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Cour suprême du Canada

Faillite—Paiements préférentiels—Prescription quinquennale—Suspension de la prescription—Date de la faillite—Effet de la proposition concordataire—Loi sur la faillite, S.R.C. 1952, c. 14, art. 16, 34(6), 38(1), 41(4), 64—Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, c. B.-3, art. 39(1), 41(10), 43(4), 44—Code civil, art. 1040 et 2232.

Lewis Brothers Asphalt Paving Ltd., une compagnie ayant par la suite fait faillite avait, en 1957-58, effectué certains versements d’argent en faveur de l’intimée qui était alors Tune de ses créancières. L’appelante, se prétendant elle aussi créancière de Lewis Brothers, demanda, par une action intentée en 1965, l’annulation de ces paiements, ceux-ci constituant, selon ses dires, des paiements préférentiels. Lewis Brothers s’était engagée par contrat, en septembre 1957, à exécuter certains travaux pour le compte du C.N.; l’appelante aux termes d’un contrat de cautionnement s’était alors rendue solidairement responsable avec Lewis Brothers de l’exécution de ce contrat. Le 6 février 1958, Lewis Brothers a fait l’objet d’une requête en faillite qui est toujours en suspens, et, le 20 février 1958, elle a soumis une proposition concordataire à ses créanciers, proposition que les créanciers acceptèrent en mars 1958. Le C.N. ne voulait cependant plus, à cause de l’insolvabilité de Lewis Brothers, faire affaires avec elle, ce qui obligea l’appelante à débourser d’importantes sommes d’argent afin que soit complété le contrat. Enfin, en octobre 1961, Lewis Brothers faisait cession de ses biens ne pouvant plus faire face à ses obligations telles que stipulées dans la proposition concordaire.

La Cour supérieure et la Cour d’appel ayant fait droit au plaidoyer de prescription présenté par l’intimée, l’action fut rejetée en ces deux cours sans plus de commentaires sur les autres aspects de la cause.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli en partie.

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Se basant sur la jurisprudence d’alors, la Cour d’appel, tout comme la Cour supérieure, se devait d’accueillir le plaidoyer de prescription et de rejeter l’action sans faire de distinction entre l’aspect paulien et l’aspect faillite de la question. Mais l’arrêt Gingras c. General Motor Products of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 426, a depuis lors modifié la position des parties en énonçant qu’aux termes de la Loi sur la faillite, la prescription en matières commerciales en était une de cinq ans. De plus, pour les fins de cette prescription, un créancier sera présumé être «dans l’impossibilité… d’agir» tant que les circonstances n’ont pas fait naître un soupçon. Il y a donc eu, en l’espèce, suspension de la prescription: la prescription quinquennale n’a couru qu’à partir du 6 octobre 1961, soit moins de cinq ans avant l’institution de l’action, Lewis Brothers ayant, jusqu’à cette date, respecté ses obligations. Les paiements attaqués ne peuvent cependant être annulés, n’ayant pas été effectués dans les trois mois de la faillite, celle-ci coïncidant avec la date de la cession soit le 6 octobre 1961. La faillite ne peut, en effet, être reportée au 6 février 1958, date de la requête de mise en faillite, la pétition présentée à ce moment-là n’ayant pas été suivie d’une ordonnance de séquestre. La faillite ne peut, non plus, être reportée au 20 février 1958, date de la proposition concordataire, une telle proposition ne constituant pas, aux termes de la Loi sur la faillite de 1952, un acte de faillite.

Cependant l’intimée ayant reçu, en vertu de la proposition concordataire, des dividendes auxquels elle n’avait pas droit, devra remettre à l’appelante les sommes ainsi perçues, qu’elles lui aient été versées directement ou indirectement par le truchement de sa cessionnaire.

Arrêt appliqué: Gingras c. General Motors Products of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 426; distinction faite avec l’arrêt: In re Legault (1956), 36 C.B.R. 167; arrêts mentionnnés: Traders Finance Corp. Ltd. c. Lévesque, [1961] R.C.S. 83; Joy Oil Ltd. c. McColl Frontenac OU Co. Ltd., [1943] R.C.S. 127; Gagnon c. Lesage, [1951] B.R. 571; Lussier c. Marquis, [1960] B.R. 20, infirmé [1960] R.C.S. 449; Alain c. Fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile, [1974] C.A. 89; Amanda Designs Boutique Ltd. c. Charisma Fashions Ltd. (1972), 17 C.B.R. (N.S.) 16; Perras c. Boulet, [1959] R.C.S. 838.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec rejetant un appel interjeté à l’encontre d’un jugement du juge Tellier de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli en partie.

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David Wood, pour l’appelante.

Carol Laramée et Raymond Hébert, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRE—L’appelante, se prétendant créancière de Lewis Brothers Asphalt Paving Ltd. (ci-après Lewis Brothers), une compagnie en faillite, a poursuivi l’intimée parce que celle-ci aurait reçu des paiements préférentiels en 1957 et 1958 donnant ainsi ouverture à une action paulienne et à un recours aux termes de la Loi sur la faillite alors en vigueur (S.R.C. 1952, c. 14). Ces procédures auraient pu évidemment être intentées par les syndics mais ceux-ci ont refusé de le faire et l’appelante a, le 9 novembre 1965, obtenu du tribunal les autorisations nécessaires aux termes de la Loi sur la faillite, suivies quelques jours plus tard du transport des droits des syndics (art. 16). A noter que ce recours de l’art. 16 est personnel à l’appelante et lui est conféré par la Loi (Traders Finance Corporation Limited c. Lévesque[1]).

Voici les faits pertinents:

a) le 27 septembre 1957, Lewis Brothers obtient du C.N. un contrat d’entreprise couvrant certains travaux à la gare de triage de la Côte de Liesse, à Montréal;

b) le 1er octobre 1957, l’appelante émet un cautionnement d’exécution en faveur du C.N. aux termes duquel elle devient solidairement responsable avec Lewis Brothers de l’exécution du contrat;

c) le 6 février 1958, une requête en faillite est dirigée contre Lewis Brothers; lors du procès, cette requête était toujours en suspens;

d) le 20 février 1958, Lewis Brothers soumet à ses créanciers une proposition leur offrant un paiement de 35 cents par dollar sur une période de 4 ans, proposition qui est acceptée par les créanciers le 28 mars et ratifiée par la Cour le 25 avril 1958;

e) dans l’intervalle, savoir le 6 mars 1958, le C.N., vu l’insolvabilité de Lewis Brothers, avait refusé de traiter plus longtemps avec Lewis Bro-

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thers quant au contrat de septembre 1957, avec le résultat que l’appelante dût payer la somme de $169,247.55 pour que soit complété le contrat;

f) le 6 octobre 1961, Lewis Brothers, ayant payé trois des dividendes promis dans la proposition et n’ayant pu en payer le quatrième, fit cession de ses biens, cession qui fut suivie de différentes procédures, en particulier d’un jugement du 20 mars 1962 reconnaissant la validité de la réclamation de $167,247.55 produite par l’appelante; toutefois, aucun jugement n’est intervenu pour annuler la proposition.

Les paiements préférentiels qu’aurait reçu l’intimée seraient:

$ 5,000

le 12 décembre 1957

$ 5,000

le 19 décembre 1957

$10,576.61

le 9 décembre 1958

Ils découleraient de la vente de produits pétroliers faite par l’intimée à Lewis Brothers en 1957. L’appelante demande que la nullité de ces paiements soit constatée et que l’intimée soit condamnée à payer la somme de $17,070.26, soit la différence entre les montants préférentiels précités et les dividendes auxquels l’intimée avait droit aux termes de la proposition et de la cession, plus évidemment les intérêts.

A cette action, l’intimée a plaidé que les montants reçus par elle ne constituaient pas des paiements préférentiels et que d’ailleurs les produits pétroliers n’avaient pas été vendus à Lewis Brothers mais à Pavage Richelieu Limitée. Et l’intimée a ajouté qu’à tout événement la réclamation est prescrite, que l’action soit considérée comme un recours paulien ou comme une instance aux termes des art. 64 et suivants de la Loi sur la failite de 1952.

La Cour supérieure et la Cour d’appel ne se sont pas penchées sur les faits autrement que pour déterminer si le plaidoyer de prescription était bien fondé. Ayant conclu sur ce point dans l’affirmative, les tribunaux du Québec ne sont pas allés plus loin dans leur étude du dossier et nous n’avons pas le bénéfice de leurs vues sur les autres aspects de la cause.

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Une question préliminaire se pose: l’appelante a-t-elle qualité de créancière lui permettant d’attaquer des paiements faits en 1957 et 1958 alors qu’elle n’avait certes pas déboursé quoi que ce soit avant les deux paiements de 1957 et qu’elle n’avait probablement pas délié les cordons de sa bourse avant le paiement de décembre 1958? A mon avis, cette qualité doit être admise. Dès la signature du cautionnement d’exécution, l’appelante est devenue débitrice du C.N. Il est vrai que cette obligation était assortie d’une condition suspensive et qu’elle ne devait prendre tout son effet qu’au défaut de Lewis Brothers. Lorsque ce défaut s’est produit en mars 1958, la condition est disparue et l’obligation de l’appelante est devenue complète rétroactivement à la date du cautionnement d’exécution. Seule restait à déterminer la quotité de la dette de l’appelante envers le C.N.

J’ai déjà souligné que les tribunaux du Québec ont accepté le plaidoyer de prescription. Ils ont décidé à l’unanimité que l’appelante connaissait le fait des paiements et le fait de leur sérieuse apparence frauduleuse plus d’un an avant l’institution des procédures en décembre 1965. C’est ce qu’affirme le premier juge:

…il est manifeste que cette décision de poursuivre par la demanderesse le fut à la suite de faits qu’elle connaissait depuis au moins 1963, et ce par l’intermédiaire de son comptable, Whalen, lequel fit, suivant la preuve, un rapport pour ainsi dire final en mai 1964.

C’est ce que confirme. M. le juge Bélanger en Cour d’appel:

Plus d’un an avant la poursuite, par l’entremise de son avocat et de son comptable enquêteur, elle était au courant des paiements qu’elle conteste, de l’insolvabilité de LBAP à ce moment et des autres circonstances qui, d’après ses allégations, rendraient ces paiements frauduleux.

L’appelante n’a pas réussi à établir que ces conclusions concordantes sont contraires à la preuve et je n’ai aucune hésitation à les accepter.

Quant à l’aspect paulien du recours, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont eu raison de conclure qu’en droit la connaissance de ces faits par l’appelante entraîne l’application contre elle de la prescription annale. Je ne puis accepter sa prétention qu’elle n’avait pas à agir tant que son

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dossier n’était pas pratiquement complet. Comme les tribunaux du Québec, je suis d’avis que le point de départ de la prescription ne saurait être retardé jusqu’au moment où les éléments de preuve ont été recueillis dans leur quasi totalité.

Ayant trouvé dans le dossier la preuve que plus de douze mois s’étaient écoulés entre la connaissance acquise par l’appelante des faits pertinents et l’institution des procédures, le jugement entrepris tout comme celui de la Cour supérieure se devaient, conformément à la jurisprudence d’alors, d’appliquer l’art. 1040 du Code et de rejeter l’action sans faire de distinction entre l’aspect paulien et l’aspect faillite. Depuis lors, toutefois, notre arrêt Gingras c. General Motors Products of Canada Ltd.[2], a décidé que la prescription aux termes de la Loi sur la faillite est de cinq ans lorsqu’il s’agit de matières commerciales comme en l’espèce.

La question qui se pose est de savoir si cette prescription quinquennale a couru depuis la date des paiements préférentiels de 1957 et 1958 ou si nous sommes devant un cas de suspension, l’appelante ayant été «dans l’impossibilité absolue… d’agir» (art. 2232 C.c.) avant la fin de 1960, à savoir cinq ans avant la signification des procédures. La portée exacte de cet article a donné naissance à des prises de position divergentes. Cela ressort entre autres des arrêts suivants: Joy Oil Limited c. McColl Frontenac Oil Co. Limited[3]; Gagnon c. Lesage[4]; Lussier c. Marquis[5], cassé sur un autre point[6]; et Jean-Paul Alain c. Fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile[7]. Pour les fins étroites de mon propos, je retiens:

(1) l’ancien droit reconnaissait que la prescription ne devait pas courir contre celui qui se trouvait dans l’impossibilité d’agir;

(2) le code Napoléon (art. 2251) dans son texte n’a pas répété cette règle;

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(3) la jurisprudence française, nonobstant le silence du texte, considère que les obstacles de fait provenant des circonstances extérieures au créancier et créant impossibilité d’agir conservent leur valeur suspensive;

(4) beaucoup d’auteurs français critiquent cette jurisprudence mais il n’y a pas unanimité de la doctrine;

(5) nos commissaires dans leur troisième rapport (1865) écrivent quant à l’adage contra non valentem (à la p. 424):

Il est remarquable qu’il ne soit pas consigné textuellement dans le code français, quoiqu’il soit la base même de toutes les dispositions particulières, et qu’il conserve une application étendue à beaucoup d’autres cas qui ne résultent pas de l’état naturel ou légal des personnes concernées.

Il faut donc donner un sens à cette cause de suspension. En l’espèce, je vois mal qu’un créancier, au vu d’une requête en faillite faite par un autre créancier ou sur réception d’une proposition par le débiteur, doive immédiatement agir comme si le débiteur avait violé la Loi et effectué des paiements préférentiels. Il me semble, au contraire, que la présomption est dans l’autre sens et que le créancier doit être considéré «dans l’impossibilité… d’agir» tant que les circonstances n’ont pas fait naître un soupçon. Dans notre cas, aussi longtemps que la proposition a été respectée, c’est-à-dire jusqu’à octobre 1961, le créancier était parfaitement justifié de ne pas bouger; ce n’est que par la suite que ce sont posés des points d’interrogation. En d’autres termes, la preuve établit à ma satisfaction que la règle de la suspension s’applique en l’espèce, l’appelante n’ayant eu aucune possibilité d’agir avant que certains faits viennent à sa connaissance, ce qui n’a pas eu lieu plus de cinq ans avant l’institution de l’action. Le plaidoyer de prescription ne saurait donc être maintenu à l’encontre de l’action considérée sous l’angle Loi sur la faillite.

Le plaidoyer de prescription étant écarté, la vraie question est la suivante: est-il possible, bien que la cession de biens date d’octobre 1961 de remonter dans le temps jusqu’à l’automne 1957, vu que l’art. 64 limite le recours aux cas de préférence dont se rend coupable la personne qui «devient en

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faillite dans un délai de trois mois» après la date de cette préférence? Dans la recherche de la réponse, je prends évidemment pour acquis que de fait les paiements ont été préférentiels, un point qu’il me faudra étudier si j’en arrive à la conclusion que dans les circonstances de ce litige, le mois d’octobre 1961 suit immédiatement l’automne 1957. Il faut se souvenir que les difficultés du failli se divisent en trois périodes:

(1) d’une requête en faillite de février 1958, requête qui n’a jamais été suivie d’un jugement;

(2) une proposition de mars 1958 qui, après avoir été acceptée et ratifiée, est restée en vigueur jusqu’à l’automne 1961 et qui a donné naissance à divers paiements de dividendes; cette proposition n’a jamais été annulée par jugement;

(3) une cession d’octobre 1961 qui a été suivie de toutes les procédures habituelles.

L’appelante nous invite à relier la cession d’octobre 1961 soit à la requête en faillite de février 1958, soit à la proposition de mars 1958, de sorte que les deux premiers paiements préférentiels auraient été faits dans les trois mois dont parle l’art. 64. Pour ce faire, l’appelante s’appuie sur la décision In re Legault[8]. Il importe de résumer les faits dans cette affaire:

—8 mars 1955, hypothèque comportant préférence;

—5 avril 1955, ordonnance de séquestre;

—28 mai 1955, proposition approuvée par le tribunal dont le jugement annule l’ordonnance de séquestre;

—3 novembre 1955, annulation de la proposition et ordonnance de séquestre.

Sur requête subséquente des syndics attaquant la transaction hypothécaire du 8 mars et en demandant la nullité, M. le juge Montpetit fait remonter la faillite soit à la première ordonnance de séquestre (5 avril), soit à la date d’approbation de la proposition (28 mai). Sur le premier point, il s’exprime comme suit (à la p. 169):

Que signifie l’expression ‘devenir en faillite’? A mon avis, elle vise le cas de la personne contre qui Une

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ordonnance de séquestre est prononcée. Ainsi en a-t-il été du failli, le 5 avril.

Après avoir écarté l’objection que la proposition avait annulé la première ordonnance de séquestre, le savant juge poursuit (à la p. 169):

Et d’ailleurs, cet aspect est d’importance secondaire, vu la proposition approuvée le 28 mai.

En effet, par le jeu de l’article 38(1) à l’effet que toutes les dispositions de la Loi de faillite, dans la mesure où elles sont applicables, s’appliquent ‘mutatis mutandis’ aux propositions, n’est-il pas légitime et raisonnable, en regard de l’article 64, de dire qu’il peut être invoqué dans le cas où la personne qui opère la transmission attaquée fait approuver une proposition dans un délai de trois mois après ladite transmission? Il me paraît que c’est là, ‘mutatis mutandis; suivre en matière de proposition ce que la loi prévoit en matière de faillite.

Les faits de notre espèce sont différents: il suffît de rappeler qu’ici la requête en faillite de février 1958 n’a pas été suivie d’une adjudication et que la proposition qui l’a suivie de quelques jours n’a jamais été annulée par jugement. De plus, la décision In re Legault n’a pas rencontré l’approbation de tous ainsi qu’en fait foi la critique que l’on retrouve dans l’article de L.W. Houldee, “The first ten years of the 1949 Bankruptcy Act 1 C.B.R. (N.S.), à la p. 97:

[TRADUCTION] A mon avis, cette décision est mal fondée et ne se justifie pas par le libellé de la Loi sur la faillite.

Il faut donc, comme il se doit, relire la Loi.

Est-il possible, en l’espèce, nonobstant la proposition dûment approuvée par le tribunal, de s’appuyer sur l’art. 41.4 pour faire remonter la faillite au dépôt de la pétition en février 1958? Voici le texte de 41.4:

La faillite est censée remonter et commencer au moment du dépôt de la pétition sur laquelle une ordonnance de séquestre est rendue, ou au moment de la production d’une cession auprès du séquestre officiel.

Il est évident que ce texte ne vise que la pétition sur laquelle une ordonnance de séquestre est rendue, ce qui n’est pas le cas ici puisque la requête n’a jamais été suivie d’une ordonnance. En l’absence de celle-ci, la date de la production de la

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cession est déterminante. Il en serait peut-être autrement, ce que nous n’avons pas à décider, si une ordonnance avait été prononcée annulant la proposition et déclarant ce que le tribunal pouvait juger «convenable en l’occurence» (art. 36(1)). Je ne vois donc pas qu’il soit possible de faire remonter la faillite à la requête de février 1958.

Peut-on la faire remonter à la proposition de mars 1958? La Loi pertinente étant celle de 1952, il ne m’est pas possible de m’appuyer sur celle de 1966 où se trouve peut-être un début de solution dans les art. 39(1), 41(10), 43(4) et 44. A mon avis, aux termes de l’ancienne Loi, la question posée au début de ce paragraphe doit recevoir une réponse négative. La proposition est un contrat entre le débiteur et ses créanciers. Lorsqu’il est passé en suivant certaines formalités prescrites dans la Loi, ce contrat, qui lie tous les créanciers, même la minorité dissidente, ne constitue pas un acte de faillite et la situation qui en découle n’est pas une situation de faillite. C’est ce que la Cour d’appel d’Ontario, par la voix de M. le juge Kelly, a exprimé dans Amanda Designs Boutique Limited c. Charisma Fashions Limited[9]. Bien qu’écrite dans un autre contexte, la phrase suivante exprime bien la situation (à la p. 20):

[TRADUCTION] En conséquence, la proposition lorsqu’elle est déposée, comporte la virtualité de faillite, qui ne se réalise que lorsque la proposition est refusée et ne se réalise jamais si la proposition est acceptée.

Il faut d’ailleurs aller plus loin: même dans le cas où un proposant est déjà en faillite, l’approbation de la proposition par le tribunal, et ici cette approbation a été donnée, «a pour effet d’annuler la faillite» (art. 34(6)). Les dispositions de la Loi laissent donc au débiteur l’entière administration de ses biens si la proposition est la première étape dans la solution de ses difficultés et la lui remettent si la proposition a été précédée d’une faillite. Le syndic, sauf cas extraordinaire qui n’existe pas ici, n’a qu’une fonction, savoir la distribution des montants que le débiteur s’est engagé à verser à ses créanciers.

Cette conclusion ne doit pas être mise de côté parce que l’art. 38(1) énonce que toutes les dispo-

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sitions de la Loi s’appliquent mutatis mutandis aux propositions. Devant le texte clair de l’art. 41(4) et devant l’ensemble des dispositions de la Loi, il ne m’est pas possible d’affirmer que dans les cas où une proposition est suivie d’une cession, la date de la faillite doit remonter à la date de la proposition.

Par ailleurs, je ne vois pas qu’il soit possible de dire que la proposition a survécu à la cession parce qu’elle n’a pas été annulée expressément. Lorsque la cession, comme en l’espèce, a été acceptée par tous les créanciers qui à l’origine avaient agréé la proposition, celle-ci disparaît sans qu’une ordonnance à cet effet ne soit nécessaire. Bien que le point n’ait pas été discuté dans l’arrêt Perras c. Boulet[10], il me semble que son acceptation était nécessaire à la conclusion unanime du tribunal.

De tout ce qui précède, une conclusion s’impose: seule la date de la cession, savoir octobre 1961, est la date pertinente. Il s’ensuit que les paiements reçus par l’intimée, à supposer qu’ils aient été préférentiels, ne peuvent pas être mis de côté puisqu’ils remontent à 1957 et 1958.

Subsidiairement l’appelante soumet que son pourvoi doit être accueilli en partie puisque l’intimée reconnaît dans ses procédures qu’elle n’avait droit à aucun dividende aux termes de la proposition et que, par conséquent, elle était disposée à remettre le dividende de $561.22 reçu par elle le 28 juillet 1958. La Cour d’appel ayant donné suite à cette offre et ayant ordonné à l’intimée de payer ce montant avec intérêts à l’appelante, celle-ci soumet qu’elle aurait dû en plus recevoir deux autres dividendes de $1,122.44 chacun payés non pas à l’intimée directement mais à sa cessionnaire, Jeanne LeSieur, le 10 mai 1960 et le 15 mai 1961. Il ne fait pas de doute que la preuve révèle le paiement de ces deux dividendes se totalisant à $2,244.88, ainsi que la réception de ces montants par Jeanne LeSieur et le fait que celle-ci n’avait aucune créance personnelle à exercer mais était tout simplement la cessionnaire de l’intimée. Je suis d’accord, par conséquent, avec les prétentions de l’appelante sur le point. L’intimée a soulevé l’objection qu’en l’absence de Jeanne LeSieur dans le dossier, il était impossible à la Cour de pronon-

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cer sur le point. Je ne peux accepter cette proposition puisque nous ne prononçons pas sur la validité du transport entre l’intimée et Jeanne LeSieur mais tout simplement sur le fait que l’intimée n’avait pas le droit de recevoir, soit directement, soit par le truchement de sa cessionnaire, les sommes précitées.

J’accueillerais donc le pourvoi en partie, modifierais le jugement dont appel et condamnerais l’intimée à payer à l’appelante la somme de $2,806.10 avec intérêts au taux légal depuis la signification de l’action et les dépens d’une action de cette classe dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli en partie.

Procureurs de l’appelante: Wood & Aaron, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Laidley, Howard, Lesage, McDougall, Ewasew, Graham & Stocks, Montréal.

 



[1] [1961] R.C.S. 83.

[2] [1976] 1 R.C.S. 426.

[3] [1943] R.C.S. 127.

[4] [1951] B.R. 571.

[5] [1960] B.R. 20.

[6] [1960] R.C.S. 442.

[7] [1974] C.A. 89.

[8] (1956), 36 C.B.R. 167.

[9] (1972), 17 C.B.R. (N.S.) 16.

[10] [1959] R.C.S. 838.

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