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R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489

 

Mary C. Sullivan et Gloria J. Lemay                                               Appelantes

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                          Intimée

 

et

 

Fonds d'action et d'éducation juridiques pour

les femmes et R.E.A.L. Women of Canada                                      Intervenants

 

et entre

 

Sa Majesté la Reine                                                                         Appelante

 

c.

 

Mary C. Sullivan et Gloria J. Lemay                                               Intimées

 

et

 

Fonds d'action et d'éducation juridiques pour

les femmes et R.E.A.L. Women of Canada                                      Intervenants

 

Répertorié: R. c. Sullivan

 

Nos du greffe:  21080, 21494.

 

1990: 30 octobre; 1991: 21 mars.

 

Présents:  Le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

 

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

 

                   Droit criminel ‑‑ Négligence criminelle causant la mort et négligence criminelle causant des lésions corporelles ‑‑ Un enfant meurt dans la filière génitale pendant un accouchement fait par des sages‑femmes ‑‑ Déclaration de culpabilité sur l'accusation de négligence criminelle causant la mort mais acquittement sur l'accusation de négligence criminelle causant des lésions corporelles ‑‑ Aucun appel du ministère public contre l'acquittement ‑‑ Appel de la déclaration de culpabilité de négligence criminelle causant la mort ‑‑ La Cour d'appel substitue à ce verdict une déclaration de culpabilité de négligence criminelle causant des lésions corporelles ‑‑ La Cour d'appel avait‑elle compétence pour substituer une déclaration de culpabilité? ‑‑ Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 2, 198, 202, 203, 204, 206, 613.

 

                   Tribunaux ‑‑ Appel ‑‑ Compétence ‑‑ Un enfant meurt dans la filière génitale pendant un accouchement fait par des sages‑femmes ‑‑ Déclaration de culpabilité sur l'accusation de négligence criminelle causant la mort mais acquittement sur l'accusation de négligence criminelle causant des lésions corporelles ‑‑ Aucun appel du ministère public contre l'acquittement ‑‑ Appel de la déclaration de culpabilité de négligence criminelle causant la mort ‑‑ La Cour d'appel substitue à ce verdict une déclaration de culpabilité de négligence criminelle causant des lésions corporelles ‑‑ La Cour d'appel avait‑elle compétence pour substituer une déclaration de culpabilité?

 

                   Sullivan et Lemay, des sages‑femmes possédant une certaine expérience des accouchements à domicile mais n'ayant en matière médicale aucune compétence officiellement reconnue, ont été accusées d'infractions aux art. 203 et 204 (maintenant les art. 220 et 221) du Code criminel  à la suite de la mort de l'enfant d'une femme qu'elles tentaient d'accoucher alors qu'il se trouvait encore dans la filière génitale.  Au procès, elles ont été reconnues coupables de négligence criminelle ayant causé la mort de l'enfant (art. 203) (premier chef d'accusation), mais ont été acquittées de l'inculpation de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à la mère (art. 204) (second chef d'accusation).  Sullivan et Lemay ont fait appel du verdict de culpabilité relativement au premier chef d'accusation.  Le ministère public n'a pas interjeté appel de leur acquittement relativement au second chef.  La Cour d'appel a accueilli l'appel contre la déclaration de culpabilité relativement au premier chef, mais y a substitué une déclaration de culpabilité sur le chef de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles, et ce, en dépit du fait que le ministère public n'avait pas formé d'appel.  Sullivan et Lemay se pourvoient devant notre Cour contre ce verdict de culpabilité substitué et le ministère public se pourvoit contre la décision de la Cour d'appel d'annuler la déclaration de culpabilité initiale sur le premier chef d'accusation.

 

                   La question dans le pourvoi R. c. Sullivan et Lemay est de savoir si un enfant vivant, partiellement né, est une personne au sens de l'art. 203  du Code criminel  et, dans l'affirmative, s'il convient d'appliquer une norme objective pour déterminer la culpabilité.  Dans le pourvoi Sullivan et Lemay c. La Reine, il s'agit de décider si les par. 613(2) et (8) autorisaient la Cour d'appel à substituer une déclaration de culpabilité de négligence ayant causé des lésions corporelles en l'absence d'appel du ministère public quant à ce chef d'accusation et si c'est à tort que la Cour d'appel a conclu que le f{oe}tus fait partie de sa mère, de sorte que la mort du f{oe}tus peut entraîner une déclaration de culpabilité de négligence ayant causé des lésions corporelles.

 

                   Arrêt dans Sullivan et Lemay c. La Reine (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente):  Le pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel portant substitution d'un verdict de culpabilité de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles, est accueilli.

 

                   Arrêt dans R. c. Sullivan et Lemay:  Le pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel acquittant Sullivan et Lemay de l'accusation de négligence criminelle ayant causé la mort est rejeté.

 

                   Le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson:  D'après le texte de l'art. 206, un f{oe}tus n'est pas un "être humain" aux fins du Code.  Ce n'était pas avec l'intention de modifier le sens du mot "personne" que les dispositions portant sur la négligence criminelle ont été introduites en 1954 et ce terme, tel qu'il est employé à l'art. 203 du Code, est synonyme de l'expression "être humain".

 

                   Une cour d'appel n'a pas compétence pour modifier un verdict d'acquittement, à moins que le ministère public n'ait interjeté appel de cet acquittement.  Il y a cependant une exception pour les cas où s'applique la règle énoncée dans l'arrêt Kienapple.  La règle établie dans l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce.  En premier lieu, il n'existe pas de lien juridique suffisant entre les deux infractions; le premier chef d'accusation exige qu'on prouve la mort du f{oe}tus et le second qu'on prouve que la mère a subi des lésions corporelles.  Bien qu'elles puissent viser d'une manière générale le même genre de conduite, les deux accusations entraînent des conséquences distinctes.  En deuxième lieu, l'acquittement inscrit par le juge du procès relativement à l'accusation de négligence criminelle causant des lésions corporelles était un acquittement sur le fond et n'est pas intervenu par suite d'un verdict de culpabilité relativement au premier chef d'accusation.  Sullivan et Lemay auraient pu être reconnues coupables des deux infractions.  Même dans l'hypothèse d'une conclusion à l'absence de lésions corporelles indépendantes, il aurait encore été possible de déclarer Sullivan et Lemay coupables des deux chefs d'accusation.  La Cour d'appel n'avait pas compétence en vertu de l'art. 613 pour substituer une déclaration de culpabilité de négligence criminelle causant des lésions corporelles.

 

                   On n'a présenté aucune raison impérieuse de principe militant en faveur de la création d'une nouvelle exception qui élargirait la compétence d'une cour d'appel pour substituer une déclaration de culpabilité à un acquittement dans un cas où le ministère public n'a pas interjeté appel.

 

                   Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente dans Sullivan et Lemay c. La Reine):  Le pourvoi du ministère public contre le verdict d'acquittement inscrit par la Cour d'appel doit être rejeté comme le propose le juge en chef Lamer.  Il y a lieu de rejeter également le pourvoi de Sullivan et de Lemay car la Cour d'appel avait compétence pour inscrire une déclaration de culpabilité en vertu du par. 613(8)  du Code criminel .  Le juge du procès a spécifiquement examiné la question de la culpabilité sous le deuxième chef d'accusation, la négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles.  Elle aurait rendu un verdict de culpabilité si elle n'avait pas conclu que l'enfant ne faisait pas partie de la mère.

 

Jurisprudence

 

Citée par le juge en chef Lamer

 

                   Arrêts mentionnésR. v. Marsh (1979), 31 C.R. (3d) 363; Terlecki c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 483; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852; Rickard c. La Reine, [1970] R.C.S. 1022; Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356; Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3.

 

Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente dans Sullivan et Lemay c. La Reine)

 

                   Arrêt mentionné: R. v. Terlecki (1983), 4 C.C.C. (3d) 224, conf. par [1985] 2 R.C.S. 483.

 

Lois et règlements cités

 

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 2, 198, 202, 203, 204, 206, 613 [mod. S.C. 1985, c. 19, art. 143].

 

Loi concernant le droit criminel, S.C. 1953‑54, ch. 51, art. 192.

 

Doctrine citée

 

Canada.  Chambre des communesn.  Débats de la Chambres des communes, 1re Sess., 22e Parl., 1953-54, vol. III.

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1988), 31 B.C.L.R. (2d) 145, 43 C.C.C. (3d) 65, 65 C.R. (3d) 256, qui a substitué une déclaration de culpabilité à l'acquittement prononcé par le juge Godfrey (juge local de la Cour suprême) (1986), 31 C.C.C. (3d) 62, 55 C.R. (3d) 48, relativement à un chef d'accusation de négligence criminelle causant des lésions corporelles.  Pourvoi accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1988), 31 B.C.L.R. (2d) 145, 43 C.C.C. (3d) 65, 65 C.R. (3d) 256, qui a accueilli un appel contre un verdict de culpabilité rendu par le juge Godfrey (juge local de la Cour suprême) (1986), 31 C.C.C. (3d) 62, 55 C.R. (3d) 48, relativement à un chef d'accusation de négligence criminelle causant la mort.  Pourvoi rejeté.

 

                   Thomas R. Berger et Peter Leask, c.r., pour Mary C. Sullivan et Gloria J. Lemay.

 

                   E. R. A. Edwards, c.r., et Deborah K. Lovett, pour Sa Majesté la Reine.

 

                   Lynn Smith, Mary Eberts et Helena Orton, pour l'intervenant le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.

 

                   Angela M. Costigan, pour l'intervenant R.E.A.L. Women of Canada.

 

//Le juge en chef Lamer//

 

                   Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Wilson, La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson rendu par

 

                   Le juge en chef Lamer ‑‑ Il s'agit en l'espèce de deux sages‑femmes qui ont été accusées d'infractions aux art. 203 et 204 (maintenant les art. 220 et 221) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, à la suite de la mort de l'enfant d'une femme qu'elles tentaient d'accoucher alors qu'il se trouvait encore dans la filière génitale.  Au procès, elles ont été reconnues coupables de négligence criminelle ayant causé la mort de l'enfant (art. 203), mais ont été acquittées de l'accusation de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à la mère (art. 204).  La Cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité de l'infraction à l'art. 203, y substituant un verdict de culpabilité d'une infraction à l'art. 204 (négligence criminelle causant des lésions corporelles).

 

                   La présente affaire soulève la question de savoir si un f{oe}tus dans la filière génitale est une "personne" aux fins de l'art. 203.  Elle soulève en outre une question de procédure concernant la compétence d'une cour d'appel en vertu de l'art. 613 (maintenant l'art. 686) du Code.  D'autres questions importantes touchant le statut juridique du f{oe}tus et la mens rea requise pour qu'il y ait négligence criminelle ont été posées au départ mais, comme le ministère public n'a pas formé d'appel à leur sujet, il n'est pas nécessaire de traiter de toutes ces questions en raison de notre décision sur la question de procédure.

 

Les faits

 

                   Sullivan et Lemay ont été engagées par Jewel Voth pour lui donner des cours prénatals privés et pour agir à titre de sages‑femmes à son accouchement à domicile.  Sullivan et Lemay avaient une certaine expérience des accouchements à domicile et avaient fait des lectures dans ce domaine, mais elles n'avaient en matière médicale aucune compétence officiellement reconnue.

 

                   Au bout de la cinquième heure du second stade du travail, la tête de l'enfant a émergé et les contractions ont cessé.  Sullivan et Lemay ont tenté vainement de provoquer de nouvelles contractions.  Une pression directe a été exercée sur l'utérus, causant l'endolorissement du ventre et du dos de la mère et lui occasionnant des meurtrissures.  Quelque vingt minutes plus tard, elles ont fait appel aux services d'urgence et la mère a été transportée à l'hôpital.  Dans les deux minutes qui ont suivi son arrivée, un interne a réussi à l'accoucher en se servant de ce que le juge du procès a appelé [traduction] "une technique ordinaire d'accouchement".  L'enfant ne donnait aucun signe de vie et n'a pu être ranimé.

 

                   Sullivan et Lemay ont été conjointement inculpées sous un chef de négligence criminelle ayant causé la mort de l'enfant de Jewel Voth, en vertu de l'art. 203  du Code criminel , et sous un second chef de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à Jewel Voth, en vertu de l'art. 204.  Jugées en Cour de comté de Vancouver, elles ont été déclarées coupables de la première infraction et acquittées relativement à la seconde.

 

                   Sullivan et Lemay ont interjeté appel en Cour d'appel de la Colombie‑Britannique du verdict de culpabilité de négligence criminelle ayant causé la mort.  Le ministère public pour sa part n'a pas interjeté appel de l'acquittement de Sullivan et Lemay relativement au second chef.  La Cour d'appel a accueilli l'appel contre la déclaration de culpabilité relativement au premier chef d'accusation, mais y a substitué une déclaration de culpabilité relativement au chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles (malgré l'absence d'appel du ministère public).  Sullivan et Lemay se pourvoient devant notre Cour contre ce verdict de culpabilité substitué tandis que le ministère public se pourvoit contre la décision de la Cour d'appel d'annuler la déclaration de culpabilité initiale sur le premier chef d'accusation.

 

                   Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes (FAEJ) et REAL Women of Canada ont qualité d'intervenants en l'espèce.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34 et modifications

 

2.  Dans la présente loi

 

                                                                   . . .

 

"quiconque", "individu", "personne", "propriétaire" et les expressions similaires comprennent Sa Majesté et les corps publics, les corporations constituées, sociétés, compagnies, ainsi que les habitants de comtés, paroisses, municipalités ou autres districts à l'égard des actes et choses qu'ils sont capables d'accomplir et de posséder respectivement;

 

                   198.  Quiconque entreprend d'administrer un traitement chirurgical ou médical à une autre personne ou d'accomplir un autre acte légitime qui peut mettre en danger la vie d'une autre personne est, sauf dans les cas de nécessité, légalement tenu d'apporter, en ce faisant, une connaissance, une habileté et des soins raisonnables.

 

                   202. (1)  Est coupable de négligence criminelle quiconque,

 

a)en faisant quelque chose, ou

 

b)en omettant de faire quelque chose qu'il est de son devoir d'accomplir,

 

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.

 

                   203. Est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité, quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d'une autre personne.

 

                   204. Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de dix ans, quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

 

                   206. (1) Un enfant devient un être humain au sens de la présente loi lorsqu'il est complètement sorti, vivant, du sein de sa mère,

 

a)qu'il ait respiré ou non;

 

b)qu'il ait ou non une circulation indépendante; ou

 

c)que le cordon ombilical soit coupé ou non.

 

                   (2)  Commet un homicide, quiconque cause à un enfant, avant ou pendant sa naissance, des blessures qui entraînent sa mort après qu'il est devenu un être humain.

 

                   613. (1) Lors de l'audition d'un appel d'une déclaration de culpabilité ou d'un verdict portant que l'appelant est incapable de subir son procès, pour cause d'aliénation mentale, ou d'un verdict spécial de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale, la cour d'appel

 

a)  peut admettre l'appel, si elle est d'avis

 

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu'il est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve,

 

(ii) que le jugement de la cour de première instance devrait être écarté pour le motif qu'il constitue une décision erronée sur une question de droit, ou

 

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

 

b)  peut rejeter l'appel, si

 

(i) la cour est d'avis que l'appelant, bien qu'il n'ait pas été régulièrement déclaré coupable sur un chef d'accusation ou une partie de l'acte d'accusation, a été régulièrement déclaré coupable sur un autre chef ou une autre partie de l'acte d'accusation,

 

(ii) l'appel n'est pas décidé en faveur de l'appelant pour l'un quelconque des motifs mentionnés à l'alinéa a),

 

(iii) bien que la cour estime que, pour tout motif mentionné au sous‑alinéa a)(ii), l'appel pourrait être décidé en faveur de l'appelant, elle est d'avis qu'aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s'est produit, ou

 

(iv) nonobstant une irrégularité de procédure au procès, la cour de première instance était compétente à l'égard de la catégorie d'infractions dont fait partie celle dont l'appelant a été déclaré coupable et la cour d'appel est d'avis qu'aucun préjudice ne lui a été causé par cette irrégularité;

 

                                                                   . . .

 

(2) Lorsqu'une cour d'appel admet un appel en vertu de l'alinéa (1)a), elle doit annuler la condamnation et

 

a)  ordonner l'inscription d'un jugement ou verdict d'acquittement, ou

 

b)  ordonner un nouveau procès.

 

(3) Lorsqu'une cour d'appel rejette un appel aux termes du sous‑alinéa (1)b)(i), elle peut substituer le verdict qui, à son avis, aurait dû être rendu et

 

a)  confirmer la peine prononcée par la cour de première instance; ou

 

b)  imposer une peine justifiée en droit ou renvoyer l'affaire à la cour de première instance en lui ordonnant d'infliger une peine justifiée en droit.

 

(4) Quand un appel est interjeté d'un acquittement, la cour d'appel peut

 

a)  rejeter l'appel; ou

 

b)  admettre l'appel, écarter le verdict et

 

(i) ordonner un nouveau procès, ou

 

(ii) sauf dans le cas d'un verdict rendu par une cour composée d'un juge et d'un jury, rendre un verdict de culpabilité à l'égard de l'infraction dont, à son avis, l'accusé aurait dû être déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou renvoyer l'affaire à la cour de première instance en lui ordonnant d'infliger une peine justifiée en droit.

 

                                                                   . . .

 

(8) Lorsqu'une cour d'appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

 

Les décisions des juridictions inférieures

 

Cour de comté de Vancouver (le juge Godfrey, juge local de la Cour suprême) (1986), 31 C.C.C. (3d) 62

 

                   Le juge du procès a commencé par examiner l'art. 198 du Code (maintenant l'art. 216) et a conclu que l'expression "un autre acte légitime qui peut mettre en danger la vie d'une autre personne" englobe les actes d'un accoucheur et que les accusées étaient en conséquence "légalement tenu[es] d'apporter [. . .] une connaissance, une habileté et des soins raisonnables" à l'accomplissement de ces actes.  Selon le juge, la norme applicable était celle d'un [traduction] "accoucheur compétent".  En examinant si Sullivan et Lemay avaient omis d'apporter cette connaissance et cette habileté raisonnables, le juge Godfrey a souligné, à la p. 68, qu'elle était convaincue hors de tout doute raisonnable de ce que:

 

[traduction]  En premier lieu, si l'enfant et sa mère avaient été transportés à l'hôpital, même à 13 h, l'enfant aurait vécu; en deuxième lieu, si les accusées avaient eu la compétence que possédait l'interne à l'hôpital St. Paul, l'enfant aurait vécu.

 

Le juge Godfrey a jugé que l'absence de connaissance, d'habileté et de soin de la part des appelantes était un manquement à l'obligation légale que leur imposait l'art. 198 et que cette absence de connaissance et d'habileté avait causé la mort de l'enfant de Jewel Voth.  Le juge a étudié ensuite la question de savoir si Sullivan et Lemay avaient montré une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui au sens de l'art. 202 (maintenant l'art. 219).  Elle a conclu que la mens rea requise pour qu'il y ait négligence criminelle est à déterminer selon une norme objective, de sorte que les [traduction] "bonnes intentions" des sages‑femmes n'avaient aucune pertinence.  Le juge Godfrey a conclu en conséquence que, eu égard à toutes les circonstances, les actes et les omissions des appelantes témoignaient d'une insouciance téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité de l'enfant.

 

                   Avant de déclarer Sullivan et Lemay coupables de négligence criminelle causant la mort de l'enfant, le juge a examiné brièvement si le f{oe}tus est une personne aux fins de l'art. 203.  Elle a considéré et adopté le raisonnement de la Cour de comté de l'Île de Vancouver dans l'affaire R. v. Marsch (1979), 31 C.R. (3d) 363, raisonnement suivant lequel un enfant porté à terme qui est en train de naître est une personne au sens de l'art. 203, bien qu'il ne soit pas un être humain pour les fins de l'art. 206 (maintenant l'art. 223).

 

                   En ce qui concerne le second chef d'accusation, le juge Godfrey a conclu que les meurtrissures, etc., ne constituaient pas des lésions corporelles et a donc déclaré les accusées non coupables de négligence criminelle causant des lésions corporelles à Jewel Voth.  Elle a également fait observer que si l'enfant avait fait partie de la mère, elle aurait déclaré les appelantes coupables sous ce chef d'accusation.

 

Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (la Cour) (1988), 31 B.C.L.R. (2d) 145

 

                   La Cour a traité d'abord de la question de savoir si l'enfant était une personne au sens de l'art. 203.  Ayant passé en revue le droit anglais, américain et canadien sur ce point, la Cour a déclaré qu'en common law le f{oe}tus ne devenait une personne que s'il était complètement expulsé, vivant, du sein de sa mère.  Selon la Cour, le Code adopte ce point de vue en précisant, à l'art. 206, le moment où l'enfant devient un être humain.  La Cour a déclaré que le Parlement ne faisait aucune distinction entre une personne et un être humain avant 1953 et que, lorsqu'il a légiféré relativement à la négligence criminelle en 1953, il n'avait pas l'intention d'introduire une telle distinction dans le Code.  Par conséquent, l'enfant n'était pas une personne au sens de l'art. 203 et les appelantes ne pouvaient être déclarées coupables de négligence criminelle causant la mort (d'une autre personne).  La Cour a souligné, à la p. 160:

 

[traduction]  Si le Parlement estime opportun de protéger un enfant, pendant le déroulement de l'accouchement, contre des actes de négligence criminelle commis par les personnes qui assistent à l'accouchement et qui y aident, il lui est loisible de légiférer à cet effet.

 

                   Étant arrivée à cette conclusion relativement au premier chef d'accusation, la Cour n'a pas jugé nécessaire d'examiner les autres moyens d'appel.  La Cour ne s'est donc pas demandé si le juge du procès avait eu tort d'avoir conclu à la mens rea en se fondant uniquement sur un critère objectif.

 

                   La Cour d'appel a abordé ensuite le second chef d'accusation, celui de négligence criminelle causant des lésions corporelles à Jewel Voth.  La Cour a fait remarquer que le juge du procès avait indiqué qu'elle aurait reconnu les accusées coupables relativement au second chef si elle avait décidé que le f{oe}tus n'était pas une personne, parce qu'elle aurait alors conclu que le f{oe}tus faisait partie de sa mère quand il est mort.  La Cour a signalé que sa décision concernant le moment où le f{oe}tus devient une personne l'amenait à la conclusion que, du point de vue juridique, un enfant dans la filière génitale fait partie de sa mère.  Cela étant, les appelantes pouvaient être reconnues coupables de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à Jewel Voth, et ce, en raison du préjudice porté au f{oe}tus.  La Cour a semblé retenir l'argument du ministère public selon lequel elle avait compétence pour accueillir l'appel en vertu du par. 613(2) (maintenant le par. 686(2)) et pour inscrire ainsi un acquittement sur le premier chef d'accusation, et pour inscrire également une déclaration de culpabilité relativement au second chef, en application du par. 613(8) (maintenant le par. 686(8)).  Se référant aux motifs du juge en chef Dickson dans l'affaire Terlecki c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 483, la Cour a indiqué que la procédure normale serait de renvoyer l'affaire au juge du procès pour qu'il examine l'opportunité d'inscrire une déclaration de culpabilité à l'égard du second chef.  Toutefois, comme le juge Godfrey avait exprimé son opinion sur ce point, il n'était pas nécessaire de procéder ainsi.  La Cour a en conséquence inscrit un verdict de culpabilité relativement au second chef d'accusation.

 

Les questions en litige

 

Le premier chef d'accusation (R. c. Sullivan et Lemay)

 

1.  Est‑ce à tort que la Cour d'appel a conclu qu'un enfant vivant, partiellement né, n'est pas une "personne" au sens de l'art. 203 (maintenant l'art. 220) du Code criminel ?

 

Dans l'affirmative,

 

2.  Est‑ce à tort que le juge du procès a conclu qu'il convient d'appliquer une norme objective pour déterminer si l'on s'est rendu coupable de l'infraction de négligence criminelle prévue à l'art. 203 (maintenant l'art. 220)?

 

Le second chef d'accusation (Sullivan et Lemay c. La Reine)

 

3.  Est‑ce à tort que la Cour d'appel a conclu que le par. 613(2) (maintenant le par. 686(2)) et le par. 613(8) (maintenant le par. 686(8)) l'autorisaient à substituer une déclaration de culpabilité à l'égard du second chef d'accusation en l'absence d'un appel par le ministère public relativement à celui‑ci?

 

Dans la négative,

 

4.  Est‑ce à tort que la Cour d'appel a conclu que, juridiquement, le f{oe}tus fait partie de sa mère, de sorte que les appelantes pouvaient être reconnues coupables d'une infraction à l'art. 204 (maintenant l'art. 221) par suite de la mort du f{oe}tus?

 

Analyse

 

Le sens de "personne" à l'art. 203

 

                   Sullivan et Lemay ont fait valoir que le pourvoi du ministère public sur ce point devrait être rejeté pour le double motif que ce moyen a fait l'objet d'une renonciation et qu'il n'est pas fondé.  Il est vrai que le ministère public n'a pas soutenu directement l'argument que le f{oe}tus est une personne au sens de l'art. 203.  Le ministère public a formé un pourvoi sur cette question parce qu'il prétend qu'il faut que le f{oe}tus fasse partie de sa mère ou qu'il soit une personne; il ne peut y avoir de moyen terme.  Ainsi le ministère public a formé un pourvoi sur ce point afin d'éviter à notre Cour de se trouver à conclure que le f{oe}tus est une personne au sens de l'art. 203, mais d'être en même temps obligée d'acquitter les appelantes parce qu'elle n'a pas été saisie du premier chef d'accusation.  Le ministère public a reconnu avoir demandé l'autorisation de pourvoi avant l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, et n'a présenté aucune argumentation orale sur la proposition selon laquelle le f{oe}tus est une personne.

 

                   Sullivan et Lemay prétendent que le ministère public se pourvoit simplement par complaisance envers l'intervenant REAL Women, qui a soutenu que le f{oe}tus est une personne aux fins de l'art. 203.  Elles allèguent que le ministère public n'a pas le droit de former un pourvoi pour avancer un point de vue qu'il n'appuie pas lui‑même.  À mon avis, il est inexact de dire que le ministère public se pourvoit uniquement par complaisance envers l'intervenant REAL Women.  Il le fait parce que, à son point de vue, si le f{oe}tus ne fait pas partie de sa mère, alors il est une personne.  Le ministère public suppose que, dans l'hypothèse où notre Cour conclurait relativement au pourvoi principal que la Cour d'appel a eu tort de décider qu'un f{oe}tus dans la filière génitale fait partie de sa mère, il en découlerait naturellement que le f{oe}tus est une personne.  Que cette supposition soit fondée ou non, le pourvoi du ministère public relativement au premier chef d'accusation concorde avec sa façon d'aborder les questions en litige et il est évident qu'il n'a pas formé ce pourvoi pour rendre service à l'intervenant REAL Women.  Il faut admettre toutefois que l'argumentation de REAL Women dépendait de l'existence d'un appel du ministère public devant notre Cour.  Je vais donc examiner maintenant le fond du présent pourvoi.

 

                   Il se dégage nettement du texte de l'art. 206 qu'un f{oe}tus n'est pas un "être humain" aux fins du Code.  REAL Women fait cependant valoir que les termes "personne" et "être humain" ne sont pas équivalents dans le Code.  On a soutenu en effet que le mot "personne" a une portée plus large que le terme "être humain" en ce sens que "personne" englobe le f{oe}tus alors que l'expression "être humain" ne le fait pas.  Je ne trouve convaincant aucun des arguments textuels invoqués au soutien de cette position.

 

                   À mon avis, la Cour d'appel a examiné et analysé très à fond le droit applicable à ce point.  Les termes "personne" et "être humain" s'employaient indifféremment dans les dispositions relatives à l'homicide en vigueur avant 1954.  La question est donc de savoir s'il existe une raison quelconque de conclure que la révision du Code criminel  de 1953‑1954 a donné un sens nouveau à ces termes.  D'après la Cour d'appel, ce n'était pas avec l'intention de modifier le sens, établi depuis longtemps, du mot "personne" que le Parlement a introduit en 1954 les dispositions portant sur la négligence criminelle (dans la Loi concernant le droit criminel, S.C. 1953‑54, ch. 51, art. 192).  De fait, il ressort des Débats de la Chambre des communes [p. xxxx] que, lorsque les dispositions relatives à la négligence criminelle ont été examinées en comité le 25 février 1954, les députés ne se sont pas arrêtés à l'utilisation du terme "personne" plutôt qu'"être humain" dans ces dispositions.  En outre, quand les dispositions révisées portant sur l'homicide ont été étudiées en comité, les députés n'ont pas parlé du fait qu'on y employait le terme "être humain" tandis que le mot "personne" était employé dans les dispositions relatives à la négligence criminelle.  En fait, les révisions ont été approuvées assez rapidement à la suite d'une brève discussion sur la notion de négligence criminelle.

 

                   Je partage donc l'avis de la Cour d'appel que l'introduction des dispositions relatives à la négligence criminelle par le législateur fédéral en 1954 ne visait pas à changer le sens du mot "personne" et que ce terme, tel qu'il est employé à l'art. 203 du Code, est synonyme de l'expression "être humain".  Par conséquent, suivant l'art. 206, l'enfant de Jewel Voth n'était pas une "personne" au sens de l'art. 203 et Sullivan et Lemay ne peuvent être reconnues coupables de négligence criminelle ayant causé la mort d'une autre personne.

 

                   L'intervenant FAEJ a encouragé notre Cour à conclure qu'un f{oe}tus n'est pas une "personne" au sens de l'art. 203 pour le motif que le résultat contraire serait inconciliable avec le but de l'égalité juridique des sexes reconnu par notre Cour aussi bien dans des affaires portant sur la Charte que dans des affaires où la Charte n'était pas en cause:  Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852.  Une telle méthode d'interprétation de lois aurait pu être indiquée s'il s'était dégagé de l'examen historique des dispositions en matière de négligence criminelle que le Parlement avait voulu que le mot "personne" comprenne le f{oe}tus, mais que le terme "être humain" ne le fasse pas.  Tel n'est toutefois pas le cas.  La conclusion tirée plus haut est compatible avec la "perspective d'égalité" adoptée par le FAEJ, mais il n'est pas nécessaire d'examiner ce point plus à fond.

 

                   Je rejetterais donc le pourvoi du ministère public contre l'acquittement inscrit par la Cour d'appel quant au premier chef d'accusation.

 

La compétence de la Cour d'appel en vertu de l'art. 613

 

                   Alléguant que la Cour d'appel n'avait pas compétence pour opérer une telle substitution en l'absence d'appel du ministère public, Sullivan et Lemay se pourvoient contre la substitution d'une déclaration de culpabilité relativement au second chef d'accusation.

 

                   Notre Cour a déjà statué qu'une cour d'appel n'a pas compétence pour modifier un verdict d'acquittement, à moins que le ministère public n'ait interjeté appel de cet acquittement:  voir Rickard c. La Reine, [1970] R.C.S. 1022; Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356.  Une exception à cette règle générale a cependant été établie pour les cas où s'applique la règle énoncée dans l'arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.  Lorsque jouent les principes posés dans cet arrêt, le par. 613(8) investit la cour d'appel de pouvoirs supplémentaires qui lui permettent d'examiner le verdict d'acquittement prononcé au procès, même en l'absence d'appel par le ministère public.  Cela s'explique par le fait que la règle formulée dans l'arrêt Kienapple est invoquée dans les cas où s'applique le principe nemo debet bis puniri pro uno delicto (nul ne doit être puni deux fois pour une seule infraction).  En d'autres termes, dans une situation du type Kienapple, il y a eu deux conclusions de culpabilité, mais, pour des raisons de principe, une suspension conditionnelle a été inscrite relativement à une des accusations.  Comme le dit le juge Wilson dans l'arrêt R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3, à la p. 16:

 

Si l'appel de l'accusé contre la déclaration de culpabilité découlant du même délit est éventuellement rejeté ou si l'accusé n'interjette pas appel dans le délai imparti, la suspension conditionnelle devient alors permanente et, conformément à l'arrêt de cette Cour R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, cette suspension devient l'équivalent d'un jugement ou verdict d'acquittement aux fins d'un appel ou d'un plaidoyer d'autrefois acquit.  Par contre, si, comme en l'espèce, l'appel de l'accusé contre la déclaration de culpabilité est accueilli, la suspension conditionnelle s'éteint et, tout en accueillant l'appel, les cours d'appel peuvent rendre une ordonnance de renvoi au juge du procès du ou des chefs d'accusation qui ont fait l'objet d'une suspension conditionnelle en application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, même si aucun appel n'a été interjeté contre ces chefs d'accusation.

 

L'exception à la règle générale selon laquelle une cour d'appel n'a pas compétence pour substituer une déclaration de culpabilité à un acquittement dont le ministère public n'a pas fait appel, exception qui joue dans une situation du type Kienapple, se justifie par les considérations de principe qui sous‑tendent la règle établie dans l'arrêt Kienapple.  Comme l'affirme le juge Wilson dans l'arrêt Provo, à la p. 17:

 

L'accusé qui, n'eût été de l'application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, serait reconnu coupable d'une infraction, ne mérite pas, à mon avis, un véritable acquittement en ce sens que le ministère public ne se serait acquitté de son obligation de prouver les éléments de l'infraction. [. . .] Les considérations de principe en l'espèce sont analogues à celles qui s'appliquent à la suspension d'instance pour cause de provocation policière.  Elles visent l'intégrité et l'équité de l'administration de la justice plutôt que la culpabilité de l'accusé.

 

Donc, à moins que la présente espèce ne relève de l'exception de l'arrêt Kienapple ou qu'elle ne mette en cause des questions de principe analogues exigeant la création d'une nouvelle exception à la règle générale, j'estime que l'art. 613 n'autorisait pas la Cour d'appel à substituer un verdict de culpabilité à l'égard du second chef d'accusation.  Mis à part les situations du type Kienapple, le par. 613(8) ne confère à une cour d'appel aucune compétence à l'égard d'un chef d'accusation qui n'est pas visé par un appel formé contre la décision de la juridiction inférieure ‑‑ les pouvoirs accessoires prévus au par. 613(8) ne peuvent s'exercer qu'à l'égard d'un chef d'accusation dont la cour se trouve régulièrement saisie.

 

                   À mon avis, la règle établie dans l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce.  En premier lieu, il n'existe pas de lien juridique suffisant entre les deux infractions; l'une exige qu'on prouve la mort du f{oe}tus et l'autre qu'on prouve que la mère a subi des lésions corporelles.  Bien qu'elles puissent viser d'une manière générale le même genre de conduite, les deux accusations entraînent des conséquences distinctes.  En deuxième lieu, l'acquittement inscrit par le juge du procès relativement au second chef d'accusation était un acquittement sur le fond et n'est pas intervenu par suite d'un verdict de culpabilité relativement au premier chef d'accusation.  Avec égards, je rejette l'assertion du ministère public que Sullivan et Lemay n'auraient pas pu être reconnues coupables des deux infractions en l'espèce.  Le juge du procès a expressément étudié la question de savoir si Jewel Voth avait subi des lésions corporelles (indépendamment de la mort du f{oe}tus) et a conclu que non.  Si le juge du procès avait tiré une conclusion de fait différente, elle aurait bien pu déclarer Sullivan et Lemay coupables relativement aux deux chefs d'accusation.  De plus, même s'il avait été jugé qu'il n'y avait pas de lésions corporelles indépendantes, il aurait encore été possible de déclarer Sullivan et Lemay coupables des deux chefs d'accusation.  Il n'y aurait rien eu d'illogique en effet à conclure que des lésions corporelles avaient été infligées à Jewel Voth en raison de la mort du f{oe}tus, qui se trouvait dans son corps et qui y était attaché, et à conclure en même temps que le f{oe}tus était une personne pouvant être victime de négligence criminelle causant la mort.

 

                   En résumé, la règle établie dans l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce et on n'a présenté à notre Cour aucune raison impérieuse de principe militant en faveur de la création d'une nouvelle exception qui élargirait la compétence d'une cour d'appel pour substituer une déclaration de culpabilité à un acquittement dans un cas où le ministère public n'a pas interjeté appel.

 

Dispositif

 

                   Compte tenu des motifs exposés ci‑dessus, je suis d'avis de rejeter le pourvoi du ministère public contre l'acquittement inscrit par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique relativement au premier chef d'accusation et d'accueillir le pourvoi de Sullivan et Lemay contre le verdict de culpabilité inscrit par la Cour d'appel relativement au second chef d'accusation.

 

//Le juge L'Heureux-Dubé//

 

                   Les motifs suivants ont été rendus par

 

                   Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente dans Sullivan et Lemay c. La Reine) ‑‑ J'ai eu l'occasion de prendre connaissance de l'opinion du Juge en chef.  Même si je suis d'accord que l'appel de la poursuite contre le verdict d'acquittement rendu par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique doit être rejeté, contrairement au Juge en chef je rejetterais aussi l'appel de Sullivan et Lemay contre la déclaration de culpabilité inscrite par la Cour d'appel sous le deuxième chef d'accusation.

 

                   Je partage l'avis de la Cour d'appel, (1988), 31 B.C.L.R. (2d) 145, à l'effet qu'elle a jurisdiction pour inscrire une déclaration de culpabilité en vertu de l'art. 613(8) (maintenant l'art. 686(8)) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, qui se lit:

 

                   613.  . . .

 

                   (8)  Lorsqu'une cour d'appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige. 

 

                   Se référant à l'arrêt R. v. Terlecki (1983), 42 A.R. 87 (C.A.), confirmé par [1985] 2 R.C.S. 483, la Cour d'appel écrivait, à la p. 163:

 

[traduction]  Adoptant ce qu'a dit le juge en chef Dickson dans Terlecki quant à la façon de disposer correctement de cette affaire, il s'ensuivrait normalement que nous devrions retourner l'affaire au juge du procès pour qu'il décide s'il doit inscrire une déclaration de culpabilité sous le second chef et, si oui, pour imposer la peine.  Dans la présente instance, le juge du procès a déjà considéré l'affaire.  Dans ces circonstances, nous inscririons une déclaration de culpabilité sous le second chef . . .

 

                   Le juge du procès a, de manière spécifique, examiné la question de la culpabilité sous le second chef d'accusation, soit d'avoir, par négligence criminelle,  causé des lésions corporelles à autrui.  Elle a statué ((1986), 31 C.C.C. (3d) 62), à la p. 75:

 

[traduction]  En commentaire, je devrais dire que si j'en étais arrivée à la conclusion opposée en ce qui concerne l'argument "relatif à la personne" dont je viens de discuter, j'aurais alors trouvé les accusées coupables sous ce chef parce que j'aurais conclu que l'enfant faisait partie de Jewel Voth au moment de son décès.

 

                   Dans ces circonstances, je suis d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel et je rejetterais l'appel de Sullivan et Lemay contre leur déclaration de culpabilité sous le deuxième chef d'accusation.

 

                   Statuant sur le tout, je rejetterais les deux appels.

 

                   Pourvoi dans Sullivan et Lemay c. La Reine accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

 

                   Pourvoi dans R. c. Sullivan et Lemay rejeté.

 

                   Procureur de Mary C. Sullivan et de Gloria J. Lemay:  Thomas R. Berger, Vancouver.

 

                   Procureur de Sa Majesté la Reine:  Le ministère du Procureur général, Victoria.

 

                   Procureur de l'intervenant le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes:  Lynn Smith, Vancouver.

 

                   Procureur de l'intervenant R.E.A.L. Women of Canada:  Angela M. Costigan, Toronto.

 

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