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Cour suprême du Canada

Droit constitutionnel—Relations du travail—Compagnie d’assurance-vie à charte fédérale—Compagnie fiduciaire à charte fédérale—Compétence du Conseil des relations du travail de la Saskatchewan pour accréditer une unité de négociation et entendre des accusations de pratiques déloyales—Code canadien du travail, S.R.C 1970, chap. L-1, art. 2, et art. 108 édicté par 1972 (Can.), chap. 18—The Trade Union Act, 1972 (Sask.), chap. 137.

Les deux questions en litige sont de savoir si, en vertu de The Trade Union Act, 1972 (Sask.) chap. 137, le Conseil des relations du travail de la Saskatchewan a compétence pour accréditer le syndicat intimé comme représentant des employés de (1) la compagnie d’assurance appelante (Pioneer Life) et de (2) la compagnie fiduciaire appelante (Pioneer Trust), et pour entendre les accusations de pratiques déloyales portées contre ces deux compagnies. Pioneer Life et Pioneer Trust sont toutes deux des filiales en propriété exclusive de la compagnie de gestion appelante et toutes trois sont des compagnies constituées en vertu de lois fédérales.

La compétence du Conseil a été contestée sur le moyen que les relations du travail au service de Pioneer

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Life et de Pioneer Trust sont régies par le Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, ou relèvent par ailleurs de la compétence exclusive du Parlement. Le Conseil a jugé qu’il était compétent et a accrédité le syndicat intimé comme représentant des employés des appelantes dans la ville de Regina.

Les appelantes se sont adressées à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan pour obtenir une ordonnance de certiorari en vue de faire annuler l’ordonnance d’accréditation et pour obtenir une ordonnance de prohibition qui empêcherait le Conseil d’entendre les neuf plaintes de pratiques déloyales. Le juge en chambre a rejeté les deux demandes et son jugement a été confirmé par l’arrêt unanime de la Cour d’appel de la Saskatchewan. D’où le présent pourvoi sur autorisation de cette Cour.

Devant cette Cour, tous les intervenants, à l’exception du procureur général du Canada, ont appuyé les décisions des cours d’instance inférieure. Le procureur général du Canada était d’avis que ces cours avaient raison relativement à la compétence du Conseil sur Pioneer Life mais qu’elles avaient tort relativement à la compétence du Conseil sur Pioneer Trust.

Après avoir entendu l’avocat des appelantes, la Cour n’a pas demandé aux avocats des intimés ou des intervenants de répondre à l’argument contestant la compétence législative provinciale relativement aux relations du travail des compagnies d’assurance-vie. Tous les avocats ont été entendus sur la question de l’assujettissement de Pioneer Trust à la loi provinciale concernant les relations du travail.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Le juge en chef Laskin et le juge Dickson: La question au cœur de la présente affaire n’est pas de savoir si Pioneer Trust est de fait une banque au sens de l’al. 2g) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 et de l’art. 28 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23—il est clair qu’elle ne l’est pas—mais de savoir si Pioneer Trust est visée par le préambule de l’art. 2 du Code canadien du travail et l’art. 108 de la Partie V du Code, édictée par 1972 (Can.), chap. 18, à titre d’«entreprise fédérale» ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, ou si elle est visée par l’al. 2i) du Code canadien du travail, à titre d’«ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales». Même si Pioneer Trust n’est pas une «banque» au sens de la législation fédérale, on allègue qu’elle se livre néanmoins à des opérations bancaires au sens du par. 91(15) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et

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que ces activités, même si elles ne sont pas institutionnalisées par la constitution de la compagnie en «banque», relèvent tout autant du pouvoir législatif exclusif du fédéral que si on avait effectivement procédé à pareille constitution.

Même si le Parlement aurait pu faire tomber les compagnies fiduciaires dans le cadre de sa compétence sur les banques, il a choisi de ne pas le faire et cette Cour doit respecter cette prise de position. Il s’ensuit que la législation provinciale en matière de relations du travail est applicable à Pioneer Trust et à ses employés. Il serait étrange, vu les circonstances de la présente affaire, que cette Cour conclue que Pioneer Trust, même si elle n’est pas une «banque» au sens de la législation fédérale visant expressément ces institutions et n’a pas été assujettie à la compétence fédérale sur les banques, peut y entrer par la petite porte en prétendant être «une entreprise fédérale» alors que pour cela il lui faudrait être une banque.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey et McIntyre: On a allégué au nom de Pioneer Trust que, bien que les provinces aient, prima facie., compétence pour légiférer dans le domaine des relations du travail, le Parlement a compétence exclusive sur les relations du travail dans le cadre d’ouvrages, entreprises ou affaires de compétence fédérale. On a également prétendu que, pour déterminer si le commerce de Pioneer Trust est une entreprise fédérale, il est nécessaire de considérer ses activités normales sans tenir compte des facteurs exceptionnels ou occasionnels. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des opérations de Pioneer Trust sont identiques à celles d’une banque à charte et sont donc de la nature d’opérations bancaires bien que la compagnie ne soit pas constituée en banque par charte délivrée en vertu de la Loi sur les banques. L’expression «les banques» au sens du par. 91.15 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, comprend non seulement les opérations effectuées par les banques à charte mais également les opérations bancaires des autres institutions financières. La Loi sur les compagnies fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16, va plus loin que la simple constitution de ces compagnies. Les activités quotidiennes de Pioneer Trust sont régies par les dispositions de cette loi, conformément au pouvoir du Parlement de faire des lois sur les banques. C’est en raison de cette réglementation et en raison de la nature bancaire de ses opérations que Pioneer Trust doit être considérée comme une entreprise fédérale aux fins du Code canadien du travail. Les compagnies fiduciaires à charte provinciale qui exploitent le même type d’entreprise ne sont pas régies par le fédéral comme l’est Pioneer Trust et les provinces peuvent continuer de les constituer et de les régir tant que le

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permet la loi fédérale. Mais vu qu’elle effectue des opérations bancaires et qu’elle est assujettie à la réglementation fédérale, Pioneer Trust est une entreprise fédérale au sens de l’al. 2i) du Code canadien du travail.

L’avocat du procureur général du Canada reconnaît avec l’avocat de Pioneer Trust que, bien que Pioneer Trust ne soit pas une banque, elle effectue des opérations bancaires. Le critère n’est pas de savoir ce que Pioneer Trust peut faire aux termes de ses pouvoirs juridiques mais ce qu’elle fait réellement. Toutefois, à cette étape, les deux avocats ne sont plus d’accord. L’avocat du procureur général du Canada a écarté toute prétention qu’une compétence partagée ou commune était possible dans le domaine des opérations bancaires. Les opérations bancaires relèvent exclusivement du pouvoir fédéral. Dès que l’on a conclu, comme il se doit, que Pioneer Trust est une entreprise bancaire, les relations du travail y sont régies exclusivement par le Parlement, que le Code canadien du travail lui soit applicable ou non. On prétend que Pioneer Trust est une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale au sens de l’al. 2i) du Code canadien du travail, mais même si ce n’est pas le cas, The Trade Union Act ne s’applique pas et le Conseil n’est pas compétent. La Loi sur les banques ne recouvre pas tout le champ de la compétence du Parlement sur les banques et leur constitution. Le fait que l’entreprise bancaire de Pioneer Trust n’est pas entièrement régie par la législation fédérale ne rend pas les lois provinciales applicables à cette entreprise exclusivement fédérale.

Si l’on acceptait les prétentions présentées au nom de Pioneer Trust, une compagnie fiduciaire qui exploite le même genre d’entreprise que Pioneer Trust serait assujettie, en ce qui concerne les relations du travail, soit aux lois provinciales soit aux lois fédérales, selon qu’elle est constituée en vertu d’une loi provinciale ou en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires. Cela est contraire à la jurisprudence établie selon laquelle l’origine de la constitution d’une entreprise n’a aucun rapport avec la compétence sur les relations du travail. De plus, les compagnies fiduciaires constituées en vertu de la Loi sur les compagnies ficudiaires et, à cette fin, les compagnies fiduciaires constituées en vertu des lois provinciales seraient assujetties soit à la compétence fédérale soit à la compétence provinciale relativement aux relations du travail selon qu’elles choisissent d’effectuer peu d’opérations fiduciaires et offrent beaucoup d’autres genres de services semblables à ceux offerts par Pioneer Trust.

Les prétentions exposées au nom du procureur général du Canada vont encore plus loin: si elles étaient acceptées et si l’on poussait jusqu’au bout leurs conséquences logiques, elles pourraient signifier que les compagnies

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fiduciaires constituées en vertu des lois provinciales, et peut-être même les caisses de crédit et les “Caisses populaires” qui exploitent le même genre d’entreprises que Pioneer Trust, ont été constituées illégalement et exercent leurs activités dans l’invalidité.

La question porte sur le concept abstrait de ce qui constitue les opérations bancaires.

CONCLUSION

La relation entre Pioneer Trust et ses clients est de nature fiduciaire et plusieurs de ses opérations relèvent de l’entreprise d’une compagnie fiduciaire. Un grand nombre de ses autres opérations ne sont pas caractéristiques de l’entreprise bancaire bien qu’elles soient également effectuées par des banques à charte. La seule opération effectuée par Pioneer Trust qui peut être caractéristique de l’entreprise bancaire, le service de compte de chèques, n’est pas exclusive à l’entreprise bancaire. Et finalement, le Parlement qui est l’autorité constitutionnelle compétente en matière de banques et d’opérations bancaires, considère que Pioneer Trust n’est pas une banque et que son entreprise n’est pas une entreprise bancaire. Donc Pioneer Trust n’est pas une entreprise bancaire.

Jurisprudence: Foley v. Hill, [1848] 2 H.L.C. 28; Joachimson v. Swiss Bank Corporation, [1921] 3 K.B. 110; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Quebec, [1946] A.C. 33; Le trésorier de la province du Manitoba c. Le ministre des Finances du Canada, [1943] R.C.S. 370; Colonial Building and Investment Association v. Attorney-General of Québec (1883), 9 App. Cas. 157; Renvoi relatif aux lois de l’Alberta, [1938] R.C.S. 100; Attorney‑General for Alberta v. Attorney-General for Canada, [1939] A.C. 117; Breckenridge Speedway Ltd. c. La Reine, [1970] R.C.S. 175; In re Bergethaler Waisenamt (No 2), [1949] 1 W.W.R. 323; United Dominions Trust v. Kirkwood, [1966] 1 All E.R. 968; In re The District Savings Bank Ltd. (1861), 45 E.R. 907; Re The Bottomgate Industrial Co-operative Society (1891), 65 L.T. 712; Bank of Chettinad Ltd., of Colombo v. Commissioner of Income Tax, Colombo, [1948] A.C. 378; Re Dominion Trust Co., [1918] 3 W.W.R. 1023; La Caisse Populaire Notre-Dame Ltée v. Moyen (1967), 61 D.L.R. (2d) 118; In re Shields’ Estate, [1901] 1 Ir. R. 172; Attorney-General for Alberta v. Attorney-General for Canada, [1947] A.C. 503; Bank of New South Wales v. The Commonwealth (1948), 76 C.L.R. 1; Commonwealth of Australia v. Bank of New South Wales, [1950] A.C. 235; Tennant v. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31; Renvoi sur la question de savoir si le mot «Indiens» au par. 91.24 de l’A.A.N.B. comprend les Esquimaux de la province de Québec, [1939] R.C.S. 104.

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POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan[2], confirmant le jugement du juge Halvorson qui a rejeté les demandes des appelantes visant à obtenir des ordonnances de certiorari et de prohibition. Pourvoi rejeté.

B.A. Crane, c.r., R.P. Rendek et D.A. Canham, pour les appelantes.

D.G. McLeod, c.r., pour l’intimé, le Conseil des relations du travail de la Saskatchewan.

T.B. Smith, c.r., et J. Mabbutt, pour le procureur général du Canada.

D.A. McKillop, pour le procureur général de la Saskatchewan.

J. Cavarzan, pour le procureur général de l’Ontario.

H. Brun et O. Laverdière, pour le procureur général du Québec.

J.W. Kavanagh, c.r., et G.D. Gillis, pour le procureur général de la Nouvelle-Écosse.

A.D. Reid, pour le procureur général du Nouveau-Brunswick.

W. Henkel, c.r., et H. Kushner, pour le procureur général de l’Alberta.

J.A. Nesbitt, c.r., pour le procureur général de Terre-Neuve.

Version française des motifs du juge en chef Laskin et du juge Dickson rendus par

LE JUGE EN CHEF—J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Beetz et, comme lui, je n’ai aucune difficulté à conclure que les employés de Pioneer Life Assurance Company et leur employeur sont assujettis, dans leurs relations du travail, à la compétence du Conseil des relations du travail de la Saskatchewan aux termes de The Trade Union Act, 1972 (Sask.), chap. 137. Le fait que Pioneer Life Assurance Company, à l’origine une compagnie constituée par la Saskatchewan, ait été reconstituée, si je peux m’exprimer ainsi, en vertu de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, chap. I-15 et soit subordonnée à certains contrôles

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prévus par cette loi fédérale, comme par exemple, quant à sa solvabilité et son organisation interne ne soustrait pas ses affaires d’assurance-vie à la compétence provinciale. Il existe une longue série de décisions qui reconnaissent la compétence législative des provinces dans le domaine des opérations d’assurance menées à l’intérieur d’une province. Ces décisions confirment l’application de la législation provinciale en matière de relations du travail à Pioneer Life Assurance Company et ses employés en Saskatchewan.

La situation de Pioneer Trust Company et ses employés n’est pas aussi simple en ce qui concerne l’application de la législation provinciale en matière de relations du travail. La compagnie a été constituée en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16; mais ce fait, à lui seul, ne saurait la faire tomber dans le champ de la compétence fédérale en ce qui concerne ses relations avec ses employés. L’argument selon lequel elle se livre principalement à ce qui est couramment considéré comme des opérations bancaires ne signifie pas, ipso facto, qu’elle relève uniquement du pouvoir législatif fédéral, y compris ses relations avec ses employés. Le Parlement du Canada a pris soin de ne pas inclure les compagnies fiduciaires à charte fédérale dans le système bancaire du pays, même s’il leur a attribué de nombreux pouvoirs exercés par les banques.

La question au cœur de la présente affaire n’est pas de savoir si Pioneer Trust Company est de fait une banque au sens de l’al. 2g) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 et de l’art. 28 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23—il est clair qu’elle ne l’est pas—mais de savoir si Pioneer Trust Company est visée par le préambule de l’art. 2 du Code canadien du travail et l’art. 108 de la Partie V du Code, édictée par 1972 (Can.), chap 18, à titre d’«entreprise fédérale» ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, ou si elle est visée par l’al. 2i) du Code canadien du travail à titre d’«ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales». A toutes fins utiles, la question ne concerne que la portée de l’expression «entreprise fédérale» et la seule entreprise de ce genre à laquelle Pioneer

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Trust Company peut prétendre se livrer est l’entreprise bancaire. J’ai déjà fait observer que la constitution en vertu d’une loi fédérale ne justifie pas à elle seule l’exercice de la compétence fédérale; il faut plutôt que la compagnie exerce une activité qui relève elle-même de la compétence fédérale. Bien entendu, le défaut ou le refus par le Parlement de légiférer dans tous les domaines de sa compétence prévue à l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’accroît pas au pouvoir législatif provincial. Le Conseil des relations du travail de la Saskatchewan et les provinces intervenantes qui soutiennent la compétence de cet organisme ne se fondent pas sur la thèse de l’accroissement; ils font plutôt valoir l’existence d’un pouvoir indépendant qui permet de régir les relations du travail au service des compagnies fiduciaires qui exercent leurs activités dans une province, peu importe qu’elles soient constitutées en vertu d’une loi provinciale ou d’une loi fédérale.

Même si Pioneer Trust Company n’est pas une «banque» au sens de la législation fédérale, on allègue qu’elle se livre néanmoins à des opérations bancaires au sens du par. 91(15) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et que ces activités, même si elles ne sont pas institutionnalisées par la constitution de la compagnie en «banque», relèvent tout autant du pouvoir législatif exclusif du fédéral que si on avait effectivement procédé à pareille constitution. Cette allégation est sérieuse vu l’éventail des activités qu’exerce Pioneer Trust Company.

L’une des difficultés de la présente affaire découle de conceptions désuètes de l’entreprise bancaire que l’on trouve dans une série de décisions du siècle dernier dont se sont inspirées quelques décisions du siècle présent. Elles sont fondées sur des coutumes anglaises qui n’ont pas subi l’influence du fédéralisme. Il y a aussi l’essor de nouveaux genres d’institutions de crédit qui exercent des pouvoirs semblables à ceux que les banques exercent depuis longtemps. Même si une banque est un négociant en crédit, tout négociant en crédit n’est pas une banque. De même, il n’est plus exact de dire, comme l’a fait lord Porter dans Attorney‑General for Canada v. Attorney-General for Quebec[3], à la p. 44, que [TRADUCTION] «la

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réception de dépôts et le remboursement aux déposants ou à leurs successeurs de la façon ci-dessus décrite constituent un élément essentiel de l’entreprise bancaire», s’il entend par là qu’il faut nécessairement considérer que toute institution qui entretient ce rapport débiteur‑créancier se livre à des opérations bancaires au sens du par. 91(15) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Même si le Parlement aurait pu faire tomber les compagnies fiduciaires dans le cadre de sa compétence sur les banques, il a choisi de ne pas le faire et j’estime que cette Cour doit respecter cette prise de position. Il s’ensuit que la législation provinciale en matière de relations du travail est applicable à Pioneer Trust Company et à ses employés. A mon avis, il serait étrange, vu les circonstances de la présente affaire, que cette Cour conclue que Pioneer Trust Company, même si elle n’est pas une «banque» au sens de la législation fédérale visant expressément ces institutions et n’a pas été assujettie à la compétence fédérale sur les banques, peut y entrer par la petite porte en prétendant être «une entreprise fédérale» alors que pour cela il lui faudrait être une banque.

Je suis d’avis de rejeter les pourvois avec dépens. Il n’y aura aucune adjudication de dépens en faveur des intervenants ou contre eux.

Version française du jugement des juges Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey et McIntyre rendus par

LE JUGE BEETZ—Les deux questions en litige sont de savoir si, en vertu de The Trade Union Act, 1972 (Sask.), chap. 137, le Conseil des relations du travail de la Saskatchewan, (le Conseil), a compétence pour accréditer le syndicat intimé comme représentant des employés de (1) Pioneer Life Assurance Company (Pioneer Life) et (2) Pioneer Trust Company (Pioneer Trust), et pour entendre les accusations de pratiques déloyales portées contre Pioneer Life et Pioneer Trust.

La compétence du Conseil a été contestée depuis le début sur le moyen que les relations du travail au service de Pioneer Life et de Pioneer Trust sont

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régies par le Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 ou relèvent par ailleurs de la compétence exclusive du Parlement. Le Conseil a jugé qu’il était compétent et a accrédité le syndicat intimé comme représentant des employés des appelantes dans la ville de Regina.

Les appelantes se sont adressées à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan pour obtenir une ordonnance de certiorari en vue de faire annuler l’ordonnance d’accréditation et pour obtenir une ordonnance de prohibition qui empêcherait le Conseil d’entendre les neuf plaintes de pratiques déloyales. Le juge Halvorson a rejeté les deux demandes et son jugement a été confirmé par l’arrêt unanime du juge Culliton, J.C.S., et des juges Woods et Brownridge de la Cour d’appel de la Saskatchewan. D’où le présent pourvoi sur autorisation de cette Cour.

Devant cette Cour, tous les intervenants, à l’exception du procureur général du Canada, ont appuyé les décisions des cours d’instance inférieure. Le procureur général du Canada était d’avis que ces cours avaient raison relativement à la compétence du Conseil sur Pioneer Life mais qu’elles avaient tort relativement à la compétence du Conseil sur Pioneer Trust.

I—Pioneer Life

Pioneer Life a été constituée en vertu des lois de la province de la Saskatchewan mais s’est enregistrée plus tard en vertu de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, chap. I-15, et est donc considérée comme ayant été constituée en vertu de cette loi. Tout comme Pioneer Trust, elle est une filiale en propriété exclusive de Canadian Pioneer Management Ltd., laquelle a été constituée en vertu de la Partie I de la Loi sur les corporations canadiennes,  S.R.C. 1970, chap. C-32  et maintenue en vertu de l’art. 181 de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, S.C. 1974-75-76, chap. 33. Canadian Pioneer Management Ltd. assure certains services d’administration à ses deux filiales.

Les appelantes comptent environ 90 employés dans la ville de Régina, dont huit ont été licenciés avant le dépôt de la demande d’accréditation.

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Environ 35 personnes travaillent pour Canadian Pioneer Management Ltd., mais certaines d’entre elles ont des responsabilités dans les deux compagnies filiales. Le Conseil a conclu que [TRADUCTION] «les relations du travail des trois entités juridiques sont inséparables» mais toute l’affaire a été plaidée sans vraiment tenir compte des répercussions possibles de cette conclusion sur les deux questions en litige.

Pioneer Life exploite une entreprise d’assurance-vie et a des bureaux en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba. En vertu de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques, elle est assujettie aux contrôles fédéraux en ce qui a trait au permis, aux états et rapports, aux contrats, aux opérations, aux placements, aux réserves pour tous les engagements non échus aux termes des polices, à la distribution des bénéfices, aux valeurs à détenir au Canada, etc. En vertu de la Loi sur le département des assurances, S.R.C. 1970, chap. I-17, le surintendant des assurances administre la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques.

On a prétendu au nom des appelantes que, bien que chaque province ait compétence sur les opérations d’assurance à l’intérieur de la province, le Parlement a compétence pour régir les compagnies d’assurance à charte fédérale qui exploitent leur entreprise dans diverses provinces. Ainsi, on ne pourrait pas dire qu’une entreprise d’assurance sur la vie exploitée dans plus d’une province par une compagnie à charte fédérale relève exclusivement de la compétence provinciale; cette compétence partagée fait entrer le commerce de Pioneer Life dans la définition d’ouvrage, entreprise ou affaire de compétence fédérale donnée à l’al. 2i) du Code canadien du travail:

i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales.

Après avoir entendu l’avocat des appelantes, la Cour n’a pas demandé aux avocats des intimés ou des intervenants de répondre à ce point. Compte tenu de la longue jurisprudence qui commence

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avec Citizens Ins. Co. of Canada v. Parsons[4], et qui se termine par Canadian Indemnity Co. et al c. Procureur général de la Colombie-Britannique[5], la plaidoirie habile et même valeureuse de Me Rendeck, n’a pas persuadé la Cour que les opérations d’assurance ne relèvent pas du contrôle exclusif des provinces.

II—Pioneer Trust

1. Les faits

Comme je l’ai dit précédemment, Pioneer Trust est une filiale en propriété exclusive de Canadian Pioneer Management Ltd. Elle a été constituée en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16, et elle exploite son entreprise et a des bureaux en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.

Selon l’exposé des faits contenu dans le mémoire des appelantes, qui a été accepté par le procureur général de la Saskatchewan et qui correspond en substance aux conclusions du Conseil et, également, selon une brochure qui énonce les services offerts par Pioneer Trust, qui a été produite comme pièce et dont l’exactitude ne paraît pas avoir été contestée, les opérations de Pioneer Trust peuvent être décrites en termes de services qu’elle offre à ses clients. Ces services comprennent: (1) le compte de «chèques»; (bien que les chèques tirés sur Pioneer Trust ne soient pas des chèques au sens du par. 165(1) de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, chap. B-5, puisqu’ils ne sont pas tirés sur une banque, ils paraissent toutefois jouer le même rôle que les véritables chèques car ils passent effectivement par le système de compensation des banques et Pioneer Trust utilise le service de compensation de la Banque de Montréal); (2) le compte d’épargne; (3) le prêt assorti d’une garantie hypothécaire; (4) le crédit aux particuliers assorti d’une sûreté réelle et le prêt sous forme de découvert; (5) le prêt garanti par le gouvernement fédéral aux termes de lois telles la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. 1970, chap. S-17, la Loi sur les prêts destinés aux

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améliorations agricoles, S.R.C. 1970, chap. F-3, la Loi sur les prêts aidant aux opérations de pêche, S.R.C. 1970, chap. F-22, la Loi nationale sur l’habitation, S.R.C. 1970, chap. N-10; (6) le prêt aux entreprises garanti autrement que par les comptes à recevoir et le stock, et le prêt sans garantie aux entreprises; (7) le service de change; (8) les mandats; (9) les chèques de voyage; (10) la location de coffrets de sûreté; (11) la garde de titres; (12) le dépôt à terme, le certificat de placement garanti de $1,000 ou plus d’une durée d’un à cinq ans, la rente à versements invariables et le reçu de dépôt à terme garanti; (13) le régime enregistré d’épargne-retraite, le régime d’épargne-retraite, le régime enregistré d’épargne-logement et le régime de participation différée aux bénéfices; (14) l’administration de successions.

Parmi les services susmentionnés, deux ne sont pas offerts par les banques à charte: les rentes à versements invariables et l’administration de successions. Mais on a prétendu que Pioneer Trust fait très peu d’opérations fiduciaires. Par ailleurs, et selon le témoignage de M. Price, vice-président et directeur général de Pioneer Trust, la seule fonction bancaire que ne peut accomplir Pioneer Trust est d’offrir aux entreprises des prêts garantis par les comptes à recevoir et le stock, bien que Pioneer Trust offre aux entreprises des prêts garantis par d’autres titres ou non garantis. M. Price a témoigné que 99 pour 100 des opérations actuelles de la compagnie sont identiques aux opérations effectuées par les banques à charte. La brochure énonçant les services offerts par Pioneer Trust porte le slogan: «You Can Bank on Pioneer».

Comme les banques, et comme toutes les compagnies fiduciaires constituées en vertu d’une loi fédérale, Pioneer Trust est membre de la Société d’assurance-dépôts du Canada conformément à l’al. 9b) de la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-3. Elle est soumise aux vérifications du surintendant des assurances. Elle doit produire au gouvernement du Canada des états annuels, des états trimestriels des disponibilités et des états semestriels des changements dans les investissements et les prêts. Pioneer

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Trust est assujettie à peu de contrôles provinciaux: elle produit un état sommaire du capital‑actions au registraire des compagnies à Regina et des états annuels à chaque province où elle exerce ses activités, mais elle n’est assujettie à aucune vérification provinciale.

2. Arguments soumis au nom des appelantes et du procureur général du Canada

On a allégué au nom de Pioneer Trust que, bien que les provinces aient, prima facie, compétence pour légiférer dans le domaine des relations du travail, le Parlement a compétence exclusive sur les relations du travail dans le cadre d’ouvrages, entreprises ou affaires de compétence fédérale. On a également prétendu que, pour déterminer si le commerce de Pioneer Trust est une entreprise fédérale, il est nécessaire de considérer ses activités normales sans tenir compte des facteurs exceptionnels ou occasionnels: Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada et M & B Enterprises Ltd.[6] Quatre‑vingt-dix-neuf pour cent des opérations de Pioneer Trust sont identiques à celles d’une banque à charte et sont donc de la nature d’opérations bancaires bien que la compagnie ne soit pas constituée en banque par charte délivrée en vertu de la Loi sur les banques, S.R.C. 1970, chap. B-1. L’expression «les banques» au sens du par. 91.15 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, comprend non seulement les opérations effectuées par les banques à charte mais également les opérations bancaires des autres institutions financières. La Loi sur les compagnies fiduciaires va plus loin que la simple constitution de ces compagnies. Les activités quotidiennes de Pioneer Trust sont régies par les dispositions de cette loi, conformément au pouvoir du Parlement de faire des lois sur les banques. C’est en raison de cette réglementation et en raison de la nature bancaire de ses opérations que Pioneer Trust doit être considérée comme une entreprise fédérale aux fins du Code canadien du travail. Les compagnies fiduciaires à charte provinciale qui exploitent le même type d’entreprise ne sont pas régies par le fédéral comme l’est Pioneer Trust et les provinces peuvent continuer de les constituer et de les régir

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tant que le permet la loi fédérale. Mais vu qu’elle effectue des opérations bancaires et qu’elle est assujettie à la réglementation fédérale, Pioneer Trust est une entreprise fédérale au sens de l’art. 2 du Code canadien du travail:

2. Dans la présente loi

«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence férérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:

g) toute banque;

i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;

Il est admis que Pioneer Trust n’est pas une «banque»: l’art. 28 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, prévoit:

«banque» ou «banque à charte» signifie une banque à laquelle la Loi sur les banques s’applique;

et l’art. 4 de la Loi sur les banques prévoit:

4. Cette loi s’applique à chaque banque mentionnée à l’annexe A et ne s’applique à aucune autre banque.

Pioneer Trust n’est pas mentionnée dans l’annexe A de la Loi sur les banques et, donc, suivant la Loi d’interprétation, elle n’est pas une banque au sens de l’al. 2g) du Code canadien du travail.

Mais on a prétendu que Pioneer Trust est une entreprise fédérale au sens de l’al. 2i) du Code canadien du travail précité.

L’avocat du procureur général du Canada reconnaît avec l’avocat de Pioneer Trust que, bien que Pioneer Trust ne soit pas une banque, elle effectue des opérations bancaires. Le critère n’est pas de savoir ce que Pioneer Trust peut faire aux termes de ses pouvoirs juridiques mais ce qu’elle fait réellement. Toutefois, à cette étape, les deux avocats ne sont plus d’accord. L’avocat du procureur général du Canada a écarté toute prétention qu’une compétence partagée ou commune était possible dans le domaine des opérations bancaires. Les opérations bancaires relèvent exclusivement du pouvoir fédéral. Dès que l’on a conclu, comme il se doit, que Pioneer Trust est une entreprise bancaire, les relations du travail y sont régies exclusivement par le Parlement, que le Code canadien du

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travail lui soit applicable ou non; Renvoi relatif à la validité de la Loi sur les relations industrielles et les enquêtes visant les relations du travail[7], (l’arrêt Stevedoring). On prétend que Pioneer Trust est une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale au sens de l’al. 2i) du Code canadien du travail, mais même si ce n’est pas le cas, le Trade Union Act ne s’applique pas et le Conseil n’est pas compétent. La Loi sur les banques ne recouvre pas tout le champ de la compétence du Parlement sur les banques et leur constitution. Le fait que l’entreprise bancaire de Pioneer Trust n’est pas entièrement régie par la législation fédérale ne rend pas les lois provinciales applicables à cette entreprise exclusivement fédérale: Union Colliery Co. v. Bryden[8]; Commission du Salaire Minimum c. Bell Telephone Company of Canada[9], aux pp. 772 et 774.

Si ces prétentions reflètent le droit applicable, les conséquences vont très loin.

Ainsi, si l’on acceptait les prétentions présentées au nom de Pioneer Trust, une compagnie fiduciaire qui exploite le même genre d’entreprise que Pioneer Trust serait assujettie, en ce qui concerne les relations du travail, soit aux lois provinciales soit aux lois fédérales, selon qu’elle est constituée en vertu d’une loi provinciale ou en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires. Cela est contraire à la jurisprudence établie selon laquelle l’origine de la constitution d’une entreprise n’a aucun rapport avec la compétence sur les relations du travail: Canadian Pacific Railway v. Attorney-General for British Columbia[10] (l’arrêt Empress Hotel); Le Conseil des relations du travail c. La Compagnie des chemins de fers nationaux du Canada[11] (l’arrêt Jasper Park Lodge); Morgan et Jacobson c. Le procureur général de l’Île‑du‑Prince-Edouard[12], le juge en chef Laskin à la p. 364; l’arrêt Canadian Indemnity, précité, le juge Martland à la p. 519. De plus, les compagnies fiduciaires constituées en vertu de la Loi sur les

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compagnies fiduciaires et, à cette fin, les compagnies fiduciaires constituées en vertu des lois provinciales seraient assujetties soit à la compétence fédérale soit à la compétence provinciale relativement aux relations du travail selon qu’elles choisissent d’effectuer peu d’opérations fiduciaires et offrent beaucoup d’autres genres de services semblables à ceux offerts par Pioneer Trust.

Les prétentions exposées au nom du procureur général du Canada vont encore plus loin: si elles étaient acceptées et si l’on poussait jusqu’au bout leurs conséquences logiques, elles pourraient signifier que les compagnies fiduciaires constituées en vertu des lois provinciales, et peut-être même les caisses de crédit et les «Caisses populaires» qui exploitent le même genre d’entreprises que Pioneer Trust, ont été constituées illégalement et exercent leurs activités dans l’invalidité.

La question porte donc sur le concept abstrait de ce qui constitue les opérations bancaires.

3. Difficulté de définir l’opération bancaire

Dans The Law of Banking and the Canadian Bank Act, 2e éd. 1968, Toronto, l’auteur, Ian F.G. Baxter écrit à la p. 5:

[TRADUCTION] … il faudrait beaucoup d’audace pour énoncer catégoriquement quelles activités commerciales relèvent légalement de l’entreprise bancaire et lesquelles n’en relèvent pas.

Dans son livre Law of Banking, 4e éd., à la p. 23, Chorley est même allé jusqu’à dire que [TRADUCTION] «il est manifestement impossible d’élaborer une définition qui les engloberait toutes (les opérations bancaires)».

Diverses raisons expliquent la difficulté de définir les opérations bancaires. D’abord, et je cite:

[TRADUCTION] L’expression «opérations bancaires» n’est pas technique ou juridique mais populaire et vague, elle embrasse les activités exercées par ceux que, populairement encore, l’on appelle banquiers. Le juge d’appel Coyne dans In re Bergethaler Waisenamt (No. 2) [1949] 1 W.W.R. 323 à la p. 334.

Par ailleurs, bien que «opérations bancaires» ne soit pas une expression juridique, elle évoque des notions économiques qui, notoirement, ne peuvent être soumises à la discipline du droit. De plus, le

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sens de l’expression a considérablement évolué au cours des siècles. Enfin, en raison de l’expansion du crédit et de l’intensification de la concurrence entre les banques et les autres genres d’institutions parfois appelées parabancaires, telles les compagnies fiduciaires, ces dernières se sont engagées dans certains domaines d’activités autrefois exercées par les banques alors que les banques ont entrepris des opérations qui, traditionnellement, n’étaient pas considérées comme du domaine de l’entreprise bancaire, ce qui a entraîné un chevauchement considérable de fonctions.

Néanmoins, plusieurs tentatives ont été faites tant dans la jurisprudence que dans la doctrine pour définir la notion d’opérations bancaires ou du moins en réduire l’incertitude. Le problème a été abordé tant du point de vue du fond que de la forme.

4. Nature de la relation entre l’institution et ses clients

Une façon d’aborder la question du point de vue du fond a trait à la nature de la relation entre l’institution et ses clients. La relation entre un banquier et un client qui dépose de l’argent à la banque n’est pas fiduciaire. C’est la relation ordinaire du débiteur et du créancier à laquelle s’ajoute l’obligation qui découle de la coutume des banquiers d’honorer les chèques de leurs clients. La banque conserve la possession ou la propriété des sommes déposées et son obligation constitue une dette en vertu d’un contrat de prêt de consommation et non de prêt à usage: Foley v. Hill[13]; Joachimson v. Swiss Bank Corporation[14], à la p. 127; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for the Province of Quebec[15] (l’arrêt Bank deposits), à la p. 44. Au contraire, l’art. 63 de la Loi sur les compagnies fiduciaires qui énumère les pouvoirs d’une compagnie fiduciaire en fait ressortir la nature fiduciaire par l’emploi des mots «en fiducie», «confiés», «fiduciaires» ou autres expressions semblables dans presque tous ses alinéas; et il semble qu’une compagnie fiduciaire n’a pas le

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pouvoir de recevoir des sommes d’argent en dépôt d’une façon telle qu’elle devienne le simple débiteur du déposant: Daniel J. Baum, The Near-Banks: Trust Companies of Canada, (1970-71) XLV Tulane Law Review 546, aux pp. 558 et 568. On prétend que cette distinction juridique n’a à peu près aucun effet en pratique et qu’en réalité la relation entre une compagnie fiduciaire et un déposant [TRADUCTION] «ne se distingue pas de la relation débiteur-créancier entre une banque et ses clients»: Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 1977, p. 367, note 97. Je ne peux souscrire à l’opinion que la distinction n’entraîne aucune différence pratique. C’est à partir de cette prémisse que, dans l’arrêt Bank Deposits aux pp. 44 à 46, le Comité judiciaire a établi une distinction avec un arrêt de cette Cour au sujet de biens en fiducie non réclamés dévolus à la province en vertu de la loi provinciale: Le trésorier de la province du Manitoba c. Le ministre des Finances du Canada[16]. De plus, l’art. 66 de la Loi sur les compagnies fiduciaires prévoit que les montants d’argent acquis en fiducie doivent être tenus séparément de ceux de la compagnie et les art. 64 et 68 prévoient que la compagnie ne doit pas placer les sommes d’argent qu’on lui a confiées en fiducie de la même manière qu’elle place ses propres fonds, tandis que les sommes d’argent déposées dans une banque deviennent la propriété de la banque qui peut les placer à son gré tant qu’elle se conforme aux dispositions de la Loi sur les banques.

Relativement au caractère fiduciaire de Pioneer Trust, je trouve plutôt trompeuse l’affirmation que, d’une part, elle fait très peu d’opérations fiduciaires mais que, d’autre part, elle fait des opérations bancaires parce que, comme les banques, elle est engagée dans la prestation de certains services, tels les régimes enregistrés d’épargne-logement et les régimes enregistrés d’épargne-retraite. Aux termes de l’al. 146.2(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1970‑71‑72 (Can.), chap. 63 et modifications, seule une compagnie fiduciaire canadienne peut fournir un régime enregistré d’épargne-logement. Si elle autorise une banque, une caisse de crédit ou un fonds mutuel à agir comme son mandataire dans la vente de parts

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dans le régime, elle continue d’être l’émetteur et le fiduciaire du régime et, à ce titre, elle demeure responsable de la demande, de l’enregistrement du régime, de la remise de reçus pour contributions au régime et de la production de renseignements pour fins d’impôt. Donc, il ne s’agit vraiment pas du cas d’une compagnie fiduciaire qui effectue des opérations bancaires mais, au contraire, d’une banque qui agit comme mandataire d’un fiduciaire. De même, en vertu de l’al. 146(1)j) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les régimes enregistrés d’épargne-retraite ne peuvent être consentis par des banques mais seulement par certaines compagnies d’assurance, par les compagnies fiduciaires canadiennes et certaines autres compagnies approuvées. Ce genre d’activités n’a rien à voir avec les opérations bancaires et n’a aucun rapport avec les banques, à moins que les banques n’agissent comme simples mandataires de compagnies fiduciaires, de compagnies d’assurance ou d’autres compagnies approuvées.

Dans le même ordre d’idées, je ne crois pas que Pioneer Trust puisse prétendre à bon droit qu’elle effectue une opération bancaire lorsque, comme les banques, elle fournit des chèques de voyage à ses clients. La preuve indique que Pioneer Trust vend à ses clients des chèques de voyage de la compagnie American Express. Bien que le dossier ne révèle pas quel type de convention régit la relation juridique entre Pioneer Trust et la compagnie American Express, la pratique normale ou usuelle semble être que l’émetteur délivre des chèques en blanc à son commissionnaire-vendeur, que ce soit une banque, une compagnie fiduciaire ou une agence de voyages, qui accepte de les tenir comme fiduciaire de l’émetteur et de les vendre en son nom. [TRADUCTION] «Le reçu fiduciaire énonce invariablement que le produit de ces ventes sera tenu par le mandataire comme un fonds fiduciaire particulier en faveur du banquier émetteur». E.P. Ellinger, Travellers’ cheques and the Law, (1969) 19 University of Toronto Law Journal, 132, à la p. 150. Puisque l’opération qui consiste à vendre des chèques de voyage au nom de l’émetteur et en fiducie pour ce dernier implique une convention de fiducie, elle ne peut relever davantage de l’entreprise bancaire que de celle d’une compagnie fiduciaire.

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De plus, je trouve quelque peu étrange que, de nos jours, la garde de titres et la location de coffrets de sûreté soient présentées comme des opérations bancaires. Bien sûr, autrefois, comme aujourd’hui, les banques offraient les moyens de garder les objets de valeur car, disposant de pièces de monnaie, de lingots et de valeurs, elles devraient être munies de chambres fortes et de coffres-forts qui pouvaient également servir à leurs clients à des fins autres que des opérations bancaires. Mais la location de coffrets de sûreté place simplement la banque dans la situation d’un locateur conformément aux dispositions d’un contrat civil ordinaire que toute personne peut conclure, y compris une banque ou une compagnie fiduciaire qui se trouve à disposer d’installations de sécurité. Et, à mon avis, les activités d’une compagnie fiduciaire se prêtent davantage à la garde de titres que celles d’une banque. C’est un pouvoir qui est spécifiquement confié aux compagnies fiduciaires par l’al. 63h) de la Loi sur les compagnies fiduciaires. En fait, par sa nature même, c’est un service fiduciaire même lorsqu’il est offert par une banque. Je ne vois pas comment il devient un service bancaire lorsqu’il est offert par une compagnie fiduciaire. (Voir l’opinion du juge d’appel Adamson, tel était alors son titre, dans l’arrêt Bergethaler Waisenamt, à la p. 337.)

Il n’y a pas lieu de s’arrêter à la prétention élevée au nom de Pioneer Trust, que la Loi sur les compagnies fiduciaires déborde le cadre de la simple constitution de l’entreprise pour aller jusqu’à régir ses opérations fiduciaires. On a évoqué cet aspect de la question mais ni les parties ni les intervenants ne l’ont plaidé en détail. La Loi sur les compagnies fiduciaires ne s’applique pas aux institutions fiduciaires en général mais seulement aux compagnies fiduciaires à charte fédérale. Je doute beaucoup que le Parlement puisse régir les activités fiduciaires des institutions fiduciaires, qu’elles soient constituées en vertu d’une loi fédérale ou provinciale. C’est pourquoi l’on ne doit pas interpréter les dispositions de la Loi sur les compagnies fiduciaires de façon à aller au-delà de ce qu’elles peuvent viser constitutionnellement et visent à première vue: permettre la constitution de compagnies fiduciaires et imposer des limites à leur capacité juridique comme conditions de leur

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constitution en corporation. Le pouvoir d’ainsi légiférer ne découle pas du pouvoir du Parlement sur les banques mais de celui de faire des lois relativement à la constitution de compagnies dont les objets ne sont pas provinciaux, ce que l’on tient pour comprendre des objets ressortissant à l’autorité provinciale dans plus d’une province: Colonial Building and Investment Association v. Attorney-General of Quebec.[17]

Bref, en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires, toutes les opérations de Pioneer Trust, ou la plupart d’entre elles, sont fiduciaires par opération de la loi quand elles ne le sont pas par nature. De plus, plusieurs d’entre elles, que Pioneer Trust décrit comme des opérations bancaires, sont fiduciaires par nature et par opération de la loi et ne sont pas des opérations bancaires, bien que certaines d’entre elles, mais non la totalité, puissent légalement être effectuées par des banques à charte. Ces facteurs, en eux-mêmes, ne sont peut-être pas décisifs, mais ils sont importants et indiquent que Pioneer Trust n’est pas une entreprise bancaire.

5. Le critère fonctionnel

Une façon d’aborder la difficulté de définir les opérations bancaires, toujours du point de vue du fond, consiste à considérer les fonctions des banques sur le plan économique ou juridique.

a) Sur le plan économique

Selon une conception très populaire au dix-neuvième siècle, les banques étaient considérées comme la principale voie pour le transfert des épargnes; les banques avaient pour fonction l’entremise financière dans laquelle le public avait un intérêt quant à la solvabilité et l’affectation de ressources financières. Mais selon cette conception économique particulière, la liste des intermédiaires financiers comprendrait, sur le même pied que les banques à charte, d’autres types très différents d’institutions telles les compagnies d’assurance-vie, les compagnies de prêts, les compagnies de prêt hypothécaire, les compagnies fiduciaires, etc. (Voir Patrick N. McDonald, The B.N.A. Act and the

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Near Banks: A case study in federalism, (1972) 10 Alberta Law Review 155, aux pp. 158 et suivantes. Autant que je sache, cet article est l’étude la plus approfondie publiée sur le sujet.)

Toutefois, les juges ne se sont pas toujours dérobés à la méthode économique fonctionnelle. Ils n’avaient pas vraiment le choix dans le Renvoi relatif aux lois de l’Alberta[18] (Alberta Statutes Reference), puisqu’ils devaient examiner la mise en œuvre législative d’une doctrine économique particulière; la Cour a jugé ultra vires un programme législatif provincial qui consistait essentiellement à établir une nouvelle forme de crédit et de monnaie à l’intérieur de l’Alberta. Trois projets de loi avaient été présentés à la Cour: le projet de loi n° 1 «An Act Respecting the Taxation of Banks»; le projet de loi n° 8 «An Act to Amend and Consolidate the Credit of Alberta Regulations Act» et le projet de loi n° 9 «An Act to ensure the Publication of Accurate News and Information». Les trois projets de loi ont été jugés inconstitutionnels avec une autre loi qui n’avait pas été expressément soumise à la Cour mais qui contenait, formulée en termes législatifs, la substance du système de crédit social, The Alberta Social Credit Act. Le projet de loi n° 9 ne nous intéresse pas ici. Le projet de loi n° 1 visait à taxer les banques au point de les faire disparaître et a été jugé ultra vires au motif qu’il cherchait à anéantir le système bancaire établi par la Loi sur les banques. (Cette partie de l’arrêt a été confirmée par le Comité judiciaire dans Attorney-General for Alberta v. Attorney-General for Canada,[19] (l’arrêt Alberta Bank Taxation). Le Comité judiciaire ne s’est pas prononcé sur les autres questions qui étaient devenues théoriques). L’effet principal de The Alberta Social Credit Act a été décrit comme suit par le juge en chef Duff à la p. 113:

[TRADUCTION] Il est manifeste … que la substitution générale dans le commerce interne du crédit de l’Alberta au crédit des banques et à la monnaie légale comme instrument monétaire constitue l’essence même du programme.

La Loi prévoyait la distribution du crédit de l’Alberta par le trésorier provincial au moyen de certi-

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ficats de crédit du Trésor. Elle prévoyait également la création d’une maison de crédit avec des succursales qui auraient pu accepter des dépôts, convertir la monnaie et les lettres de change sur demande en crédit de l’Alberta, etc. La praticabilité du plan aurait été subordonnée à l’acceptation générale, par la population de l’Alberta, du crédit de l’Alberta comme instrument de paiement. Là Loi a été jugée ultra vires par cinq des six membres de la Cour parce qu’elle visait «les banques … (et) l’incorporation des banques», et, également, par trois de ces cinq membres, parce qu’elle visait «le cours monétaire» et «la réglementation du trafic et du commerce». Comparativement à ce qu’il a dit au sujet du projet de loi n° 8, le juge en chef Duff n’a pas examiné longuement les fonctions bancaires; The Alberta Social Credit Act visait les opérations bancaires parce qu’elle voulait établir un système parallèle de banques pour l’émission et la circulation d’un système de crédit parallèle. Bien que l’on ne puisse peut-être pas interpréter les motifs du juge en chef Duff de façon à dire que The Alberta Social Credit Act n’aurait pas été jugée ultra vires si elle n’avait pas empiété sur les opérations des banques à charte, le juge en chef Duff a bien dit dans le passage précité que la substitution d’un système à l’autre constituait l’essence même du programme. Si l’on relie The Alberta Social Credit Act au projet de loi n° 1, le projet de loi fiscale qui aurait empêché les banques à charte de continuer leurs opérations, il n’y a aucun doute, lorsqu’on regarde le programme dans son ensemble, que le système parallèle était conçu pour prévaloir sur le système établi et que, dans cette mesure, il empiétait sur celui-ci.

Mais c’est principalement en relation avec le projet de loi n° 8, «An Act to Amend and Consolidate the Credit of Alberta Regulation Act», que le juge en chef Duff et le juge Kerwin, alors juge puîné, ont examiné en détail les fonctions bancaires, et ont cherché à en extraire la quintessence en faisant appel à des notions d’économique. Aux pp. 124 et 125, après avoir dit: [TRADUCTION] «un banquier est un négociant en crédit», le juge en chef Duff s’est concentré sur la fonction monétaire des banques et s’est arrêté à la façon particulière dont les banquiers, par opposition aux prêteurs

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d’argent, créent du crédit et en font commerce par des inscriptions comptables. Il cite le passage suivant du volume Banking de M. Walter Leaf dont il partage les vues:

[TRADUCTION] … Lorsqu’il est question de la création de crédit, il est généralement reconnu que par crédit on veut dire le crédit du banquier, c’est-à-dire le droit de tirer des chèques sur une banque. L’exercice de ce droit implique soit le retrait de monnaie légale de la banque, sous forme de billets de banque ou de pièces d’argent ou de bronze, ou le transfert de ce droit à une autre personne dans les livres de la même banque ou d’une autre banque.

Aux pp. 155 et 156, le juge Kerwin a cité un alinéa de l’Encyclopédie Britannica qui renferme le passage suivant:

[TRADUCTION] Les banques créent le crédit. C’est une erreur de prétendre que le crédit des banques est créé dans une large mesure par le dépôt d’argent dans les banques. L’argent est toujours déposé par les marchands et d’autres personnes qui le reçoivent dans le cours des affaires, et retiré ensuite par les employeurs pour payer les salaires et par les déposants en général comme argent de poche. Mais le changement de l’argent en crédit et du crédit en argent ne modifie pas la somme totale des moyens de paiement dont dispose la collectivité. Lorsqu’une banque prête de l’argent, en accordant une avance ou en escomptant un billet, l’effet est différent. Deux dettes sont créées; le marchand qui emprunte devient endetté envers la banque pour une date future, et la banque devient immédiatement endettée envers le marchand. La dette de la banque est un moyen de paiement; c’est du crédit. C’est une addition nette à la somme des moyens de paiement dans la collectivité. La banque ne prête pas d’argent. L’emprunteur peut encaisser le plein montant du prêt. Il est à ce point de vue dans la même position que tout autre déposant. Mais comme les autres déposants, en pratique, il utilisera vraisemblablement le crédit pour tous les paiements majeurs et retirera de l’argent seulement lorsqu’il en a besoin pour des paiements mineurs.

Le juge Kerwin a ensuite poursuivi à la p. 156:

[TRADUCTION] Il n’est pas nécessaire de se référer aux diverses écoles d’économistes avec leurs opinions divergentes quant à la mesure dans laquelle les banques créent le crédit ou quant à la sagesse d’un état qui permet à de telles institutions de le faire. Il suffit que selon la compréhension générale courante une opération commerciale par laquelle du crédit est créé, émis, prêté, fourni ou négocié par des inscriptions comptables soit

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considérée comme partie de l’entreprise bancaire telle qu’elle a été pratiquée et développée. Il est bien connu qu’en plus de créer du crédit les banques émettent, prêtent, fournissent et négocient du crédit au moyen d’inscriptions comptables.

Le type de lois provinciales jugées ultra vires dans le Renvoi relatif aux Lois de l’Alberta serait encore jugé invalide aujourd’hui, mais il y a lieu de douter qu’on s’appuierait sur les mêmes motifs car la science économique a évolué. Quoi qu’il en soit, il y avait d’autres motifs d’un type plus classique du point de vue juridique qui ont fait que le projet de loi n° 8, «An Act to Amend and Consolidate the Credit of Alberta Regulation Act», a été jugé ultra vires: c’était une loi prévoyant la délivrance de permis; elle était subordonnée à un mécanisme créé par The Alberta Social Credit Act qui a été jugée ultra vires et elle était un accessoire de cette dernière. En eux-mêmes, ces motifs qui ont également été invoqués par le juge en chef Duff aux pp. 122 et 123, étaient suffisants pour statuer sur le projet de loi n° 8 et je ne crois pas que les autres motifs soient décisifs en l’espèce. (Il faut souligner toutefois que ces autres motifs ont été endossés par le juge d’appel Porter dont l’opinion dissidente en partie, portant que The Treasury Branches Act, R.S.A. 155, chap. 344 était inconstitutionnelle, a été adoptée par deux membres de cette Cour dans Breckenridge Speedway Ltd. et autre c. La Reine[20]; les sept autres membres de la Cour n’ont pas exprimé d’opinion sur la question et je fais de même).

b) Sur le plan juridique

Les tentatives pour définir les opérations bancaires en termes fonctionnels mais d’un point de vue strictement juridique ont fait l’objet d’une étude par C. C. Johnston, dans Judicial Comment on the Concept of «Banking Business», (1962) 2 Osgoode Hall Law Journal 347. Un exemple caractéristique de ces tentatives est la description des opérations bancaires donnée par le juge d’appel Richards pour la majorité de la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt Bergethaler Waisenamt aux pp. 328 et 329:

[TRADUCTION] Aucun expert n’est venu témoigner pour décrire ce qu’est, à son avis l’entreprise bancaire,

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mais il est notoire que pendant cette période les opérations bancaires de la compagnie comprenaient les suivantes: (1) recevoir de l’argent en dépôt de ses clients; (2) payer les chèques ou les traites de ses clients à même le montant en dépôt par ces clients et détenir des billets de banque du gouvernement fédéral et de la monnaie à ces fins; (3) payer les intérêts convenus sur les dépôts; (4) escompter les effets de commerce pour ses clients; (5) s’occuper de change et du commerce de pièces d’or et d’argent et de lingots; (6) encaisser les billets et les traites déposés; (7) assurer son propre crédit auprès de banques dans d’autres villes et pays; (8) vendre ses propres traites ou chèques sur d’autres banques ou correspondants bancaires; (9) émettre des lettres de crédit; (10) prêter de l’argent à ses clients, (a) sur billets, (b) sous forme de découvert, (c) sur la garantie d’obligations, d’actions et d’autres valeurs.

Les activités d’une banque à charte canadienne sont encore plus nombreuses en raison des droits et pouvoirs donnés à une banque aux termes des dispositions de la Loi sur les banques maintenant 1944-45 chap. 30.

Cependant le juge d’appel Richards ajoute le commentaire suivant à la p. 332:

[TRADUCTION] La plupart des banques font toutes les opérations que j’ai énumérées mais, bien sûr, on peut exploiter une entreprise bancaire sans les faire toutes et la plupart des sociétés et des individus qui exploitent une entreprise financière quelle qu’elle soit doivent en accomplir ou en effectuer quelques-unes et ce n’est pas parce que les banques les accomplissent que chaque opération de ce genre est une forme d’opération bancaire.

Je souscris à ce commentaire.

Prenons par exemple un emprunt à long terme par dépôt à terme ou autrement. La Cour d’appel anglaise a jugé dans United Dominions Trust v. Kirkwood[21], que la réception d’argent contre des récépissés de dépôt, généralement pour des sommes variant entre £5,000 et £1,000,000 pour des périodes définies de trois, six ou neuf mois n’était pas un élément de l’entreprise bancaire. Selon ce critère, les emprunts de Pioneer Trust par certificats de placements garantis ne sont pas une activité bancaire bien qu’ils soient largement pratiqués par les banques à charte et d’autres types d’institutions. Je croirais que ce soit là une activité

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propre aux banques d’épargne mais on ne pourrait dire que, de ce chef, elles devraient en avoir le monopole.

C’est normalement l’essence même des opérations bancaires que les hommes de loi essaieront de circonscrire. Autrefois, avant que cela devienne le monopole de la banque centrale, l’émission des billets de banque aux fins de circulation aurait probablement été considérée comme partie de cette fonction essentielle: il est significatif à cet égard qu’au par. 91.15 de la Constitution la compétence législative sur l’émission du papier-monnaie soit liée à la compétence sur les banques et la constitution des banques. A l’heure actuelle en Angleterre, les traits qui, selon la plupart, sont caractéristiques de l’entreprise des banquiers ont été décrits comme suit par lord Denning, M.R. dans l’arrêt United Dominions Trust à la p. 975:

[TRADUCTION] (i) ils acceptent de l’argent de leurs clients, encaissent leurs chèques et les portent à leur crédit; (ii) ils honorent les chèques ou les traites tirés sur eux par leurs clients lorsqu’ils sont présentés à l’encaissement et débitent en conséquence leur client. Ces deux caractéristiques en entraînent également une troisième, savoir, (iii) ils tiennent des comptes courants, ou quelque chose du genre, dans leurs livres où sont portés les crédits et les débits.

Ces trois caractéristiques sont à peu près les mêmes que celles énoncées dans Paget Law of Banking (6e éd.) (1961), à la p. 8:

«Nul, que ce soit une personne morale ou physique, ne peut être un «banquier» s’il (i) ne tient pas de comptes courants; (ii) ne paie pas de chèques tirés sur lui-même; (iii) n’encaisse pas de chèques pour ses clients».

On remarquera que cette déclaration rejoint le concept des opérations bancaires du juge en chef Duff et du juge Kerwin dans le Renvoi relatif aux Lois de l’Alberta, abstraction faite de son aspect économique au sujet du crédit. (Voir également In re The District Savings Bank Limited[22], à la p. 909; Re The Bottomgate Industrial Co-operative Society[23]; Bank of Chettinad Limited, of Colombo, v. Commissioner of Income Tax,

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Colombo[24]. Dans Dominion Trust Company[25], et La Caisse populaire Notre-Dame Limitée v. Moyen[26], des juges de première instance ont exprimé l’opinion qu’une compagnie fiduciaire provinciale et une caisse de crédit provinciale pouvaient validement offrir à leurs déposants un service de chèques).

Si l’on présume qu’on ne peut considérer aucune société comme une entreprise bancaire à moins qu’elle n’accorde à ses déposants le privilège de tirer des chèques, il ne s’ensuit pas que ces activités sont le monopole de l’entreprise bancaire. Je partage, à cet égard, l’opinion que le juge d’appel Coyne a exprimée dans l’arrêt Bergethaler Waisenamt à la p. 334:

[TRADUCTION] Le privilège de tirer des chèques accordé aux déposants … est caractéristique des opérations bancaires et peut-être essentiel. Mais même cela n’en fait pas le droit exclusif des banquiers, même en l’absence d’un texte de loi interdisant à d’autres d’offrir ce privilège.

Tout bien considéré, je ne crois pas qu’il soit possible, du moins aux fins du présent pourvoi, de définir les opérations bancaires en termes purement fonctionnels.

6. Les critères formels et institutionnels

Au Royaume-Uni, le statut particulier des banquiers, leur importance au centre de la communauté financière, l’attente du public qu’il peut leur accorder une confiance implicite et absolue ont mené, compte tenu de l’incertitude des critères de fond, à diverses méthodes pour identifier ou reconnaître les banques et les opérations bancaires par des moyens formels et institutionnels.

Deux de ces moyens étroitement liés l’un à l’autre ont été élaborés par la jurisprudence. Le premier est le fait pour une personne de se présenter comme banquier. Le second est la réputation de banquier. La présentation vise évidemment à l’acquisition de la réputation.

[TRADUCTION] «il faut qu’il se présente comme banquier, «s’attribuant» ouvertement, explicitement et notoi-

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rement le caractère de banquier et il faut que le public l’accepte comme tel …». Stafford v. Henry, (1850) 12 Ir. Eq. 400. Cité par le juge d’appel Coyne dans l’arrêt Bergethaler Waisenamt, à la p. 335.

In re Shields’ Estate[27], le lord juge FitzGibbon a écrit à la p. 197:

[TRADUCTION] Dans toutes les transactions avec le public, Shields a présenté sa firme comme un établissement de ‘banquiers’. Il s’est ainsi présenté lui-même afin d’encourager la clientèle et de donner de la dignité à ses opérations. Sans doute, les gens qui ne sont pas banquiers ne peuvent-ils le devenir en adoptant le nom … Mais Shields s’est attribué le nom et la Bank of Ireland l’a accepté comme une désignation juste … Du début à la fin elle l’a traité comme un banquier. Cela étant, ce n’est qu’une question de fait, appuyée par une présomption, que de savoir s’il y a suffisamment de preuves pour affirmer que Shields était ce qu’il professait être et ce que la Bank of Ireland a cru qu’il était, à savoir un «banquier».

Dans l’arrêt United Dominions Trust, lord Denning, M.R., a jugé que United Dominions Trust, bien qu’elle n’ait pas réussi à prouver que son entreprise, par opposition à sa réputation, était effectivement une entreprise bancaire, avait réussi à établir qu’elle était un banquier parce qu’elle avait démontré que pendant plusieurs années la communauté bancaire et les ministères gouvernementaux lui avaient reconnu le caractère de banquier. Le lord juge Harman a exprimé une opinion dissidente au motif que la réputation, à elle seule, ne suffisait pas et qu’elle devait s’appuyer sur des réalités. Avec une certaine hésitation, le lord juge Diplock, tel était alors son titre, a partagé la conclusion de lord Denning, parce qu’il ne pouvait pas déduire que les témoins qui avaient établi la réputation de banquier de United Dominions Trust avaient mal compris les facteurs de fond dont il fallait tenir compte.

Au Canada, le Parlement a reconnu l’importance de ce critère et, afin d’empêcher les individus ou les institutions qui ne sont pas des banques d’acquérir la réputation d’entreprise bancaire, il a édicté le par. 157(1) de la Loi sur les banques:

157. (1) Est coupable d’une infraction à la présente loi quiconque utilise dans quelque langue l’expression

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«banque», «banquier» ou «opérations bancaires», seule ou combinée avec d’autres mots, ou un ou des mots d’un sens équivalent à l’un des susdits, pour indiquer ou décrire ses opérations au Canada ou quelque partie de celles-ci au Canada, sans y être autorisé par la présente ou par quelque autre loi.

Pioneer Trust n’est pas autorisée par la Loi sur les banques ni par aucune autre loi à utiliser les mots prohibés pour décrire ses opérations ou une partie de celles-ci y compris son service de comptes de chèques. Si le Parlement, qui est l’autorité compétente sur la question, désire empêcher que le public confonde une partie des opérations de Pioneer Trust, comme d’autres compagnies fiduciaires, avec celles d’une entreprise bancaire, il me semble que c’est parce que le Parlement considère qu’il ne s’agit pas d’une entreprise bancaire. Je suis également d’avis que l’opinion du Parlement doit être considérée décisive en l’espèce.

Mon opinion est renforcée par la technique législative utilisée par le Parlement dans la Loi sur les banques pour définir une banque à charte, (savoir une liste d’institutions nommément désignées), ainsi que par la définition d’une banque donnée à l’art. 28 de la Loi d’interprétation, déjà cité, aux fins de chaque texte législatif, et par le par. 20(3) de la même Loi qui dispose:

Aucune corporation n’est censée être autorisée à faire les opérations bancaires, à moins que cette autorisation ne lui soit expressément conférée par le texte législatif qui crée la corporation.

Cette dernière disposition suffit pratiquement en elle-même pour trancher la question. Pioneer Trust a été créée en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires dont aucune disposition ne l’autorise expressément à faire les opérations bancaires. Si une partie de l’entreprise de Pioneer Trust consiste en opérations bancaires, alors elle n’est pas autorisée et ne devrait pas servir à soustraire Pioneer Trust à la compétence du Conseil et l’assujettir, à titre d’entreprise fédérale, à la compétence du Conseil canadien des relations du travail. Si par ailleurs l’entreprise de Pioneer Trust est une entreprise autorisée, c’est nécessairement parce qu’elle est réputée ne pas être une entreprise bancaire.

[Page 464]

Personne, encore moins Pioneer Trust, n’a prétendu que son entreprise n’était pas autorisée. La seule partie de son entreprise qui, à cet égard, semble poser un problème, est la réception de dépôts avec privilège de tirer des chèques.

La Loi sur les compagnies fiduciaires donne à Pioneer Trust, aux al. 63a), e) et k) les pouvoirs suivants:

63. La compagnie peut

a) recevoir en fiducie des montants d’argent pour les fins énoncées aux présentes et les placer et accumuler aux taux légitimes d’intérêt qui peuvent en être obtenus;

e) garantir le remboursement du principal ou l’acquittement des intérêts, ou l’un et l’autre, de toutes sommes à elles confiées pour placement à des termes et conditions convenus;

k) recevoir des fonds déposés en fiducie et, à compter de la date du dépôt, payer l’intérêt sur ces fonds au taux qui peut être convenu, et avancer des fonds pour protéger quelque succession, fiducie ou propriété à elle confiée comme il est susdit, et exiger l’intérêt légal sur ces avances; sauf que rien aux présentes ne doit être réputé restreindre ou étendre les pouvoirs de la compagnie en sa qualité de fiduciaire ou d’agent d’après les conditions de toute fiducie ou agence qui peut lui être confiée;

Les pouvoirs conférés par l’a. 63a) sont du type fiduciaire traditionnel alors que ceux donnés par les al. 63e) et k) ne sont pas de ce type: ils prévoient la garantie du remboursement par la compagnie de toute somme à elle confiée pour placement et le paiement d’intérêt sur les fonds en fiducie au taux convenu. Ce dernier type de pouvoirs facilite l’établissement entre une compagnie fiduciaire et le déposant d’une relation juridique qui ressemble un peu à celle qui existe entre une banque et le déposant. Dans cette mesure, la remarque précitée du professeur Hogg est justifiée. Mais le fait est que ces pouvoirs, qui sont réputés ne pas être des pouvoirs bancaires, sont spécifiquement conférés à Pioneer Trust par le Parlement.

Je ne vois pas ce qui empêche Pioneer Trust de conclure avec le déposant une entente en vertu de laquelle l’argent ainsi déposé devient payable sur demande ou bref avis (voir l’art. 67 de la Loi sur les compagnies fiduciaires) au déposant ou à un tiers si, au moyen d’un effet de commerce approprié, le déposant requiert la compagnie fiduciaire

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de le faire. Je ne vois pas non plus ce qui empêche une compagnie fiduciaire de s’engager à encaisser les effets de commerce au nom du déposant et de les porter à son crédit. Il n’y a rien de contraire à l’ordre public dans de tels engagements, et, pour autant que je sache, il n’existe pas d’interdiction dans la Loi sur les banques, dans la Loi sur les lettres de change ni dans aucune autre Loi. Il faudrait une disposition beaucoup plus précise que le par. 20(3) de la Loi d’interprétation pour rendre illégales de telles ententes.

Je retiens la prétention exposée au nom du procureur général du Nouveau-Brunswick que, pour résoudre la question, il faut l’aborder sous l’angle institutionnel. Cette méthode, il est vrai, met l’accent sur les critères formels. Mais, en l’espèce, ces critères sont appuyés des facteurs de fond susmentionnés. Je suis d’accord avec la prétention suivante tirée du mémoire du procureur général du Nouveau-Brunswick:

[TRADUCTION] Les «opérations bancaires» comprennent un ensemble d’activités financières intimement reliées exercées par une institution qui est exploitée selon les modalités d’une charte qui lui reconnaissent clairement le caractère institutionnel distinctif d’une banque.

Plusieurs raisons justifient l’adoption de cette méthode.

Premièrement, c’est la méthode adoptée par le Parlement, et l’on peut correctement considérer la législation fédérale comme aide à l’interprétation constitutionnelle: Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons[28], à la p. 116.

Deuxièmement, c’est une méthode qui a également été adoptée par les tribunaux: dans la plupart des cas où une loi provinciale a été jugée ultra vires pour le motif qu’elle empiétait sur l’autorité fédérale exclusive sur les banques, on avait également tenté de régir les banques établies ou d’intervenir dans leur entreprise: l’arrêt Alberta Bank Taxation; l’arrêt Bank Deposits; Attorney-General for Alberta v. Attorney-General for Canada[29], (l’arrêt Alberta Bill of Rights),

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Troisièmement, c’est une méthode qui est particulièrement appropriée dans une affaire où la question à trancher est de savoir si l’entreprise d’une institution donnée correspond à la notion d’entreprise d’opérations bancaires, et non de savoir si un texte législatif a constitutionnellement rapport aux banques au sens du par. 91.15 de la Constitution. La qualification de la législation n’obéit pas aux mêmes règles que celle de l’entreprise. La loi, par exemple, peut être divisible tandis qu’une entreprise active est indivisible et doit se trouver entièrement d’un côté ou de l’autre de la ligne de démarcation constitutionnelle. Le mot «banque» dans l’expression «entreprise d’opérations de banque» et le mot «banques» au par. 91.15 n’ont pas nécessairement la même portée. Le sens de «banques» à ce paragraphe pourrait très bien déborder la notion d’opérations bancaires. Le juge en chef Latham dans Bank of New South Wales v. The Commonwealth[30], (l’arrêt Australian Banking) à la p. 195, a expliqué certains motifs de cette distinction:

[TRADUCTION] Je souscris à l’argument des demandeurs que l’acquisition d’une action d’une banque par une personne (banque ou autre) ne constitue pas en soi une opération bancaire et, de même, que l’achat d’éléments d’actif d’une banque par une personne, banque ou autre, ne constitue pas en soi une opération bancaire et que la prise en charge de l’entreprise d’une autre banque ne serait sans doute pas non plus une opération bancaire. Mais une loi qui régit ces opérations est une loi qui porte sur l’entreprise bancaire parce que ces opérations ont des répercussions sur la conduite et le contrôle de l’entreprise et sont des activités qui peuvent être exercées à l’occasion dans le cours de l’entreprise bancaire, bien qu’elles ne soient pas des opérations bancaires entre un banquier et un client. Il est facile de donner des exemples de lois qui ont un rapport très immédiat avec les opérations bancaires et qui sont donc des lois relatives aux opérations bancaires, bien qu’elles ne portent pas sur les relations banquier-client comme telles. On situerait parmi ces lois une loi exigeant qu’une banque ait un certain capital minimum ou maintienne un pourcentage de capital non libéré, ou une loi prévoyant quelles personnes peuvent détenir des actions d’une banque, par ex. en excluant les faillis, ou une loi qui empêcherait les banques, dans certaines circonstances, de disposer de leur actif, ou une loi prévoyant les types de placements permis à une banque, ou une loi qui porte sur la

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direction et le personnel des banques; toutes seraient des lois relatives à des éléments essentiels de l’entreprise bancaire sans porter sur des opérations entre une banque et son client.

(Les opinions judiciaires sur la signification constitutionnelle du mot «banques» en Australie devraient avoir une certaine importance au Canada parce que le par. 51(xiii) de la Commonwealth of Australia Constitution, 1900, 63, 64 Vict., chap. 12 (R.-U.) est, sauf la mention des banques d’État, identique au par. 91.15 de la Constitution canadienne et, comme l’ont fait remarquer certains juges australiens, il semble avoir été inspiré par ce dernier. En voici le texte:

[TRADUCTION] (xiii) les banques, autres que les banques d’État mais y compris les banques d’État exploitées à l’extérieur de leur État, l’incorporation des banques et l’émission du papier-monnaie;

Le juge en chef Latham était partiellement dissident dans l’arrêt Australian Banking mais, plus que son opinion sur la nature des opérations bancaires, une des principales raisons de sa dissidence partielle semble avoir été son interprétation d’une autre disposition de la Constitution australienne, l’art. 92, sur la liberté des échanges, du commerce et des relations entre les États, dont il n’existe aucun pendant exact dans la Constitution canadienne. L’opinion majoritaire sur l’une des questions posées dans l’arrêt Australian Banking a été confirmée par le Comité judiciaire: Commonwealth of Australia v. Bank of New South Wales[31].

Un des premiers arrêts sur le sens d’opérations bancaires en droit constitutionnel canadien est Tennant v. Union Bank of Canada[32], où lord Watson a écrit, à la p. 46, que «opérations bancaires» est

[TRADUCTION] une expression suffisamment large pour comprendre toute opération entrant dans l’entreprise légitime d’un banquier.

Cet énoncé a de nouveau été cité plus récemment: l’arrêt Bank Deposits à la p. 42 et l’arrêt Alberta Bill of Rights à la p. 517.

[Page 468]

Les appelantes ont invoqué cette expression d’opinion mais je ne crois pas qu’elle leur soit utile. On ne peut l’interpréter littéralement car cela signifierait, par exemple, que les emprunts ou les prêts d’argent, avec ou sans garantie, ce qui fait partie de l’entreprise légitime de plusieurs autres types d’institutions ainsi que des particuliers, relèveraient, à tout point de vue, de la compétence législative exclusive du Parlement. On n’a jamais voulu un tel résultat. Mais lord Watson parlait alors du pouvoir législatif fédéral sur les institutions qui avaient été établies comme banques à charte et son énoncé est compréhensible s’il est interprété en termes institutionnels. Prenons par exemple le prêt d’argent garanti par hypothèque. Autrefois, les banques ne pouvaient effectuer cette opération qui, en raison du problème de la liquidité, aurait effrayé les banquiers du dix-neuvième siècle. Le fait que cette opération soit devenue accessible aux banques ne l’a pas transformée en opération bancaire de sorte que toutes les institutions, telles les compagnies de prêts, les compagnies fiduciaires comme Pioneer Trust, et les particuliers qui effectuent dans une large mesure ce type de transactions se soient trouvés eux-mêmes soudainement plongés dnas l’entreprise bancaire. On ne pourrait non plus prétendre que les législatures provinciales ont perdu leur compétence sur le droit des hypothèques, sur les compagnies de prêt hypothécaire et leurs employés. Il serait plus exact de dire que ce sont les banques qui se sont lancées dans un type d’activités non bancaires, mais c’est un principe bien établi que le Parlement peut permettre à des entreprises fédérales d’exploiter des affaires de compétence provinciale: l’arrêt Empress Hotel; l’arrêt Jasper Park Lodge.

Les mêmes commentaires et réserves pourraient s’appliquer à d’autres prêts effectués par les banques.

7. L’objection tirée de la règle de l’exclusivité

Il n’y a qu’une seule objection sérieuse à la méthode institutionnelle. Elle est fondée sur l’exclusivité du pouvoir législatif fédéral sur les «banques» et «l’incorporation des banques» et elle a été élevée par l’avocat du procureur général du Canada. Il a prétendu que la compétence législative provinciale de même que l’étendue et l’appli-

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cabilité de la loi provinciale ne pouvaient dépendre de l’omission du Parlement de légiférer jusqu’à la limite de son pouvoir exclusif. Il a invoqué les arrêts The Union Colliery et Commission du Salaire Minimum.

Je ne crois pas que cette objection soit valide en l’espèce.

La compétence législative comporte certains pouvoirs de définition qui ne sont pas illimités mais, selon la façon particulière dont on les exerce, peuvent toucher à d’autres domaines de compétence.

Par exemple, le Parlement a une compétence législative exclusive sur l’établissement, le maintien et l’administration des pénitenciers en vertu du par. 91.28 de la Constitution et chaque province a une compétence législative exclusive sur l’établissement, l’entretien et l’administration des prisons publiques et des maisons de réforme dans la province, en vertu du par. 92.6. Jusqu’à présent, la ligne de démarcation entre les deux semble dépendre en partie de la législation fédérale, tel l’art. 659 du Code criminel.

Le statut juridique des Esquimaux du Québec fournit un autre exemple. Ils ne sont pas des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6 par. 4(1), mais ils sont des Indiens dans l’optique du par. 91.24 de la Constitution: Renvoi sur la question de savoir si le mot «Indiens» au par. 91.24 de l’A.A.N.B. comprend les Esquimaux de la province de Québec[33]. Si le Parlement décidait de les assujettir à la Loi sur les Indiens, les lois provinciales sur les successions et les testaments cesseraient de leur être applicables et seraient remplacées par les dispositions de la Loi sur les Indiens à ce sujet.

Le Parlement ayant choisi d’exercer sa compétence sur les banques et la constitution des banques d’un point de vue institutionnel plutôt qu’en termes fonctionnels, comme c’était peut‑être inévitable, n’a pas nécessairement épuisé sa compétence exclusive; mais il a laissé aux provinces le soin de régir les relations du travail dans le cadre des institutions qu’il n’a pas qualifiées d’entreprises bancaires.

[Page 470]

8. Conclusion

Pour résumer et conclure.

La relation entre Pioneer Trust et ses clients est de nature fiduciaire et plusieurs de ses opérations relèvent de l’entreprise d’une compagnie fiduciaire. Un grand nombre de ses autres opérations ne sont pas caractéristiques de l’entreprise bancaire bien qu’elles soient également effectuées par des banques à charte. La seule opération effectuée par Pioneer Trust qui peut être caractéristique de l’entreprise bancaire, le service de comptes de chèques, n’est pas exclusive à l’entreprise bancaire. Et finalement, le Parlement qui est l’autorité constitutionnelle compétente en matière de banques et d’opérations bancaires, considère que Pioneer Trust n’est pas une banque et que son entreprise n’est pas une entreprise bancaire. Donc, Pioneer Trust n’est pas une entreprise bancaire.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens en faveur des intervenants ou contre eux.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelantes: Richard P. Rendek & Associates, Regina.

Procureurs de l’intimé, Saskatchewan Joint Board Retail, Wholesale and Department Store Union: Goldenberg & Taylor, Saskatoon.

Procureurs de l’intimé, le Conseil des relations du travail de la Saskatchewan: Pedersen, Norman, McLeod & Todd, Regina.

 



[1] L’ex-juge Pratte a pris part au prononcé du jugement mais n’était pas partie aux motifs.

[2] (1978), 93 D.L.R. (3d) 472.

[3] [1946] A.C. 33

[4] (1881), 7 App. Cas. 96.

[5] [1977] 2 R.C.S. 504.

[6] [1975] 1 R.C.S. 178.

[7] [1955] R.C.S. 529.

[8] [1899] A.C. 580.

[9] [1966] R.C.S. 767.

[10] [1950] A.C. 122.

[11] [1975] 1 R.C.S. 786.

[12] [1976] 2 R.C.S. 349.

[13] [1848] 2 H.L.C. 28, 9 E.R. 1002.

[14] [1921] 3 K.B. 110.

[15] [1946] A.C. 33.

[16] [1943] R.C.S. 370.

[17] (1883), 9 App. Cas. 157.

[18] [1938] R.C.S. 100.

[19] [1939] A.C. 117.

[20] [1970] R.C.S. 175.

[21] [1966] 1 All E.R. 968.

[22] (1861), 45 E.R. 907.

[23] (1891), 65 L.T. 712.

[24] [1948] A.C. 378.

[25] [1918] 3 W.W.R. 1023.

[26] (1967), 61 D.L.R. (2d) 118.

[27] [1901] 1 Ir. R. 172.

[28] (1881), 7 App. Cas. 96.

[29] [1947] A.C. 503.

[30] (1948), 76 C.L.R. 1.

[31] [1950] A.C. 235.

[32] [1894] A.C. 31.

[33] [1939] R.C.S. 104.

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