une personne nécessiteuse par suite d’un lockout ou d’une grève, et que les défendeurs n’ont pas le droit d’exclure le demandeur de l’allocation sociale ou de toute autre forme d’assistance sociale pour le motif qu’il s’est trouvé sans emploi et est devenu une personne nécessiteuse par suite d’un lock-out ou d’une grève.

2. Une injonction empêchant les défendeurs de déclarer le demandeur inadmissible à l’allocation sociale ou à toute autre forme d’assistance sociale en raison du fait qu’il s’est trouvé sans emploi et est devenu une personne nécessiteuse par suite d’un lockout ou d’une grève.

Toutefois, l’affaire a été entendue par le Juge Dohm par suite de la présentation d’une requête en vue d’obtenir une injonction provisoire contre les intimés aux fins ci-dessus mentionnées, laquelle requête était appuyée par les déclarations sous serment de Ross Alden et du directeur de la Fédération du travail de la Colombie-Britannique.

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Dans sa déclaration sous serment, Alden révèle que pendant qu’il travaillait à Vancouver comme ouvrier dans le domaine de l’isolation, il a été victime d’un lock-out le 14 avril 1970 et que lorsqu’il a fait une demande d’assistance sociale le 25 avril, un travailleur social lui a dit qu’il n’était pas admissible parce qu’il se trouvait sans emploi par suite du lock-out, sans quoi il aurait été admissible. Dans sa déclaration, Alden ajoute que lorsqu’il a fait une nouvelle demande d’assistance sociale le 17 juin 1970, on lui a dit qu’il était encore inadmissible parce qu’il [TRADUCTION] «s’était trouvé sans emploi par suite d’un lock-out», mais que lorsqu’il a fait une demande le 18 juin, on lui a donné des coupons d’alimentation pour deux semaines. La demande écrite d’allocation sociale à la suite de laquelle les coupons d’alimentation ont été accordés est jointe à titre de pièce à la déclaration sous serment et montre qu’à ce moment-là, Alden avait $150 dans son compte de banque, était propriétaire d’une Chevrolet 1961 et habitait une maison louée.

Toutes les parties ont consenti à ce que les procédures ayant trait à la requête soient considérées comme le procès de la cause, et bien qu’à l’époque de l’audition, Alden avait repris son travail et, qu’en ce qui le concernait, il ne s’agissait plus que d’une question de rhétorique, le Juge Dohm a néanmoins estimé, étant donné que les procédures avaient été engagées par Alden à titre de représentant et que les questions soulevées avaient pour le public en général une certaine importance, qu’il devait entendre la cause.

Les deux déclarations sous serment produites à l’appui de la requête en vue d’obtenir une injonction montrent qu’avant la date de la requête, ceux qui étaient chargés d’administrer le Social Assistance Act, R.S.B.C. 1960, c. 360, (ci-après appelé la «Loi») avaient décidé comme ligne de conduite de fournir «de l’assistance en espèces», sous forme de coupons d’alimentation, à Alden et à ceux qu’il représentait, mais devant les deux Cours d’instance inférieure on a néanmoins considéré qu’il s’agissait uniquement de savoir si les fonctionnaires en cause avaient excédé les pouvoirs qui leur avaient été conférés par la Loi [TRADUCTION] «en adoptant la «ligne de conduite» selon laquelle les gens qui s’étaient trouvés sans

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emploi par suite d’une grève ou d’un lock-out n’étaient pas admissibles à l’assistance sociale»; je me propose de régler le présent appel en considérant que seule cette question se pose.

Il a été avancé pour le compte de l’appelant que le Régime d’assistance publique du Canada, 1966-67 (Can.), c. 45, et ses règlements d’application, ainsi que l’accord fédéral-provincial que le gouvernement du Canada et la Colombie-Britannique ont conclu sous leur empire, visent principalement les «personnes nécessiteuses»; mention a été faite du paragraphe 2 de l’accord qui stipule ce qui suit:

[TRADUCTION] 2. La province s’engage

a) à fournir l’aide financière ou une autre forme d’assistance publique à toute personne de la Colombie-Britannique qui est une personne nécessiteuse visée au sous-alinéa (i) de l’alinéa g) de l’article 2 de la Loi, ou à l’égard d’une telle personne…

Si nous nous reportons à l’article 2 g) du Régime d’assistance publique du Canada, nous voyons que:

«personne nécessiteuse» signifie

(i) une personne qui, par suite de son incapacité d’obtenir un emploi, de la perte de son principal soutien de famille, de sa maladie, de son invalidité, de son âge ou de toute autre cause acceptable pour l’autorité provinciale, est reconnue incapable (sur vérification par l’autorité provinciale qui tient compte des besoins matériels de cette personne et des revenus et ressources dont elle dispose pour satisfaire ces besoins) de subvenir convenablement à ses propres besoins ou à ses propres besoins et à ceux des personnes qui sont à sa charge ou de l’une ou plusieurs d’entre elles…

C’est le critère établi par la législation provinciale qui doit déterminer qui est une «personne nécessiteuse» aux fins du Régime d’assistance publique du Canada et de tout accord conclu en vertu de cette loi, tout comme ce critère détermine le sens de cette expression dans les règlements établis par le directeur du Bien-être social. A cet égard, il me paraît que l’art. 3 du Social Assistance Act est celui qu’il faut retenir. Cet article se lit comme suit:

[TRADUCTION] 3. L’assistance sociale peut être accordée à l’aide des fonds affectés à cette fin par la

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législature aux particuliers, majeurs ou mineurs, ou aux familles qui, à cause de maladies mentales ou physiques ou pour d’autres raisons, se voient dans l’impossibilité de se procurer, en tout ou en partie, par leurs propres efforts, par d’autres mesures de sécurité ou avec leur revenu et d’autres ressources, les choses essentielles au maintien d’une existence raisonnablement normale et saine ou qui aident à maintenir cette existence.

Notons qu’aucune obligation d’accorder les fonds en question n’existe, mais qu’en vertu de l’art. 3, ceux à qui est confiée l’administration de la loi peuvent à leur discrétion accorder ou non l’assistance sociale; aux fins de l’administration des fonds ainsi accordés, l’art. 13 de la loi édicte que le pouvoir suivant est conféré au directeur du Bien-être social:

[TRADUCTION] 13. Le directeur…

d) sous réserve de l’approbation du ministre, a le pouvoir d’établir des règlements et de formuler des lignes de conduite compatibles avec la présente loi aux fins de l’administration de l’assistance sociale à travers la province dans son ensemble et aux fins de son administration au niveau local;…

Parmi les règlements adoptés en conformité de ce pouvoir se trouve le règlement 4 qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] La situation de chaque requérant fera l’objet d’une enquête par un travailleur social ou une autre personne compétente désignée par le directeur ou l’administrateur régional. L’octroi de l’assistance et la somme à verser dépendront des besoins du requérant.

Comme je l’ai signalé, je crois que les besoins dont il est ici fait mention doivent signifier les «besoins» visés par l’art. 3 de la Loi qui établit et limite les conditions régissant l’octroi de «l’assistance sociale» à l’aide de fonds votés par la législature à cette fin; les particuliers auxquels pareille assistance peut être accordée sont uniquement, d’après cet article, ceux [TRADUCTION] «qui, à cause de maladies mentales ou physiques ou pour d’autres raisons, se voient dans l’impossibilité de se procurer, en tout ou en partie, par leurs propres efforts, …les choses essentielles au maintien d’une existence raisonnablement normale et saine ou qui aident à maintenir cette existence.»

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Je ne puis voir que le texte de l’article crée une obligation d’accorder l’assistance sociale aux particuliers qui sont capables de se procurer par leurs propres efforts les choses essentielles au maintien d’une existence raisonnablement normale et saine, mais qui sont temporairement privés de leur revenu en raison d’un différend du travail.

Pour tous ces motifs, je souscris à l’avis de la Cour d’appel et du savant juge de première instance que les autorités responsables de l’administration de la Loi agissaient dans les limites des pouvoirs et attributions qui leur avaient été conférés par la Loi en formulant la ligne de conduite que les particuliers qui se sont trouvés sans emploi par suite d’une grève ou d’un lock-out ne sont pas admissibles à l’assistance sociale. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, mais vu les circonstances, je ne rendrais aucune ordonnance sur les dépens.

Appel rejeté.

Procureur de l’appelant: Thomas R. Berger, Vancouver.

Procureurs des intimés: Braidwood, Nuttall, MacKenzie & Brewer, Vancouver.

 



[1] [1971] 2 W.W.R. 148, 16 D.L.R. (3d) 355.

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