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                                                  COUR SUPRÊME DU CANADA

 

 

Référence : R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206

 

Date :  20100219

Dossier :  32423

 

Entre :

Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Alberta

Appelante / Intimée à l’appel incident

et

Lyle Marcellus Nasogaluak

Intimé / Appelant à l’appel incident

‑ et ‑

Directeur des poursuites pénales du Canada, procureur

général de l’Ontario, procureur général du Manitoba,

Association canadienne des libertés civiles, Criminal Lawyers’

Association (Ontario) et Criminal Trial Lawyers’ Association

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram :  La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

 

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 66)

 

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)

 

 

                                                ______________________________


R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206

 

Sa Majesté la Reine du chef de la

province de l’Alberta                                                            Appelante/Intimée au pourvoi incident

 

c.

 

Lyle Marcellus Nasogaluak                                                    Intimé/Appelant au pourvoi incident

 

et

 

Directeur des poursuites pénales du Canada, procureur

général de l’Ontario, procureur général du Manitoba,

Association canadienne des libertés civiles, Criminal Lawyers’

Association (Ontario) et Criminal Trial Lawyers’ Association                                   Intervenants

 

Répertorié : R. c. Nasogaluak

 

2010 CSC 6

 

No du greffe : 32423.

 

2009 : 20 mai; 2010 : 19 février.

 


Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

 

en appel de la cour d’appel de l’alberta

 

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne — Conduite abusive des policiers — Les policiers ont‑ils employé une force excessive pour procéder à l’arrestation de l’accusé? — Dans l’affirmative, la conduite des policiers constituait‑elle une violation des droits que garantit à l’accusé l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

Droit constitutionnel — Charte des droits — Réparation — Réduction de peine — Conduite abusive des policiers — Violation des droits constitutionnels de l’accusé au cours de l’arrestation et de la détention — La réduction de peine peut‑elle constituer une réparation convenable et juste sous le régime de l’art. 24(1)  de la Charte canadienne des droits et libertés  en cas de violation des droits constitutionnels de l’accusé? — Les dispositions du Code criminel  relatives à la détermination de la peine peuvent‑elles sanctionner les atteintes aux droits constitutionnels de l’accusé? — Limites du pouvoir discrétionnaire du juge qui prononce la peine de réduire celle-ci à titre de réparation fondée sur la Charte .

 


Droit criminel — Détermination de la peine — Réduction de la peine — Violation des droits constitutionnels de l’accusé — Recours à la force par des policiers au cours de l’arrestation de l’accusé — Les policiers ont‑ils employé une force excessive? — Dans l’affirmative, la conduite des policiers constituait‑elle une violation des droits constitutionnels de l’accusé? — Le juge qui prononce la peine peut‑il tenir compte des actes répréhensibles des policiers pour réduire la peine de l’accusé?— Limites du pouvoir discrétionnaire du juge qui prononce la peine de réduire celle-ci en vertu des dispositions sur la détermination de la peine prévues au Code criminel  ou en vertu de l’art. 24(1)  de la Charte canadienne des droits et libertés  — Les peines infligées à l’accusé ont‑elles été réduites en toute légalité?

 

La GRC a été informée de la présence d’un conducteur en état d’ébriété, ce qui a donné lieu à une poursuite à haute vitesse de l’accusé.  Quand la voiture de ce dernier s’est finalement arrêtée, les policiers ont dû le forcer à en sortir.  Il a résisté.  Un agent, C, lui a décoché deux coups de poing à la tête et l’a tiré hors de la voiture.  Une fois hors du véhicule, l’accusé a continué de résister.  C a crié à l’accusé de cesser de résister et lui a assené un troisième solide coup de poing à la tête.  Ce dernier a été immobilisé, face contre le sol, C se tenant à cheval sur son dos tandis qu’un autre agent était agenouillé sur sa cuisse.  Lorsqu’il a refusé de lever les mains pour qu’on lui passe les menottes, un autre agent, D, l’a frappé à deux reprises dans le dos, lui fracturant des côtes, ce qui a par la suite causé la perforation d’un de ses poumons.

 


Au détachement après l’arrestation, l’accusé a fourni des échantillons d’haleine révélant une alcoolémie supérieure à la limite prescrite.  Les agents n’ont pas établi de rapport concernant la force appliquée au cours de l’arrestation et n’ont donné que peu ou pas d’information sur les circonstances de cette dernière.  L’accusé ne portait aucune marque apparente de blessures, il n’a pas expressément demandé de recevoir des soins, et rien n’a été fait pour veiller à ce que l’accusé reçoive des soins médicaux.  Toutefois, il a dit à deux reprises à un agent qu’il était blessé.  En outre, on l’a vu pleurer, se pencher et gémir et on l’a entendu dire qu’il ne pouvait pas respirer.  L’accusé a été libéré le lendemain matin, et il s’est rendu à l’hôpital.  On a constaté qu’il avait subi des fractures des côtes et un affaissement pulmonaire, qui a nécessité une chirurgie d’urgence.

 

L’accusé a plaidé coupable à l’accusation de conduite avec les facultés affaiblies et à celle de fuite.  À l’audience de détermination de la peine, le juge du procès a conclu que les policiers avaient employé une force excessive lors de l’arrestation de l’accusé et avaient enfreint les droits que lui garantit entre autres l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés .  À titre de réparation fondée sur le par. 24(1)  de la Charte , il a imposé une peine inférieure à celle qui sanctionnerait normalement ce type d’infraction et a accordé des absolutions sous conditions de 12 mois relativement aux deux chefs d’accusation, applicables de façon concurrente, avec interdiction de conduire durant un an.

 


Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que la preuve permettait de justifier la conclusion du juge du procès selon laquelle les agents avaient eu recours à une force excessive, en contravention de l’art. 7, et ont confirmé la décision d’accorder des réductions de peine en vertu du par. 24(1).  Ils ont toutefois ajouté que le juge de la peine ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire lui permettant de prononcer une peine inférieure à la peine minimale obligatoire.  La majorité a donc annulé l’ordonnance d’absolution sous conditions relativement à l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies, l’a remplacée par un verdict de culpabilité et a condamné l’accusé à payer l’amende minimale pour une première infraction prévue par le par. 255(1)  du Code criminel .  Elle n’a pas modifié l’ordonnance d’absolution sous conditions prononcée à l’égard de l’infraction de fuite.

 

Arrêt : Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés.

 

Bien qu’il faille parfois aux policiers recourir à la force pour arrêter un délinquant ou l’empêcher de leur échapper, le degré de force permis est circonscrit par les principes de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité.  Aux termes du par. 25(1)  du Code criminel , le recours à la force pour effectuer une arrestation légale est justifié, pourvu que le policier l’estime nécessaire sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire.  En outre, le par. 25(3) interdit au policier de recourir à une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne croie, pour des motifs objectivement raisonnables, que cette force est nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne.  En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en confirmant la conclusion du juge du procès selon laquelle les policiers avaient employé une force excessive et avaient enfreint l’art. 7  de la Charte .  L’accusé était immobilisé sous C au moment où D l’a frappé de coups suffisamment puissants pour lui fracturer deux côtes.  D a admis, à l’audience de détermination de la peine, que le troisième coup de poing donné par C n’était pas, selon lui, nécessaire.  Les policiers ayant procédé à l’arrestation ont omis de faire rapport de l’étendue des blessures subies par l’accusé et de veiller à ce qu’il reçoive des soins médicaux.  Leur conduite constituait une atteinte importante à son intégrité physique et psychologique et à la sécurité de sa personne.  La violation des droits garantis à l’accusé par l’art. 7 était contraire aux principes de justice fondamentale.

 


Quant aux peines infligées à l’accusé, le principe de proportionnalité constitue un élément central du processus de détermination de la peine établi au Code criminel  et exigeant une peine qui dénonce l’infraction sans excéder ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.  Sous réserve de certaines règles particulières prescrites par la loi, le prononcé d’une peine juste reste un processus individualisé, qui oblige le juge à soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte le mieux possible des circonstances de l’affaire.  Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres et, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est, la peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires.  Le pouvoir discrétionnaire des juges chargés de déterminer les peines leur permet de façonner une peine adaptée à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant, mais, si large soit‑il, ce pouvoir comporte toutefois des limites.  Il est circonscrit par les décisions qui ont établi des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions à titre de lignes directrices en vue de favoriser la cohérence des peines infligées aux délinquants.  Il est également restreint par des dispositions législatives ayant établi les principes et objectifs généraux de détermination de la peine consacrés au Code criminel  et d’autres dispositions législatives écartant certaines sanctions dans le cas d’infractions données.  Les juges peuvent prononcer une sanction qui déroge à la fourchette générale établie dans la jurisprudence, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine, mais ils ne peuvent déroger à l’expression claire de la volonté du législateur et réduire une peine en deçà du minimum obligatoire prévu par la loi à moins que la peine minimale n’ait été déclarée inconstitutionnelle.

 



Dans les cas où la conduite répréhensible de policiers ou de représentants de l’État se rapporte aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant, le juge qui prononce la peine peut tenir compte des faits pertinents lorsqu’il établit une sanction appropriée et proportionnée, sans devoir invoquer le par. 24(1)  de la Charte .  Les faits entourant une prétendue violation de la Charte  qui se rapportent aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant de sorte qu’ils constituent des facteurs pertinents pour l’application du régime de détermination de la peine pourraient être considérés comme des circonstances atténuantes justifiant une réduction de peine.  Il en va de même pour la conduite répréhensible des représentants de l’État qui ne viole pas la Charte , mais cause néanmoins préjudice au délinquant.  Il n’est en règle générale ni nécessaire ni utile de se fonder sur le par. 24(1)  de la Charte  pour accorder une réduction de peine propre à réparer effectivement le préjudice découlant d’actes inconstitutionnels commis par des représentants de l’État par suite de l’infraction reprochée.  Le fait de s’attacher à la question de savoir si les actes constituent des violations de la Charte  et de fonder, le cas échéant, la réduction de peine sur le par. 24(1) traduit une méconnaissance de la souplesse et de la nature contextuelle du processus de détermination de la peine.  À elles seules, les dispositions sur la détermination de la peine du Code criminel  permettent d’accorder une réparation aux personnes dont les droits ont été violés.  Toutefois, le juge qui prononce la peine doit exercer son large pouvoir discrétionnaire dans le respect des paramètres fixés par le Code.  La sanction doit respecter les peines minimales obligatoires établies par la loi et les autres dispositions prohibant certaines sanctions à l’égard d’infractions données.  Bien que, dans des circonstances exceptionnelles, une réduction de peine accordée en vertu du par. 24(1)  de la Charte  et dérogeant aux limites prescrites par la loi puisse constituer la seule réparation effective en présence d’une conduite répréhensible particulièrement grave de représentants de l’État, nous ne sommes pas en présence d’un tel cas.

 

Jurisprudence

 


Arrêts examinés : R. c. Glykis (1995), 84 O.A.C. 140; R. c. Munoz, 2006 ABQB 901, 69 Alta. L.R. (4th) 231; R. c. Pigeon (1992), 73 C.C.C. (3d) 337; R. c. Panousis, 2002 ABQB 1109, 329 A.R. 47, inf. par 2004 ABCA 211 (CanLII); R. c. Kirzner (1976), 14 O.R. (2d) 665; R. c. Charles (1987), 61 Sask. R. 166; R. c. Carpenter, 2002 BCCA 301, 168 B.C.A.C. 137; arrêts mentionnés : R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Ferguson, 2006 ABCA 261, 397 A.R. 1, conf. par 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. Wust, 2000 CSC 18, [2000] 1 R.C.S. 455; Chartier c. Greaves, [2001] O.J. No. 634 (QL); R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; R. c. Solowan, 2008 CSC 62, [2008] 3 R.C.S. 309; R. c. Wilmott (1966), 58 D.L.R. (2d) 33; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Hamilton (2004), 72 O.R. (3d) 1; R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Bill (1998), 13 C.R. (5th) 125; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90; R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948; R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227; R. c. McKnight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41; R. c. Bosley (1992), 18 C.R. (4th) 347; R. c. Leaver (1996), 3 C.R. (5th) 138; R. c. Steinberg, [1967] 1 O.R. 733; R. c. Cooper (No. 2) (1977), 35 C.C.C. (2d) 35; R. c. Simon (1975), 25 C.C.C. (2d) 159; R. c. Parisien (1971), 3 C.C.C. (2d) 433; R. c. Burke, [1968] 2 C.C.C. 124; R. c. Fairn (1973), 12 C.C.C. (2d) 423; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; R. c. Bear (1988), 72 Sask. R. 99; R. c. S.L.L., 2002 SKQB 425, 229 Sask. R. 96; R. c. Foulds, [1998] S.J. No. 560 (QL); R. c. Dennison (1990), 109 R.N.‑B. (2e) 388; R. c. MacPherson (1995), 166 R.N.‑B. (2e) 81; R. c. Zwicker (1995), 169 R.N.‑B. (2e) 350; Carlini Bros. Body Shop Ltd. c. R. (1992), 10 O.R. (3d) 651; R. c. Grenke, 2004 ONCJ 121, 7 M.V.R. (5th) 89; Québec (Procureur général) c. Chabot, [1992] R.J.Q. 2102; R. c. Mater (1988), 47 C.R.R. 351; R. c. Pasemko (1982), 17 M.V.R. 247; R. c. Grimes (1987), 70 Nfld. & P.E.I.R. 11; R. c. MacLean, [1988] O.J. No. 2515 (QL); R. c. Pelletier (1986), 42 M.V.R. 67.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 8 , 9 , 10 b ) , 11 d ) , 12 , 15 , 24(1) .

 

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 25 , 27 , 249.1(1) , 253 a ) , 255(1) a)(i), 718  à 718.2 , 730 , 731 , 732 , 734 , 742.1 .

 

Doctrine citée

 

Manson, Allan.  « Charter Violations in Mitigation of Sentence » (1995), 41 C.R. (4th) 318.

 

Roberts, Julian V., and David P. Cole.  « Introduction to Sentencing and Parole », in Julian V. Roberts and David P. Cole, eds., Making Sense of Sentencing.  Toronto : University of Toronto Press, 1999, 3.

 

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Côté, McFadyen et Martin), 2007 ABCA 339, 84 Alta. L.R. (4th)


15, 422 A.R. 222, 415 W.A.C. 222, 229 C.C.C. (3d) 52, 53 C.R. (6th) 382, 162 C.R.R. (2d) 332, [2008] 2 W.W.R. 387, 54 M.V.R. (5th) 199, [2007] A.J. No. 1217 (QL), 2007 CarswellAlta 1502, qui a accueilli en partie l’appel interjeté par le ministère public des absolutions sous conditions prononcées à l’égard d’accusations de conduite avec les facultés affaiblies et de fuite.  Pourvoi et pourvoi incident rejetés.

 

Susan D. Hughson, c.r., pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.

 

Laura K. Stevens, c.r., et Graham Johnson, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident.

 

Kevin Wilson et Moiz Rahman, pour l’intervenant le Directeur des poursuites pénales du Canada.

 

Benita Wassenaar, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

 

Cynthia Devine, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.

 

Andrew K. Lokan et Danny Kastner, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

 

Clayton Ruby et Gerald Chan, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).


Nathan J. Whitling, pour l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association.

 

Version française du jugement de la Cour rendu par

 

Le juge LeBel

 

I.       Introduction

 

[1]     Le présent pourvoi, formé contre les décisions rendues par la Cour d’appel de l’Alberta relativement à la détermination de peines, soulève d’importantes questions en matière de réparation constitutionnelle.  Dans ce cas, la cour d’appel a réduit les peines qui auraient pu être imposées à l’intimé, M. Lyle Marcellus Nasogaluak, pour avoir conduit avec les facultés affaiblies et fui les policiers, et les a remplacées par des absolutions sous conditions à titre de réparation, les droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés  ayant été enfreints au moment de son arrestation et pendant sa détention.  Il s’agit principalement de savoir si une telle réduction de peine visant à remédier à l’emploi d’une force excessive par les policiers était légale.

 


[2]     Les arguments des parties portent principalement sur la question de savoir si un tribunal peut, en vertu du par. 24(1)  de la Charte , accorder une réduction de peine à titre de réparation pour la violation, par des représentants de l’État, de droits garantis par cette disposition.  Énoncée ainsi, la question présuppose que de telles violations ne peuvent être réparées effectivement qu’au moyen d’une demande distincte fondée sur la Charte Or, ce n’est manifestement pas le cas.  Comme toutes les lois et les règles de common law doivent respecter la Charte , il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une réparation utile accordée à l’égard d’un préjudice avéré — lequel constituerait également une violation de la Charte  — puisse être élaborée dans le cadre d’un régime de common law ou établi par la loi.  Le régime de détermination de la peine prévu aux art. 718  à 718.2  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , en est un exemple.

 

[3]     Comme nous le verrons, ce régime accorde aux juges chargés de prononcer les peines la latitude de considérer non seulement les actes du délinquant, mais également ceux des représentants de l’État.  Dans les cas où la conduite répréhensible de ces derniers se rapporte aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant, le juge qui prononce la peine peut tenir compte des faits pertinents lorsqu’il établit une sanction juste, sans devoir invoquer le par. 24(1)  de la Charte .  En effet, une conduite répréhensible des représentants de l’État qui ne viole pas la Charte , mais cause néanmoins préjudice au délinquant, peut constituer un facteur pertinent pour l’établissement de la peine appropriée.

 


[4]     En revanche, dans les cas où la conduite répréhensible des représentants de l’État ne se rapporte pas aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant, l’accusé doit emprunter une autre voie de droit pour obtenir réparation.  L’examen de ces circonstances non pertinentes sort du cadre légal de la détermination de la peine.  L’audience de détermination de la peine n’est donc pas le forum approprié pour les invoquer.  De même, on pourrait difficilement prétendre qu’une réduction de peine constitue une réparation « convenable » au sens du par. 24(1)  de la Charte  lorsque les faits à l’origine de la violation ne se rattachent pas aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant.

 

[5]     Par conséquent, il n’est en règle générale ni nécessaire ni utile de se fonder sur le par. 24(1)  de la Charte  pour accorder une réduction de peine propre à réparer effectivement le préjudice découlant d’actes inconstitutionnels commis par des représentants de l’État par suite de l’infraction reprochée.  Dans le cadre du régime légal de détermination de la peine, le juge du procès doit évidemment exercer son pouvoir discrétionnaire dans les limites prévues par le Code criminel .  En effet, lorsqu’il prononce des peines, il a l’obligation de respecter les peines minimales obligatoires établies par la loi et les autres dispositions prohibant certaines sanctions à l’égard d’une infraction donnée.

 

[6]     Sauf dans des circonstances exceptionnelles, lorsque le pouvoir d’accorder réparation conféré par la Charte  au tribunal est invoqué, ces restrictions s’appliquent également.  Par exemple, ne constitue généralement pas une réparation « convenable » au sens du par. 24(1) une réduction de peine qui déroge aux limites légales, à moins que la constitutionnalité même de ces limites soit contestée.  Toutefois, le par. 24(1) confère aux tribunaux un large pouvoir de réparation.  En conséquence, je n’écarte pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une réduction de peine dérogeant aux limites légales constitue la seule réparation effective à l’égard d’une conduite répréhensible particulièrement grave commise par des représentants de l’État et se rapportant aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant.  Mais nous ne sommes pas en présence d’un tel cas.

 


[7]     À la lumière des faits de la présente espèce, la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en confirmant la conclusion du juge du procès selon laquelle les policiers avaient employé une force excessive lors de l’arrestation de M. Nasogaluak.  Le recours à une telle force a porté atteinte au droit de l’intimé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne que lui garantit l’art. 7  de la Charte .  Le juge qui a prononcé la peine n’a commis aucune erreur de droit ou de principe en considérant ce comportement comme un facteur militant en faveur d’une peine réduite.  Toutefois, il a fait erreur en infligeant une peine inférieure à la peine minimale prévue au Code.  À bon droit, la Cour d’appel a substitué l’amende minimale obligatoire prévue par la disposition pertinente à l’ordonnance d’absolution sous conditions prononcée à l’égard de l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies.

 

[8]     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel du ministère public ainsi que l’appel incident de l’intimé.

 

II.      Contexte

 

[9]     Le juge du procès a examiné de près les faits, tant à l’occasion de l’audience initiale de détermination de la peine le 7 octobre 2005 ([2005] A.J. No. 1740 (QL)) que lorsqu’il a prononcé celle‑ci le 24 novembre 2005 ((2005), 90 Alta L.R. (4th) 294).  La Cour d’appel a rejeté certaines des conclusions du juge du procès, mais elle n’est pas allée jusqu’à conclure que le juge du procès avait commis quelque erreur manifeste et dominante.  Je résumerai maintenant, de façon aussi précise que possible, les faits non contestés.

 


[10] Aux petites heures du matin, le 12 mai 2004, le détachement de la GRC de Leduc a été informé de la présence d’un conducteur en état d’ébriété.  À la suite de la réception de cette information, le gend. Dlin a entamé une poursuite à haute vitesse de M. Nasogaluak, un homme de sang inuit et déné alors âgé de 24 ans.  Après avoir tenté de semer les voitures de police et avoir fait dangereusement marche arrière en direction de celle du gend. Dlin, M. Nasogaluak a brusquement freiné.  Entre‑temps, les gend. Olthof et Chornomydz étaient arrivés sur les lieux.  M. Nasogaluak a ouvert sa portière et a sorti les pieds du véhicule.  Ces gestes ont incité le gend. Dlin à braquer son revolver et une lampe de poche sur lui et à lui ordonner de sortir de la voiture les mains en l’air.  M. Nasogaluak n’a pas obtempéré et a plutôt rentré ses pieds à l’intérieur du véhicule.  Tenant toujours M. Nasogaluak en joue, le gend. Chornomydz a saisi ce dernier — qui à ce moment s’agrippait au volant et à la portière — et lui a décoché un coup de poing à la tête.  Dans son témoignage, le policier a indiqué qu’il avait agi ainsi pour empêcher M. Nasogaluak de s’enfuir et de heurter le gend. Olthof, qui se tenait devant le véhicule.  M. Nasogaluak a lâché le volant et s’est tourné vers le gend. Chornomydz, qui l’a alors frappé à la tête avec le poing une seconde fois puis l’a tiré hors de la voiture et jeté au sol.

 

[11] Le gendarme Chornomydz a crié à M. Nasogaluak de cesser de résister et lui a assené un troisième solide coup de poing à la tête.  Ce dernier a été immobilisé, face contre le sol, le gend. Chornomydz se tenant à cheval sur son dos.  Lorsque M. Nasogaluak a refusé de lever les mains pour qu’on lui passe les menottes, le gend. Dlin l’a frappé à deux reprises dans le dos, suffisamment fort pour lui fracturer les côtes; cette blessure a par la suite causé la perforation d’un de ses poumons.  Le gendarme Olthof s’est tenu à genou sur la cuisse de M. Nasogaluak pendant toute cette brève échauffourée.


 

[12] M. Nasogaluak a par la suite été amené au détachement, où il a fourni deux échantillons d’haleine révélant une alcoolémie nettement supérieure à la limite prescrite.  Aucun rapport n’a été établi concernant la force appliquée durant l’arrestation, le fait que le gend. Dlin avait dégainé son arme ou les blessures subies par M. Nasogaluak.  Les agents n’ont donné que peu ou pas d’information à leurs collègues et à leurs supérieurs se trouvant au poste sur les circonstances de cette arrestation, et rien n’a été fait pour veiller à ce que M. Nasogaluak reçoive des soins médicaux.  Celui‑ci ne portait aucune marque apparente de blessures et il n’a pas expressément demandé de recevoir des soins, mais il a toutefois dit à deux reprises au gend. Olthof qu’il était blessé, et le gend. Dlin a vu qu’il pleurait et l’a entendu dire : [traduction] « Je ne peux pas respirer. »  Le superviseur de service, le caporal Deweerd, a témoigné qu’il avait remarqué que M. Nasogaluak était penché et gémissait comme s’il souffrait.  M. Nasogaluak avait par contre répondu par la négative lorsqu’on lui avait demandé s’il était blessé.  Tant les voitures de patrouille de la GRC que les locaux du détachement étaient munis de caméras vidéo, mais aucun enregistrement des faits concernant M. Nasogaluak n’a été effectué ou produit.  D’ailleurs, le juge du procès semble avoir éprouvé de graves réserves et soupçons à propos de l’absence de bandes vidéo et il est possible qu’il ait tiré de ce fait des conclusions négatives sur la nature du comportement des policiers en l’espèce.

 


[13] M. Nasogaluak a été libéré le lendemain matin et, sur la recommandation insistante de ses parents, il s’est rendu à l’hôpital.  On a constaté qu’il avait subi des fractures des côtes et un affaissement pulmonaire, qui a exigé une chirurgie d’urgence.  Par suite de ses blessures, il a perdu son emploi comme ouvrier de plancher d’une installation de forage, mais il a obtenu un emploi semblable quelques mois plus tard.

 

III.    Historique judiciaire

 

A.     Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, le juge Sirrs

 

[14] L’intimé a plaidé coupable à l’accusation de conduite avec les facultés affaiblies (al. 253 a )  du Code criminel ) et à celle de fuite (par. 249.1(1) du Code).  Lors de l’audience de détermination de la peine, il a demandé l’arrêt des procédures au motif que l’emploi par les policiers d’une force excessive lors de son arrestation, leur défaut de communiquer une information adéquate sur ses blessures et de lui obtenir les soins médicaux requis par celles‑ci enfreignait l’art. 7 , l’al. 11 d )  et l’art. 12  de la Charte .  Subsidiairement, il a sollicité une peine réduite à titre de réparation pour les violations de la Charte .

 


[15] Le juge du procès a statué que la preuve ne permettait pas d’établir la violation de l’art. 12, mais il a conclu que les actes des policiers avaient effectivement porté atteinte aux droits garantis par l’art. 7 et  l’al. 11 d )  de la Charte .  Il a conclu que l’omission des policiers de faire un rapport adéquat de leur recours à la force constituait une menace à la vie ou à la liberté de l’intimé, ou à la sécurité de sa personne, visée à l’art. 7 et, étonnamment, qu’elle mettait également en péril la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d).  Selon le juge du procès, l’omission des policiers d’amener M. Nasogaluak à l’hôpital était un autre facteur à prendre en compte pour déterminer si les droits que l’art. 7 lui garantit avaient été enfreints, mais il n’a pas clairement indiqué si le fait que l’intimé n’avait pas reçu de soins médicaux avait influencé sa conclusion selon laquelle il y avait effectivement eu violation de l’art. 7.

 

[16] À propos de l’allégation relative à l’emploi d’une force excessive par les policiers, le juge Sirrs a considéré que le premier coup de poing assené par le gend. Chornomydz était nécessaire pour extirper M. Nasogaluak de son véhicule et l’empêcher de s’enfuir en voiture ou de blesser le gend. Olthof.  Le juge a conclu à la légitimité du deuxième coup de poing, parce que M. Nasogaluak n’obtempérait pas et qu’il était nécessaire de le maîtriser et de l’immobiliser.  Il a toutefois estimé que le troisième coup de poing du gend. Chornomydz à la tête de l’intimé et les deux coups de poing du gend. Dlin au dos de celui‑ci étaient injustifiés et par conséquent excessifs :

 

[traduction] . . . comme il avait reçu deux solides coups de poing à la tête, je ne suis pas surpris que M. Nasogaluak ait été désorienté et réticent à lever les mains pour qu’on lui passe les menottes.  Il est resté immobilisé face contre sol le plus clair du temps.  Il était évident qu’il n’avait pas d’armes et qu’aucun passager ne l’accompagnait.  La sécurité des policiers n’était plus menacée.  M. Nasogaluak ne risquait plus de prendre la fuite.  [. . .] [J]e conclus qu’une poussée d’adrénaline leur a fait perdre leur sang‑froid et les a amenés à assener un autre coup de poing à la tête de M. Nasogaluak ainsi que deux coups de poing qui lui ont fracturé les côtes. 

(Jugement du 7 octobre 2005, par. 27)

 

Le juge Sirrs a également décidé que, en particulier, les coups de poing du gend. Dlin  avaient été donnés avec une force excessive, car ils avaient été suffisamment violents pour fracturer les côtes de M. Nasogaluak et lui perforer le poumon.

 


[17] À titre de réparation pour les violations de la Charte , le juge Sirrs a accordé une peine réduite à M. Nasogaluak.  Il a souligné que des infractions comme la fuite et la conduite avec les facultés affaiblies seraient normalement passibles d’une peine d’emprisonnement de 6 à 18 mois, comme le demandent les objectifs prépondérants de dissuasion individuelle et de dénonciation.  Le juge était toutefois convaincu que ces principes étaient respectés en l’espèce en raison de [traduction] « l’expérience marquante » vécue par M. Nasogaluak aux mains des membres du détachement de la GRC de Leduc (jugement du 24 novembre 2005, par. 24).  De plus, il a estimé que les violations [traduction] « étaient si graves qu’elles justifiaient de ne pas considérer le cas de M. Nasogaluak comme un de ceux qui requièrent une peine d’incarcération » (par. 25).  Comme la réduction de la peine constituait une réparation convenable dans les circonstances, il a rejeté la demande d’arrêt des procédures de M. Nasogaluak, au motif qu’il ne s’agissait pas d’un des « cas les plus manifestes » justifiant le recours à cette mesure pour remédier aux effets préjudiciables de la violation sur l’équité du procès (R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 68).

 

[18] S’appuyant alors sur le par. 24(1)  de la Charte , le juge Sirrs a accordé à M. Nasogaluak des absolutions sous conditions assorties de périodes de probation de 12 mois relativement aux deux chefs d’accusation, applicables de façon concurrente, avec interdiction de conduire durant un an.  Il était d’avis que cette peine tenait compte adéquatement de la gravité des violations de la Charte  ainsi que du bon dossier d’emploi de M. Nasogaluak, de son jeune âge et du fait qu’il ne possédait pas de casier judiciaire.

 


B.      Cour d’appel de l’Alberta, 2007 ABCA 339, 84 Alta L.R. (4th) 15

 

(1)   Opinion de la majorité rédigée par la juge McFadyen, avec l’appui du juge Martin

 

[19] Les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont pas retenu l’argument du ministère public selon lequel le juge du procès avait commis une erreur en concluant que les agents de la GRC avaient eu recours à une force excessive.  Ils ont jugé que, bien que le juge du procès ait tiré plusieurs constatations de fait erronées concernant la force employée par les policiers, la preuve au dossier permettait de justifier sa conclusion à cet égard :

 

[traduction]  Bien que le juge ayant prononcé la peine n’ait pas expressément fait référence aux dispositions du Code criminel  ou à la jurisprudence pertinente en matière de recours à la force par les policiers qui procèdent à une arrestation et veulent empêcher la perpétration d’une infraction, il semble avoir pris en compte l’ensemble des circonstances.  Nous n’aurions pas tiré la même conclusion que lui, mais nous ne pouvons pour autant affirmer que le juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que le gendarme Dlin avait employé une force excessive.  Certains éléments de preuve étayent cette conclusion.  [par. 27]

 

Selon la majorité, le juge du procès a pris en compte tous les facteurs pertinents; il était conscient que l’incident s’était déroulé rapidement, que M. Nasogaluak ne coopérait pas et qu’il était en état d’ébriété.  Les juges majoritaires n’ont pas modifié la conclusion du juge du procès selon laquelle le recours à une force excessive par les policiers ainsi que leur omission subséquente de signaler les blessures subies par M. Nasogaluak et de lui procurer des soins médicaux avaient enfreint l’art. 7.

 


[20] La majorité a également rejeté la thèse du ministère public voulant que le juge du procès ait commis une erreur en ordonnant la réduction de la peine de M. Nasogaluak à titre de réparation fondée sur le par. 24(1)  de la Charte .  S’exprimant au nom de la majorité, la juge McFadyen a reconnu que le par. 24(1) confère aux tribunaux un vaste pouvoir discrétionnaire les habilitant à accorder toute réparation « convenable et juste eu égard aux circonstances ».  Après avoir examiné la jurisprudence par ailleurs contradictoire qui existe sur ce point, elle a conclu que la Cour d’appel de l’Ontario avait adéquatement tranché la question dans R. c. Glykis (1995), 84 O.A.C. 140, en jugeant qu’un tribunal peut dans deux cas ordonner_une réduction de peine pour réparer une atteinte à la Charte  : si l’atteinte atténue d’une certaine manière la gravité de l’infraction, ou si elle ajoute à la sanction imposée à l’accusé ou lui cause un préjudice.  Comme M. Nasogaluak avait de toute évidence subi un préjudice — des côtes fracturées et un poumon perforé —, la peine pouvait être réduite sous le régime du par. 24(1)  de la Charte .  D’après la juge McFadyen, le juge du procès n’avait commis aucune erreur manifeste ou dominante lorsqu’il a statué que la réduction de peine était justifiée dans les circonstances.

 

[21] La majorité a toutefois voulu éviter d’élargir indûment le pouvoir de réparation que le par. 24(1) confère aux juges qui président les procès :

 

[traduction]  Bien que nous soyons d’avis que la réduction de peine est une réparation possible dans certaines circonstances sous le régime du par. 24(1), elle doit être accordée parcimonieusement, et seulement comme mesure de dernier recours dans des cas exceptionnels.  Une telle interprétation respecte les dispositions du Code criminel  qui énoncent les objectifs et les principes de détermination de la peine. [par. 38]

 


De même, citant l’arrêt R. c. Ferguson, 2006 ABCA 261, 397 A.R. 1, qu’elle avait récemment rendu (la Cour d’appel de l’Alberta avait déjà entendu la présente affaire lorsque notre Cour a déposé ses motifs dans R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96), les juges majoritaires de la Cour d’appel ont statué qu’une peine inférieure à la peine minimale obligatoire ne pouvait être prononcée parce qu’il s’agirait d’une immixtion dans le rôle du législateur.

 

[22] La majorité a donc annulé l’ordonnance d’absolution sous conditions rendue par le juge du procès relativement à l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies, parce que le sous‑al. 255(1)a)(i) du Code criminel  prévoyait l’imposition d’une amende  minimale de 600 $ pour une première infraction.  Elle l’a remplacée par un verdict de culpabilité et condamné M. Nasogaluak à payer l’amende minimale.  Toutefois, en l’absence de peine minimale prescrite pour l’infraction de fuite, la majorité n’a pas modifié l’ordonnance d’absolution sous conditions prononcée à cet égard.

 

[23] La majorité a conclu que, bien que la peine infligée à l’égard de l’infraction de fuite ne soit pas appropriée compte tenu de la gravité de l’infraction, le juge du procès n’avait pas commis d’erreur de droit ou de principe en imposant une peine inférieure à celle qui sanctionnerait normalement ce type d’infraction.  Elle a rejeté l’appel formé contre l’absolution ordonnée à l’égard de l’infraction de fuite et accueilli l’appel de l’absolution sous conditions relative à l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies.

 


(2)   Dissidence du juge Côté

 

[24] Dans ses motifs dissidents, le juge Côté a souscrit aux conclusions de la majorité sur l’emploi d’une force excessive par les policiers, ainsi qu’à son exposé des principes de droit régissant la réduction de peine sous le régime du par. 24(1).  En particulier, il a convenu que, dans certaines circonstances, la réduction de peine est une mesure envisageable pour réparer une atteinte à la Charte , mais que cette peine ne peut en aucun cas être réduite en deçà du minimum prévu par la loi.  À l’instar de la majorité, il aurait donc infligé l’amende minimale pour l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies.

 


[25] Il a toutefois adopté une approche plus prudente dans l’application des principes régissant la réduction de peine comme réparation fondée sur la Charte .  Il a conclu que le juge Sirrs avait commis une erreur en omettant de considérer ou d’appliquer le critère établi à cet égard dans Glykis, et en n’expliquant pas de façon adéquate la peine qu’il avait prononcée.  Il estimait que de telles explications s’imposaient en raison de [traduction] « la preuve parcellaire et des conclusions de fait brèves et contradictoires » (par. 62), qui ne permettaient pas de conclure avec certitude que la réduction de peine était la réparation convenable.  De fait, il a jugé que, bien que la loi ne prescrive pas de peine minimale pour l’infraction de fuite, la jurisprudence et les lignes directrices en matière de détermination de la peine pour cette infraction s’apparentent à un tel minimum, sous lequel les réparations fondées sur la Charte  ne devraient descendre que [traduction] « très rarement » (par. 59).  Comme le juge du procès avait accordé plus de poids au témoignage des policiers qu’à celui de M. Nasogaluak, le juge d’appel Côté admettait difficilement que les violations de la Charte  puissent être d’une gravité telle qu’elles justifiaient le prononcé d’une absolution sous conditions.  Il a donc refusé de confirmer la décision du juge du procès, estimant que ses motifs étaient simplement trop inadéquats et lacunaires pour résister à un examen en appel.  Par conséquent, le juge Côté aurait déterminé à nouveau la peine applicable à l’égard de l’infraction de fuite et, à cette fin, il aurait permis aux avocats de présenter d’autres observations écrites au sujet de la peine appropriée, notamment sur la possibilité d’accorder une réduction de peine pour remédier à la violation de la Charte .

 

IV.  Questions en litige dans le pourvoi et le pourvoi incident

 

[26] Le présent pourvoi soulève un certain nombre de problèmes qui peuvent être résolus par l’examen des deux questions suivantes :

 

(1)               La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la conclusion du juge du procès portant que les policiers avaient employé une force excessive pour procéder à l’arrestation de M. Nasogaluak et que les circonstances entourant l’arrestation et la détention de ce dernier constituaient une violation de l’art. 7  de la Charte ?

 


(2)               La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en statuant que, sous le régime du par. 24(1)  de la Charte , la réduction de peine peut constituer une réparation convenable et juste en cas de violation avérée de la Charte ?  Les dispositions du Code criminel  relatives à la détermination de la peine peuvent‑elles sanctionner les atteintes aux droits fondamentaux?  Si la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur, à quelles restrictions, s’il en est, peut être assujetti le pouvoir discrétionnaire du juge de réduire une peine à titre de réparation fondée sur la Charte ?

 

[27] Le ministère public fait d’abord valoir que la Cour d’appel a appliqué la mauvaise norme de contrôle aux conclusions du juge du procès relativement à l’emploi d’une force excessive.  Il soutient que ce dernier a commis plusieurs erreurs de droit importantes, qui auraient dû être assujetties à la norme de la décision correcte, et que ses conclusions à cet égard auraient dû être infirmées en appel.  Le ministère public reproche plus particulièrement au juge Sirrs de ne pas avoir examiné le degré de force utilisé par les policiers au regard de la norme juridique énoncée aux art. 25  et 27  du Code criminel  ainsi que dans la jurisprudence pertinente.  Le ministère public affirme que, comme la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait tiré plusieurs conclusions de fait contradictoires et qu’il ne s’était pas appuyé sur les principes juridiques applicables, elle a fait erreur en confirmant les conclusions du juge Sirrs sur le recours à une force excessive.

 


[28] Le ministère public conteste ensuite la conclusion de la Cour d’appel au sujet de la réduction de peine en tant que réparation fondée sur la Charte Bien qu’il concède qu’une réduction de peine puisse être appropriée lorsque la violation de la Charte  a pour effet d’infliger une sanction supplémentaire au délinquant, le ministère public soutient que le par. 24(1) ne devrait pas être invoqué pour contourner les principes établis par la loi ou la common law en matière de détermination de la peine.  Il ajoute qu’une réduction de peine accordée en vertu du par. 24(1) doit toujours s’inscrire dans la fourchette des peines appropriées à l’égard de l’infraction visée.  Selon le ministère public, la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire permettant de réduire une peine sous ces limites contredirait les principes de proportionnalité et de parité.  En outre, un tel pouvoir aurait pour effet d’axer de manière inacceptable le processus de détermination de la peine sur la conduite des représentants de l’État plutôt que sur la culpabilité du délinquant et la gravité de l’infraction.

 

[29] Enfin, le ministère public conteste la légalité et la justesse de la peine.  Il plaide que l’absolution sous conditions accordée relativement à l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies constitue une peine illégale que les tribunaux ne peuvent prononcer, puisque le Code criminel  prévoit une peine minimale à l’égard de cette infraction.  Quant à l’infraction de fuite, il affirme que, bien que légale, la peine infligée s’avère tout à fait inadéquate et, de ce fait, inappropriée.  Néanmoins, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, le ministère public a indiqué qu’il ne s’opposerait pas à une réduction de peine dans la mesure o_, par principe, une peine d’emprisonnement symbolique d’un jour serait infligée.  Il ajoute qu’une absolution sous conditions ne peut être ordonnée que dans des circonstances exceptionnelles, et qu’aucune circonstance de la sorte n’était présente en l’espèce.  Au soutien de son argument que l’absolution sous conditions était [traduction] « tout à fait inadéquate » et « manifestement inappropriée » (mémoire de l’appelante, par. 116), le ministère public met en relief la gravité des infractions, le fait que M. Nasogaluak a fui la police de façon délibérée et les raisons d’intérêt public justifiant que l’intimé soit tenu responsable de ses actes.  Même si la réduction de peine avait été une réparation convenable dans les circonstances, le ministère public argumente que la Cour d’appel aurait dû intervenir et augmenter la sévérité de la peine pour qu’elle comporte à tout le moins une période d’emprisonnement.  Le ministère public demande que l’affaire soit renvoyée au tribunal chargé de la détermination de la peine pour réexamen.


 

[30] Selon l’intimé, M. Nasogaluak, la Cour d’appel a correctement examiné et appliqué les principes juridiques relatifs à l’emploi d’une force excessive et il demande à notre Cour de confirmer la conclusion de cette dernière selon laquelle il y a eu violation de l’art. 7  de la Charte .  Il demande également à notre Cour de confirmer que la réduction de peine peut être accordée à titre de réparation en vertu du par. 24(1)  de la Charte .  Il soutient que les principes de détermination de la peine énoncés au Code criminel  ne devraient pas faire obstacle au droit d’une personne d’obtenir une réparation utile fondée sur la Charte .  Il invite notre Cour à donner au par. 24(1) une interprétation large qui autoriserait un tribunal, pour réparer une atteinte à la Charte , à réduire une peine en deçà de la fourchette des peines généralement jugées appropriées.

 

[31] Dans un appel incident, M. Nasogaluak plaide que la Cour d’appel a commis une erreur en substituant une amende de 600 $ à l’absolution sous conditions prononcée à l’égard de l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies.  D’après lui, le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 24(1) au tribunal permet à celui‑ci de réduire la peine en deçà du minimum fixé par la loi lorsqu’une telle mesure se trouve nécessaire pour accorder une réparation utile en vertu de la Charte Il établit une analogie avec l’arrêt R. c. Wust, 2000 CSC 18, [2000] 1 R.C.S. 455, dans lequel notre Cour a statué qu’une peine minimale obligatoire pouvait être réduite pour prendre en compte la période passée en détention avant le procès.  Il est d’avis que seul le partage constitutionnel des compétences législatives entre le Parlement et les assemblées législatives provinciales a pour effet de restreindre le pouvoir du tribunal d’ordonner une réduction de peine.  En conséquence, M. Nasogaluak demande à notre Cour de rétablir l’absolution sous conditions à l’égard de l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies.


 

V.     Analyse

 

A.     Emploi d’une force excessive par les policiers

 

(1)   La norme juridique

 

[32] Devant notre Cour, le ministère public a insisté sur la question de la force excessive, plaidant énergiquement que les policiers n’avaient pas abusé de leur autorité ou infligé sans nécessité des blessures à M. Nasogaluak.  Il convient toutefois de rappeler que, dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers ne possèdent pas le pouvoir illimité d’infliger des blessures à une personne.  Bien que, dans certaines circonstances, il leur faille recourir à la force pour arrêter un délinquant ou l’empêcher de leur échapper, le degré de force permis demeure circonscrit par les principes de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité.  En effet, les tribunaux doivent protéger les membres de la société contre un recours illégitime à la force de la part des policiers, vu les graves conséquences qui en découlent.

 

[33] Les contraintes légales applicables à l’emploi de la force par un policier sont fermement ancrées dans notre tradition de common law et consacrées par le Code criminel .  Le présent pourvoi met en jeu l’art. 25 du Code, dont les extraits pertinents sont reproduits ci‑après :

 

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

 


                                                                            . . .

 

b)        soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

 

. . .

 

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

 

                                                                            . . .

 

(3)       Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle‑même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

 

(4)       L’agent de la paix, ainsi que toute personne qui l’aide légalement, est fondé à employer contre une personne à arrêter une force qui est soit susceptible de causer la mort de celle‑ci ou des lésions corporelles graves, soit employée dans l’intention de les causer, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)        il procède légalement à l’arrestation avec ou sans mandat;

 

b)        il s’agit d’une infraction pour laquelle cette personne peut être arrêtée sans mandat;

 

c)         cette personne s’enfuit afin d’éviter l’arrestation;

 

d)        lui‑même ou la personne qui emploie la force estiment, pour des motifs raisonnables, cette force nécessaire pour leur propre protection ou celle de toute autre personne contre la mort ou des lésions corporelles graves — imminentes ou futures;

 

e)         la fuite ne peut être empêchée par des moyens raisonnables d’une façon moins violente.

 


[34]  Le paragraphe 25(1) indique essentiellement qu’un policier est fondé à utiliser la force pour effectuer une arrestation légale, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.  Mais l’examen de la question ne s’arrête pas là.  Le paragraphe 25(3) précise qu’il est interdit au policier d’utiliser une trop grande force, c’est‑à‑dire une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne croie que cette force est nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre de telles conséquences.  La croyance du policier doit rester objectivement raisonnable.  Par conséquent, le recours à la force visé au par. 25(3) doit être examiné à la lumière de motifs subjectifs et objectifs (Chartier c. Greaves, [2001] O.J. No. 634 (QL) (C.S.J.), par. 59).  Le paragraphe 25(4) justifie le recours à la force par les policiers afin d’empêcher un suspect de prendre la fuite dans le but d’éviter une arrestation légale, sous réserve des limites exposées précédemment.  Il faut aussi qu’il n’ait pas été raisonnablement possible d’empêcher la fuite du suspect en utilisant des moyens moins violents.

 

[35]  Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection.  Il ne faut pas oublier que ceux‑ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes.  Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile.  Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‑B.) :

 

[traduction]  Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours.  Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision.  [p. 218]

 


(2)   Application aux faits de l’espèce

 

[36]  Je ne crois pas que la Cour d’appel a commis une erreur en confirmant la conclusion du juge du procès selon laquelle les policiers avaient employé une force excessive lors de l’arrestation de M. Nasogaluak.  La cour a correctement énoncé les principes juridiques applicables à cet égard et elle a conclu que le juge du procès les avait suivis, qu’il ait cité ou non la jurisprudence et les dispositions du Code criminel  pertinentes.  La Cour d’appel a tiré cette conclusion bien qu’elle ait rejeté plusieurs des constatations de fait du juge, plus particulièrement celle portant que M. Nasogaluak avait déjà été maîtrisé lorsque le gend. Chornomydz lui a assené son troisième coup de poing et celle voulant que le gend. Dlin savait, lorsqu’il lui a donné un coup de poing dans les côtes, que le suspect n’était pas armé (par. 25‑26).  La Cour d’appel a néanmoins jugé que suffisamment d’éléments de preuve justifiaient la conclusion du juge du procès sur l’emploi d’une force excessive (par. 27).  Elle a souligné que le juge Sirrs avait à juste titre considéré le fait que M. Nasogaluak était immobilisé sous le gend. Chornomydz au moment où le gend. Dlin l’a frappé, et qu’il avait pris en compte l’admission du gend. Dlin lui‑même, à l’audience, selon laquelle le troisième coup de poing donné par son collègue n’était pas, selon lui, nécessaire.  En raison de ces circonstances, la cour a statué qu’il n’était pas déraisonnable que le juge du procès ait conclu qu’une force excessive avait été utilisée.

 


[37]  Il ne faut pas oublier la force des coups de poing : selon le juge du procès, le gend. Chornomydz est un [traduction] « homme robuste, capable de porter un sérieux coup de poing » (jugement du 7 octobre 2005, par. 24).  Les coups de poing du gend. Dlin ont été suffisamment puissants pour fracturer deux côtes de M. Nasogaluak et, finalement, entraîner la perforation d’un de ses poumons.  Même en admettant que ces faits se sont déroulés en très peu de temps et que les policiers ont dû prendre des décisions très rapides pour réagir à la situation, je suis d’avis que la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que les policiers avaient utilisé une force plus grande que nécessaire dans les circonstances.

 

[38]  Se pose maintenant la question de savoir si la Cour d’appel a eu raison de confirmer la conclusion du juge du procès que les actes des policiers au moment de l’arrestation avaient enfreint l’art. 7  de la Charte , dont voici le libellé :

 

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 


Bien que le ministère public ait contesté la conclusion selon laquelle une force excessive avait été employée, les parties n’ont soumis aucun argument à notre Cour concernant la violation de l’art. 7, et je n’entends pas procéder à une analyse exhaustive fondée sur cette disposition.  La question de l’existence d’une obligation positive pour les policiers de procurer des soins médicaux aux personnes dont ils ont la garde sera examinée à une autre occasion.  Il suffit de préciser, pour les besoins du présent pourvoi, que je fais mienne la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle le juge du procès n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en statuant que les policiers avaient employé une force excessive lors de l’arrestation de M. Nasogaluak.  Qui plus est, je suis d’avis que les faits de l’espèce établissent aisément l’existence d’une violation.  En effet, lors de son arrestation et de sa détention, M. Nasogaluak a subi une atteinte à son intégrité physique et psychologique d’une importance telle qu’il ne fait pas de doute que l’art. 7 a été enfreint (R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519).  L’emploi d’une force excessive par les policiers, de même que leur omission d’informer leurs supérieurs de l’étendue des blessures qu’ils avaient infligées à M. Nasogaluak et de veiller à ce qu’il reçoive des soins médicaux constituaient une menace bien réelle à la sécurité de sa personne, contraire aux principes de justice fondamentale.  Devant la preuve et le dossier, on peut supposer qu’une atteinte aux droits garantis par l’art. 7 est survenue et qu’aucune limite prescrite par la loi ne justifiait cette atteinte, ce que vient confirmer la conclusion que l’art. 25 n’a pas été respecté.  En effet, les policiers avaient employé au moment de l’arrestation une force excessive, pas nécessaire.

 

B.      La réduction de peine à titre de réparation pour violation de la Charte 

 

(1)   Les principes de détermination de la peine

 


[39]  La question essentielle que pose le présent pourvoi est celle de la possibilité de réduire la peine d’un délinquant dont les droits constitutionnels ont été violés.  Notre Cour doit décider si une réparation fondée sur le par. 24(1) est nécessaire pour remédier aux conséquences d’une violation de la Charte  ou si ce résultat peut être accompli par la mise en œuvre du processus de détermination de la peine.  Pour trancher cette question, il faut d’abord examiner les principes qui guident la détermination de la peine en droit canadien.  Les objectifs et principes de détermination de la peine ont récemment été énoncés aux art. 718  à 718.2  du Code criminel  dans le but d’assurer la cohérence et la clarté des décisions rendues en la matière.  L’article 718 exige que les juges prennent en compte l’objectif essentiel du prononcé des peines, à savoir contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, « au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre ».  Un tel objectif est réalisé par l’infliction de « sanctions justes » adaptées aux objectifs suivants de détermination de la peine énoncés dans la disposition : la dénonciation des comportements illégaux, la dissuasion générale et individuelle, l’isolement des délinquants, leur réinsertion sociale, la réparation des torts causés et, objectif ajouté récemment, la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités et la reconnaissance des torts qu’il a causés à la victime et à la collectivité.

 

[40]  L’article 718.1 précise les objectifs de la détermination de la peine.  Il prescrit que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ».  Ainsi, indépendamment du poids que le juge souhaite accorder à l’un des objectifs susmentionnés, la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité.  De plus, l’art. 718.2 comporte une liste non exhaustive de principes secondaires, notamment l’examen des circonstances aggravantes ou atténuantes, les principes de parité et de totalité et la nécessité d’examiner « toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances », plus particulièrement lorsqu’il s’agit de délinquants autochtones.

 


[41]  Il ressort clairement de ces dispositions que le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (R. c. Solowan, 2008 CSC 62, [2008] 3 R.C.S. 309, par. 12).  L’importance fondamentale accordée à ce principe ne découle pas des modifications apportées au Code en 1996; mais témoigne plutôt du fait qu’il joue depuis longtemps un rôle de principe directeur en matière de détermination de la peine (p. ex. R. c. Wilmott (1966), 58 D.L.R. (2d) 33 (C.A. Ont.)).  Ce principe possède une dimension constitutionnelle, puisque l’art. 12  de la Charte  interdit l’infliction d’une peine qui est exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec le principe de la dignité humaine propre à la société canadienne.  Mais qu’entend‑on par proportionnalité dans le contexte de la détermination de la peine?

 

[42]  D’une part, ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.  En ce sens, le principe de la proportionnalité joue un rôle restrictif.  D’autre part, à l’optique axée sur l’existence de droits et leur protection correspond également une approche relative à la philosophie du châtiment fondée sur le « juste dû ».  Cette dernière approche vise à garantir que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué dans la perpétration de l’infraction ainsi que le tort qu’ils ont causé (R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 81; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533‑534, motifs concordants de la juge Wilson).  Sous cet angle, la détermination de la peine représente une forme de censure judiciaire et sociale (J. V. Roberts et D. P. Cole, « Introduction to Sentencing and Parole », dans Roberts et Cole, dir., Making Sense of Sentencing (1999), 3, p. 10).  Toutefois, sans égard au raisonnement servant d’assise au principe de la proportionnalité, le degré de censure requis pour exprimer la réprobation de la société à l’égard de l’infraction demeure dans tous les cas contrôlé par le principe selon lequel la peine infligée à un délinquant doit correspondre à sa culpabilité morale et non être supérieure à celle‑ci.  Par conséquent, les deux optiques de la proportionnalité confluent pour donner une peine qui dénonce l’infraction et qui punit le délinquant sans excéder ce qui est nécessaire.

 


[43]  Les articles 718 à 718.2 du Code sont rédigés de manière suffisamment générale pour conférer aux juges chargés de déterminer les peines un large pouvoir discrétionnaire leur permettant de façonner une peine adaptée à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant.  Sous réserve de certaines règles particulières prescrites par la loi, le prononcé d’une peine « juste » reste un processus individualisé, qui oblige le juge à soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte le mieux possible des circonstances de l’affaire (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; M. (C.A.); R. c. Hamilton (2004), 72 O.R. (3d) 1 (C.A.)).  Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres.  Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce.  La peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est.  Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence.

 


[44]  Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites.  Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants.  Il faut cependant garder à l’esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues.  Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine.  Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.

 


[45]  La loi restreint aussi le pouvoir discrétionnaire du juge de la peine, non seulement par l’adoption de principes et objectifs généraux de détermination de la peine consacrés aux art. 718 à 718.2, qui ont été exposés précédemment, mais aussi par l’existence d’autres dispositions du Code écartant certaines sanctions.  À titre d’exemple, l’art. 732 interdit aux tribunaux d’ordonner qu’une peine d’emprisonnement de plus de 90 jours soit purgée de façon discontinue.  Des restrictions similaires visent des sanctions comme les absolutions (art. 730), les amendes (art. 734), les ordonnances de sursis (art. 742.1) et les ordonnances de probation (art. 731).  Le législateur a également jugé bon de réduire l’étendue des châtiments possibles à l’égard de certaines infractions en établissant des peines minimales obligatoires.  Phénomène relativement nouveau en droit canadien, la peine minimale est l’expression claire d’une politique générale dans le domaine du droit pénal.  Certaines peines minimales ont été invalidées sur le fondement de l’art. 12  de la Charte  au motif qu’elles constituaient des châtiments exagérément disproportionnés eu égard aux circonstances de l’affaire (R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Bill (1998), 13 C.R. (5th) 125 (C.S.C.‑B.)), alors que d’autres ont été maintenues (R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90).  À moins qu’elles n’aient été déclarées inconstitutionnelles, les peines minimales prévues au Code sont obligatoires.  Le pouvoir discrétionnaire d’un juge n’est pas si large qu’il lui permette de déroger à cette expression claire de la volonté du législateur.

 

[46]  Les tribunaux d’appel font preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions des juges prononçant les peines.  Dans l’arrêt M. (C.A.), le juge en chef Lamer a rappelé qu’une peine ne peut être modifiée que si elle n’est « manifestement pas indiquée » ou si elle découle d’une erreur de principe, de l’omission de prendre en considération un facteur pertinent ou d’une insistance trop grande sur un facteur approprié (par. 90; voir également R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, par. 14‑15; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 123‑126; R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, par. 14‑17; R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227).  Toutefois, comme l’a expliqué le juge Laskin dans R. c. McKnight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), au par. 35, cela ne signifie pas que les tribunaux d’appel peuvent modifier une peine simplement parce qu’ils auraient accordé un poids différent aux facteurs pertinents :

 

[traduction]  Suggérer que le juge de première instance a commis une erreur de principe parce que, de l’avis du tribunal d’appel, il a accordé trop de poids à un facteur pertinent ou trop peu à un autre équivaut à faire fi de toute déférence.  La pondération des facteurs pertinents, le processus de mise en balance, voilà l’objet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire.  La déférence dont il faut faire preuve à l’égard des décisions prises par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire commande qu’on évalue la façon dont il a soupesé ou mis en balance les différents facteurs au regard de la norme de contrôle de la raisonnabilité.  Ce n’est que si le juge du procès a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre, que le tribunal d’appel pourra modifier la peine au motif que le juge a commis une erreur de principe.

 


Compte tenu de l’étendue du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la détermination de la peine, la question demeure : Comment les faits qui, prétend‑on, constituent une violation de la Charte devraient‑ils influer sur la détermination de la peine appropriée?  Je vais maintenant examiner cette question.

 

(2)   Le rôle des atteintes à la Charte  dans le processus normal de détermination de la peine

 

[47]  Les principes de détermination de la peine décrits précédemment doivent être interprétés et appliqués en respectant le cadre fondamental établi par notre Constitution.  Par conséquent, il peut, à l’occasion, arriver que le tribunal soit justifié de prendre en considération une violation de la Charte  lors du prononcé de la peine.  Il pourrait agir ainsi sans recourir au par. 24(1)  de la Charte , en raison du pouvoir discrétionnaire étendu que lui confèrent les art. 718 à 718.2 du Code en vue de façonner une peine appropriée, reflétant bien tous les faits de l’espèce.  Le juge du procès peut à bon droit tenir compte des faits qui, affirme‑t‑on, constituent une violation de la  Charte  pour déterminer la peine appropriée si ces derniers se rattachent à un ou à plusieurs principes pertinents de détermination de la peine juste et appropriée.  Aux termes de l’al. 718.2a) du Code, la peine infligée par le tribunal devrait être adaptée « aux circonstances [. . .] atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant ».  Il serait absurde de prétendre que, simplement parce que certains faits tendent également à démontrer l’existence d’une atteinte à des droits garantis au délinquant par la Charte , ces mêmes faits ne peuvent constituer des circonstances atténuantes pertinentes pour déterminer la peine appropriée.


 

[48]  En effet, le régime de détermination de la peine applicable en droit canadien doit être mis en œuvre dans le respect du cadre établi par la Charte , et non indépendamment de celui‑ci.  Les peines prononcées par les tribunaux sont toujours susceptibles de contrôle au regard de la Constitution.  Une peine ne saurait être « juste » si elle ne respecte pas les valeurs fondamentales consacrées par la Charte .  Des faits qui, prétend‑on, constituent une atteinte à un droit garanti par celle‑ci peuvent donc être pris en compte lors du prononcé de la peine, pour autant qu’ils possèdent le lien nécessaire avec ce processus.  Pour être considérés comme des circonstances atténuantes, les faits entourant la violation doivent se rapporter aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant, comme l’exige l’art. 718.2 du Code.  Naturellement, plus l’atteinte est grave, plus il est probable que le tribunal y attache de l’importance lors de la détermination de la peine appropriée.

 

[49]  Une telle approche est compatible avec le rôle communicationnel du prononcé des peines.  Une peine proportionnée exprime, dans une certaine mesure, les valeurs et les préoccupations légitimes que partagent les Canadiens.  Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans M. (C.A.) :

 

Notre droit criminel est également un système de valeurs.  La peine qui exprime la réprobation de la société est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées.  En résumé, en plus d’attacher des conséquences négatives aux comportements indésirables, les peines infligées par les tribunaux devraient également être infligées d’une manière propre à enseigner de manière positive la gamme fondamentale des valeurs communes que partagent l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes et qui sont exprimées par le Code criminel . [par. 81]

 


Une peine qui prend en compte une violation de la Charte  permet donc d’exprimer le respect que commandent les valeurs communes consacrées dans la Charte .  Pour reprendre les propos du professeur Allan Manson :

 

[traduction]  Le rôle communicationnel du processus de détermination de la peine consiste essentiellement à transmettre des messages.  Ces messages s’adressent à la collectivité.  Ils concernent les valeurs qui devraient avoir de l’importance pour la société.

 

(« Charter Violations in Mitigation of Sentence » (1995), 41 C.R. (4th) 318, p. 323)

 

Ainsi, aux termes de l’art. 718  du Code criminel , l’objectif essentiel de la détermination de la peine est de contribuer au « respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre ».  Il faut comprendre que ce rôle donne aux juges chargés de déterminer les peines la latitude de considérer non seulement les actes du délinquant, mais également ceux des représentants de l’État.  Dans la mesure où la conduite reprochée se rapporte à la situation du délinquant et aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction, l’intérêt de la société au respect de la primauté du droit et des valeurs communes de la société canadienne par les personnes chargées d’appliquer la loi conserve toute sa pertinence lors du prononcé des peines.

 


[50]  La conclusion portant que les circonstances entourant de prétendues atteintes aux droits protégés par la Charte  peuvent être considérées pendant le processus de détermination de la peine, lorsqu’elles se rapportent à la situation du délinquant ou à la perpétration de l’infraction, est conforme à une bonne partie de la jurisprudence sur le sujet.  Dans plusieurs affaires, les tribunaux ont réduit, sans se fonder sur le par. 24(1), la peine infligée à l’accusé pour tenir compte du préjudice causé à ce dernier lors de faits ayant occasionné une violation de la Charte .  À titre d’exemple, dans R. c. Munoz, 2006 ABQB 901, 69 Alta. L.R. (4th) 231, le tribunal a réduit la peine globale du délinquant en raison de la violation, par des policiers chargés de sa surveillance, des droits que lui garantissent les art. 7 et 12.  Pendant qu’il attendait d’être jugé pour des crimes graves — notamment vol qualifié et voies de fait graves —, il avait été victime d’actes de violence aux mains de ces policiers et avait été forcé de porter un uniforme de prisonnier humiliant appelé « baby doll » (une « nuisette »).  S’exprimant au nom de la cour, le juge Wilkins a souligné que la façon dont les policiers avaient traité l’accusé était [traduction] « exagérément disproportionnée par rapport à la sanction appropriée » (par. 77).  Il a conclu que, indépendamment des atteintes aux droits protégés par la Charte , la sanction appropriée aurait été une peine d’emprisonnement de sept ans, se situant à l’extrémité supérieure de la fourchette des peines applicables aux infractions en question.  En raison des violations des droits du prévenu et du crédit de 33 mois accordé pour le temps passé sous garde dans un établissement de détention provisoire, le juge a prononcé une peine de deux ans moins un jour.  La cour ne s’est pas référée au par. 24(1)  de la Charte  pour motiver la réduction de la peine.

 


[51]  Mentionnons en outre l’arrêt R. c. Pigeon (1992), 73 C.C.C. (3d) 337 (C.A.C.‑B.), peut‑être plus pertinent en l’espèce, pour illustrer le pouvoir des tribunaux de considérer les actes de violence policière lors de l’application des principes habituels de détermination de la peine.  Le délinquant, un Chilcotin, avait fui la police après avoir commis une introduction par effraction.  Après un coup de semonce tiré par le policier, M. Pigeon est revenu sur ses pas avec l’intention de se rendre — il n’était ni armé ni agressif.  Le policier l’a empoigné par les cheveux et l’a projeté sur la chaussée.  Plutôt que de lui passer les menottes à ce moment‑là, le policier l’a remis debout et l’a traîné par les cheveux jusqu’à l’endroit où se tenait l’autre policier.  Il a de nouveau jeté le délinquant au sol, puis l’a menotté pendant que l’autre policier appuyait fermement son pied sur la nuque de ce dernier.  M. Pigeon n’a à aucun moment opposé de résistance ou tenté de s’échapper.

 

[52]  L’accusé a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de neuf mois, suivie d’une période de probation de 18 mois.  Le juge du procès a reconnu que M. Pigeon avait subi des blessures pendant son arrestation, mais a conclu que le recours à la force par le policier n’était pas pertinent pour fixer la peine du délinquant :

 

[traduction]  Bien que ces mauvais traitements méritent de la sympathie, ils ne constituent pas un facteur que je suis prêt à prendre en considération.  Vous disposez d’un recours civil.

 

À la suite du dépôt de ses motifs, le juge du procès a produit à la Cour d’appel un rapport formel recommandant une peine réduite de six mois d’emprisonnement.  Voici ce qu’il a écrit :

 

[traduction]  J’ai refusé de tenir compte des voies de fait subies par l’accusé aux mains des policiers et je lui ai dit qu’il disposait d’un recours civil à cet égard.

 

Après mûre réflexion, j’estime que les voies de fait auraient dû être prises en compte.  Si j’avais jugé bon de le faire, j’aurais accordé une réduction de peine additionnelle de trois mois à six mois.

 

. . .

 

À mon humble avis, il n’est pas dans l’intérêt public qu’on ait l’impression que des policiers peuvent « s’en tirer » après avoir infligé de mauvais traitements à des Autochtones, et je ne suis plus convaincu qu’un recours civil est la voie appropriée dans les circonstances.


Lors de l’appel, le juge Carrothers a souscrit aux conclusions du juge du procès portant que la police avait eu recours à une force injustifiée et excessive.  Il a souligné que, si la cour n’était [traduction] « pas appelée à se prononcer sur la conduite des policiers » dans cette affaire, elle était néanmoins habilitée, dans l’examen de la justesse de la peine, à considérer tous les éléments connus quant à la situation du délinquant et aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction, ainsi que [traduction] « les réalités et les caractéristiques de la composition de la collectivité [. . .], qui sont pertinentes et qui influent sur la perception qu’a le public de la justice » (p. 343).  En raison de ces considérations, le juge d’appel Carrothers a réduit la peine à six mois d’emprisonnement, ce qui la ramenait à l’extrémité inférieure de la fourchette des peines applicables à des infractions similaires.

 


[53]  Il importe de signaler qu’une peine peut être réduite en raison de la conduite répréhensible de représentants de l’État, et ce, même dans les cas où les faits reprochés ne constituent pas une violation de la Charte .  Dans l’arrêt Pigeon, le tribunal n’a pas eu à décider si les droits garantis à l’accusé par l’art. 7 avaient été enfreints, puisqu’il disposait d’une latitude suffisante dans le cadre du processus habituel de détermination de la peine pour se pencher sur les actes répréhensibles commis par les policiers.  De même, dans R. c. Bosley (1992), 18 C.R. (4th) 347, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que le juge du procès avait à juste titre considéré un délai qui, sans être inconstitutionnel, était excessif comme une circonstance atténuante aux fins de détermination de la peine appropriée (voir également R. c. Leaver (1996), 3 C.R. (5th) 138 (C.A. Ont.)).  En outre, dans R. c. Panousis, 2002 ABQB 1109, 329 A.R. 47, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a considéré que le délai écoulé avant la tenue du procès constituait une circonstance atténuante et a en conséquence infligé une peine réduite à l’égard d’une infraction de trafic de cocaïne.  Bien que ce délai n’ait pas constitué une violation des droits protégés par l’al. 11b), la cour a conclu qu’il avait causé à l’accusé un préjudice pertinent pour la détermination de la peine.  Dans de brefs motifs prononcés oralement (2004 ABCA 211 (CanLII)), les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont infirmé la décision du juge de première instance et prononcé une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour assortie d’une lourde amende.  Ils n’ont pas précisé s’ils rejetaient la conclusion du juge selon laquelle le délai constituait une circonstance atténuante pertinente, mais il convient de noter que la peine infligée en définitive était inférieure à celles applicables habituellement, de l’avis du juge du procès, aux infractions graves en matière de drogue.

 


[54]  Certes, l’idée de considérer le tort ou le préjudice subi par l’accusé comme une circonstance atténuante lors de la détermination de sa peine ne procède pas de la Charte .  Dans l’arrêt R. c. Kirzner (1976), 14 O.R. (2d) 665, rendu avant l’entrée en vigueur de la Charte , la Cour d’appel de l’Ontario a réduit la peine sanctionnant des infractions en matière de drogue pour tenir compte du rôle que les policiers avaient joué en fournissant à l’accusé l’occasion de commettre les infractions reprochées.  Dans cette affaire, la GRC avait utilisé l’accusé, un héroïnomane, à titre d’informateur et lui avait demandé d’infiltrer le réseau de la drogue à Montréal et d’obtenir des renseignements sur ce commerce.  Le tribunal a jugé que l’accusé ne pouvait invoquer la défense de provocation policière, mais que les policiers étaient toutefois suffisamment impliqués dans les actes de l’accusé pour qu’il soit justifié de réduire la peine infligée à celui‑ci.  De même, dans R. c. Steinberg, [1967] 1 O.R. 733, la Cour d’appel de l’Ontario a accordé une réduction de peine pour remédier au préjudice causé par une perquisition illégale exécutée dans des locaux appartenant à l’accusé.  Des délais excessifs attribuables à la poursuite ou à la police ont également été considérés comme des circonstances atténuantes dans plusieurs décisions rendues avant l’adoption de la Charte  (R. c. Cooper (No. 2) (1977), 35 C.C.C. (2d) 35 (C.A. Ont.); R. c. Simon (1975), 25 C.C.C. (2d) 159 (C.A. Ont.)).  Dans le même ordre d’idées, des délais découlant du fait pour la poursuite d’avoir différé stratégiquement le dépôt d’accusations visant des infractions contemporaines de celles reprochées ont eux aussi entraîné des réductions de peine (R. c. Parisien (1971), 3 C.C.C. (2d) 433 (C.A.C.‑B.); R. c. Burke, [1968] 2 C.C.C. 124 (C.A. Ont.); R. c. Fairn (1973), 12 C.C.C. (2d) 423 (C. cté N.‑É.)).

 

[55]  Par conséquent, le juge qui prononce la peine peut prendre en compte des actes de violence policière ou d’autres conduites répréhensibles de représentants de l’État lorsqu’il détermine la peine appropriée et proportionnée, sans obliger le délinquant à prouver que les faits reprochés constituent des violations de la Charte .  Il n’est tout simplement pas nécessaire que le tribunal s’appuie sur la Charte  pour accorder une réparation, s’il peut à bon droit considérer les intérêts en jeu tout en se conformant aux prescriptions du régime de détermination de la peine établi par le Code criminel .  Cependant, le fait qu’une violation de la Charte  ait été plaidée et prouvée ne devrait pas empêcher le juge du procès de réduire la peine en conséquence, pourvu que les faits ayant donné lieu à la violation constituent des circonstances pertinentes pour l’application du régime habituel de détermination de la peine.  Bien sûr, comme nous le verrons, les tribunaux ne peuvent en règle générale réduire une peine en deçà du minimum obligatoire ni prononcer une peine réduite qui ne soit pas prévue par la loi.  Cela dit, il arrive effectivement que, dans des circonstances exceptionnelles, les faits entourant la violation de la Charte  ou toute autre conduite répréhensible de représentants de l’État justifient le tribunal de déroger aux règles habituelles régissant ses décisions.


 

(3)   Le paragraphe 24(1)  de la Charte  et la détermination de la peine

 

[56]  En l’espèce, les débats ont porté essentiellement sur les réductions de peine accordées pour tenir compte d’actes susceptibles de constituer également des violations de la Charte .  Or, l’intensité de ces débats traduit une méconnaissance de la souplesse et de la nature contextuelle du processus de détermination de la peine au Canada.  Il est vrai qu’un nombre appréciable de décisions, émanant de plusieurs provinces, ont accordé des réductions de peine à titre de réparations fondées sur le par. 24(1)  de la Charte  afin d’infliger une sanction juste et appropriée dans certains cas particuliers.  Cependant, cette jurisprudence n’a peut‑être pas suffisamment tenu compte du fait que des circonstances justifiant de conclure à la violation de la Charte  peuvent également constituer des circonstances capables d’être légitimement considérées dans le processus de détermination de la peine appropriée en vertu des dispositions du Code criminel .  À elles seules, ces dispositions permettent généralement d’accorder une réparation aux personnes dont les droits ont été violés, sans qu’il soit besoin de s’appuyer sur la Charte .  Dans cet esprit, je vais maintenant examiner brièvement ces affaires.

 

[57]  Dans l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, p. 974, rendu au cours des premières années d’application de la Charte , le juge La Forest a reconnu que la réduction de peine comptait parmi les réparations possibles visées au par. 24(1).  Depuis, les divergences jurisprudentielles quant à la question de savoir si une réduction de peine peut, à première vue, constituer une réparation au sens de la Charte  ont porté davantage sur le type de limites qui devraient restreindre le recours à cette réparation que sur la possibilité de l’accorder.


 

[58]  Dans un certain nombre d’affaires, les tribunaux ont adopté une approche contextuelle et souple à l’égard de la réduction de peine fondée sur le par. 24(1) et ils n’ont pas imposé de limites strictes quant au recours à cette réparation.  Dans R. c. Charles (1987), 61 Sask. R. 166, la Cour d’appel de la Saskatchewan a rejeté l’appel formé contre la peine réduite infligée par le juge du procès à un homme reconnu coupable de voies de fait contre sa femme.  Le juge avait conclu que les droits garantis à l’accusé par l’art. 9 avaient été enfreints par suite de son maintien arbitraire en détention durant une période supplémentaire de 12 heures.  À titre de réparation fondée sur le par. 24(1), le juge a sursis au prononcé d’une peine d’emprisonnement et rendu une ordonnance de probation d’une année.  La Cour d’appel a statué qu’une réduction substantielle de la peine normalement infligée pour ce type d’infraction constituait une réparation convenable eu égard aux circonstances de l’espèce.  Par la suite, les tribunaux de la Saskatchewan ont accordé des peines réduites pour corriger des atteintes aux droits protégés par les art. 9 (R. c. Bear (1988), 72 Sask. R. 99 (C. prov.); R. c. S.L.L., 2002 SKQB 425, 229 Sask. R. 96) et 12 (R. c. Foulds, [1998] S.J. No. 560 (QL) (C. prov.)) de la Charte .

 


[59]  La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a elle aussi recouru de manière assez libérale à la réduction de peine comme réparation dans bon nombre d’affaires touchant la Charte .  Plus particulièrement, dans l’arrêt R. c. Dennison (1990), 109 R.N.-B. (2e) 388, la cour a ramené de 12 ans à 9 ans la peine d’emprisonnement qui avait été infligée à l’égard d’une tentative de meurtre, au motif que le juge du procès n’avait pas permis à l’accusé de présenter des observations sur la peine.  De même, elle a réduit de moitié une peine d’emprisonnement de 6 mois, à titre de réparation pour la détention arbitraire dont l’accusé avait été victime (R. c. MacPherson (1995), 166 R.N.‑B. (2e) 81).  Elle a aussi réduit une peine de détention de 12 mois à la période déjà purgée pour corriger la violation de l’art. 7 découlant du fait que le même avocat avait représenté à la fois le ministère public et l’accusé (R. c. Zwicker (1995), 169 R.N.-B. (2e) 350).

 

[60]  Des tribunaux d’autres provinces se sont aussi engagés dans cette voie et ont ordonné des réductions de peine comme réparations convenables et justes à l’égard de violations de dispositions de la Charte  : art. 7 (Carlini Bros. Body Shop Ltd. c. R. (1992), 10 O.R. (3d) 651 (Div. gén.); art. 8 (R. c. Grenke, 2004 ONCJ 121, 7 M.V.R. (5th) 89); art. 9 (Québec (Procureur général) c. Chabot, [1992] R.J.Q. 2102 (C.A.); R. c. Mater (1988), 47 C.R.R. 351 (C. dist. Ont.)); al. 10b) (R. c. Pasemko (1982), 17 M.V.R. 247 (C. prov. Alb.); R. c. Grimes (1987), 70 Nfld. & P.E.I.R. 11 (C.S.T.‑N., Div. 1re inst.); R. c. MacLean, [1988] O.J. No. 2515 (QL) (C. prov.)); et même l’art. 15 (R. c. Pelletier (1986), 42 M.V.R. 67 (C. prov. Ont.)).

 


[61]  En revanche, d’autres tribunaux se sont montrés plus hésitants à recourir à la réduction de peine comme réparation fondée sur la Charte .  Dans Glykis, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge du procès n’aurait pas dû compenser les irrégularités commises par la police en accordant des réductions de peine aux délinquants.  Dans cette affaire, les deux accusés avaient été arrêtés à l’aéroport Pearson après avoir admis transporter de la drogue au Canada sous leurs vêtements.  Ils ont été informés de leur droit de recourir à l’assistance d’un avocat, mais on ne les a autorisés à le faire qu’après les avoir fouillés.  Par conséquent, ils ont dû attendre environ deux heures avant de consulter un avocat.  S’exprimant pour la Cour d’appel, le juge en chef Dubin a confirmé la conclusion du juge du procès selon laquelle l’al. 10b) avait été violé, mais il a conclu qu’une réduction de peine ne devrait être accordée à titre de réparation fondée sur la Charte  que si la violation atténue d’une certaine manière la gravité de l’infraction ou si elle constitue une forme de sanction ou de préjudice supplémentaire pour l’accusé.  Malgré ses réserves à l’égard de certains aspects du raisonnement du juge de première instance, le juge en chef Dubin a confirmé les peines concurrentes de 12 mois prononcées à l’issue du procès.

 


[62]  Ces deux limites énoncées dans Glykis, qui restreignent le recours à la réduction de peine comme réparation en cas de contraventions à la Charte , ont été mentionnées par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans R. c. Carpenter, 2002 BCCA 301, 168 B.C.A.C. 137.  Dans cette affaire, la cour a critiqué assez sévèrement la réduction de peine à titre de réparation fondée sur le par. 24(1).  L’accusé avait été reconnu coupable d’importation d’héroïne au Canada et avait interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et de sa peine au motif que les droits que lui garantissent l’art. 8 et l’al. 10b) avaient été enfreints au moment de son arrestation.  La juge Newbury, qui s’exprimait au nom de la majorité, a conclu que le fait de réduire les peines en vertu du par. 24(1) posait problème, parce qu’une telle mesure contrevenait aux principes et aux objectifs de détermination de la peine énoncés aux art. 718  à 718.2  du Code criminel , qu’elle aurait pour effet d’axer de manière inacceptable l’analyse non plus sur l’infraction et le délinquant, mais sur la conduite des représentants de l’État, et qu’elle  pousserait les [traduction] « ressources judiciaires jusqu’à leurs limites » (par. 28).  Essentiellement, sa décision écartait toute possibilité de réduire une peine pour réparer une violation de la Charte .  Dans des motifs dissidents, le juge Donald s’est appuyé sur l’arrêt Glykis et a conclu que les contraventions à la Charte  avaient causé à l’accusé un préjudice qui était pertinent pour la détermination de sa peine.  Pour « faire bénéficier » le délinquant de la sanction des manquements, le juge Donald aurait réduit la peine de six ans à cinq ans d’emprisonnement.

 

[63]  Les décisions dans lesquelles les tribunaux se sont fondés sur le par. 24(1) semblent concerner des cas d’abus de procédure ou de conduite répréhensible de la part de représentants de l’État avant l’arrestation, le dépôt des accusations ou d’autres étapes de la procédure pénale.  Toutefois, dans la mesure où ils se rapportent à la situation du délinquant ou à la perpétration de l’infraction, ces faits deviennent des circonstances pertinentes visées pour l’application des dispositions sur la détermination de la peine du Code criminel .  En tant que tels, ils font partie des facteurs dont le juge tiendra compte pour déterminer la sanction qu’il convient d’infliger au délinquant, sans devoir recourir au par. 24(1).  Les facteurs dépourvus de lien avec la situation du délinquant ou avec la perpétration de l’infraction demeurent non pertinents pour le processus de détermination de la peine et devraient être pris en compte dans un autre cadre.  En outre, le juge qui prononce la peine doit exercer son pouvoir discrétionnaire en cette matière, dans le respect des paramètres fixés par le Code criminel .  Il doit donc infliger des sanctions qui respectent les peines minimales obligatoires établies par la loi et les autres dispositions prohibant certaines sanctions à l’égard d’infractions données.

 


[64]  Je crois nécessaire d’ajouter un dernier commentaire sur le rôle de la Charte  dans la détermination de la peine.  À l’instar des autres processus établis par la loi, le système de détermination de la peine demeure assujetti aux prescriptions de la Charte  et à ses valeurs et principes fondamentaux.  Comme nous l’avons vu précédemment, suivant l’interprétation et l’application appropriées de ce régime, les tribunaux devraient être capables de régler la plupart des situations où des violations de la Charte  sont invoquées.  Toutefois cette règle générale pourrait comporter éventuellement quelques exceptions.  Bien que  je n’aie pas à trancher la question en l’espèce, je n’écarte pas la possibilité que, dans certaines circonstances exceptionnelles, une réduction de peine accordée en vertu du par. 24(1)  de la Charte  et dérogeant aux limites prescrites par la loi puisse constituer la seule réparation effective en présence d’une conduite répréhensible particulièrement grave de représentants de l’État liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant.  Dans un tel cas, la question en litige ne serait pas la validité de la disposition pertinente, mais plutôt la conduite des représentants de l’État.

 

[65]  Dans le présent pourvoi, je reconnais la gravité des actes des policiers.  La Cour d’appel n’était pas tenue de s’appuyer sur le par. 24(1)  de la Charte , mais elle a tout de même établi une peine juste et appropriée, qui tient compte de la situation du délinquant tout en respectant les paramètres fixés par le Code criminel .

 

VI.    Conclusion

 

[66]  Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi ainsi que le pourvoi incident.

 


Pourvoi et pourvoi incident rejetés.

 

Procureur de l’appelante/intimée au pourvoi incident : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

 

Procureurs de l’intimé/appelant au pourvoi incident : Dawson Stevens & Shaigec, Edmonton.

 

Procureur de l’intervenant le Directeur des poursuites pénales du Canada : Service des poursuites pénales du Canada, Toronto.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.

 

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Paliare, Roland, Rosenberg, Rothstein, Toronto.

 

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Ruby & Shiller, Toronto.


Procureurs de l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association : Parlee McLaws, Edmonton.

 

 

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