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Cour suprême du Canada

Droit constitutionnel—Droit international—Plateau continental au large de Terre-Neuve—Ressources naturelles—Qui du Canada ou de Terre-Neuve a le droit d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles du plateau continental?—Loi sur Terre-Neuve, 1949 (R.-U.), chap. 22, Conditions de l’union (annexe), clauses 2, 3, 7, 35, 37—Statut de Westminster, 1931 (R.‑U.), chap. 4, art. 1, 3, 10, 11—Convention de Genève de 1958, art. 2—Statut de la Cour internationale de Justice, art. 38(1)—Loi constitutionnelle de 1867, art. 109, 132.

Droit constitutionnel—Partage des pouvoirs législatifs—Compétence législative relative aux ressources naturelles du plateau continental au large de Terre-Neuve—Compétence fédérale—Pouvoir en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement—Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92, 92(5), 92(13), 92A(1).

Conformément à l’art. 55 de la Loi sur la Cour suprême, le gouverneur général en conseil a soumis à cette Cour la question constitutionnelle suivante:

En ce qui concerne les ressources minérales et autres ressources naturelles du sol et du sous-sol du plateau continental situées au large de Terre-Neuve … qui entre le Canada ou Terre-Neuve:

(1) d’une part, a le droit de les prospecter et de les exploiter,

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(2) d’autre part, a compétence pour légiférer dans les domaines visés au par. (1) ci‑dessus?

Le procureur général du Canada a soutenu qu’il faut répondre aux deux parties de la question en faveur du Canada. Le procureur général de Terre-Neuve, avec l’appui des autres provinces—sauf le Québec, l’Ontario et la Saskatchewan qui n’étaient pas représentés dans ce renvoi—, a soutenu qu’il fallait répondre aux deux parties de la question en faveur de Terre-Neuve.

Arrêt: Il y a lieu de répondre aux deux parties de la question en faveur du Canada.

Il n’y a aucun fondement qui permette à la province de Terre-Neuve de revendiquer le droit d’explorer et d’exploiter les ressources du plateau continental ou de revendiquer la compétence législative sur ces ressources:

(1) Les droits relatifs au plateau continental revendiqués par les parties sont les droits que le droit international reconnaît à un État riverain d’explorer et d’exploiter son plateau continental. De par leur caractère véritable, ces droits ne sont pas des droits de propriété: ils constituent une manifestation extra-territoriale de la souveraineté extérieure. Pendant la période en cause, avant son entrée dans la Confédération en 1949, Terre-Neuve n’avait pas la souveraineté extérieure nécessaire pour acquérir les droits relatifs au plateau continental. En droit constitutionnel impérial, tout droit relatif au plateau continental accordé par le droit international avant 1949 aurait été dévolu à Sa Majesté du chef du Royaume-Uni et non à Sa Majesté du chef de Terre-Neuve.

Même si Terre-Neuve avait acquis les droits relatifs au plateau continental avant son entrée dans la Confédération, ces droits seraient passés au Canada en vertu des Conditions de l’union. La clause 37, qui conserve à la province les droits de propriété sur les ressources naturelles «appartenant à Terre-Neuve à la date de l’Union», ne suffit pas à lui transmettre tout droit qui pouvait alors exister sur le plateau continental.

Quoi qu’il en soit, Terre-Neuve ne pouvait, à son entrée dans la Confédération, détenir des droits d’exploration et d’exploitation du plateau continental parce qu’à cette époque le droit international ne conférait pas de tels droits. Ces droits, qui n’étaient pas incontestablement reconnus avant la Convention de Genève de 1958, n’ont pas d’effet rétroactif susceptible de profiter à Terre-Neuve.

(2) La compétence législative de Terre-Neuve, comme celle de toutes les autres provinces, se limite aux lois applicables dans la province. Le plateau continental, qui

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est situé en dehors des limites de Terre-Neuve, ne relève d’aucun des chefs de compétence énumérés à l’art. 92. La compétence législative appartient donc au Canada en vertu de son pouvoir résiduel en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

Jurisprudence: Reference re Offshore Mineral Rights of British Columbia, [1967] R.C.S. 792; Reference re Mineral and other Natural Resources of the Continental Shelf (1983), 145 D.L.R. (3d) 9; Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3; R. v. Keyn (1876), 2 Ex. D. 63; MacLeod v. Attorney-General for New South Wales, [1891] A.C. 455; Nadan v. The King, [1926] A.C. 482; Croft v. Dunphy, [1933] A.C. 156; St. Catherine’s Milling and Lumber Co. v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46; Interprovincial Co‑Operatives Ltd. c. Dryden Chemicals Ltd., [1976] 1 R.C.S. 477; Attorney-General of British Columbia v. Attorney-General of Canada (1889), 14 App. Cas. 295; Abu Dhabi Arbitration (1952), 1 International and Comparative Law Quarterly 247; New South Wales v. Commonwealth of Australia (1975), 135 C.L.R. 337.

RENVOI adressé par le gouverneur général en conseil, conformément à l’art. 55 de la Loi sur la Cour suprême, au sujet de la propriété et de la compétence législative relatives au sol et au sous-sol du plateau continental au large de Terre-Neuve. La réponse aux deux parties de la question est en faveur du Canada.

Pierre Genest, c.r., Clyde K. Wells, c.r., Peter W. Hogg, c.r., et Donald Kubesh, pour le procureur général du Canada.

James J. Greene, c.r., Colin K. Irving, Margaret Cameron, John Ashley et James Thistle, pour le procureur général de Terre-Neuve.

Gordon F. Henderson, c.r., Emilio Binavince et Edward Foley, pour le procureur général de la Nouvelle-Écosse.

P.A. MacNutt et Bruce Judah, pour le procureur général du Nouveau-Brunswick.

Brian F. Squair, pour le procureur général du Manitoba.

E. Robert A. Edwards, pour le procureur général de la Colombie-Britannique.

Ralph C. Thompson, pour le procureur général de l’Île-du-Prince-Edouard.

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Wm. Henkel, c.r., pour le procureur général de l’Alberta.

Version française du jugement rendu par

LA COUR

Introduction

Par décret P.C. 1982-1509 en date du 19 mai 1982, le gouverneur en conseil a soumis la question constitutionnelle suivante à la Cour, conformément à l’art. 55 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19:

En ce qui concerne les ressources minérales et autres ressources naturelles du sol et du sous-sol du plateau continental situées au large de Terre-Neuve, à environ 320 kilomètres (170 milles marins) à l’est-sud-est de Saint-Jean (Terre-Neuve), dans une zone comprise entre 46° 30’ et 47° de latitude nord et 48° 30’ et 49° de longitude ouest, où s’effectuent actuellement des travaux d’exploration et dont les limites sont précisées sur la carte annexée au présent décret, entre le Canada ou Terre-Neuve, selon la Loi sur Terre-Neuve ou selon quelque autre règle de droit:

(1) qui, d’une part, a le droit de les prospecter et de les exploiter,

(2) qui, d’autre part, a compétence pour légiférer dans les domaines visés au par. (1) ci-dessus?

Le procureur général du Canada soutient qu’il faut répondre aux deux parties de la question en faveur du Canada. Les procureurs généraux de Terre-Neuve, de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Ile-du-Prince-Édouard, du Manitoba et de l’Alberta soutiennent qu’il faut répondre aux deux parties de la question en faveur de Terre‑Neuve.

La description des bornes donnée dans le renvoi mentionne un secteur du plateau continental connu sous le nom de champ Hibernia, situé à l’endroit indiqué sur la carte géographique de la page suivante. Personne ne laisse entendre que les questions juridiques qui se posent à l’égard du champ Hibernia sont différentes de celles qui se posent à l’égard de toute autre partie du plateau continental situé au large de Terre-Neuve. L’importance de la restriction au champ Hibernia tient à ce que

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celle-ci exclut toute question relative à la mer territoriale, c.-à-d. les eaux adjacentes à Terre‑Neuve et comprises à l’intérieur de l’ancienne limite de trois milles marins, laquelle est maintenant portée à douze milles marins.

Le 18 février 1982, quelques mois avant que le gouvernement fédéral ne soumette le présent renvoi, le lieutenant-gouverneur en conseil de Terre-Neuve a lui-même soumis une question à la Cour d’appel de Terre-Neuve. Le renvoi de Terre-Neuve porte non seulement sur le plateau continental, mais aussi sur la mer territoriale. La question qui a été soumise à la Cour d’appel de Terre-Neuve est la suivante:

[TRADUCTION] Les terres, mines, ressources minérales, redevances ou autres droits, y compris le droit d’explorer et d’exploiter les ressources minérales et autres ressources naturelles du lit de la mer et du sous-sol à partir de la laisse de basse mer ordinaire de la province de Terre-Neuve jusqu’à la limite extérieure du plateau continental ou d’une partie de celui-ci, et le droit de légiférer à leur égard, appartiennent-ils en propriété ou autrement à la province de Terre-Neuve?

La Cour d’appel de Terre-Neuve, dans Reference re Mineral and other Natural Resources of the Continental Shelf (le Renvoi de Terre-Neuve) (1983), 145 D.L.R. (3d) 9, a répondu à la question en faveur de Terre-Neuve à l’égard de la mer territoriale de trois milles, mais contre Terre-Neuve à l’égard du plateau continental. Le procureur général de Terre-Neuve a produit un avis de pourvoi à l’égard du plateau continental et le procureur général du Canada a produit un avis de pourvoi à l’égard de la mer territoriale. Rien d’autre n’a été fait pour amener ces pourvois devant cette Cour.

En conséquence, cette Cour n’est pas saisie de l’arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve dans le cadre du présent renvoi. Cependant, la Cour d’appel a rendu son arrêt le 17 février 1983, une semaine avant l’audition du présent renvoi du gouvernement fédéral. Une bonne partie de l’argumentation orale du présent renvoi porte sur les motifs de la Cour d’appel de Terre-Neuve puisque, à l’égard du plateau continental, la question soulevée est la même. Nous jugeons donc opportun, dans les présents motifs, de commenter ceux de la

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Cour d’appel dans la mesure où ils portent sur le plateau continental.

Le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins

Dans Reference re Offshore Mineral Rights of British Columbia, [1967] R.C.S. 792 (le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins), on a demandé l’avis de la Cour sur les questions suivantes:

[TRADUCTION] 1. En ce qui concerne les terres, y compris les ressources minérales et les autres ressources naturelles, du lit de la mer et du sous-sol à partir de la laisse de basse mer ordinaire des côtes du territoire continental et des différentes îles de la Colombie-Britannique, à l’extérieur des ports, des baies, des estuaires et des autres eaux intérieures de même nature, jusqu’à la limite extérieure de la mer territoriale du Canada, suivant la définition qui figure dans la Loi sur la mer territoriale et les zones de pêche, Statuts du Canada 1964, chapitre 22,

a) lesdites terres appartiennent-elles au Canada ou à la Colombie-Britannique?

b) Qui, du Canada ou de la Colombie-Britannique, a le droit d’explorer et d’exploiter lesdites terres?

c) Qui, du Canada ou de la Colombie-Britannique, a compétence législative sur lesdites terres?

2. En ce qui concerne les minéraux et autres ressources naturelles du lit de la mer et du sous-sol situés au delà de la partie de la mer territoriale du Canada mentionnée à la question 1, jusqu’à une profondeur de 200 mètres ou, au delà de cette limite, jusqu’au point où la profondeur des eaux surjacentes permet d’exploiter les ressources minérales et autres ressources naturelles desdits secteurs qui, du Canada ou de la Colombie‑Britannique,

a) a le droit d’explorer et d’exploiter lesdites ressources minérales et autres ressources naturelles?

b) a compétence législative sur lesdites ressources minérales et autres ressources naturelles?

La Cour a unanimement répondu aux deux questions en faveur du Canada. La seconde question du Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins est, en tous points importants, identique aux questions du présent renvoi. L’argument principal en faveur de Terre-Neuve est que sa situation historique et constitutionnelle rend son cas différent de

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celui de la Colombie-Britannique. Subsidiaire-ment, on nous demande de reconsidérer le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins.

Dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, l’analyse de la Cour a porté en majeure partie sur la question de la propriété de la mer territoriale. La Cour a fait la distinction entre deux sens du mot «propriété»: le sens de propriété en common law et les sortes de droits de propriété reconnus par le droit international. La revendication par la Colombie‑Britannique de la propriété de la mer territoriale ne pouvait se fonder que sur la notion de common law. Plus précisément, la preuve soumise par la Colombie-Britannique reposait sur l’art. 109  de la Loi constitutionnelle de 1867 , rendu applicable à la Colombie‑Britannique à son entrée dans la Confédération en 1871.

109. Toutes les terres, mines, minéraux et réserves royales appartenant aux différentes provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick lors de l’union, et toutes les sommes d’argent alors dues ou payables pour ces terres, mines, minéraux et réserves royales, appartiendront aux différentes provinces d’Ontario, Québec, la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick, dans lesquelles ils sont sis et situés, ou exigibles, restant toujours soumis aux charges dont ils sont grevés, ainsi qu’à tous intérêts autres que ceux que peut y avoir la province.

Après avoir analysé l’arrêt R. v. Keyn (1876), 2 Ex. D. 63 et d’autres arrêts, cette Cour a conclu qu’en common law, le territoire finit à la laisse de basse mer de sorte que Sa Majesté n’a aucun droit de propriété, au sens de la common law, au delà de la laisse de basse mer à moins de l’avoir revendiqué expressément. Puisqu’il n’y a pas eu de telle revendication en ce qui concerne la Colombie-Britannique avant 1871 et qu’il n’y a pas eu de modification des frontières depuis 1871, la Cour a statué que la mer territoriale est à l’extérieur de la Colombie-Britannique. Il s’ensuit également que la Colombie-Britannique n’a aucune compétence législative en la matière. C’est le Canada qui est en mesure d’acquérir la propriété de la mer territoriale reconnue par le droit international.

Après avoir décidé que le Canada possède les droits de propriété et la compétence législative sur la mer territoriale, il s’ensuit presque automatique-

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ment que le Canada a le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental. Il serait illogique de conclure que la province possède des droits de propriété sur son domaine terrestre, que le Canada a des droits de propriété sur la mer territoriale, mais que la province a le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental. En conséquence, dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, la Cour n’a pas eu à entreprendre une analyse distincte et détaillée à propos du plateau continental. Après avoir passé en revue l’émergence récente du régime de droit international applicable au plateau continental, la Cour a simplement dit ceci, à la p. 821:

[TRADUCTION] Ce qui vaut pour la mer territoriale vaut aussi pour le plateau continental. Il y a deux motifs pour lesquels la Colombie-Britannique n’a ni le droit d’explorer et d’exploiter ni la compétence législative:

(1) le plateau continental est à l’extérieur des limites de la Colombie-Britannique, et

(2) le Canada est l’État souverain reconnu par le droit international comme titulaire des droits mentionnés dans la Convention de 1958 et c’est le Canada, non la province de la Colombie-Britannique, qui doit répondre aux revendications des autres membres de la communauté internationale quant aux manquements aux obligations et responsabilités imposées par la Convention.

Il n’y a aucun fondement historique, juridique ou constitutionnel qui permette à la province de la Colombie-Britannique de revendiquer le droit d’explorer et d’exploiter les ressources du plateau continental ou de revendiquer la compétence législative sur ces ressources.

Le fait que la situation constitutionnelle relativement à la mer territoriale au large de Terre‑Neuve ne soit pas en cause dans le présent renvoi et, en fait, qu’elle fasse l’objet d’un appel distinct encore en instance, signifie que nous ne pouvons nous servir d’aucune des conclusions relatives à la mer territoriale pour régler la question du plateau continental. Il est donc nécessaire, en l’espèce, d’analyser soigneusement les questions qui portent uniquement sur le plateau continental.

La nature des droits relatifs au plateau continental

Le renvoi parle du droit d’explorer et d’exploiter les ressources minérales et autres ressources naturelles. L’expression utilisée est empruntée au droit international. Voici le texte de l’article 2 de la

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Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental, signée en 1958, entrée en vigueur en 1964, après avoir reçu le nombre requis de ratifications, et ratifiée par le Canada en 1970:

Article 2

1. L’État riverain exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de l’exploration de celui-ci et de l’exploitation de ses ressources naturelles.

2. Les droits visés au paragraphe 1 du présent article sont exclusifs en ce sens que, si l’État riverain n’explore pas le plateau continental ou n’exploite pas ses ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités ni revendiquer de droits sur le plateau continental sans le consentement exprès de l’État riverain.

3. Les droits de l’État riverain sur le plateau continental sont indépendants de l’occupation effective ou fictive aussi bien que de toute proclamation expresse.

4. Les ressources naturelles visées dans les présents articles comprennent les ressources minérales et autres ressources non vivantes du lit de la mer et du sous-sol, ainsi que les organismes vivants qui appartiennent aux espèces sédentaires, c’est‑à‑dire les organismes qui, au stade où ils peuvent être péchés, sont soit immobiles sur le lit de la mer ou au-dessous de ce lit, soit incapables de se déplacer si ce n’est en restant constamment en contact physique avec le lit de la mer ou le sous-sol.

Le Canada et Terre-Neuve revendiquent les droits que reconnaît aux États riverains le droit international. Ni l’un ni l’autre ne prétend revendiquer quelque chose de plus ou de différent. Ni le Canada ni Terre-Neuve n’ont revendiqué des droits sur le plateau continental avant la codification du régime juridique dans la Convention de Genève de 1958. Les droits revendiqués sont ceux que le droit international accorde.

Le droit international a élaboré un régime bien structuré en ce qui concerne le plateau continental. L’avènement, au milieu du présent siècle, de techniques permettant d’exploiter les ressources sous-marines a forcé le droit international à prendre acte du plateau continental. Un consensus s’est formé selon lequel son exploitation devait être soumise au contrôle de l’État riverain. La Convention de Genève de 1958 a été rédigée de façon à ne pas aller au delà de ce qui était nécessaire pour arriver à ce résultat. Ainsi, la Convention n’accorde pas la «souveraineté» sur le plateau continen-

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tal, mais plutôt «des droits souverains d’exploration et d’exploitation». Ces droits restreints coexistent avec ceux des autres nations d’utiliser le lit de la mer pour l’installation de câbles ou de pipelines (article 4) et ne modifie pas le statut des eaux surjacentes ou de l’espace aérien (article 3). Ils contrastent beaucoup avec la souveraineté absolue (sous réserve seulement des droits de passage inoffensif des autres nations) que le droit international confère aux États riverains sur leur mer territoriale.

Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, la Cour internationale de Justice mentionne la notion de rattachement, à la p. 29:

…le droit de l’État riverain sur son plateau continental a pour fondement la souveraineté qu’il exerce sur le territoire dont ce plateau continental est le prolongement naturel sous la mer.

Les droits relatifs au plateau continental se présentent comme une extension de la souveraineté de l’État riverain, mais c’est une extension qui a une portée moindre que la souveraineté absolue. La Cour parle de «titre» sur le plateau continental (p. 31) et affirme que le plateau continental peut, dans un certain sens, être «considéré» comme faisant partie du territoire de l’État riverain (p. 31). Mais suivant le sens ordinaire de cette expression, le plateau continental ne fait pas partie du territoire de l’État riverain. L’État riverain ne peut pas «être propriétaire» du plateau continental comme il peut «être propriétaire» de son domaine terrestre. La réglementation par le droit international de l’utilisation du plateau continental est tout simplement trop poussée pour qu’on puisse considérer le plateau continental comme faisant partie du territoire de l’État. Le droit international reconnaît l’autorité de l’État sur son domaine terrestre, sous réserve de restrictions précises. Par contre, en ce qui concerne le plateau continental, les droits limités que le droit international accorde représentent la totalité des droits de l’État riverain.

Il est vrai que le Royaume-Uni a pris des mesures en vue d’étendre les limites territoriales, de manière à inclure le plateau continental (mais non les eaux surjacentes), de certaines de ses colonies à l’époque: Trinidad et Tobago (1942); les Bahamas

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(1948); la Jamaïque (1948); le Honduras britannique (1950); les îles Falkland (1952). Conformément à cette pratique, le gouvernement du Royaume-Uni a, en 1953, en réponse au projet de la Commission du droit international, exprimé l’avis que les droits de l’État riverain sur le plateau continental sont les mêmes que ceux qu’il a sur son domaine terrestre. D’autres pays ont, à la fin des années quarante et au début des années cinquante, c.-à-d. pendant la phase initiale de l’élaboration du droit international relatif au plateau continental, revendiqué le plateau continental comme faisant partie de leur territoire. En définitive toutefois, le droit international n’a pas accepté cette prétention et il importe de souligner qu’en adoptant la Continental Shelf Act 1964, qui lui rendait applicable la Convention de 1958, le Royaume-Uni n’a pas prétendu étendre son propre territoire.

En droit international, le plateau continental situé au large de Terre-Neuve est donc à l’extérieur du territoire national du Canada. Puisque, en droit national, ni le Canada ni Terre‑Neuve ne prétendent revendiquer rien de plus que ce que le droit international reconnaît, ce sur quoi porte le présent renvoi est une zone située à l’extérieur des limites de Terre-Neuve et du Canada. En d’autres termes, nous avons affaire à des droits extraterritoriaux.

Une bonne partie de l’argumentation en l’espèce se fonde sur l’hypothèse que les droits relatifs au plateau continental sont des droits de propriété. Nous ne croyons pas que les droits relatifs au plateau continental soient des droits de propriété au sens ordinaire. Selon les termes de la Convention de Genève de 1958, ce sont des «droits souverains» et ils appartiennent à l’État riverain à titre d’extension de droits au delà du territoire où il exerce sa souveraineté ordinaire. De par leur caractère véritable, ils constituent, une manifestation extra-territoriale de la souveraineté extérieure de l’État riverain, à laquelle ils se rattachent.

Peut-on faire une distinction avec le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins?

Comme nous l’avons déjà dit, l’argument principal en faveur de Terre-Neuve est que sa situation historique et constitutionnelle rend son cas diffé-

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rent de celui de la Colombie-Britannique. Pour faire la distinction avec le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, Terre-Neuve doit obtenir gain de cause sur chacun des trois points suivants:

(i) le droit international doit avoir reconnu le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental avant l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération le 31 mars 1949;

(ii) Sa Majesté du chef de Terre-Neuve doit avoir été en mesure d’acquérir ces droits;

(iii) Sa Majesté du chef de Terre-Neuve ne doit pas avoir perdu ces droits en vertu des Conditions de l’union au Canada.

Le procureur général du Canada soutient que Terre-Neuve échoue sur chacun des trois points. Le procureur général de Terre-Neuve, avec l’appui des procureurs généraux des autres provinces, soutient que Terre-Neuve a gain de cause sur tous les trois points.

Le premier point porte sur des questions de droit international; les deux autres soulèvent des questions de droit constitutionnel. Nous préférons examiner d’abord les arguments d’ordre constitutionnel.

La situation constitutionnelle de Sa Majesté du chef de Terre-Neuve

Pour évaluer la situation constitutionnelle de Terre-Neuve, nous allons, pour l’instant, donner l’interprétation la plus favorable à l’argument de droit international soumis par Terre-Neuve. Aux fins de l’argumentation, nous présumerons qu’en 1949 le droit international reconnaissait que les droits des États riverains sur le plateau continental existaient ipso jure, c’est-à-dire de plein droit. À partir de cette hypothèse, Sa Majesté du chef de Terre-Neuve était-elle constitutionnellement en mesure d’acquérir des droits sur le plateau continental avant de se joindre au Canada, et de les conserver après s’être jointe au Canada?

Quant à la situation de Terre-Neuve avant qu’elle ne se joigne au Canada, le procureur général de Terre-Neuve soutient principalement qu’en 1949 Terre-Neuve jouissait de la personnalité internationale de sorte que Sa Majesté du chef de

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Terre-Neuve était la seule entité à qui ces droits pouvaient être dévolus. Subsidiairement, le procureur général de Terre-Neuve soutient que Sa Majesté du chef d’une colonie pouvait acquérir des droits sur le plateau continental. Le procureur général du Canada prétend que Terre-Neuve n’a jamais eu le statut de personne internationale et que seules les personnes internationales peuvent, en droit international, acquérir des droits sur le plateau continental.

Nous ne croyons pas nécessaire de déterminer si, aux yeux du droit international, Terre‑Neuve a jamais eu le statut d’État indépendant. Au temps de l’Empire, le droit international ne précisait pas si les droits internationaux conférés à l’Empire étaient dévolus à Sa Majesté du chef de la colonie ou à Sa Majesté du chef de l’Empire. Il s’agit là d’une question qui relève du droit constitutionnel impérial.

Nous avons déjà dit que, de par leur caractère véritable, les droits relatifs au plateau continental sont des droits extra-territoriaux et une manifestation de la souveraineté extérieure. Cela est important à cause de la situation constitutionnelle des colonies. Lors de leur création, les colonies se sont vu accorder généralement une autonomie limitée sous forme de gouvernement représentatif. Quant à Terre-Neuve, cela s’est produit en 1833. L’attribution d’un gouvernement responsable (en 1855 dans le cas de Terre-Neuve) signifiait qu’à peu d’exceptions près la colonie se voyait accorder une autonomie intérieure, en d’autres termes la souveraineté intérieure. Mais, de façon générale, les colonies ne se sont vu accorder aucun droit de souveraineté extérieure. C’était là le trait distinctif d’une colonie.

L’absence de compétence législative extra-territoriale était une marque distinctive des colonies que les Colonial Law Officers ont souvent invoquée pour recommander le désaveu de lois coloniales. On trouve une reconnaissance judiciaire de cette absence de compétence dans l’arrêt MacLeod v. Attorney-General for New South Wales, [1891] A.C. 455 (C.P.). L’affaire portait sur une loi relative à la bigamie qui, selon l’une des interprétations qu’on lui donnait, s’appliquait apparemment au delà des frontières de la colonie de la

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Nouvelle-Galles du Sud. En examinant cette interprétation de la loi en question, le lord chancelier Halsbury a affirmé (à la p. 458):

[TRADUCTION] … il aurait été hors de la compétence de la colonie d’adopter une telle loi. Sa compétence se limite à son propre territoire et la maxime souvent citée, «Extra territorium jus dicenti impune non paretur», serait applicable à l’espèce.

Dans l’arrêt Nadan v. The King, [1926] A.C. 482, le Conseil privé a réitéré ce point de vue en concluant que le Canada n’avait pas compétence pour abolir les appels au Conseil privé.

La portée exacte de l’absence de compétence territoriale n’est pas clairement connue. Selon les Colonial Law Officers, une colonie pouvait légiférer relativement à la mer territoriale de trois milles marins et il y a de nombreux exemples où Terre-Neuve l’a fait. L’arrêt Croft v. Dunphy, [1933] A.C. 156 (C.P.), semble affirmer qu’un effet extra-territorial secondaire est admissible s’il est nécessaire à l’application efficace d’une loi dans la colonie. Le principe fondamental était cependant que les colonies n’avaient pas compétence pour adopter des lois d’application extra-territoriale.

Il y avait une absence de compétence extra-territoriale comparable en matière de pouvoirs exécutifs. Par exemple, les colonies n’avaient pas le pouvoir de signer des traités. Il pouvait leur arriver d’être consultées à propos des traités qui les touchaient. Elles pouvaient être appelées à participer à des négociations sous l’égide des autorités impériales, mais la responsabilité et le contrôle ultimes en matière de traités appartenaient au gouvernement impérial. L’article 132  de la Loi constitutionnelle de 1867  témoigne de ce fait:

132. Le parlement et le gouvernement du Canada auront tous les pouvoirs nécessaires pour remplir envers les pays étrangers, comme portion de l’empire Britannique, les obligations du Canada ou d’aucune de ses provinces, naissant de traités conclus entre l’empire et ces pays étrangers.

Les traités étaient conclus par le gouvernement du Royaume-Uni et non par le Canada.

Un exemple particulier d’absence de compétence extra-territoriale des colonies est le fait qu’elles

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étaient incapables d’acquérir de nouveaux territoires. Seules les autorités britanniques pouvaient modifier les frontières d’une colonie par décret pris en application de la Colonial Boundaries Act.

La raison profonde de cette dénégation de souveraineté extérieure était que les relations internationales étaient réservées au gouvernement et au Parlement du Royaume-Uni. L’absence de souveraineté extérieure rendait les colonies inhabiles à acquérir des droits sur le plateau continental. Ces droits ont été initialement dévolus à Sa Majesté impériale en sa qualité de titulaire de la souveraineté extérieure à l’égard des colonies. Sa Majesté impériale pouvait céder ces droits à la colonie; cette Cour a souligné, dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, précité, à la p. 808, que les droits impériaux sur la mer territoriale pouvaient avoir été cédés à la Colombie-Britannique. En effet, les droits sur le plateau continental ont été accordés à certaines des colonies pendant la période d’élaboration du droit international relatif au plateau continental. Les limites territoriales de Trinidad et Tobago (1942), des Bahamas (1948), de la Jamaïque (1948), du Honduras britannique (1950) et des îles Falkland (1952) ont été prolongées par décrets impériaux de manière à inclure le plateau continental. Dans les documents produits dans le dossier conjoint, on fait allusion à l’absence de compétence constitutionnelle d’une colonie pour ce qui est d’acquérir elle-même de tels droits. Le procureur général de Terre-Neuve nous mentionne certains actes posés ultérieurement par des colonies pour revendiquer des droits sur le plateau continental: la Sierra Leone (1960), la Gambie (1963), les Seychelles (1967), les îles Cayman (1978), les îles Vierges britanniques (1972), Saint Vincent (1970) et le protectorat britannique des îles Salomon (1970). On ne nous a pas parlé de la situation constitutionnelle exacte de ces colonies et rien n’indique que la validité constitutionnelle de ces revendications a été vérifiée ou même examinée. Nous estimons que ces exemples sont peu convaincants.

Le procureur général de Terre-Neuve soutient que les colonies pouvaient acquérir des droits sur le plateau continental parce que les droits que possédait Sa Majesté sur les territoires d’outre-mer

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étaient détenus par Sa Majesté du chef de la colonie. Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse a soumis un argument semblable. Nous citons l’extrait suivant tiré de la p. 30 du mémoire du procureur général de la Nouvelle-Écosse:

[TRADUCTION] En conséquence, en vertu du droit constitutionnel colonial, il était de principe général que toute terre possédée par Sa Majesté dans une colonie était une terre possédée par Sa Majesté du chef de la colonie et non du chef du Royaume-Uni. Il peut y avoir une exception à cette règle à l’égard d’un bien particulier (c’est-à-dire qu’il peut être considéré comme possédé par Sa Majesté du chef du Royaume-Uni), mais une telle exception doit découler d’un acte manifeste de réserve et le fardeau de prouver l’exception incombe à la personne qui l’invoque.

Cet argument ne tient pas compte d’un élément déterminant. La proposition énoncée ne s’applique qu’aux biens situés à l’intérieur de la colonie. Cette restriction territoriale est expressément énoncée dans l’un des arrêts invoqués: St. Catherine’s Milling and Lumber Co. v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.) aux pp. 57 et 58:

[TRADUCTION] De l’avis de leurs Seigneuries, les dispositions de l’art. 109 suffisent à donner à chaque province, sous réserve de l’administration et du contrôle de sa propre législature, tous les droits de propriété de Sa Majesté sur les terres situées à l’intérieur de ses frontières, qui au moment de l’union étaient dévolus à Sa Majesté, à l’exception des terres qui sont devenues la propriété du Dominion en vertu de l’art. 108 ou de celles que le Dominion peut avoir prises pour les fins mentionnées à l’art. 117. Cet article a pour effet d’exclure des «droits et revenus» destinés au Dominion tous les revenus territoriaux ordinaires de Sa Majesté générés à l’intérieur des provinces.

(C’est nous qui soulignons.)

On a prétendu à plusieurs reprises dans les mémoires produits en l’espèce que cette Cour a eu tort de conclure, dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, que la mer territoriale est située en dehors des limites d’une colonie et qu’elle n’appartient donc pas à la colonie. Même si ces arguments étaient valables, cela n’améliorerait pas la situation de Terre-Neuve. Quel que soit le statut de la mer territoriale, les droits relatifs au plateau continental demeurent extra-territoriaux. Le raisonnement portant que les colonies n’ont

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aucune compétence législative ou exécutive extra-territoriale s’applique tout autant pour empêcher les colonies d’exercer tout droit souverain extraterritorial conféré par le droit international. En droit constitutionnel, ce n’est que lorsqu’une ancienne colonie acquiert la souveraineté extérieure qu’elle peut aussi acquérir des droits sur le plateau continental. Jusqu’à ce que cela se produise, c’est la Couronne britannique qui est le bénéficiaire des droits extra-territoriaux sur le plateau continental que confère le droit international.

Dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, cette Cour a souligné que le gouvernement fédéral canadien a acquis la souveraineté extérieure entre 1919 et 1931. Le Statut de Westminster, 1931 (R.-U.), 22 Geo. V, chap. 4, a reconnu la compétence législative extra-territoriale du Parlement du Canada. Les neuf premières provinces du Canada, par contre, n’ont jamais acquis la compétence législative extra-territoriale: Interprovincial Co‑Operatives Ltd. c. Dryden Chemicals Ltd., [1976] 1 R.C.S. 477, à la p. 512. Elles n’ont jamais acquis la souveraineté extérieure. Elles sont donc incapables d’acquérir des droits sur le plateau continental.

La situation de Terre-Neuve est-elle différente de celle des neuf autres provinces? Citant notamment la Déclaration Balfour, le Statut de Westminster, 1931 et les Conditions de l’union, le procureur général de Terre-Neuve soutient qu’elle est différente et que Terre‑Neuve a acquis et conservé la souveraineté extérieure nécessaire pour devenir bénéficiaire des droits relatifs au plateau continental que le droit international reconnaît.

À cause du changement survenu dans le statut constitutionnel de Terre-Neuve en 1934, il convient d’analyser cette prétention d’abord en fonction de la période antérieure à 1934 et ensuite en fonction de la période comprise entre 1934 et la Confédération en 1949.

(1) Le statut de Terre-Neuve avant 1934

Le procureur général de Terre-Neuve nous trace un long historique de la colonie de Terre‑Neuve, mais nous croyons qu’il suffit de commencer par la Conférence impériale de 1926, à laquelle Terre-Neuve a participé, à part entière, avec la Grande-

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Bretagne et les autres dominions. Cette conférence a donné lieu à la Déclaration Balfour, dont voici un extrait:

[TRADUCTION] Il y a cependant un élément très important qui, du point de vue strictement constitutionnel, pour ce qui est de toutes les questions fondamentales, a atteint son plein développement—nous voulons parler du groupe de collectivités autonomes que forment la Grande-Bretagne et les dominions. Leur situation et leurs rapports mutuels peuvent être facilement définis. Il s’agit de collectivités autonomes au sein de l’Empire britannique, de statut égal et en aucune façon subordonnées Tune à l’autre pour ce qui est de leurs affaires intérieures ou extérieures, tout en étant unies par une allégeance commune à Sa Majesté, et librement associées comme membres du Commonwealth britannique des Nations.

(C’est nous qui soulignons.)

Le fait d’assimiler le statut des dominions, y compris Terre-Neuve, à celui de la Grande‑Bretagne équivalait à reconnaître expressément qu’en droit constitutionnel impérial les dominions avaient acquis la souveraineté extérieure.

On a prétendu, pour le compte du Canada, que pendant la période immédiatement postérieure à 1926, deux facteurs distinguaient la situation de Terre-Neuve de celle des autres dominions. Terre-Neuve a choisi de ne pas devenir membre de la Société des Nations et de laisser la conduite de ses relations extérieures aux autorités britanniques. Ces deux facteurs ont causé beaucoup de confusion à propos de la manière d’envisager Terre-Neuve dans les traités. Ces considérations peuvent influer sur la question de savoir si Terre-Neuve était une entité autonome aux yeux du droit international, mais elles ne constituent pas des empêchements constitutionnels. Nous ne croyons pas qu’elles portent atteinte au fait que, sur le plan de son statut en vertu de la convention constitutionnelle impériale, Terre-Neuve jouissait de la souveraineté extérieure.

En 1931, le Statut de Westminster a inclus Terre-Neuve dans la catégorie des «dominions». Les dispositions suivantes de cette loi sont particulièrement importantes:

1. Dans la présente loi l’expression «Dominion» signifie l’un quelconque des Dominions suivants: le Dominion

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du Canada, le Commonwealth d’Australie, le Dominion de la Nouvelle-Zélande, l’Union Sud-Africaine, l’État libre d’Irlande, et Terre-Neuve.

3. Il est déclaré et statué par les présentes que le Parlement d’un Dominion a le plein pouvoir d’adopter des lois d’une portée extra-territoriale.

10. (1) Aucun des articles suivants de la présente Loi, savoir les articles deux, trois, quatre, cinq et six, ne doit s’étendre à un Dominion auquel s’applique le présent article comme partie de la législation de ce Dominion, à moins que l’article en question ne soit adopté par le Parlement du Dominion, et toute loi de ce Dominion adoptant un article quelconque de la présente Loi peut pourvoir à ce qu’elle prenne effet, soit le jour de la mise en vigueur de la présente Loi, soit à telle date ultérieure que la loi d’adoption spécifiera.

(2) Le Parlement de tout Dominion susdit peut en tout temps abroger tout article visé au paragraphe (1) du présent article.

(3) Les Dominions auxquels s’applique le présent article sont le Commonwealth d’Australie, le Dominion de la Nouvelle-Zélande et Terre-Neuve.

11. Nonobstant toute disposition contraire de l’Interpretation Act de 1889, l’expression «Colonie» ne doit, dans aucune loi du Parlement du Royaume-Uni adoptée après l’entrée en vigueur de la présente Loi, s’appliquer à un Dominion ou une province ou un État quelconque faisant partie d’un Dominion.

(C’est nous qui soulignons.)

Terre-Neuve n’a jamais adopté le Statut de Westminster, 1931. Les articles 1 et 11 s’appliquaient à elle automatiquement. Toutefois, ce n’était pas le cas en ce qui concerne l’art. 3. Il se pourrait bien qu’en raison de son omission d’adopter le Statut, Terre-Neuve n’ait pas eu le pouvoir de faire des lois d’application extra-territoriale. Pour les fins de la discussion cependant, nous sommes disposés à tenir pour acquis que cette omission n’a pas de conséquences particulières et que, du moins de 1926 à 1934, Terre-Neuve possédait la souveraineté extérieure nécessaire pour acquérir des droits sur le plateau continental. Toutefois, cette conclusion n’est pas en soi d’une grande utilité pour Terre-Neuve. Comme nous le verrons plus loin, on ne prétend pas le moindre-

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ment que les droits sur le plateau continental existaient en droit international dès 1934. Il n’y avait pas de pratique des États à cette époque. La question capitale qui se pose quant au statut antérieur à la Confédération est la situation de Terre-Neuve de 1934 à 1949.

(2) Le statut de Terre-Neuve sous le régime de la Commission de gouvernement, 1934-1949

Au début des années trente, Terre-Neuve éprouvait de graves difficultés financières. Elle a demandé l’aide du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni était disposé à assumer les obligations financières de Terre-Neuve à la condition que la forme de gouvernement de cette dernière soit modifiée. Une commission royale conjointe de Terre-Neuve et du Royaume-Uni a fait les recommandations suivantes:

[TRADUCTION] En conséquence, nous recommandons que le gouvernement de Terre‑Neuve, qui reconnaît que l’île est dans l’impossibilité de surmonter à elle seule les difficultés sans précédent qu’elle éprouve maintenant, fasse immédiatement appel à la collaboration bienveillante du gouvernement de Votre Majesté pour le Royaume-Uni dans le but d’adopter et de mettre à exécution un plan conjoint de redressement dont les caractéristiques principales seraient les suivantes:

a) La forme actuelle du gouvernement serait suspendue jusqu’à ce que l’île puisse redevenir financièrement autonome.

b) Une commission spéciale de gouvernement serait créée qui, sous la présidence de son Excellence le gouverneur, serait dotée de pleins pouvoirs sur les plans législatif et exécutif et remplacerait l’assemblée législative et le conseil exécutif actuels.

c) La Commission de gouvernement serait composée de six membres sans compter le gouverneur, dont trois en provenance de Terre-Neuve et trois en provenance du Royaume-Uni.

d) Les ministères gouvernementaux de l’île seraient divisés en six groupes. Chaque groupe relèverait d’un membre de la Commission de gouvernement, qui serait responsable du bon fonctionnement des ministères faisant partie du groupe, et la Commission serait collectivement responsable des divers ministères.

e) Les travaux de la Commission seraient assujettis à la surveillance et au contrôle du gouvernement de Votre Majesté pour le Royaume-Uni et le gouverneur

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en commission répondrait du bon gouvernement de l’Île au Secrétaire d’État pour les affaires des Dominions du Royaume-Uni.

f) Le gouvernement de Votre Majesté pour le Royaume-Uni assumerait quant à lui la responsabilité générale des finances de l’île jusqu’à ce qu’elle puisse redevenir financièrement autonome et, en particulier, il prendrait les arrangements qu’il pourrait juger justes et réalisables dans le but de réduire le fardeau actuel de la dette publique de Terre-Neuve.

g) Il serait entendu qu’aussitôt que les difficultés de l’île seraient surmontées et que le pays serait redevenu financièrement autonome, le gouvernement responsable serait rétabli à la demande de la population de Terre-Neuve.

À la demande de l’Assemblée législative de Terre-Neuve, le Parlement de Westminster a adopté la Newfoundland Act, 1933 (R.-U.), Geo. V, chap. 2, afin d’appliquer ces recommandations. La Loi permettait de suspendre l’application des lettres patentes en vigueur qui reconnaissaient le gouvernement responsable. En fait, les nouvelles lettres patentes qui constituaient la Commission de gouvernement sont entrées en vigueur le 18 février 1934.

Le nouveau gouvernement n’était ni représentatif ni responsable. Sa nature non démocratique a peu de répercussions sur les questions de souveraineté, mais le fait qu’il n’était pas responsable en a certainement. Le contrôle que devait exercer le gouvernement du Royaume-Uni, dont il est fait mention à l’alinéa e) des recommandations de la Commission royale, n’était pas un contrôle théorique mais un contrôle réel. Cela a été reconnu par Gordon Bradley, un membre de la délégation de Terre-Neuve, à l’occasion de la réunion de 1947 avec des représentants du Canada au cours de laquelle la possibilité d’union a été discutée:

[TRADUCTION] On peut décrire Terre-Neuve comme un pays à la recherche d’une forme satisfaisante de gouvernement. Depuis plus de treize ans, le pays a été géré par ce qu’on peut à juste titre appeler une administration intérimaire. Cette administration, connue sous le nom de gouvernement par commission, est nommée et contrôlée par le gouvernement de Sa Majesté pour le Royaume-Uni. Elle ne représente pas la population si ce n’est dans la mesure où trois de ses sept membres sont des rési-

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dants de Terre-Neuve qui ont été choisis et nommés par le gouvernement britannique, les quatre autres membres étant des résidants du Royaume-Uni. On a franchement reconnu, lorsque ce système d’administration par commission a été proposé pour la première fois et instauré, qu’il serait de nature temporaire et qu’il ne durerait qu’un nombre limité d’années. Les deux conditions de son abolition ont été clairement énoncées au départ: il subsisterait jusqu’à ce que Terre-Neuve redevienne financièrement autonome et que la population de Terre-Neuve en demande la suppression.

De l’avis du Secrétaire d’État pour les affaires des Dominions, le contrôle par le Dominions Office était une nécessité constitutionnelle. Un gouvernement doit être comptable de ses actes à un organisme élu et le seul organisme élu auquel la Commission de gouvernement pouvait être comptable était le Parlement de Westminster, par l’entremise du Secrétaire d’État pour les affaires des Dominions (Dépêche 539, le 19 décembre 1935).

Le procureur général de Terre-Neuve soutient à l’annexe «A» de son mémoire, à la p. 149:

[TRADUCTION] Même si, dans sa nouvelle forme, le gouvernement institué n’était ni représentatif ni responsable, il constituait néanmoins, tout autant que ses prédécesseurs, une forme de gouvernement de Terre-Neuve et de nulle part ailleurs.

Ce gouvernement était certainement celui de Terre-Neuve; la difficulté vient de ce que ce n’était pas une forme de gouvernement par Terre-Neuve.

Sous le régime de la Commission de gouvernement, Terre-Neuve avait encore en principe le statut de dominion en vertu du Statut de Westminster, 1931. En pratique cependant, Terre‑Neuve a été traitée de façon différente des autres dominions. Par exemple, dans la législation impériale qui porte sur les dominions, la formule utilisée consistait à définir un dominion comme [TRADUCTION] «un dominion au sens du Statut de Westminster, 1931, à l’exception de Terre-Neuve», puis à disposer séparément du cas de Terre-Neuve en la traitant comme une colonie.

Le procureur général de Terre-Neuve soutient avec vigueur que, sous le régime de la Commission de gouvernement, Terre-Neuve était différente d’une colonie ordinaire. Ce peut bien être vrai,

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mais cela ne signifie pas qu’elle avait la souveraineté extérieure nécessaire pour acquérir des droits sur le plateau continental.

Dans la conduite des relations internationales, le gouvernement du Royaume-Uni agissait au nom de Terre-Neuve, même si, de fait, des représentants du gouvernement de Terre-Neuve y participaient étroitement. Terre-Neuve a participé à la Conférence de 1943 sur les pêcheries et a signé de son propre chef le document final de la Conférence, mais par la suite cela a été qualifié d’«irrégulier» par le Foreign Office (Dossier, p. 1673). Il semble clair que les autorités du Royaume-Uni veillaient à ce que le gouvernement de Terre-Neuve n’agisse pas à titre d’État indépendant. Ainsi, on a considéré que la réponse de Terre-Neuve à la proclamation Truman (la revendication des droits sur le plateau continental faite par les États-Unis en 1945) soulevait des questions constitutionnelles. Dans une lettre en date du 31 juillet 1947, adressée par C. Costley-White du Commonwealth Relations Office, à P.D.H. Dunn, ministre de l’Agriculture et des Pêcheries de Terre-Neuve, on trouve l’observation suivante (Dossier, p. 2098):

[TRADUCTION] En vertu des arrangements constitutionnels actuels (qui, il est vrai, n’auront peut-être pas cours encore très longtemps), il ne semblerait pas approprié pour le gouvernement de Terre-Neuve d’aborder directement, avec le gouvernement des États-Unis, une question de cette nature au sujet des relations extérieures. Il serait nécessaire que le gouvernement du Royaume-Uni entre en communication avec celui des États-Unis.

Le procureur général de Terre-Neuve soutient, et la Cour d’appel a accepté cet argument dans le Renvoi de Terre-Neuve (p. 32), que le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission de gouvernement étaient, du point de vue constitutionnel, les fiduciaires du futur gouvernement de Terre-Neuve. Qu’elle soit exacte ou non, cette analyse ne nous aide pas à résoudre la question en litige. Les pouvoirs du «futur gouvernement de Terre-Neuve» ont été, en 1949, partagés entre la nouvelle province de Terre-Neuve et le gouvernement fédéral du Canada. L’analyse de Terre-Neuve ne nous indique pas ce qu’on a réservé ou acquis pour la future province par opposition à ce qui a été fait pour le gouvernement fédéral.

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Le procureur général de Terre-Neuve souligne que Terre-Neuve s’est soumise de plein gré à la Commission de gouvernement et que son autonomie n’a été que suspendue. Nous acceptons ces deux propositions, mais elles ne changent rien au fait que, pendant la période de suspension, Terre-Neuve ne possédait même pas la souveraineté intérieure et encore moins la souveraineté extérieure. Nous sommes d’avis que la suspension de l’autonomie a nécessairement eu pour effet de suspendre la souveraineté extérieure de Terre-Neuve reconnue dans la Déclaration Balfour. Tous les droits relatifs au plateau continental que le droit international a reconnus entre 1934 et 1949 ont donc été dévolus à Sa Majesté du chef du Royaume-Uni et non à Sa Majesté du chef de Terre-Neuve.

(3) L’effet de la clause 7 sur le statut de Terre-Neuve

Le procureur général de Terre-Neuve soutient subsidiairement que, même si Terre-Neuve a perdu sa souveraineté extérieure pendant la Commission de gouvernement, elle s’est jointe au Canada avec la même souveraineté extérieure que celle qu’elle possédait en 1933, à cause de la clause 7 des Conditions de l’union:

CONSTITUTION DE LA PROVINCE

7. La constitution de Terre-Neuve, telle qu’elle existait immédiatement avant le seizième jour de février 1934, est remise en vigueur à la date de l’Union et, sous réserve des présentes clauses et des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1946, continuera d’être la constitution de la province de Terre-Neuve, à compter de la date de l’Union, tant qu’elle n’aura pas été modifiée en vertu desdits actes.

Selon cet argument, la remise en vigueur de la constitution antérieure à 1934 signifie que tous les droits relatifs au plateau continental qui sont nés pendant la Commission de gouvernement sont revenus à Terre-Neuve immédiatement avant l’union.

La clause 7 est apparue pour la première fois dans le septième des huit avant-projets des Conditions de l’union. Elle se lisait simplement alors comme ceci:

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[TRADUCTION]

CONSTITUTION DE LA PROVINCE

7. La constitution de Terre-Neuve, telle qu’elle existait immédiatement avant le seizième jour de février 1934, est remise en vigueur à la date de l’Union prévue dans les présentes clauses.

Elle a été révisée dans le huitième avant-projet de manière à se lire:

[TRADUCTION]

CONSTITUTION DE LA PROVINCE

7. La constitution de Terre-Neuve, telle qu’elle existait immédiatement avant le seizième jour de février 1934, est remise en vigueur à la date de l’Union et, sous réserve des présentes clauses, continuera d’être la constitution de la province de Terre-Neuve, à compter de la date de l’Union, tant qu’elle n’aura pas été modifiée en vertu des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1946.

Elle a été rédigée dans sa version définitive dans le supplément du huitième avant-projet.

L’essence de chacune des ébauches de la clause 7 est la même. L’expression «à la date de l’Union» dans la clause 7 est définie à la clause 1 comme étant «l’entrée en vigueur des présentes clauses». En conséquence, la remise en vigueur prend effet en même temps que les autres clauses. La constitution antérieure à 1934 n’est remise en vigueur que sous sa forme modifiée. Une de ces modifications porte que Terre-Neuve aura le statut d’une province en vertu du Statut de Westminster, 1931 (clause 48). La clause 7 est précédée de l’intitulé «Constitution de la province». L’objet évident de la clause 7 est de donner à Terre‑Neuve un gouvernement responsable, mais à titre de province du Canada (Renvoi de Terre-Neuve, précité, p. 34). La clause 7 ne porte que sur la forme d’autonomie intérieure.

En conséquence, nous ne croyons pas que la clause 7 modifie de quelque façon notre conclusion portant que, si des droits relatifs au plateau continental existaient en droit international avant l’union, ils ont été dévolus à Sa Majesté du chef du Royaume-Uni et non à Sa Majesté du chef de Terre-Neuve.

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(4) L’effet de la clause 37 sur le statut de Terre-Neuve

Même si Terre-Neuve avait possédé la souveraineté extérieure immédiatement avant de s’unir au Canada, elle a manifestement perdu cette souveraineté extérieure par suite de cette union, en acquérant le statut de province. À supposer, pour les fins de l’argumentation seulement, qu’en 1949 Terre-Neuve avait une souveraineté extérieure qu’elle pouvait perdre, la perte de cette souveraineté extérieure aurait-elle entraîné celle des droits déjà acquis sur le plateau continental?

Le procureur général de Terre-Neuve invoque la clause 37 pour étayer l’argument portant que la province a conservé les droits relatifs au plateau continental. Les clauses 2, 3 et 35 sont aussi pertinentes:

2. La province de Terre-Neuve comprendra le même territoire qu’à la date de l’Union, c’est-à-dire l’île de Terre-Neuve et les îles y adjacentes, ainsi que la côte du Labrador, telle qu’elle a été délimitée dans la décision rendue par le Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté le premier jour de mars 1927 et approuvée par Sa Majesté en son Conseil privé le vingt-deuxième jour de mars 1927, et les îles adjacentes à ladite côte du Labrador.

APPLICATION DES ACTES DE L’AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE

3. Les Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1946, s’appliqueront à la province de Terre-Neuve de la même façon et dans la même mesure qu’ils s’appliquent aux provinces comprises jusqu’ici dans le Canada, comme si la province de Terre‑Neuve avait été l’une des provinces primitivement unies, sauf les dérogations apportées par les présentes clauses et excepté les dispositions qui sont, de façon expresse, ou qui peuvent être, selon une interprétation raisonnable, spécialement applicables ou destinées à s’appliquer seulement à une ou quelques provinces primitivement unies, mais non à toutes ces dernières.

35. Les ouvrages et biens publics de Terre-Neuve qui ne sont pas, sous l’autorité ou en vertu des présentes clauses, transférés au Canada demeureront la propriété de la province de Terre-Neuve.

Ressources naturelles

37. Toutes les terres, mines, minéraux et redevances appartenant à Terre-Neuve à la date de l’Union, et tous

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les montants alors échus ou payables pour lesdites terres, mines, minéraux ou redevances, appartiendront à la province de Terre-Neuve, sous réserve de toutes fiducies à leur égard et de tout intérêt autre que celui que la province pourrait avoir dans les susdits.

La clause 37 (dont le texte est demeuré le même dans les huit avant-projets) est semblable à l’art. 109  de la Loi constitutionnelle de 1867 :

109. Toutes les terres, mines, minéraux et réserves royales appartenant aux différentes provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick lors de l’union, et toutes les sommes d’argent alors dues ou payables pour ces terres, mines, minéraux et réserves royales, appartiendront aux différentes provinces d’Ontario, Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, dans lesquelles ils sont sis et situés, ou exigibles, restant toujours soumis aux charges dont ils sont grevés, ainsi qu’à tous intérêts autres que ceux que peut y avoir la province.

(C’est nous qui soulignons.)

Soulignant que la clause 3 prévoit qu’il peut y avoir des différences entre Terre-Neuve et les autres provinces, le procureur général de Terre-Neuve fait une distinction fondée sur le fait que les mots «dans lesquelles ils sont sis et situés, ou exigibles» que l’on trouve à l’art. 109 ne figurent pas dans la clause 37. Tel qu’adopté par la Cour d’appel dans le Renvoi de Terre‑Neuve, précité, aux pp. 35 et 36, cet argument se présente ainsi:

[TRADUCTION] Si lors de l’union au Canada, l’intention était de restreindre la propriété de Terre-Neuve, en matière de ressources naturelles, aux ressources qui se trouvaient à l’intérieur de ses frontières définies, alors la clause 37 devient superflue compte tenu du fait que la clause 3 rend déjà l’art. 109 de l’Acte de Amérique du Nord britannique, 1867 applicable à Terre-Neuve sans modification expresse, de la même manière que l’art. 10 des Conditions de l’union de la Colombie-Britannique rend l’art. 109 applicable à cette province. Suivant la règle générale d’interprétation, il faut non seulement interpréter la Loi dans son ensemble, mais si possible donner un sens à chacune de ses dispositions. La différence importante entre la clause 37 et l’art. 109 est l’absence, dans la clause 37, de termes qui limitent les ressources réservées à Terre-Neuve à celles qui se trouvent à l’intérieur de ses frontières définies à la clause 2. La présomption veut que les mots qui se trouvent dans une clause correspondante d’une loi antérieure n’aient pas été omis sans motif. Pour donner effet à la clause 37, il faut donc l’interpréter comme une modification de

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l’art. 109  de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867  et comme ayant pour effet de réserver à la province de Terre-Neuve tous les droits de propriété à l’intérieur et à l’extérieur du territoire décrit à la clause 2.

Même si elle s’est dite d’accord avec le procureur général de Terre-Neuve quant à l’importance des clauses en question, la Cour d’appel de Terre-Neuve a quand même conclu que la clause 37 ne s’appliquait pas aux droits sur le plateau continental parce que Terre‑Neuve n’avait jamais revendiqué aucun droit de propriété sur le plateau continental. La cour explique, à la p. 40:

[TRADUCTION] Dans le Renvoi de la Colombie-Britannique [le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins], la Cour suprême du Canada a statué que le droit international ne peut pas à lui seul doter un État d’un territoire additionnel ou de droits sur ce territoire. L’acquisition de tels droits relève du droit national et doit être réalisée au moyen d’un acte constitutionnel quelconque. Nous devons, bien sûr, considérer que cette décision règle la question en l’espèce. L’historique de Terre-Neuve avant l’union démontre qu’il n’y a pas eu de tel acte.

Dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, cette Cour a conclu, en fonction de l’arrêt R. v. Keyn, précité, que le territoire de la Colombie-Britannique n’incluait pas la mer territoriale à cause de l’absence de revendication en vertu du droit national. Cette exigence d’une revendication ne s’applique, croyons-nous, qu’à l’extension de territoires et non à l’acquisition de droits de propriété au delà des limites territoriales. Nous ne croyons pas que ce soit l’absence de revendication de la part de Terre-Neuve qui l’empêche d’acquérir un droit de propriété. Dans le Renvoi de 1967 sur les droits miniers sous-marins, on a conclu que le Canada avait le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental même s’il n’avait fait aucune revendication. Notre conclusion que la clause 37 n’aurait pas aidé Terre-Neuve à conserver tout droit qu’elle pourrait avoir acquis sur le plateau continental avant 1949 se fonde sur des considérations différentes.

Nous n’attribuons pas la même importance que la Cour d’appel de Terre-Neuve a accordée à l’insertion spécifique de la clause 37 ou à l’absence des mots «dans lesquelles ils sont sis et situés, ou

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exigibles». Les Conditions de l’union portaient entièrement sur le partage des biens, malgré qu’on pourrait en qualifier une bonne partie de superflue. Il y a certaines choses qui ne pouvaient être visées par la Loi constitutionnelle de 1867 , comme l’aéroport de Gander et la propriété de la Newfoundland Broadcasting Corporation, mais plusieurs autres cessions dans les Conditions de l’union avaient un équivalent exact dans la Loi constitutionnelle de 1867 , comme par exemple, les chemins de fer ou les ports de l’État. Il semble qu’on ait voulu simplement réunir toutes les dispositions relatives au partage des biens en un seul endroit, d’où l’insertion des clauses 35 et 37 en sus de la clause 3.

Quant aux mots «dans lesquelles ils sont sis et situés, ou exigibles» à l’art. 109, ils sont grammaticalement nécessaires parce que l’article visait au départ trois anciennes colonies qui allaient former quatre provinces. Ils n’ont aucun autre but ni aucun autre effet. Les droits de propriété visés à l’art. 109 sont ceux sur les biens publics: Attorney-General of British Columbia v. Attorney-General of Canada (1889), 14 App. Cas. 295 (C.P.), à la p. 301. Sa Majesté du chef de la province détient le titre ultime sur ces biens à l’intérieur de la province parce qu’elle est l’État. En dehors de leurs frontières, les provinces ne peuvent posséder de tels biens publics; tout bien qu’elles peuvent posséder en dehors de leurs limites territoriales—comme des bureaux provinciaux dans des pays étrangers—elles le possèdent comme propriété privée en leur capacité de personnes morales. Il s’agit là d’un principe fondamental en droit constitutionnel et non de la conséquence de l’insertion des mots «dans lesquelles ils sont sis et situés, ou exigibles» à l’art. 109  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Il faudrait beaucoup plus que l’absence de ces mots de la clause 37 des Conditions de l’union pour conférer à la province de Terre-Neuve la capacité de posséder des biens publics extra‑territoriaux.

Qui plus est enfin, il se présente une difficulté conceptuelle fondamentale lorsqu’on tente d’appliquer les clauses 35 et 37 aux droits relatifs au plateau continental. Ces clauses portent sur les droits de propriété que la province de Terre-Neuve conservera après la Confédération. De par leur

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caractère véritable, les droits relatifs au plateau continental sont rattachés à la souveraineté extérieure. De par leur caractère véritable, ce ne sont pas des droits de propriété et, en conséquence, ils ne sont pas vraiment visés par des dispositions régissant le partage des biens. La clause 37 ne peut étayer l’argumentation de Terre-Neuve.

À supposer, pour les fins de la discussion, qu’en 1949 le droit international reconnaissait le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental, nous concluons que lors de l’union, ce droit a dû être transmis, comme accessoire à la souveraineté extérieure, soit de Sa Majesté du chef de Terre-Neuve soit, comme nous le croyons, de Sa Majesté du chef du Royaume‑Uni à la seule entité au Canada qui possède la souveraineté extérieure—Sa Majesté du chef du Canada. Même si—contrairement à ce que nous croyons—Terre-Neuve avait possédé la souveraineté extérieure nécessaire pour acquérir les droits relatifs au plateau continental avant de se joindre au Canada, en vertu des Conditions de l’union ce serait le Canada et non Terre-Neuve qui aurait le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental.

L’état du droit international en 1949

Jusqu’à maintenant nous avons formulé, au sujet du droit international, les hypothèses les plus favorables à la position de Terre-Neuve. À partir de ces hypothèses, nous avons été incapables de conclure que Terre-Neuve avait la capacité constitutionnelle d’acquérir ou de conserver des droits sur le plateau continental. Nous examinerons maintenant ces hypothèses ainsi que la question du droit international.

À la fin des années quarante, il y a eu des discussions entre la Commission de gouvernement de Terre-Neuve et le gouvernement du Royaume-Uni au sujet de la possibilité d’une revendication de droits sur le plateau continental «par Terre-Neuve ou pour son compte», mais une telle revendication n’a jamais été faite. En conséquence, pour que Terre-Neuve ait acquis des droits sur le plateau continental conformément au droit international avant de s’unir au Canada en 1949, il faut démontrer qu’à cette date, le droit international en était au stade où il reconnaissait non seulement la

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validité des revendications des États à l’égard du plateau continental, mais aussi que les États qui n’avaient pas fait de telles revendications possédaient les droits en question ipso jure, c’est-à-dire de plein droit. Il n’y a pas de doute que la position actuelle en droit international est qu’aucune revendication n’est nécessaire. Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention de Genève de 1958 le dit expressément:

Les droits de l’État riverain sur le plateau continental sont indépendants de l’occupation effective ou fictive aussi bien que de toute proclamation expresse.

La question est de savoir si le droit international était suffisamment cristallisé pour que ce soit la règle applicable en 1949.

Le paragraphe 38(1) du Statut de la Cour internationale de Justice énumère trois sources premières de droit international, lesquelles figurent aux al. a), b) et c) ci-après:

1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique:

a) les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États en litige;

b) la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit;

c) les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées;

d) sous réserve de la disposition de l’article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.

Il n’y avait aucune règle conventionnelle relative au plateau continental avant la Convention de Genève de 1958 et, par conséquent, la source a) ne s’applique pas. La source c) renvoie aux principes de droit national, Oppenheim on International Law, 8e éd. par Lauterpacht, 1955, à la p. 29, et ne s’applique pas non plus en l’espèce. La question cruciale est donc de savoir si le droit souverain ipso jure d’explorer et d’exploiter le plateau continental était, dès 1949, une question de droit international coutumier. Oppenheim on International Law, précité, donne la définition suivante de la coutume (à la p. 17):

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[TRADUCTION] Les juristes de droit international parlent de coutume lorsqu’une habitude claire et ininterrompue d’accomplir certains actes s’est développée en fonction de la conviction que ces actes sont, suivant le droit international, obligatoires ou convenables.

Pour constituer une coutume, il faut qu’il y ait uniformité ou constance substantielle et acceptation générale.

Le droit positif applicable au plateau continental a son origine dans les revendications des États. La première revendication a été faite en 1942 et concernait le golfe de Paria entre le Venezuela et Trinidad. Un traité conclu entre le Venezuela et le Royaume-Uni comportait une entente portant reconnaissance réciproque de leurs revendications respectives de souveraineté sur certains champs sous-marins de ce golfe. Le Royaume-Uni a donné suite au traité en adoptant un décret en date du 6 août 1942, déclarant que les champs sous‑marins:

[TRADUCTION] … seront annexés aux dominions de Sa Majesté et en feront partie, et seront rattachés à la colonie de Trinidad et Tobago aux fins administratives, et lesdits champs sous-marins sont annexés et rattachés en conséquence.

Les Britanniques ont agi en vertu de la théorie selon laquelle le lit de la mer situé au delà des eaux territoriales était res nullius—un bien sans maître—et qu’on pouvait donc se l’approprier uniquement par occupation. Cela est très différent de la manière dont le droit international a finalement évolué.

La revendication faite par les États-Unis dans la proclamation Truman, en date du 28 septembre 1945, est plus conforme à la façon dont le droit international actuel envisage le plateau continental. Cette proclamation, abstraction faite du préambule, se lit ainsi:

[TRADUCTION] En conséquence, moi, Harry S. Truman, président des États-Unis d’Amérique, proclame par les présentes la politique suivante des États-Unis d’Amérique à l’égard des ressources naturelles du sous-sol et du sol du plateau continental.

Préoccupé par l’urgence de conserver et d’utiliser judicieusement ses ressources naturelles, le gouvernement des États-Unis considère, comme appartenant aux États‑Unis et soumises à sa juridiction et à son contrôle, les ressources naturelles du sous-sol et du sol du plateau

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continental situé sous la haute mer, mais contigu aux côtes des États-Unis. Dans les cas où le plateau continental s’étend jusqu’aux rives d’un autre État, ou est partagé avec un État adjacent, la frontière sera déterminée par les États-Unis et l’État concerné conformément à des principes d’équité. Le caractère de haute mer des eaux qui couvrent le plateau continental et le droit d’y naviguer librement et sans entrave ne sont nullement touchés.

Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, précitées, la Cour internationale de Justice a confirmé que la proclamation Truman constituait le point de départ du droit positif sur la question.

Avant l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, sept États latino-américains (le Mexique, l’Argentine, Panama, le Nicaragua, le Chili, le Pérou et Costa Rica) avaient pris des décrets relativement au plateau continental, qui étaient tous rédigés en termes plus généraux que la proclamation Truman. Tous revendiquaient au moins la souveraineté sur le plateau continental; la plupart le considérait comme du territoire. La majorité des États revendiquaient non seulement des droits sur le plateau continental, mais aussi sur les eaux surjacentes. Certains revendiquaient des droits sur le plateau géographique jusqu’à une profondeur déterminée; d’autres revendiquaient une zone s’étendant jusqu’à 200 milles des côtes, peu importe la profondeur.

Pour compléter l’exposé des événements survenus avant l’union de Terre-Neuve au Canada, il faut mentionner l’extension, par décret du Royaume-Uni, des limites territoriales de deux autres colonies, savoir la Jamaïque et les Bahamas. Cette extension a, dans les deux cas, été décrétée le 26 novembre 1948.

Dans les six mois précédant l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, des revendications avaient été faites par treize autres États, pour la plupart des États du golfe Persique. La plupart des déclarations faites par les États du golfe Persique ont été rédigées par les autorités britanniques puisque les États en cause étaient alors des protectorats britanniques. Même en comptant ces 13 revendications supplémentaires, le nombre des revendications n’était pas considérable et leur rédaction était loin d’être uniforme.

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En 1950, la Commission du droit international a commencé ses travaux sur le plateau continental. Plusieurs de ses membres ont fait observer qu’ils avaient le sentiment de travailler au développement progressif du droit international plutôt qu’à la codification du droit existant. En 1950, le rapporteur spécial, J.P.A. François, dans son premier mémoire à la Commission, a exprimé l’avis que les droits relatifs au plateau continental ne faisaient pas encore partie du droit international:

Le droit international reconnaît-il le principe que le contrôle et la juridiction, ou même la souveraineté, en ce qui concerne le sol et le sous-sol du plateau continental, ainsi que des eaux au-dessus de ce plateau, au-delà des eaux territoriales, reviennent à l’État riverain?

Le Rapporteur ne croit pas que dès maintenant Ton puisse donner à cette question une réponse affirmative. Le nombre des proclamations, revendiquant des droits spéciaux, va, il est vrai, croissant, mais il reste encore restreint. La plupart des États jusqu’à présent n’ont pas revendiqué de pareils droits, et ils n’ont pas non plus reconnu de façon expresse la validité de pareilles revendications. Dans certains cas, où il s’agissait de la revendication de droits de souveraineté, des protestations formelles ont été élevées. S’il s’agit seulement de droits de contrôle et de juridiction, des doutes subsistent quant à la portée de ces revendications; vont-elles beaucoup moins loin que la souveraineté?

Dans ces conditions on ne saurait, de l’avis du Rapporteur, adopter le point de vue, que le droit international reconnaît dès maintenant comme une règle de droit coutumier, que soit la souveraineté, soit le contrôle et la juridiction à l’égard du plateau continental reviennent à l’État riverain ipso facto ou par une seule occupation notionnelle.

Il ressort clairement des délibérations de 1950 de la Commission que la notion de droits ipso jure sur le plateau continental était considérée comme du droit nouveau:

[TRADUCTION] Le PRÉSIDENT a lu le texte de la question 9: «Dans quelle mesure peut-on mettre en question, à ce propos, des droits déjà reconnus par le droit international actuel?

M. FRANÇOIS a affirmé que la Commission avait déjà répondu à cette question en acceptant la formule soumise par M. Brierly, selon laquelle, en droit international, le droit de contrôle et la juridiction de l’État riverain existent ipso jure.

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M. BRIERLY a exprimé son désaccord. Il a estimé que la question du plateau continental en est une qui a trait au développement du droit international, et il avait soumis sa formule dans l’espoir qu’elle puisse servir de fondement à un droit qui serait déterminé plus tard.

M. FRANÇOIS a fait remarquer qu’après les explications fournies par M. Brierly, les deux dispositions adoptées par la Commission n’étaient pas si loin l’une de l’autre.

La confirmation de ces points de vue se trouve dans la décision rendue en 1952 par Lord Asquith, dans l’affaire Abu Dhabi Arbitration (1952), 1 International and Comparative Law Quarterly 247, qui a été largement invoquée par le procureur général du Canada. Cet arbitrage portait sur l’interprétation d’un contrat intervenu en 1939. L’une des questions soulevées était celle de savoir si des concessions avaient été accordées sur les champs sous-marins situés en dehors de la mer territoriale d’Abu Dhabi. Lord Asquith affirme, aux pp. 253 à 256:

[TRADUCTION] Appelé, si je comprends bien, à appliquer une jurisprudence simple et générale à l’interprétation de ce contrat, il me semble que ce serait une subtilité on ne peut plus forcée que d’y voir les implications d’une doctrine qui n’a été débattue que sept ans plus tard et, si le point de vue que je vais exprimer est bien fondé, lequel n’est même pas encore admis en droit international…

Le passage précédent souligne non seulement l’origine récente de la doctrine, mais aussi la grande variété de formes qu’elle a prises depuis le peu de temps qu’elle existe. Certains États revendiquent la souveraineté sur le plateau continental. D’autres évitent nettement de le faire et ne revendiquent que la «juridiction» ou le «contrôle», le «rattachement» et ainsi de suite. Quelle que soit la portée des droits réclamés, certains États les revendiquent par proclamation ce qui suppose que ces droits existent déjà; d’autres font des proclamations qui constituent à première vue un nouveau départ et sont conçues de manière à être constitutives de titre. Quelle est la limite extérieure du plateau continental? Encore ici, les réponses données diffèrent. Certains États affirment que c’est «sa limite géologique ou géographique, son ‘rebord’ ou sa ‘dénivellation’». D’autres (soit parce que leur plateau continental n’a pas de rebord ou de dénivellation, soit pour d’autres motifs) affirment que c’est «le point où la mer atteint 100 brasses ou 200 mètres de

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profondeur»; d’autres encore affirment que c’est «une ligne parallèle à la côte de l’État riverain et située à 200 milles marins de celle-ci». La revendication de 200 milles semble plus ou moins universellement contestée. Les deux autres critères semblent beaucoup plus raisonnables à première vue … D’ailleurs, comment peut-on acquérir des droits quelconques sur le sous-sol du plateau continental? Peut-on même les acquérir? Ou encore, leur existence n’entrerait-elle pas inévitablement en conflit avec la «liberté» de la haute mer? Avant que la doctrine du plateau continental ne soit promulguée, je crois qu’on aurait bien pu répondre généralement qu’on ne peut absolument pas les acquérir—qu’on ne peut pas plus s’approprier le plateau continental que la haute mer qui le recouvre ou qui y est surjacente: sous réserve de cette exception, que le sol (non le sous-sol) d’un champ sous-marin est, dans certains cas rares, assujetti à un droit coutumier que possèdent certains États de procéder à la pêche d’espèces «sédentaires» sur ledit sol. Par exemple, le droit de pêcher les éponges, les coraux, les huîtres, les perles et les turbinelles. En effet, les ressortissants des divers États riverains du golfe Persique jouissent de droits réciproques de pêche perlière sur les hauts-fonds de ce golfe. Si toutefois les champs sous-marins peuvent à la fois être assujettis à ces droits d’occupation limités de leur sol et être dans la même mesure «res nullius», l’ensemble de son sous-sol est-il res nullius? C’est-à-dire, une chose sur laquelle on peut acquérir des droits, mais seulement par occupation réelle? Ou la situation est-elle, comme le veut l’argument principal des requérants, que les droits sur le sous-sol du plateau continental existent (et doivent être considérés comme ayant toujours existé) ipso jure—avec ou sans occupation—en faveur de l’État riverain contigu? Ou faute de quoi, si l’occupation est effectivement nécessaire, dans les cas où elle est presque impossible, les proclamations ou les actes semblables peuvent-ils être considérés comme une occupation implicite, symbolique ou latente (soit la thèse subsidiaire des requérants sur ce point)?

Conclusion sur la doctrine du plateau continental

Ni la pratique des États ni les déclarations de savants juristes n’apportent une réponse sûre ou uniforme à un bon nombre—voire la plupart—de ces questions. À mon avis, il y a dans ce domaine tellement d’imprécision et de lacunes et tellement d’éléments qui ne sont que provisoires ou exploratoires, que quelle que soit la forme sous laquelle elle a été présentée jusqu’à maintenant, on ne peut pas prétendre que cette doctrine a d’ores et déjà la solidité ou le statut définitif d’une règle bien établie en droit international.

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Le procureur général de Terre-Neuve invoque, pour sa part, l’avis contraire exprimé par le professeur H. Lauterpacht (qui, soit-dit en passant, est l’avocat de la partie perdante dans Abu Dhabi Arbitration) dans «Sovereignty over Submarine Areas», [1950] British Yearbook of International Law 376. Le professeur Lauterpacht écrit ceci, en 1950, aux pp. 376, 377 et 394:

[TRADUCTION] … la doctrine et la pratique relatives au plateau continental … font maintenant, de toute façon, partie du droit international en raison des actes positifs et clairs posés par certains États, dont les principales puissances maritimes, et de l’acquiescement général des autres États.

De plus, à supposer que nous ayons affaire ici à la création d’un droit international nouveau fondé sur la coutume, ce qui importe c’est moins le nombre d’États qui participent à cette création et la durée de la période pendant laquelle ce changement s’effectue que l’importance relative, dans tout domaine donné, des États qui instaurent ce changement. Dans une question liée intimement au principe de la liberté des mers, la conduite de deux des principales puissances maritimes—comme la Grande-Bretagne et les États-Unis—revêt une importance particulière. Quant au plateau continental et aux champs sous-marins en général, ces deux États ont donné le coup d’envoi au développement et leur initiative a été considérée comme impérieuse presque tout naturellement dès le début. Il en a été ainsi plus particulièrement à cause de l’attachement traditionnel de ces États au principe de la liberté des mers et de la limite coutumière des eaux territoriales.

Quant à la question générale de l’existence des droits relatifs au plateau continental, Lauterpacht semble, d’après le contexte de tout l’article, avoir uniquement réussi à démontrer que cette doctrine devrait être acceptée en droit international. De toute façon, quant à la question cruciale de savoir si les droits relatifs au plateau continental existent ipso jure, Lauterpacht n’est pas d’un grand secours à la position de Terre-Neuve; en fait, il est porté à croire qu’une proclamation était nécessaire (aux pp. 418 et 419):

[TRADUCTION] Une proclamation constitue un moyen d’annoncer l’acquisition ou la revendication d’un titre. Elle ne constitue pas la source d’un titre, ni un moyen de l’acquérir. Cela ne signifie pas qu’elle est dénuée de sens ou inutile. Lorsque les autorités britanniques ont avisé, en 1949, les dirigeants de divers émirats du golfe Persi-

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que qu’une proclamation constituait une condition préalable à la validité de leur revendication de droits sur les champs sous-marins adjacents, elles l’ont fait par déférence pour un principe évident d’ordre et de discipline qui veut qu’une personne, ou un État, qui fait une revendication, même valide en soi, fasse connaître sa revendication au moyen d’une déclaration ou d’une annonce officielle. Cela est particulièrement vrai si l’objet de la revendication en question est d’un genre nouveau, de portée indéterminée et susceptible d’exiger une décision en fonction de revendications semblables de la part d’autres personnes ou d’autres États. En conséquence, les proclamations relatives au plateau continental ne vont nullement à l’encontre du point de vue selon lequel elles avaient un caractère déclaratoire quant à ce qui était considéré comme un titre revendiqué ou acquis par l’État ou lui appartenant en vertu d’un fondement juridique autre que l’occupation.

(C’est nous qui soulignons.)

Nous pensons que les observations de Lauterpacht soulèvent une autre question. Pendant la phase initiale de l’élaboration d’une règle de droit international, il est difficile d’affirmer que des droits existent ipso jure lorsqu’il n’est pas encore déterminé en quoi ces droits consistent. En 1949, en l’absence de toute proclamation par Terre-Neuve, il eût été difficile de dire précisément quels droits étaient conformes à la pratique des États à cette époque. Nous croyons que ce point de vue est renforcé par le fait que, dans les documents relatifs à l’examen de la possibilité d’une revendication par Terre-Neuve ou pour son compte, rien n’indique qu’on croyait que les droits de Terre-Neuve sur le plateau continental existaient déjà.

Nous concluons que le droit international n’était pas suffisamment développé en 1949 pour accorder, ipso jure, aux États riverains le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental. Nous croyons qu’en 1949 la pratique des États n’était ni suffisamment répandue pour constituer une pratique générale, ni suffisamment uniforme pour constituer une règle bien établie. De plus, plusieurs des premières revendications des États outrepassaient ce que le droit international a par la suite consacré dans la Convention de Genève de 1958. Le droit international relatif au plateau continental s’est développé assez rapidement, mais il n’était pas encore concrétisé en 1949.

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Le procureur général de Terre-Neuve soutient subsidiairement que même si les droits relatifs au plateau continental ne faisaient pas partie intégrante du droit international coutumier en 1949, les progrès subséquents ont eu un effet rétroactif. À l’appui de cette proposition, il cite le passage suivant de la p. 22 des affaires du Plateau continental de la mer du Nord, précitées:

Délimiter d’une manière équitable est une chose, mais c’en est une autre que d’attribuer une part juste et équitable d’une zone non encore délimitée, quand bien même le résultat des deux opérations serait dans certains cas comparable, voire identique.

…la doctrine de la part juste et équitable semble s’écarter totalement de la règle qui constitue sans aucun doute possible pour la Cour la plus fondamentale de toutes les règles de droit relatives au plateau continental et qui est consacrée par l’article 2 de la Convention de Genève de 1958, bien qu’elle en soit tout à fait indépendante: les droits de l’État riverain concernant la zone de plateau continental qui constitue un prolongement naturel de son territoire sous la mer existent ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de l’État sur ce territoire et par une extension de cette souveraineté sous la forme de l’exercice de droits souverains aux fins de l’exploitation du lit de la mer et de l’exploitation de ses ressources naturelles. Il y a là un droit inhérent. Point n’est besoin pour l’exercer de suivre un processus juridique particulier ni d’accomplir des actes juridiques spéciaux. Son existence peut être constatée, comme cela a été fait par de nombreux États, mais elle ne suppose aucun acte constitutif. Qui plus est, ce droit est indépendant de son exercice effectif. Pour reprendre le terme de la Convention de Genève, il est «exclusif» en ce sens que, si un État riverain choisit de ne pas explorer ou de ne pas exploiter les zones de plateau continental lui revenant, cela ne concerne que lui et nul ne peut le faire sans son consentement exprès.

(C’est nous qui soulignons.)

Dans le Renvoi de Terre-Neuve, la Cour d’appel a tranché la question de droit international en faveur de Terre-Neuve, en fonction de l’argument de la rétroactivité. La Cour affirme ceci, à la p. 39:

[TRADUCTION] L’expression «ipso facto et ab initio» employée par la Cour [internationale de Justice] peut s’interpréter comme signifiant que les droits qui existent en droit international remontent aux temps géologiques, comme le propose D.P. O’Connell, ou à l’époque où la souveraineté sur le domaine terrestre a été établie et reconnue pour la première fois, ou à l’époque où les

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champs sous-marins en question sont devenus exploitables en raison des progrès de la science et de la technologie, ou plus précisément à l’époque où les États ont commencé à s’intéresser activement à ces champs. À notre avis, la dernière hypothèse est la plus logique et elle est conforme à la pratique britannique de l’époque.

La question de la rétroactivité n’a pas été soulevée dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord. Nous ne croyons pas que les expressions «ipso facto» et «ab initio» aient été utilisées pour donner l’idée de rétroactivité. Ce passage visait uniquement à repousser l’argument des Allemands selon lequel la Cour traitait de la délimitation de nouveaux territoires. La Cour d’appel de Terre-Neuve a énuméré les dates de départ possibles auxquelles renvoie l’expression «ab initio», mais elle en a omis une—le moment où le droit international a reconnu les droits relatifs au plateau continental. Nous croyons que c’est cette date qui est visée par l’expression «ab initio». Comme nous l’avons déjà mentionné, il ressort des délibérations de la Commission du droit international que l’on a considéré que la doctrine des droits ipso jure sur le plateau continental énonçait du droit nouveau. L’élaboration de règles de droit international coutumier ou conventionnel consiste, par définition, à élaborer du droit nouveau. Il n’est pas question, en droit international, de découvrir du droit qui a toujours existé. À notre avis, les droits relatifs au plateau continental n’ont aucune application rétroactive antérieure à l’époque où le droit international les a reconnus.

Même si les droits relatifs au plateau continental avaient un effet rétroactif, nous ne voyons pas, de toute façon, comment cela serait utile à Terre-Neuve. L’argument de Terre-Neuve se résume à ceci: en 1949, le droit international ne reconnaissait pas de droits sur le plateau continental de sorte que Terre-Neuve ne possédait pas de tels droits au moment où elle s’est jointe au Canada. Par la suite toutefois, le droit international a reconnu ces droits de façon rétroactive. Même si le droit international relatif au plateau continental avait un effet rétroactif, nous croyons que cela profiterait à l’entité qui, au Canada, a actuellement compétence pour acquérir des droits relatifs au plateau continental, et cette entité est non pas Terre-Neuve, mais le Canada. Nous sommes d’ac-

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cord avec l’extrait suivant du jugement du juge Gibbs, dissident pour d’autres motifs, dans l’arrêt New South Wales v. Commonwealth of Australia (1975), 135 C.L.R. 337, à la p. 416:

[TRADUCTION] Affirmer que les droits des États riverains sur le plateau continental existent depuis le début des temps peut, théoriquement en droit, être ou ne pas être exact. En réalité toutefois, les droits aujourd’hui reconnus représentent la réponse du droit international aux progrès modernes de la science et de la technologie qui permettent d’exploiter le lit de la mer d’une manière que les gouvernements ou les juristes des siècles précédents ne pouvaient absolument pas prévoir. À ce sujet, les arguments historiques ont plus de poids que les arguments logiques. En vérité, au moment de l’adoption de la Loi, les États n’avaient pas revendiqué et ne possédaient pas les droits relatifs au plateau continental que la convention accorde maintenant aux États riverains. Même si, en théorie, ces droits sont inhérents à la souveraineté des États riverains, ils résultent en fait de l’application d’un nouveau principe juridique. Lorsque le droit international a reconnu ces droits, le Commonwealth était la personne internationale qui avait qualité pour les revendiquer et c’est ce qu’il a fait. La revendication de ces droits par le Commonwealth n’a nullement porté atteinte aux droits existants de quelque État que ce soit.

Nous concluons donc que Terre-Neuve ne pouvait, à son entrée dans la Confédération, posséder des droits d’explorer et d’exploiter le plateau continental en vertu du droit international, parce qu’à cette époque le droit international ne conférait pas de tels droits. Elle n’a absolument pas non plus été en mesure d’acquérir de tels droits après la Confédération.

La compétence législative

La conclusion que le Canada a le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental amène facilement à conclure que le Canada possède la compétence législative en la matière. Il n’y a rien dans l’art. 92  de la Loi constitutionnelle de 1867  qui puisse accorder la compétence législative à Terre-Neuve à l’égard de tels droits que possède le Canada. La compétence législative appartient au Canada en vertu de son pouvoir résiduel en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

La compétence législative de Terre-Neuve, comme celle de toutes les autres provinces, se

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limite aux lois applicables dans la province. Cette restriction est prévue expressément aux par. 92(13) et 92A(1):

92. (13) La propriété et les droits civils dans la province;

92A. (1) La législature de chaque province a compétence exclusive pour légiférer dans les domaines suivants:

a) prospection des ressources naturelles non renouvelables de la province;

b) exploitation, conservation et gestion des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, y compris leur rythme de production primaire;

c) aménagement, conservation et gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique.

(C’est nous qui soulignons.)

Pour ce qui est du par. 92(5), la restriction «dans la province», comme nous l’avons déjà mentionné, s’applique en vertu de la common law.

92. (5) L’administration et la vente des terres publiques appartenant à la province, et des bois et forêts qui s’y trouvent.

Conclusion

En résumé, nous concluons ce qui suit:

(1) Les droits relatifs au plateau continental sont, de par leur caractère véritable, une manifestation extra-territoriale de la souveraineté extérieure.

(2) Le Canada a le droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental au large de Terre‑Neuve parce que:

a) tout droit relatif au plateau continental accordé par le droit international en 1949 aurait été dévolu à Sa Majesté du chef du Royaume-Uni et non à Sa Majesté du chef de Terre-Neuve;

b) même si Terre-Neuve avait pu posséder des droits sur le plateau continental avant l’union, ces droits seraient passés au Canada en vertu des Conditions de l’union;

c) quoi qu’il en soit, le droit international ne reconnaissait pas de droits relatifs

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au plateau continental en 1949; ces droits n’étaient pas incontestablement reconnus avant la Convention de Genève de 1958.

(3) Le Canada a la compétence législative relativement au droit d’explorer et d’exploiter le plateau continental au large de Terre-Neuve, en vertu de son pouvoir résiduel en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

En bref, nous sommes d’avis qu’il faut répondre aux deux parties de la question en faveur du Canada.

La réponse aux deux parties de la question est en faveur du Canada.

Procureur du procureur général du Canada: R. Tassé, Ottawa.

Procureurs du procureur général de Terre-Neuve: O’Dea, Greene, St. John’s.

Procureurs du procureur général de la Nouvelle-Écosse: Gowling & Henderson, Ottawa; Edward C. Foley, Halifax.

Procureur du procureur général du Nouveau-Brunswick: Le procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.

Procureur du procureur général du Manitoba: Gordon E. Pilkey, Winnipeg.

Procureur du procureur général de la Colombie-Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.

Procureur du procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard: Ralph C. Thompson, Charlotte‑town.

Procureur du procureur général de l’Alberta: R.W. Paisley, Edmonton.

 



[1] Le Juge en chef n’a pas pris part au jugement pour cause de maladie.

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