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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103

Date : 20101119

Dossier : 32850

 

Entre :

David Beckman, en sa qualité de directeur, Direction de l’agriculture,

ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources,

Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources,

et gouvernement du Yukon

Appelants / Intimés au pourvoi incident

et

Première nation de Little Salmon/Carmacks et Johnny Sam et

Eddie Skookum, en leur propre nom et au nom de tous les autres membres

de la Première nation de Little Salmon/Carmacks

Intimés / Appelants au pourvoi incident

- et -

Procureur général du Canada, procureur général du Québec,

procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador,

Conseil tribal des Gwich’in, Sahtu Secretariat Inc.,

Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) ― Administration régionale crie,

Conseil des Premières nations du Yukon, Première nation Kwanlin Dün,

Nunavut Tunngavik Inc., gouvernement tlicho,

Nations Te’Mexw et Assemblée des Premières nations

Intervenants

 

Traduction française officielle :  Motifs du juge Binnie

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 89)

 

Motifs concordants :

(par. 90 à 206)

Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)

 

La juge Deschamps (avec l’accord du juge LeBel)

 

 


 


Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103

 

David Beckman, en sa qualité de directeur,

Direction de l’agriculture, ministère de l’Énergie,

des Mines et des Ressources, Ministre de l’Énergie,

des Mines et des Ressources,

et gouvernement du Yukon                               Appelants/Intimés au pourvoi incident

c.

Première nation de Little Salmon/Carmacks et

Johnny Sam et Eddie Skookum,

en leur propre nom et au nom de tous

les autres membres de la Première

nation de Little Salmon/Carmacks                   Intimés/Appelants au pourvoi incident

et


Procureur général du Canada,

procureur général du Québec,

procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador,

Conseil tribal des Gwich’in,

Sahtu Secretariat Inc.,

Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee)/Administration régionale crie,

Conseil des Premières nations du Yukon,

Première nation de Kwanlin Dün,

Nunavut Tunngavik Inc.,

gouvernement tlicho,

Nations Te’Mexw et

Assemblée des Premières Nations                                                           Intervenants

Répertorié : Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks

 

2010 CSC 53

 

No du greffe : 32850.

 

2009 : 12 novembre; 2010 : 19 novembre.

 

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel du yukon

 

            Droit constitutionnel — Autochtones — Droits ancestraux — Revendications territoriales — Obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder les Autochtones dans le contexte d’un traité récent relatif à des revendications territoriales globales — Traité accordant aux Autochtones l’accès à leur territoire traditionnel pour y pratiquer la chasse et la pêche de subsistance — Approbation, par la Couronne, d’une demande de concession de terres agricoles dans ce territoire présentée par un non-Autochtone — La Couronne avait-elle l’obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones? — Si oui, la Couronne s’est-elle acquittée de cette obligation? — Loi constitutionnelle de 1982, art. 35 .

 

            Droit de la Couronne — Honneur de la Couronne — Obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones — La Couronne a-t-elle l’obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones avant de prendre des décisions susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur leurs revendications de titre et de droits?

 

            Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Le décideur avait-il l’obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones? — Si oui, s’est-il acquitté de cette obligation? — Loi sur les terres, L.R.Y. 2002, ch. 132; Loi du Yukon sur les terres territoriales, L.Y. 2003, ch. 17.

 

            En 1997, après 20 ans de négociations, la première nation Little Salmon/Carmacks a conclu avec les gouvernements du Canada et du Territoire du Yukon un accord sur les revendications territoriales.  Aux termes du traité, les membres de la première nation possèdent, à des fins de chasse et de pêche de subsistance, un droit d’accès à leur territoire traditionnel qui englobe une parcelle de 65 hectares à l’égard de laquelle P a fait une demande de concession de terres agricoles en novembre 2001.  La parcelle visée par la demande de P se trouve dans le territoire de piégeage de S, un membre de la première nation.

 

            La première nation rejette toute allégation que la concession d’une parcelle à P violerait le traité, qui prévoit lui-même que des terres cédées peuvent à l’occasion être prises à d’autres fins, notamment à des fins agricoles.  Mais jusqu’à ce que des terres aient été ainsi prises, les membres de la première nation accordent de l’importance à l’intérêt qu’ils conservent sur les terres cédées à la Couronne (dont les 65 hectares forment une petite partie).  La première nation soutient qu’en examinant la demande de concession de P, le gouvernement territorial a agi sans tenir la consultation requise et sans prendre en compte les préoccupations pertinentes de la première nation.

 

            Le Comité d’examen des demandes d’aliénation de terres (« CEDAT ») du gouvernement du Yukon a examiné la demande de P lors d’une réunion à laquelle étaient invités les représentants de la première nation.  Cette dernière ne s’est pas fait représenter à la réunion mais avait présenté une lettre d’opposition à la demande de P.  À la réunion, le CEDAT a recommandé l’approbation de la demande, et le directeur de la Direction de l’agriculture du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources du Yukon l’a approuvée au mois d’octobre 2004.  La première nation a fait appel de la décision auprès du sous-ministre adjoint, qui a rejeté la demande de révision.  À l’issue du contrôle judiciaire toutefois, la décision du directeur a été annulée.  Le juge siégeant en cabinet a conclu que le Yukon n’avait pas respecté son obligation de consulter et d’accommoder.  La Cour d’appel a accueilli l’appel du Yukon.

 

            Arrêt Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés.

 

            La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell : Lorsqu’un traité récent relatif aux revendications territoriales a été conclu, la première étape consiste à en examiner les dispositions et à tenter de déterminer les obligations respectives des parties et l’existence, dans le traité lui‐même, d’une forme quelconque de consultation.  Les parties peuvent s’entendre sur les modalités de la consultation, mais la Couronne ne peut se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones ― il s’agit d’une doctrine qui s’applique indépendamment de l’intention des parties, que cette intention soit expresse ou implicite dans le traité lui-même.

 

            En l’espèce, l’obligation de consulter était permanente.  Les membres de la première nation possédaient un droit, prévu expressément au traité, de pratiquer la chasse et la pêche de subsistance sur leur territoire traditionnel qui a maintenant été cédé et est considéré comme des terres de la Couronne.  Même si le traité n’empêchait pas le gouvernement de concéder des terres de la Couronne, cette possibilité y était même prévue, il était évident que cela risquait d’avoir des conséquences négatives sur les activités économiques et culturelles traditionnelles de la première nation, et le Yukon était tenu de consulter cette dernière afin de déterminer la nature et l’étendue de ces conséquences négatives.

 

            Le traité lui-même précise les éléments considérés par les parties comme constituant une consultation appropriée (lorsqu’une consultation est nécessaire).  Ces éléments comprennent un avis suffisamment détaillé concernant la question à trancher afin de permettre à la partie consultée de préparer sa position sur la question, un délai suffisant pour permettre à la partie devant être consultée de préparer sa position sur la question ainsi que l’occasion de présenter cette position à la partie obligée de tenir la consultation, et un examen complet et équitable de toutes les positions présentées, par la partie obligée de tenir la consultation.

 

            Le processus de concession de terres à des fins agricoles n’était pas régi à l’époque par les dispositions elles-mêmes du traité.  Cependant, étant donné l’existence de la cession opérée par le traité et les textes législatifs adoptés en vue de la mise en œuvre de celui-ci, ainsi que la décision des parties de ne pas incorporer dans le traité lui-même un processus de consultation plus élaboré, la portée de l’obligation de consultation dans une telle situation se situait au bas du continuum.

 

            Par conséquent, le directeur était tenu, pour se conformer à l’obligation juridique de consulter fondée sur l’honneur de la Couronne, d’être informé de la nature et de la gravité de toute incidence négative de la concession projetée et d’en tenir compte avant de prendre une décision, pour déterminer (entre autres choses) si des accommodements étaient nécessaires ou appropriés.  La consultation n’avait pas pour objet de rouvrir le traité ou de renégocier la possibilité de concéder les terres à des fins agricoles.  Cette possibilité était déjà prévue au traité.  La consultation était requise afin de faciliter la gestion de la relation importante entre le gouvernement et la communauté autochtone en conformité avec la préservation de l’honneur de la Couronne et la réalisation de l’objectif de réconciliation.

 

            En l’espèce, l’obligation de consultation a été respectée.  La première nation reconnaît avoir reçu un avis suffisant et l’information utile.  Elle a communiqué ses objections par écrit, et celles-ci ont été étudiées lors d’une réunion à laquelle la première nation avait le droit d’assister (mais à laquelle elle ne s’est pas fait représenter).  Le directeur avait pris connaissance des objections de la première nation et de la réponse fournie par les personnes présentes à la réunion lorsque, dans l’exercice de son pouvoir délégué, il a approuvé la demande de P.  L’honneur de la Couronne et l’obligation de consultation n’exigeaient rien de plus.

 

            Il n’y a eu non plus aucun manquement à l’équité procédurale.  Si l’équité procédurale est une notion souple et prend en compte les aspects qui, dans la décision que doit prendre le directeur, touchent directement les Autochtones, il n’en demeure pas moins que cette doctrine s’applique en droit administratif pour encadrer les relations entre les décideurs gouvernementaux et tous les habitants du Yukon, Autochtones comme non‐Autochtones.

 

            Si le Yukon avait une obligation de consultation, les faits de l’espèce ne donnent lieu à aucune autre obligation d’accommodement.  Le traité lui-même ou l’ensemble des circonstances ne donnent en aucun cas ouverture à une telle obligation.

 

            Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans ce cas, comme dans tous les autres cas, le directeur devait respecter des limites légales et constitutionnelles.  Les limites constitutionnelles incluaient l’honneur de la Couronne et le principe de l’obligation de consulter qui l’appuie.  La norme de contrôle à cet égard, y compris à l’égard du caractère adéquat de la consultation, est celle de la décision correcte.  Dans les limites établies par le droit et la Constitution, toutefois, la décision du directeur doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.

 

            En l’espèce, le directeur n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que la consultation menée était adéquate.  Selon l’avis reçu de ses fonctionnaires par le directeur après la consultation, les incidences de la concession de 65 hectares de terres ne seraient pas importantes.  Rien n’indique que les préoccupations de la première nation n’ont pas fait l’objet d’un examen complet et équitable de sa part.  Les documents déposés par les parties lors de la demande de contrôle judiciaire ne révèlent l’existence d’aucune erreur de fait manifeste dans sa conclusion.  Le fait qu’un tribunal judiciaire aurait éventuellement pu arriver à une conclusion différente n’est pas pertinent.  La décision d’approuver ou de ne pas approuver la concession de la parcelle de terre a été confiée par l’assemblée législative au ministre qui, de la façon habituelle, a délégué ce pouvoir au directeur.  La décision prise par ce dernier était raisonnable dans les circonstances.

 

            Les juges LeBel et Deschamps : Si, jusqu’ici, les litiges ont mis en cause une action unilatérale de la Couronne qui déclenchait une obligation de consulter dont les modalités n’avaient pas été négociées, le présent dossier indique que les parties sont maintenant passées à une autre étape.  Les processus formels de consultation font maintenant résolument partie de l’univers juridique des traités.  L’Entente définitive de Little Salmon/Carmacks n’en est qu’un exemple.  Donner leur plein effet aux stipulations d’un traité comme l’Entente définitive c’est renoncer à toute approche paternaliste à l’égard des peuples autochtones.  Il s’agit d’une façon de reconnaître leur pleine capacité juridique.  Méconnaître les stipulations d’un tel traité ne peut qu’encourager le recours aux tribunaux, nuire aux négociations futures et compromettre la réalisation de l’objectif ultime de réconciliation.

 

            Permettre à une partie de revenir unilatéralement sur son engagement constitutionnel en y superposant des droits et obligations additionnels portant sur des matières déjà prévues au traité risque de se traduire par un mépris juridique paternaliste, de compromettre le processus national de négociation de traités et de nuire à la poursuite de l’objectif ultime de réconciliation.  Voilà le péril auquel nous expose ce qui semble être une malheureuse prise en otage du principe constitutionnel d’honneur de la Couronne et du principe en découlant, l’obligation de consulter les Autochtones.

 

            Dans le cadre de la conclusion d’un traité, il n’y a rien de déshonorant pour la Couronne à s’entendre avec une communauté autochtone sur un régime détaillé et multiforme de consultation relative à l’exercice des droits de cette communauté.  Il n’y a rien non plus de déshonorant de la part de la Couronne à exiger de la partie autochtone qu’aucun régime parallèle relatif à une matière prévue au traité ne permette à celle-ci de revenir sur ses engagements.  En effet, la sécurité juridique est l’objectif premier de toutes les parties à un accord portant règlement de revendication territoriale globale.

 

            Il ne saurait y avoir de sécurité juridique si une des parties à un traité pouvait — unilatéralement et sans que cela ne soit prévu au traité — revenir sur ses engagements à l’égard d’une matière prévue à ce traité.  Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas exister de matières dont les parties n’auront pas traité et à l’égard desquelles la partie autochtone pourra ne pas avoir renoncé à d’éventuels droits ancestraux.  La sécurité juridique n’exclut pas non plus la possibilité de prévoir, dans un traité, un mécanisme équitable de réexamen.

 

            En ce sens, il devrait être évident que la meilleure façon pour les tribunaux de contribuer à ce qu’un traité favorise une longue relation positive entre parties autochtone et étatique consiste à s’assurer que les parties ne puissent revenir unilatéralement sur leurs engagements.  Et il se trouve que, en aval de sa poursuite en tant qu’objectif partagé à l’étape de la négociation, la sécurité juridique ne saurait, à l’étape de la mise en œuvre d’un traité, opérer à sens unique.  Au contraire, la sécurité des droits d’une partie implique nécessairement que celle‐ci s’acquitte de ses obligations et respecte les droits de l’autre partie.  S’étant toutes deux échinées, dans leur intérêt commun, à substituer un système juridique précis à un régime normatif incertain, la partie autochtone et la partie étatique ont toutes deux intérêt à ce que leur œuvre produise ses effets.

 

            En l’espèce, c’est justement parce que l’accord en cause traite bel et bien des différentes formes de consultation auxquelles a droit la partie autochtone concernant les droits que la Couronne veut exercer qu’il faut se garder de superposer à ce régime des droits et obligations qui lui sont étrangers, et non pas simplement parce qu’il s’agit d’un traité « moderne » constituant un accord portant règlement de revendications territoriales.

 

            Même lorsque le traité en cause est un accord portant règlement de revendications territoriales, la Cour doit d’abord dégager l’intention commune des parties, elle se prononcera ensuite sur l’application, à la partie autochtone, du régime jurisprudentiel relatif à l’obligation constitutionnelle de consultation.  Par conséquent, en présence d’un traité, l’obligation jurisprudentielle de consultation ne s’appliquera qu’en cas d’omission des parties au traité d’avoir prévu cette matière.

 

            La consultation requise lorsqu’il y a atteinte à un droit des Autochtones comportera : (1) soit les mesures prévues par le traité à cet égard; (2) soit, à défaut de telles mesures dans le traité, un degré de consultation que le régime jurisprudentiel établit.

 

            Lorsqu’un traité établit des mesures de consultation, ce que le traité a pour effet d’écarter dans un tel cas est bien l’obligation jurisprudentielle de consultation des peuples autochtones, non pas toute obligation de consulter individuellement le titulaire d’un droit pouvant découler du principe général du droit administratif qu’est l’équité procédurale.

 

            Les tribunaux ne sont pas aveugles aux omissions ou lacunes des parties au traité en matière de consultation et l’obligation jurisprudentielle de consultation pourrait toujours s’appliquer pour combler cette lacune.  Mais aucune lacune de ce genre ne peut être constatée dans la présente affaire.

 

            Il serait possible, sur la seule base de ces considérations d’ordre général, de rejeter l’appel principal.

 

            Cependant, les dispositions de l’Entente définitive confirment elles aussi cette conclusion. L’Entente définitive comporte des dispositions générales et interprétatives qui ont été reprises de l’Accord-cadre.  Plus exactement, ce régime a d’abord été élaboré par les parties à l’Accord-cadre, puis repris par les parties aux différentes ententes définitives conclues conformément aux stipulations de cet accord.  Advenant toute incompatibilité, ce régime l’emporte sur les principes dégagés par la jurisprudence en matière d’interprétation de traités conclus par les gouvernements et les peuples autochtones.

 

            Ces dispositions interprétatives et générales posent aussi certaines normes relatives aux rapports qu’entretiennent l’Accord-cadre et toute entente définitive conclue conformément à ses stipulations, non seulement entre eux, mais avec le reste du droit également.  Ces normes peuvent être résumées par le principe selon lequel l’Entente définitive l’emporte sur toute autre règle de droit infraconstitutionnel, sous réserve du fait que ses dispositions ne doivent pas être interprétées d’une manière portant atteinte aux droits des Indiens du Yukon en tant que citoyens canadiens ni à leur droit de jouir de tous les droits, avantages et protections reconnus aux autres citoyens.  En somme, donc, sauf exception le traité se substitue aux droits ancestraux relativement aux matières dont il dispose et il a préséance, en cas d’incompatibilité, sur le reste du droit infraconstitutionnel.

 

            En ce qui a trait à la relation entre le traité en cause et le reste de notre droit constitutionnel au-delà du seul régime jurisprudentiel des droits ancestraux, un tel traité ne saurait évidemment à lui seul modifier la Constitution du Canada.  Autrement dit, l’Entente définitive ne contient pas de dispositions qui auraient une incidence sur le principe général selon lequel l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel ne s’appliquera qu’en cas d’omission des parties au traité d’avoir prévu cette matière.  En effet, tout dépendra de ce que les parties auront ou non convenu sur la question, auquel cas le traité, sauf bien sûr renvoi à l’effet contraire dans celui-ci, aura écarté l’application entre les parties de tout régime parallèle, y compris le régime jurisprudentiel.

 

            En l’espèce, les parties ont prévu, dans le traité des dispositions concernant la consultation sur la question précise du droit de la Couronne de céder de ses terres à la suite d’une demande comme celle de P.

 

            La demande de P constituait un projet soumis au processus d’évaluation prévu au chapitre 12 de l’Entente définitive.  Ce processus n’avait pas été mis en œuvre, mais le chapitre 12 l’avait été, y compris les règles de droit provisoire y figurant.  En vertu de ces règles, tout processus existant d’évaluation des activités de développement demeurait en vigueur.  Ces processus prévoyaient non seulement la consultation de la nation autochtone concernée, mais aussi sa participation à l’évaluation du projet.  Une telle participation impliquait un niveau de consultation supérieur à celui qui aurait été fondé sur l’obligation faite par la jurisprudence à cet égard.  En conséquence, rien, en l’espèce, ne saurait justifier le recours à une obligation externe à celle prévue par l’Entente définitive.

 

            De plus, les dispositions du chapitre 16 qui concernent la gestion des ressources halieutiques et fauniques instaurent un régime par lequel les premières nations sont généralement invitées à participer à la gestion de ces ressources sur une base prédécisionnelle.  Notamment, l’invitation qui leur est faite de proposer des plans de gestion des ressources halieutiques et fauniques peut être considérée comme une consultation.

 

            À certains égards, la conduite des autorités territoriales soulève des interrogations.  C’est notamment le cas en ce qui a trait au fait que le directeur n’a signifié que le 27 juillet 2005 à la première nation sa décision du 18 octobre 2004.  En vertu du par. 81(1)  de la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon , L.C. 2003, ch. 7 , (« LÉESY  »), le « bureau désigné » et, le cas échéant, le comité de direction de la Commission d’évaluation des activités de développement du Yukon auraient eu droit de recevoir une copie de cette décision, et ce, on peut le supposer, à l’intérieur d’un délai raisonnable.  L’équivalent fonctionnel du bureau désigné est ici le Comité d’examen des demandes d’aliénation de terres (« CEDAT »).  Même si les représentants de la première nation ne se sont pas présentés à la réunion du 13 août 2004, on se serait attendu à ce que le directeur informe cette première nation de sa décision dans un délai raisonnable.  Ce délai, survenu après la décision, n’a cependant pas affecté la qualité de la consultation préalable.

 

            La décision qu’a prise l’administration territoriale, au terme de l’examen préalable, de poursuivre le traitement de la demande de P malgré la consultation qui avait cours dans le cadre du plan de gestion des ressources halieutiques et fauniques de la première nation n’est pas davantage un exemple de bonne pratique.  Cependant, la première nation n’a pas exprimé cette préoccupation dans sa lettre du 27 juillet 2004 à la Direction des Terres du Yukon.  De plus, comme le démontre le procès-verbal de la réunion du 13 août 2004, les préoccupations de la première nation concernant la conservation des ressources ont été prises en considération.  Au surplus, la consultation qui avait cours dans le cadre du plan de gestion des ressources halieutiques et fauniques était beaucoup plus limitée que celle à laquelle donnait droit la participation de la première nation au CEDAT qui était chargé d’évaluer le projet spécifique faisant l’objet du présent pourvoi.  De surcroît, la première nation, le conseil des ressources renouvelables et le ministre ne s’étaient pas entendus sur la suspension provisoire du traitement de toute demande d’aliénation de terres dans la région visée.

 

            Au-delà de ces aspects critiquables du cheminement de la demande de P, l’ensemble des faits révèle que les intimés ont reçu des appelants ce à quoi ils avaient droit de la part de ceux‐ci en matière de consultation à titre de première nation.  En réalité, ils ont même obtenu à certains égards davantage que ce que leur aurait procuré la LÉESY .

 

            Le seul droit qu’aurait obtenu la première nation en vertu de la LÉESY  est celui d’être entendue à titre de personne intéressée par le bureau de circonscription.  Il s’agissait là d’une consultation minimale, alors que la première nation a été invitée à participer directement, à titre d’évaluateur membre du CEDAT, à l’évaluation de la demande de P.

 

            Il est vrai que les représentants de la première nation ne se sont pas présentés à la réunion du 13 août 2004.  Cela est survenu sans qu’ils ne préviennent au préalable les autres membres du CEDAT et sans demander l’ajournement de la réunion mais alors qu’ils avaient fait des commentaires par lettre.

 

            Par conséquent, le processus qui a mené à la décision du 18 octobre 2004 relativement à la demande de P respectait les dispositions de droit provisoire prévues au chapitre 12 de l’Entente définitive.  Il n’existe aucun motif juridique permettant de conclure que l’obligation de consultation de la Couronne a été violée.

Jurisprudence

Citée par le juge Binnie

 

            Arrêts examinés : R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771; arrêts appliqués : Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557; arrêts mentionnés : Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; R. c. Taylor (1981), 62 C.C.C. (2d) 227, autorisation d’appel refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256.

 

Citée par la juge Deschamps

 

            Arrêt examiné : Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; arrêts mentionnés : Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. The King, [1950] R.C.S. 211; Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; Mitchell c. M.R.N., 2001 CSC 33, [2001] 1 R.C.S. 911; R. c. White (1964), 50 D.L.R. (2d) 613, conf. par (1965), 52 D.L.R. (2d) 481; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; Province of Ontario c. Dominion of Canada (1895), 25 R.C.S. 434; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771; R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456; Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 R.C.S. 746.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés .

 

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale , L.C. 1992, ch. 37 .

 

Loi constitutionnelle de 1867 , partie VI.

 

Loi constitutionnelle de 1982 , art. 25 , 35 , 52 , partie V.

 

Loi du Yukon sur les terres territoriales, L.Y. 2003, ch. 17.

 

Loi sur l’évaluation environnementale, L.Y. 2003, ch. 2 [abr. D. 2005/202, (2006) 25 Gaz. Y. II, 32].

 

Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon , L.C. 2003, ch. 7 , art. 2(1)  « territoire », 5, 8, 20(1), 23(1), 47(2), 50(1), 55(1)b), 55(4), 60, 63, 81(1), 82(1), 83(1), 84(1), 122c), 134.

 

Loi sur la faune, L.R.Y. 2002, ch. 229, art. 13(1), 82, 187.

 

Loi sur le règlement des revendications territoriales des premières nations du Yukon , L.C. 1994, ch. 34 , art. 5 , 6(2) , 13 .

 

Loi sur les Indiens , L.R.C. 1985, ch. I-5 .

 

Loi sur les terres, L.R.Y. 2002, ch. 132, art. 7(1)a).

 

Proclamation royale (1763), L.R.C. 1985, app. II, no 1.

 

Règlement sur les activités susceptibles d’évaluation, les exceptions et les projets de développement soumis au comité de direction, DORS/2005‐379, art. 2, 5, ann. 1, partie 13, art. 27.

Traités et ententes

 

Accord-cadre définitif entre le gouvernement du Canada, le Conseil des Indiens du Yukon et le gouvernement du Yukon (1993).

 

Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975).

 

Entente définitive de la Première nation de Little Salmon/Carmacks, 1 juillet 1997 (en ligne : http://www.ainc-inac.gc.ca/al/ldc/ccl/fagr/ykn/slmon/lsfa/lsfa-fra.pdf).

 

Traité n8 (1899).

 

Traité no 11 (1921).

 

Doctrine citée

Canada.  Affaires indiennes et du Nord.  Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones.  Ottawa : Affaires indiennes et du Nord Canada, 1993.

 

Grammond, Sébastien.  Aménager la coexistence : Les peuples autochtones et le droit canadienCowansville, Qué. : Yvon Blais, 2003.

 

Newman, Dwight G. The Duty to Consult : New Relationships with Aboriginal PeoplesSaskatoon : Purich Publishing, 2009.

 

Saint-Hilaire, Maxime.  « La proposition d’entente de principe avec les Innus : vers une nouvelle génération de traités? » (2003), 44 C. de D. 395.

 

Stevenson, Mark L.  « Visions de certitude : question d’hypothèses », dans Commission du droit du Canada, dir., Parlons franchement à propos des traités.  Ottawa : Ministère des travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, 2001, 123.

 

Williams, Robert A.  Linking Arms Together : American Indian Treaty Visions of Law and Peace, 1600-1800.  New York : Oxford University Press, 1997.

 

Yukon.  Agriculture for the 90s : A Yukon Policy. Whitehorse : Yukon Government, 1991.

            POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel du Yukon (les juges Newbury, Kirkpatrick et Tysoe), 2008 YKCA 13, 296 D.L.R. (4th) 99, 258 B.C.A.C. 160, 434 W.A.C. 160, [2008] 4 C.N.L.R. 25, 71 R.P.R. (4th) 162, [2008] Y.J. No. 55 (QL), 2008 CarswellYukon 62, qui a infirmé une décision du juge Veale, 2007 YKSC 28, [2007] 3 C.N.L.R. 42, [2007] Y.J. No. 24 (QL), 2007 CarswellYukon 18, annulant l’approbation de la demande de concession de terres. Pourvoi et pourvoi incident rejetés.

 

            Brad Armstrong, c.r., Keith Bergner, Penelope Gawn et Lesley McCullough, pour les appelants/intimés au pourvoi incident.

 

            Jean Teillet, Arthur Pape et Richard B. Salter, pour les intimés/appelants au pourvoi incident.

 

            Mitchell R. Taylor, c.r., pour l’intervenant le procureur général du Canada.

 

            Hugues Melançon et Natacha Lavoie, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

 

            Rolf Pritchard et Justin S. C. Mellor, pour l’intervenant le procureur général de Terre‐Neuve‐et‐Labrador.

 

            Brian A. Crane, c.r., pour les intervenants le Conseil tribal des Gwich’in et Sahtu Secretariat Inc.

 

            Jean‐Sébastien Clément et François Dandonneau, pour l’intervenant le Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee)/Administration régionale crie.

 

            James M. Coady, Dave Joe et Daryn R. Leas, pour l’intervenant le Conseil des Premières nations du Yukon.

 

            Joseph J. Arvay, c.r., et Bruce Elwood, pour l’intervenante la Première nation de Kwanlin Dün.

 

            James R. Aldridge, c.r., et Dominique Nouvet, pour l’intervenante Nunavut Tunngavik Inc.

 

            John Donihee, pour l’intervenant le gouvernement tlicho.

 

            Robert J. M. Janes et Karey M. Brooks, pour l’intervenante les Nations Te’Mexw.

 

            Peter W. Hutchins et Julie Corry, pour l’intervenante l’Assemblée des Premières Nations.

 

            Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par

 

[1]                              Le juge Binnie — Ce pourvoi soulève d’importantes questions touchant l’interprétation et la mise en œuvre des traités récents relatifs à des revendications territoriales globales conclus entre la Couronne, les Premières Nations et d’autres paliers de gouvernement.

[2]                              Le traité en cause en l’espèce est l’Entente définitive de la Première nation de Little Salmon/Carmacks (le « traité PNLSC »), finalisée en 1996 et ratifiée par les membres de la première nation en 1997.  Le traité PNLSC s’inscrit dans une série de 11 traités découlant et assurant la mise en œuvre d’un accord‐cadre signé en 1993 après 20 ans de négociations entre des représentants de l’ensemble des premières nations du Yukon et les gouvernements fédéral et territorial.  Il s’agissait d’une réalisation des plus imposantes.  Ces traités sont visés par l’art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 , qui accorde une protection constitutionnelle aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada.

[3]                              Le litige concerne une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le gouvernement territorial du Yukon a approuvé, le 18 octobre 2004, la concession à un habitant du Yukon nommé Larry Paulsen de 65 hectares de terres cédées.  La parcelle en question est contiguë aux terres visées par le règlement de la Première nation de Little Salmon/Carmacks (« PNLSC »), et fait partie de son territoire traditionnel, auquel ses membres ont un droit d’accès issu d’un traité à des fins de chasse et de pêche de subsistance.  En raison de ce litige, M. Paulsen attend toujours le résultat de sa demande de concession de terre présentée le 5 novembre 2001.

[4]                              La première nation rejette toute allégation suivant laquelle la concession de la parcelle à M. Paulsen violerait le traité PNLSC, qui lui‐même prévoit que des terres cédées peuvent à l’occasion être prises à d’autres fins, notamment à des fins agricoles.  Mais jusqu’à ce que des terres aient été ainsi prises, les membres de la PNLSC conservent un intérêt issu d’un traité relativement aux terres de la Couronne cédées (dont les 65 hectares forment une petite partie), à l’égard desquelles ils ont un droit d’accès issu d’un traité à des fins de chasse et de pêche de subsistance.  La PNLSC soutient que le gouvernement territorial a agi sans effectuer la consultation requise et sans tenir compte des préoccupations pertinentes de la première nation.  Selon elle, la décision du 18 octobre 2004 approuvant la concession de terres à M. Paulsen devrait être annulée.

[5]                              Le gouvernement territorial réplique qu’aucune consultation n’était exigée.  Le traité PNLSC constitue, dit‐il, un code complet.  Il est question de consultation à plus de 60 endroits différents dans le traité, mais jamais à propos d’une demande de concession de terres.  Lorsque l’obligation de consulter n’est pas spécifiquement mentionnée, dit le gouvernement, elle est exclue.

[6]                              Le pourvoi s’inscrit donc dans le contexte important d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision que le gouvernement territorial devait prendre en tenant compte des contraintes applicables qu’imposent tant le droit constitutionnel que le droit administratif.  La Cour d’appel du Yukon a conclu, comme le juge de première instance, que le traité PNLSC n’excluait pas l’obligation de consulter, bien que le contenu de cette obligation se situait en l’espèce au bas du continuum (2007 YKSC 28; 2008 YKCA 13).  La Cour d’appel a ensuite conclu, en désaccord sur ce point avec le juge de première instance, que selon les faits, le gouvernement s’était acquitté de son obligation de consulter.

[7]                              J’estime moi aussi que l’obligation de consulter n’était pas exclue par le traité PNLSC, même si les clauses de ce dernier étaient pertinentes à l’égard de l’exercice, par le gouvernement territorial, de son pouvoir discrétionnaire, à l’instar d’autres principes du droit administratif et du droit des Autochtones, comme nous le verrons.  Mais devant les faits relatifs à la demande de M. Paulsen, je suis d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle la première nation n’a pas réussi à démontrer le bien‐fondé de ses arguments.  La première nation a été avisée longtemps d’avance de la demande de M. Paulsen; on lui a fourni une documentation adéquate et on lui a donné le moyen de faire connaître ses préoccupations au décideur.  La PNLSC a communiqué ses objections par écrit, et celles‐ci ont été étudiées lors d’une réunion à laquelle la première nation avait le droit d’assister (mais à laquelle elle ne s’est pas fait représenter).  L’appelant avait pris connaissance des objections soulevées par la première nation et de la réponse fournie par les personnes présentes à la réunion lorsque, dans l’exercice de son pouvoir délégué, il a approuvé la demande de M. Paulsen.  Vu les dispositions relatives à la consultation contenues au traité, l’honneur de la Couronne a été préservé et il n’y a eu aucun manquement à l’obligation de consultation.  Il n’y a eu non plus aucun manquement à l’équité procédurale.  On ne peut en outre affirmer que l’appelant a agi de manière déraisonnable en prenant la décision qu’il a prise.  Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et le pourvoi incident.

I.       Vue d’ensemble

 

[8]                              Dans le passé, les traités ont constitué le moyen par lequel la Couronne s’est efforcée de faire accepter aux habitants autochtones de ce qui est maintenant le Canada l’affirmation de la souveraineté européenne sur les territoires traditionnellement occupés par les Premières Nations.  L’objectif ne consistait pas seulement à construire des alliances avec celles‐ci, mais à maintenir la paix et à ouvrir la majeure partie de ces territoires à la colonisation.  Aucun traité n’a été signé avec les premières nations du Yukon avant l’ère moderne.

[9]                              Contrairement aux traités historiques, les traités récents portant sur des revendications globales sont le fruit de longues négociations entre des parties qui sont averties et disposent de ressources importantes.  Le coût énorme de la négociation des divers traités, pour les premières nations du Yukon, a été financé par le gouvernement fédéral au moyen de prêts remboursables.  Pour la seule PNLSC, le coût a dépassé les sept millions de dollars.  En vertu des traités du Yukon, les premières nations du Yukon ont cédé leurs droits ancestraux sur presque 484 000 kilomètres carrés, soit environ la superficie de l’Espagne, contre des droits définis par traités au chapitre de la tenure et une certaine quantité de terres visées par le règlement (41 595 kilomètres carrés), l’accès aux terres de la Couronne, à la récolte de poissons et d’animaux sauvages et aux ressources patrimoniales, une indemnisation pécuniaire et la participation à la gestion des ressources publiques.  À cette fin, le traité PNLSC établit d’importantes institutions d’autonomie gouvernementale et des autorités comme l’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon et le Conseil des ressources renouvelables de Carmacks, dont les membres sont désignés conjointement par la première nation et le gouvernement territorial.

[10]                          La réconciliation des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel : voilà le noble objectif de l’art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  Les traités récents, y compris ceux en cause en l’espèce, tentent de contribuer à la réalisation de cet objectif de réconciliation, non seulement en répondant aux griefs relatifs aux revendications territoriales, mais en créant le fondement juridique propre à favoriser une relation à long terme harmonieuse entre les collectivités autochtones et non autochtones.  Une application judicieuse du traité aidera à aplanir, sans nécessairement les éliminer, certains des malentendus et des doléances qui ont caractérisé le passé.  Mais comme le montrent les faits de la présente affaire, l’objectif du traité ne pourra être atteint si les responsables territoriaux l’interprètent de façon mesquine ou comme s’il s’agissait d’un banal contrat commercial.  Le traité vise tout autant l’établissement de relations que la résolution des griefs du passé.  L’avenir est plus important que le passé.  Un canoteur qui souhaite avancer regarde devant lui, non derrière.

[11]                          La PNLSC doit cependant reconnaître du même coup que les 34 millions de dollars et les autres avantages qu’elle a reçus en échange de la cession autorisent le gouvernement territorial à faire preuve d’une certaine souplesse dans l’utilisation à d’autres fins des terres cédées.

[12]                          Par leur complexité et leur caractère détaillé, les traités récents marquent un énorme progrès, à la fois par rapport aux traités historiques antérieurs à la Confédération tels les traités de 1760 et 1761 en cause dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, et par rapport aux traités postérieurs à la Confédération tel le Traité no 8 (1899) dont il est question dans R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, et dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388.  Les traités historiques, habituellement formulés en termes nobles d’une grande généralité, étaient souvent ambigus.  Les tribunaux se sont ainsi vus forcés de recourir à des principes généraux (comme l’honneur de la Couronne) pour pallier les lacunes et parvenir à un résultat équitable.  En revanche, si les ententes récentes sur des revendications territoriales globales — que l’on pourrait sans doute faire remonter à la Convention de la Baie‐James et du Nord québécois (1975) — doivent elles aussi être interprétées et appliquées en conformité avec l’honneur de la Couronne, elles étaient néanmoins censées procurer une certaine précision quant aux droits et obligations relatifs à la propriété et à la gouvernance.  Au lieu d’instituer des mécanismes ponctuels facilitant la réconciliation, les traités récents visent à inscrire les relations entre Autochtones et non‐Autochtones dans le système juridique général, avec les avantages que cela présente au plan de la continuité, de la transparence et de la prévisibilité.  Il appartient aux parties, lorsque l’application des traités suscite des difficultés, d’agir de façon diligente pour faire valoir leurs intérêts respectifs.  Une bonne gouvernance suppose que les décisions soient prises en temps opportun.  Dans la mesure où le gouvernement territorial du Yukon plaide que les traités du Yukon constituent un nouveau départ et non pas simplement un prolongement du statu quo, je crois qu’il a raison.  Toutefois, comme le juge Veale l’a si justement fait remarquer en première instance, le nouveau départ ne représente qu’une étape mais une étape très importante dans le long voyage de la réconciliation (par. 69).

[13]                          Comme je l’ai indiqué, le traité PNLSC conférait expressément aux membres de la première nation, dans le cas présent, un droit de chasse et de pêche de subsistance sur leurs terres ancestrales, qui ont fait l’objet d’une cession et sont maintenant considérées comme des terres de la Couronne.  Même si le traité n’interdisait pas aux autorités d’octroyer des terres faisant partie des terres de la Couronne, — en fait, cette possibilité y était envisagée — il était évident que cela risquait d’avoir des conséquences négatives sur les activités économiques traditionnelles de la PNLSC, et le gouvernement territorial était tenu de consulter cette dernière afin de déterminer la nature et l’étendue de ces conséquences négatives.

[14]                          Le décideur délégué en vertu de la loi était l’appelant David Beckman, le directeur de la Direction de l’agriculture du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources du Yukon.  Il était autorisé, sous réserve des clauses du traité, à concéder des terres non visées par un règlement en vertu de la Loi sur les terres, L.R.Y. 2002, ch. 132, et de la Loi du Yukon sur les terres territoriales, L.Y. 2003, ch. 17.  Selon la première nation, le directeur était obligé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’approuver la concession de terres, de tenir compte des préoccupations de la première nation et de tenir des consultations.  C’est exact.  Mais la première nation va trop loin lorsqu’elle prétend imposer au gouvernement territorial non seulement la protection procédurale qu’offre la consultation, mais également le respect d’un droit substantif à l’accommodement.  La première nation se plaint de ce que ses préoccupations n’ont pas été prises au sérieux — sinon, dit‐elle, la demande de M. Paulsen aurait été rejetée.  Elle se trouve ainsi à élargir indûment l’obligation de consulter en l’espèce.  La première nation ne jouit pas d’un droit de veto à l’égard du processus d’approbation.  Aucun droit semblable n’est prévu par le traité ni par le droit commun, constitutionnel ou autre.  La demande de M. Paulsen est demeurée en suspens pendant près de trois ans avant d’être finalement approuvée.  Elle concernait une parcelle relativement petite de 65 hectares dont l’utilisation à des fins agricoles, suivant l’avis reçu par le directeur — un avis qu’il était en droit d’accepter — n’aurait aucune incidence négative notable sur les intérêts de la première nation.

[15]                          Contrairement à la situation dans Première nation crie Mikisew, où un accommodement était possible par la modification du tracé de la route hivernale projetée, dans la présente affaire, la décision consistait purement et simplement, pour le directeur appelant, à accorder ou à rejeter la demande modifiée de M. Paulsen.  Il disposait de l’information pertinente.  Les représentants de la première nation et le directeur (en tant que décideur) n’étaient pas tenus de se rencontrer pour tenir des consultations.  Je suis d’avis que la décision était raisonnable, compte tenu des termes du traité, et que le directeur, lorsqu’il l’a prise, n’a en aucun cas écarté l’obligation de tenir des consultations, la justice naturelle ou l’équité procédurale.  Il n’existait aucun obstacle constitutionnel à l’approbation de la demande de M. Paulsen, et du point de vue du droit administratif, le résultat entrait dans la gamme des résultats raisonnables.

II.      Les faits

 

[16]                          Le 5 novembre 2001, Larry Paulsen a présenté une demande de concession de 65 hectares de terres agricoles.  Il projetait de cultiver du fourrage, de construire quelques bâtiments et d’élever du bétail.  La façon de traiter de telles demandes était énoncée dans une politique du gouvernement territorial antérieure au traité, intitulée Agriculture for the 90s :  A Yukon Policy (1991) (la « Politique agricole pour 1991 »).

[17]                          La Direction de l’agriculture et la Direction des terres ainsi que le Secrétariat des revendications territoriales (le personnel de tous ces services étant formé de fonctionnaires territoriaux) ont procédé à un examen préliminaire de la demande de M. Paulsen (devenue depuis un « plan de développement agricole »), afin de vérifier si la demande était complète et respectait les politiques gouvernementales en vigueur.

[18]                          La demande de M. Paulsen a ensuite été transmise au Comité d’examen des demandes concernant les terres agricoles (« CEDTA »), où elle devait faire l’objet d’un examen technique plus approfondi par divers fonctionnaires du Yukon.  Institué en vertu de la Politique agricole pour 1991, le CEDTA est antérieur au traité et n’a rien à voir avec celui‐ci.  Les fonctionnaires du CEDTA ont recommandé à M. Paulsen de redélimiter sa parcelle de terre de façon à n’y inclure que la partie du terrain formant terrasse en retrait du fleuve Yukon, pour des raisons liées aux caractéristiques du sol et à des préoccupations non précisées concernant l’environnement, la faune et la flore ainsi que le piégeage.  M. Paulsen s’est conformé à cette recommandation.

[19]                          Le 24 février 2004, le CEDTA a recommandé que la demande de M. Paulsen, ainsi redélimitée, soit soumise au palier d’examen supérieur, soit celui du Comité d’examen des demandes d’aliénation de terres (« CEDAT »), où siègent des représentants des premières nations.  Le CEDAT exerçait des fonctions prévues à la Politique agricole pour 1991 et il n’avait lui non plus rien à voir avec les traités.

[20]                          Il faut aussi mentionner la Commission de gestion des ressources halieutiques et fauniques — un organe constitué par le traité dont les membres sont désignés par la première nation et le gouvernement du Yukon — qui, en août 2004 (soit pendant que la demande de M. Paulsen était toujours à l’étude) a adopté un plan de gestion des ressources halieutiques et fauniques (« PGRHF ») faisant état de la nécessité de protéger la faune et son habitat dans la région du fleuve Yukon où se trouvent les terres demandées par M. Paulsen.  Il y était proposé qu’une superficie de quelque 10 000 hectares soit désignée comme région de protection de l’habitat sous le régime de la Loi sur la faune, L.R.Y. 2002, ch. 229.  Était en outre reconnue dans le PGRHF la nécessité de préserver la capacité de la première nation de transmettre sa culture et ses traditions aux nouvelles générations en leur donnant l’occasion de participer à des activités traditionnelles.  Le PGRHF ne prévoyait cependant pas le gel des approbations de concession de terres agricoles dans la région jusqu’à ce qu’il ait été donné suite aux propositions contenues dans le plan.

[21]                          Le territoire de piégeage no 143 a été enregistré au nom de Johnny Sam, un membre de la PNLSC.  Ce territoire de piégeage appartient à une catégorie administrée par le gouvernement du Yukon, et non par la première nation.  Johnny Sam l’utilise comme gagne‐pain partiel et comme une base où ses petits‐enfants ainsi que d’autres jeunes de la première nation s’y entraînent aux méthodes de piégeage et y apprennent à vivre des ressources de la nature.  Le territoire de piégeage s’étend sur une superficie d’environ 21 435 hectares.  Comme l’a relevé la Cour d’appel, la parcelle de 65 hectares visée par la demande de M. Paulsen correspond approximativement à un tiers de un pour cent du territoire de piégeage en question.  Une partie du territoire de piégeage avait déjà été détériorée par un incendie de forêt, ce qui, pour la PNLSC, avait pour effet de rendre plus onéreuse la perte de 65 autres hectares.  La grande incidence des concessions de terres, prises individuellement ou cumulativement, constituait à juste titre pour le CEDAT un élément important de la consultation et, en définitive, une considération pertinente que le directeur devait prendre en compte pour rendre sa décision.

[22]                          Le CEDAT devait se réunir le 13 août 2004 pour discuter de la demande de M. Paulsen.  La première nation en a été avisée; elle a été invitée à présenter des observations avant la réunion et à participer à la discussion en sa qualité de membre du CEDAT.

[23]                          Le 27 juillet 2004, la première nation a exprimé par lettre son opposition à la demande de M. Paulsen.  La lettre faisait état de préoccupations touchant les incidences sur le territoire de piégeage no 143, la récolte de bois dans les environs, la perte d’animaux pour la chasse dans la région et certains sites d’intérêt culturel et patrimonial.  La lettre de la première nation ne faisait pas mention des préoccupations de Johnny Sam concernant la transmission de la culture, ni du PGRHF.  Il y était simplement écrit que [traduction] « [l]a conjugaison d’incidences relatives à l’agriculture et à la récolte de bois sur ce territoire de piégeage déjà détérioré aurait certainement un effet dissuasif notable quant à la possibilité pour le trappeur de continuer à se livrer à ses activités traditionnelles » (d.a., vol. II, p. 22).

[24]                          Aucun représentant de la PNLSC n’était présent à la réunion du 13 août 2004.  Susan Davis, la personne qui représentait habituellement la première nation, n’a pu y assister pour des raisons non précisées.  La réunion a eu lieu comme prévu.

[25]                          Les membres du CEDAT qui étaient présents (principalement des fonctionnaires du gouvernement territorial) ont étudié la demande de M. Paulsen et en ont recommandé l’approbation de principe.  Le procès‐verbal de la réunion du 13 août indique que le CEDAT a bel et bien pris en considération les préoccupations exprimées par la PNLSC dans sa lettre du 27 juillet 2004.  Les personnes présentes à la réunion sont arrivées à la conclusion que la perte de 65 hectares aurait une incidence minime sur le territoire de piégeage no 143, du fait que la demande de M. Paulsen visait une très petite partie du territoire en question.  Elles ont signalé que Johnny Sam pouvait, en vertu du chapitre 16 du traité PNLSC, demander une indemnisation pour toute diminution de la valeur du territoire de piégeage.  Le CEDAT a recommandé qu’on procède à une reconnaissance archéologique au sujet des sites d’intérêt patrimonial et culturel.  (Une évaluation archéologique a été effectuée par la suite, et selon le rapport en date du 2 septembre 2004, elle n’a permis l’identification d’aucun site sur lequel l’octroi de la parcelle aurait des incidences négatives.)

[26]                          Le 8 septembre 2004, des représentants de la première nation ont rencontré les fonctionnaires de la Direction de l’agriculture qui procédaient à un examen de la politique agricole.  Cette rencontre n’a pas porté spécifiquement sur la demande de M. Paulsen.  La première nation a tout de même signalé que ses préoccupations n’avaient pas été prises au sérieux.  Les fonctionnaires ont répondu qu’ils tiennent des consultations sur ces questions dans le cadre du CEDAT, mais que l’Entente définitive ne les obligeait pas à tenir des consultations sur de telles questions.  C’est uniquement par courtoisie, ont‐ils dit, qu’on avait tenu des réunions et des discussions avec la première nation.

[27]                          Le 18 octobre 2004, le Directeur a approuvé la demande de M. Paulsen et lui a envoyé une lettre pour l’en informer.  Il n’a pas avisé la PNLSC de sa décision, ce qu’il aurait dû faire.

[28]                          N’étant apparemment pas au courant de l’approbation de la demande de M. Paulsen, la première nation a continué à manifester son opposition par une série de lettres adressées par le chef Eddie Skookum au gouvernement du Yukon.  Johnny Sam a lui aussi écrit des lettres dans lesquelles il faisait part de son opposition.  Les fonctionnaires semblent avoir tu le fait que le directeur avait déjà décidé d’approuver la concession de la parcelle de terre.  Cette omission a eu pour effet malheureux de miner la communication opportune entre les parties.

[29]                          Au cours de l’été 2005, Susan Davis, la représentante de la première nation, a demandé à la Direction de l’agriculture où en était le dossier.  On lui a confirmé que la demande de M. Paulsen avait déjà été approuvée et on lui a fait parvenir une copie de la lettre d’approbation du 18 octobre 2004.

[30]                          En réponse, la première nation, par une lettre du 24 août 2005, a fait appel de la concession de la parcelle à M. Paulsen auprès du sous‐ministre adjoint.

[31]                          Le 12 décembre 2005, la demande d’examen de la décision a été rejetée au motif que la première nation n’avait aucun droit d’appel, puisqu’en vertu du mandat du CEDAT, elle était un membre de ce comité et non simplement un intervenant.  Il est précisé dans ce mandat que seuls les demandeurs ou les intervenants peuvent former un appel.  Le mandat ne trouvait aucun fondement dans un texte législatif ou un traité, mais le gouvernement du Yukon considérait tout de même qu’il liait tant le gouvernement que la première nation.

[32]                          Irritée par la démarche du gouvernement territorial qui, selon elle, dénaturait et bafouait gravement les relations entre le gouvernement et la PNLSC, la première nation a présenté la demande de contrôle judiciaire à l’origine du pourvoi.

III.    Analyse

 

[33]                          Par la décision d’inscrire à l’art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982  la reconnaissance et la confirmation des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones, les dirigeants politiques du Canada s’engageaient à protéger et à préserver un espace constitutionnel permettant aux Autochtones d’être des Autochtones.  Mais l’existence de leur héritage autochtone ne fait pas en sorte que les Autochtones cessent d’être des citoyens qui participent pleinement avec les autres Canadiens à leur gouvernance collective.  Cette dualité est particulièrement frappante au Yukon, où environ 25 pour 100 de la population se réclame d’une identité autochtone.  Le gouvernement territorial, élu en partie par les Autochtones, représente tout autant ces derniers que les non‐Autochtones, même si la culture et la tradition autochtones conservent maintenant et pour l’avenir leur caractère distinctif.

[34]                          À la base du présent pourvoi, il y a la nécessité de respecter non seulement les droits et les attentes raisonnables de Johnny Sam et d’autres membres de sa communauté, mais aussi ceux d’autres habitants du Yukon, y compris les Autochtones et Larry Paulsen, relativement à un bon gouvernement.  Les traités du Yukon visent notamment à substituer à des procédures ponctuelles coûteuses en temps et en argent des mécanismes juridiques mutuellement acceptés qui sont efficaces tout en étant équitables.

[35]                          Je crois que l’existence de l’intérêt de Larry Paulsen dans la présente situation revêt une importance considérable.  Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Première nation crie Mikisew, où le litige opposait le gouvernement fédéral et la Première nation crie Mikisew au sujet du tracé d’une route hivernale, M. Paulsen a présenté sa demande en qualité de simple citoyen ayant droit à une décision gouvernementale prise conformément à l’équité procédurale dans un délai raisonnable.  Par ailleurs, le droit du trappeur Johnny Sam constituait un avantage dérivé qu’il tenait de l’intérêt collectif de la première nation dont il était membre.  Je suis d’accord avec la cour d’appel pour dire qu’il n’était pas, à titre individuel, une partie nécessaire à la consultation.

A.     Le traité PNLSC présente un juste équilibre des intérêts

 

[36]                          Aux termes du traité, la PNLSC a renoncé à la totalité de ses droits, titres et intérêts ancestraux non précisés concernant son territoire traditionnel, en échange de quoi elle a reçu :

                    [traduction]

•     un titre à l’égard d’une superficie de 2 589 kilomètres carrés de « terres visées par le règlement » [chapitres 9 et 15];

      une indemnisation pécuniaire de 34 179 210 $ [chapitre 19];

      une possibilité de partage des redevances [chapitre 23];

      des mesures de développement économique [chapitre 22];

      des droits d’accès aux terres de la Couronne (à l’exception de celles faisant l’objet d’un contrat de vente, d’un permis ou d’un bail de surface) [chapitre 6];

      des zones spéciales de gestion [chapitre 10];

      la protection de l’accès aux terres visées par le règlement [art. 6.2.7];

      des droits relatifs à la récolte des ressources halieutiques et fauniques [chapitre 16];

      des droits relatifs à la récolte des ressources forestières [chapitre 17];

      des droits relatifs à la représentation et à la participation dans le cadre de l’aménagement du territoire [chapitre 11] et de la gestion des ressources [chapitres 14, 16-18].

 

(motifs de la C.A., par. 41)

Il s’agit là d’avantages substantiels, surtout si on les compare aux rares avantages offerts par les anciens traités comme ceux accordés à la Première nation crie Mikisew dans le Traité no 8.  Ces avantages considérables, toutefois, s’accompagnaient non seulement de droits, mais aussi d’obligations.  La réussite de la relation d’interdépendance à long terme qui a été établie nécessitera de toute évidence du travail et de la bonne volonté de part et d’autre.

[37]                          Le silence du gouvernement face à la situation que présentait la demande de M. Paulsen, comme l’a expliqué l’avocat du gouvernement à l’audience, était attribuable à la crainte que, dans le cas où l’obligation de consulter s’appliquerait, [traduction] « les parties se trouveront devant le tribunal dans la même situation que dans les domaines où il n’existe pas de traité, et on débattra la question de savoir si la consultation s’applique, ainsi que celles de savoir quel est le niveau de consultation requis et si un accommodement est nécessaire.  Tout est soumis à la supervision du tribunal » (transcription, p. 18).  L’historique du présent pourvoi montre cependant que l’adoption de la ligne dure n’accélère pas nécessairement les choses, pas plus qu’elle n’élimine les litiges.

[38]                          La négation, par le gouvernement territorial du Yukon, de toute obligation de consulter sauf dans les cas prévus spécifiquement dans le traité PNLSC a compliqué la situation que présentait la demande de M. Paulsen car, à l’époque où le directeur a pris une décision sur la demande, la disposition relative à la mise en œuvre du traité envisagée au chapitre 12 n’avait elle‐même pas encore été mise en œuvre.  Je ne crois pas que le traité du Yukon était censé constituer un « code complet ».  Quoi qu’il en soit, l’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne, qui s’applique indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties (voir le par. 61 ci‐après).  De toute façon, il fallait remédier à la lacune procédurale suscitée par l’absence de mise en œuvre du chapitre 12, et la première nation a eu tout à fait raison à mon avis d’invoquer l’obligation de consulter et d’établir un cadre de procédure approprié.

[39]                          Quoi qu’il en soit, la consultation a effectivement été rendue possible et a bel et bien eu lieu dans le cadre du processus du CEDAT en vertu de la Politique agricole pour 1991.  En dernière analyse, la question à trancher est de savoir si, dans la présente affaire, ce que l’on a fait était suffisant (bien que le gouvernement territorial y ait vu à tort une mesure de courtoisie plutôt que l’exécution d’une obligation juridique).  Dans Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‐Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, la Cour a conclu que la participation à un forum créé pour d’autres besoins peut tout de même satisfaire à l’obligation de consulter si, pour l’essentiel, un niveau approprié de consultation a été rendu possible.

B.  La relation entre l’art. 35 et l’obligation de consulter

[40]                          La première nation se fonde en particulier sur le passage suivant de l’arrêt Nation haïda c. Colombie‐Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 20 :

L’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui‐ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts.  Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder.

Également, au par. 32 :

La jurisprudence de la Cour étaye le point de vue selon lequel l’obligation de consulter et d’accommoder fait partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‐delà du règlement formel des revendications.  La conciliation ne constitue pas une réparation juridique définitive au sens usuel du terme.  Il s’agit plutôt d’un processus découlant des droits garantis par le par. 35(1)  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  [Je souligne.]

[41]                          On peut également citer l’arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 6, où la Cour a dit ce qui suit :

La décision de favoriser la participation des Autochtones à la pêche commerciale peut aussi être perçue comme une réponse à la directive donnée par notre Cour dans l’arrêt Sparrow, p. 1119, selon laquelle, en appliquant la réglementation sur les pêches, le gouvernement doit consulter les groupes autochtones afin de respecter l’obligation de fiduciaire qu’il a envers ces collectivités.  Des arrêts subséquents ont confirmé l’obligation de consulter et d’accommoder les collectivités autochtones dans les domaines de l’exploitation et de la conservation des ressources; il s’agit là d’une obligation constitutionnelle qui concorde avec le principe de l’honneur de la Couronne : voir, par exemple, l’arrêt Delgamuukw c. Colombie‐Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010.  [Je souligne.]

[42]                          L’obligation de se conduire honorablement a été reconnue dès le départ par la Couronne elle‐même dans la Proclamation royale de 1763 (L.R.C. 1985, App. II, no 1).  La Couronne britannique s’y engageait sur l’honneur à protéger les peuples autochtones contre l’exploitation de la part des peuples non autochtones.  L’honneur de la Couronne est devenu depuis lors un important point d’ancrage dans ce domaine du droit : voir R. c. Taylor (1981), 62 C.C.C. (2d) 227 (C.A. Ont.), autorisation d’appel refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; Delgamuukw c. Colombie‐Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, de même que Badger, Marshall et Première nation crie Mikisew, dont il a déjà été fait état.  L’honneur de la Couronne a par conséquent été confirmé dans son statut de principe constitutionnel.

[43]                          Il ne faut pas en conclure pour autant que toute politique et procédure juridique adoptée en vue de préserver l’honneur de la Couronne doive elle‐même être considérée comme inscrite dans l’art. 35.  Ainsi que l’a souligné la Juge en chef dans Nation haïda, « [l]’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances » (par. 18).  Dans le présent pourvoi, nous examinons l’application du principe de l’honneur de la Couronne dans le contexte d’un traité récent; son application lorsqu’aucun traité n’a été signé a récemment fait l’objet de la décision de notre Cour dans Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650.

[44]                          La thèse de l’intimée, si je peux la résumer à grands traits, est celle‐ci : étant donné la nature « constitutionnelle » de l’obligation de consulter, il doit exister un droit constitutionnel réciproque de la première nation d’être consultée, et les droits constitutionnels des peuples autochtones sont à l’abri de toute abrogation ou dérogation, exception faite de celles qui peuvent se justifier au regard du critère rigoureux établi dans Sparrow.  Selon cette logique, pratiquement chaque affaire ayant trait à la consultation dans le cadre de l’interprétation et de la mise en œuvre des traités devient une affaire constitutionnelle.  Cet argument est problématique en ce que le contenu de l’obligation de consulter varie suivant les circonstances.  Relativement à ce que l’on a appelé dans Nation haïda un « continuum » de consultation (par. 43), on ne peut affirmer que la consultation au bas plutôt qu’au haut du continuum doit être justifiée suivant la doctrine de l’arrêt Sparrow.  Le contenu minimal de la consultation imposé dans Première nation crie Mikisew (par. 64), par exemple, n’avait pas à être justifié comme une limite à ce qui serait autrement un droit à une consultation « approfondie ».  Dans Première nation crie Mikisew, les circonstances n’ont jamais requis plus qu’un minimum de consultation.  Si la notion d’obligation de consulter se veut un complément valable à l’honneur de la Couronne, elle joue un rôle de soutien et ne devrait pas être considérée indépendamment de l’objectif qu’elle vise à atteindre.

[45]                          La PNLSC nous a demandé d’établir une nette distinction entre l’obligation de consulter (qu’elle a qualifiée de constitutionnelle) et les principes du droit administratif tels l’équité procédurale (qu’elle a qualifiés d’inadéquats).  Lors de l’audition, l’avocat de la PNLSC a rejeté le recours aux principes du droit administratif dans ce contexte :

[traduction]  [L]es principes du droit administratif ne sont pas conçus pour s’appliquer au cas tout à fait particulier de l’histoire des relations entre la Couronne et les Autochtones.  Ces principes, malgré leur valeur considérable, ne constituent pas des outils favorisant la réconciliation entre les Autochtones et les autres Canadiens.  Ce ne sont pas des instruments par lesquels peuvent s’exprimer les principes relatifs à l’honneur de la Couronne.  [transcription, p. 62]

Toutefois, comme l’a précisé le Juge en chef Lamer dans R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, « les droits ancestraux existent dans les limites du système juridique canadien » (par. 49).  Les décideurs administratifs doivent couramment confiner leurs décisions dans les limites constitutionnelles : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, et Multani c. Commission scolaire Marguerite‐Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256.  En l’espèce, les limites constitutionnelles incluent l’honneur de la Couronne et le principe de l’obligation de consulter qui l’appuie.

[46]                          Le lien entre la doctrine constitutionnelle et les recours de droit administratif a déjà été signalé dans Nation haïda, un des premiers arrêts traitant de l’obligation de consulter :

Dans tous les cas, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle‐ci agisse de bonne foi et tienne une véritable consultation, qui soit appropriée eu égard aux circonstances.  Lorsque vient le temps de s’acquitter de cette obligation, les garanties procédurales de justice naturelle exigées par le droit administratif peuvent servir de guide. [Je souligne; par. 41.]

Les « garanties procédurales » en question qu’exige le droit administratif englobent non seulement la justice naturelle mais aussi la notion plus générale de l’équité procédurale.  Et les termes des ententes récentes sur les revendications territoriales suggéreront, et dans certains cas dicteront, le contenu de la véritable consultation « appropriée eu égard aux circonstances ».  Les parties elles‐mêmes peuvent décider dans ces ententes d’exclure purement et simplement la consultation dans des situations précises, et les tribunaux accepteront cette décision lorsqu’une telle décision serait compatible avec le maintien de l’honneur de la Couronne.

[47]                          Les parties en l’espèce ont choisi la voie d’une demande ordinaire de contrôle judiciaire.  Dans le cadre de cette instance, il était parfaitement possible de prendre en compte la dimension constitutionnelle des droits invoqués par la première nation.  Point n’est besoin d’inventer une nouvelle « réparation constitutionnelle ».  Le droit administratif est suffisamment souple pour que le tribunal accorde l’importance voulue aux intérêts constitutionnels de la première nation.  De plus, l’incidence d’une décision administrative sur un intérêt d’une communauté autochtone — que cet intérêt fasse ou non partie d’un droit reconnu par l’art. 35 — s’avérerait pertinente au titre de l’équité procédurale, tout comme peut s’avérer pertinente l’incidence d’une décision sur toute autre communauté ou tout autre individu (y compris Larry Paulsen).

C.     Norme de contrôle

 

[48]                          Dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent la Loi sur les terres et la Loi du Yukon sur les terres territoriales, le directeur devait respecter les limites légales et constitutionnelles.  En ce qui a trait à la détermination de ces limites, on n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit du directeur.  La norme de contrôle à cet égard, y compris à l’égard du caractère adéquat de la consultation, est celle de la décision correcte.  Un décideur qui rend une décision fondée sur une consultation inadéquate commet une erreur de droit.  Dans les limites établies par le droit et la Constitution, toutefois, la décision du directeur doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339.  En d’autres mots, s’il y a eu consultation adéquate, la décision du directeur d’approuver la concession de terres à M. Paulsen se situait‐elle, compte tenu de toutes les considérations pertinentes, dans la gamme des résultats raisonnables?

D.     Le rôle et la fonction du traité PNLSC

 

[49]                          Le gouvernement territorial et la PNLSC ont des points de vue très différents sur cette question.  Cette divergence d’opinion se retrouve au centre même des arguments opposés qu’ils ont invoqués dans le cadre du pourvoi.

[50]                          Pour le gouvernement territorial, le traité PNLSC a fixé de façon définitive les droits et les obligations de la première nation en tant que peuple autochtone.  Le traité a reconnu et confirmé les droits ancestraux cédés dans le cadre de la revendication territoriale.  À partir de 1997, les droits des communautés autochtones de la PNLSC, selon le gouvernement, ont été limités à ce qui est prévu par le traité.  Pour exprimer en termes simplistes la position du gouvernement, les premières nations obtiennent ce qu’elles ont négocié comme termes des traités, un point c’est tout.

[51]                          La PNLSC, pour sa part, juge applicable au Yukon ce que la Cour a écrit dans Première nation crie Mikisew, par. 54 :

La conclusion de traités est une étape importante du long processus de réconciliation, mais ce n’est qu’une étape.  Ce qui s’est passé à Fort Chipewyan en 1899 ne constituait pas un accomplissement parfait de l’obligation découlant de l’honneur de la Couronne, mais une réitération de celui‐ci.

Il en va de même, selon la première nation, du processus de conclusion de traités relatifs au Yukon qui a conduit en 1997 à la ratification du traité PNLSC.

[52]                          Je suis d’accord avec le gouvernement territorial lorsqu’il dit que le traité PNLSC marque un progrès majeur par rapport à ce qui s’est produit à Fort Chipewyan en 1899, tant pour la portée et le caractère global du traité récent que pour la justesse de la procédure qui y a mené.  Les huit pages de considérations générales du Traité n8 de 1899 ne peuvent équivaloir aux 435 pages du traité PNLSC conclu près d’un siècle plus tard.  Le traité PNLSC procure une assise solide à la réconciliation, et le gouvernement territorial a tout à fait raison de soutenir que ce traité ne devrait pas simplement préparer le terrain pour d’autres négociations qu’on reprendrait à partir de zéro.  Telle n’est pas du reste la position défendue par la première nation.  Elle s’appuie simplement sur le principe signalé dans Nation haïda, soit que « [l]’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones » (par. 16 (je souligne)).  La réconciliation, au Yukon comme ailleurs, n’est pas un fait accompli, mais un chantier permanent.  La thèse du « code complet » avancée par le gouvernement territorial est, à mon avis, mal fondée.  Comme l’a observé la Cour dans Première nation crie Mikisew : « L’obligation de consultation repose sur l’honneur de la Couronne [. . .] L’honneur de la Couronne existe également en tant que source d’obligation indépendante des traités, bien entendu » (par. 51).

[53]                           Sur cette question, Nation haïda marquait un changement de perspective par rapport à Sparrow.  Alors que dans Sparrow, la Cour s’était employée à dégager les conséquences de la violation, elle a tenté dans Nation haïda de prévenir de tels affrontements en imposant aux parties une obligation de consulter et (au besoin) d’accommoder, dans des circonstances où le développement est susceptible d’avoir des conséquences importantes sur les droits ancestraux lorsque ceux‐ci ont été établis.  Dans Première nation crie Mikisew, l’obligation de consulter a été appliquée à la gestion d’un processus prévu par un traité de 1899, concernant la « prise » (comme dans la présente espèce) pour d’« autres objets », de terres cédées à la Couronne.  Le traité lui‐même ne mentionnait aucunement le processus en question.  La Cour a conclu que si, d’après les faits de l’espèce, le contenu de l’obligation de consulter se situait « au bas du continuum » (par. 64), la Couronne n’en avait pas moins eu tort d’agir de façon unilatérale.

[54]                          La différence entre le traité PNLSC et le Traité n8 ne tient pas uniquement au fait que le premier est un « traité récent global » tandis que le second a été conclu il y a plus d’un siècle.  Le traité récent d’aujourd’hui deviendra le traité historique de demain.  La distinction réside plutôt dans la précision et la complexité relatives du document récent.  Lorsque des parties bénéficiant de ressources suffisantes et de l’aide de professionnels ont tenté de mettre de l’ordre dans leurs propres affaires et ont donné forme à l’obligation de consulter en incorporant dans un traité la procédure de consultation, il convient d’encourager leurs efforts et, sous réserve des limitations constitutionnelles comme le principe de l’honneur de la Couronne, la Cour devrait essayer de respecter le fruit de leur travail : Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557.

[55]                          Cependant, le gouvernement territorial pousse trop loin cette thèse lorsqu’il prétend que la consultation qui n’est pas spécifiquement requise par le traité est exclue par inférence négative.  Une consultation digne de ce nom demeure le fondement nécessaire d’une relation réussie avec les peuples autochtones.  Comme le juge de première instance l’a pertinemment fait remarquer, la consultation permet [traduction] « d’éviter l’indifférence et le manque de respect susceptibles d’anéantir le processus de réconciliation que l’entente définitive est censée établir » (par. 82).

[56]                          Le gouvernement territorial aurait eu tort d’agir de façon unilatérale.  La PNLSC avait des droits existants issus d’un traité à l’égard de la parcelle visée par la demande de M. Paulsen, comme l’indique l’art. 16.4.2 du traité PNLSC :

Les Indiens du Yukon ont le droit de récolter, à des fins de subsistance, dans les limites de leur territoire traditionnel [. . .] toute espèce de poisson et d’animal sauvage, pour eux‐mêmes et pour leur famille, en toute saison et sans limite de prises, sur des terres visées par un règlement et sur des terres de la Couronne où ils bénéficient d’un droit d’accès conformément à la section 6.2.0, sous réserve seulement des limites prévues par les ententes portant règlement.

Les terres de la Couronne pouvaient être prises à d’autres fins (comme dans Première nation crie Mikisew) et notamment à des fins d’agriculture, mais entre‐temps, la première nation conservait un intérêt issu d’un traité sur les terres de la Couronne à l’égard desquelles ses membres avaient toujours un droit d’accès issu d’un traité (y compris la parcelle de M. Paulsen).  La possibilité que cet intérêt soit supprimé n’en faisait pas moins un intérêt issu d’un traité.

[57]                          Le décideur était tenu de prendre en compte les conséquences qu’aurait le fait d’accorder la demande de M. Paulsen sur les préoccupations et les intérêts des membres de la première nation.  Or, il ne pouvait pas le faire sans que la première nation ne soit consultée au sujet de la nature et de la portée de ses préoccupations.  S’ajoutait bien sûr aux obligations habituelles ressortissant au droit administratif, l’obligation légale du gouvernement territorial de préserver l’honneur de la Couronne dans ses relations avec la première nation.  Néanmoins, étant donné l’existence de la cession opérée par le traité et les textes législatifs adoptés en vue de la mise en œuvre de celui‐ci, ainsi que la décision des parties de ne pas incorporer dans le traité PNLSC lui‐même un processus de consultation d’un caractère plus général, le contenu de l’obligation de consultation se situait (comme l’a conclu la Cour d’appel) au bas du continuum.  Il ne s’agissait pas d’une obligation exigeante.  Mais ce n’était pas non plus une simple affaire de courtoisie.

E.      La source de l’obligation de consulter est extrinsèque au traité PNLSC

 

[58]                          Le traité PNLSC, daté du 21 juillet 1997, est un document à caractère juridique des plus détaillé.  Le gouvernement territorial fait valoir qu’il est fait mention de l’obligation de consulter à plus de 60 endroits différents dans ce document, mais qu’aucun de ces cas n’est applicable en l’espèce (même si la mise en œuvre du chapitre 12, laissée en suspens dans l’attente d’une mesure législative, n’écartait pas la possibilité d’une telle obligation).

[59]                          On a longuement débattu, à l’audience, la question de savoir si l’obligation de consulter, à supposer qu’elle soit applicable d’une quelconque façon, devrait être considérée comme une clause implicite du traité PNLSC ou comme une obligation juridique extérieure au traité.

[60]                          Pour le gouvernement territorial, il ne saurait y avoir de clause implicite qui serait à l’évidence incompatible avec l’intention des parties.  En l’espèce, plaide‐t‐il, la clause implicite est contredite par la manière dont les parties ont abordé la consultation dans l’ensemble du traité et par l’absence significative de celle‐ci dans le cas de la concession de terres.  La nécessaire « inférence négative », soutient le gouvernement territorial, est que le fait de ne pas prévoir la consultation était intentionnel.

[61]                          Cet argument ne me paraît pas convaincant.  L’obligation de consulter est considérée, dans la jurisprudence, comme un moyen de préserver l’honneur de la Couronne (lorsque cela s’avère indiqué).  Les parties ont la possibilité de s’entendre sur les modalités de la consultation, mais la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones.  Cette doctrine, comme nous l’avons affirmé dans Nation haïda et confirmé dans Première nation crie Mikisew, s’applique indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties.

[62]                          L’argument suivant lequel le traité PNLSC est un « code complet » ne tient pas.  D’une part, comme le reconnaît le gouvernement territorial, le texte du traité PNLSC n’autorise d’aucune manière l’octroi de terres de la Couronne à l’égard desquelles la première nation continue de jouir, en vertu du traité, d’un droit d’accès à des fins de chasse et de pêche de subsistance.  Le gouvernement territorial souligne que le pouvoir d’aliéner des terres de la Couronne existe selon le droit commun.  C’est vrai, mais le droit commun existe à l’extérieur du traité.  Le gouvernement territorial ne peut pas retenir uniquement, dans le droit commun, les éléments qui lui conviennent.  Le traité énonce les droits et les obligations des parties, tout en s’inscrivant dans une relation spéciale : « Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement » (Nation haïda, par. 17 (je souligne)).  Comme il ressort clairement du texte du par. 35(3), une entente récente relative à des revendications globales constitue, du point de vue de la Constitution, un traité au même titre que les anciens traités conclus avant et après la Confédération.

[63]                          Au moment où la demande de M. Paulsen était à l’étude, la mise en œuvre du traité PNLSC était dans une phase de transition.  Le chapitre 12 envisage l’adoption d’un « processus d’évaluation des activités de développement » en vue de la mise en œuvre des dispositions du traité.  Cette mise en œuvre a finalement été accomplie par la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon , L.C. 2003, ch. 7  (« LÉESY  »).  Le gouvernement territorial reconnaît que la LÉESY  se serait appliquée à la demande de M. Paulsen.  La partie 2 de cette loi (concernant le processus d’évaluation) n’est entrée en vigueur qu’après l’approbation de la demande en question (art. 134).  Le gouvernement était tenu, aux termes du traité, d’édicter une mesure législative dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur de la loi de mise en œuvre (art. 12.3.4).  Il ne l’a pas fait.  Le retard législatif subséquent ne donnait pas au gouvernement territorial le pouvoir d’agir sans consultation.

[64]                          La LÉESY  vise d’une manière générale à « met[tre] en œuvre diverses dispositions de l’accord‐cadre relatives à l’évaluation des effets sur l’environnement ou la vie socioéconomique » par l’instauration d’un « processus complet et impartial d’évaluation » (art. 5) lorsque « l’autorisation [. . .] ou l’attribution [. . .] de droits fonciers » serait nécessaire  (al. 47(2)c)).  L’évaluateur neutre est l’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon, dont les membres (sauf le président) seraient nommés pour moitié par le Conseil des Indiens du Yukon et pour l’autre moitié par le gouvernement territorial.  Le ministre nommerait le président après consultation.

[65]                          Selon le gouvernement territorial, ce nouveau régime vise à répondre à l’exigence de consultation au sujet de la concession de terres d’une façon équitable à la fois pour les premières nations et pour les autres habitants du Yukon.  En supposant que tel soit le cas (je ne me prononce pas sur la question), il n’en demeure pas moins que le régime en question n’était pas en vigueur à l’époque en cause.

[66]                          En l’absence du régime sur lequel on s’était entendu, la consultation était nécessaire en l’espèce pour préserver l’honneur de la Couronne.  Elle était donc imposée par le droit.

F.       Le traité PNLSC n’exclut pas l’obligation de consulter et, au besoin, d’accommoder

 

[67]                          Lorsqu’un traité récent a été conclu, la première étape consiste à en examiner les dispositions et à tenter de déterminer les obligations respectives des parties et l’existence, dans le traité lui‐même, d’une forme quelconque de consultation.  Si un processus de consultation a été établi dans le traité, les dispositions du traité indiqueront la portée de l’obligation de consulter.

[68]                          Le gouvernement territorial plaide que la certitude constituait un objectif mutuel des parties au traité PNLSC, comme l’indique le préambule :

. . . les parties à la présente entente désirent définir avec certitude les droits de propriété et d’utilisation des terres et autres ressources du territoire traditionnel de la première nation de Little Salmon/Carmacks;

les parties à la présente entente désirent définir avec certitude leurs rapports les unes avec les autres . . .

Qui plus est, le traité renferme une clause du type « intégralité de l’entente », soit l’art. 2.2.15 :

Chaque entente portant règlement constitue l’entente complète intervenue entre les parties à cette entente et il n’existe aucune autre assertion, garantie, convention accessoire ou condition touchant cette entente que celles qui sont exprimées dans cette dernière.

[69]                          Toutefois, l’obligation de consulter ne constitue pas, comme je l’ai indiqué, une « convention accessoire ou condition ».  Le traité PNLSC constate effectivement l’« entente complète », mais il n’existe pas isolément.  L’obligation de consulter est imposée par le droit sans égard à l’« entente » conclue entre les parties.  Elle ne « touche » pas l’entente elle‐même.  Elle fait simplement partie du cadre juridique essentiel dans lequel le traité doit être interprété et exécuté.

[70]                          La première nation souligne qu’une exception à la clause de l’« entente complète » est expressément prévue à l’art. 2.2.4, pour les « droits constitutionnels —existants ou futurs » :

Sous réserve des sections 2.5.0, 5.9.0 et 25.2.0 et de l’article 5.10.1, les ententes portant règlement n’ont pas pour effet de porter atteinte à la capacité des peuples autochtones du Yukon d’exercer des droits constitutionnels — existants ou futurs — qui sont reconnus aux peuples autochtones et qui s’appliquent à eux ou de tirer parti de tels droits.

L’article 2.2.4 s’applique, soutient la PNLSC, parce que l’obligation de consultation est une nouvelle obligation constitutionnelle et devrait donc être considérée comme un droit constitutionnel « futur » tombant dans le champ d’application de cet article.

[71]                          Comme nous l’avons vu, le « droit constitutionnel existant ou futur » applicable est le droit des parties autochtones à ce que le traité soit exécuté d’une manière propre à préserver l’honneur de la Couronne.  Ce principe est admis volontiers par le gouvernement territorial.  Toutefois, l’honneur de la Couronne peut ne pas toujours exiger la consultation.  Les parties peuvent, dans leur traité, négocier un mécanisme différent qui permet malgré tout, dans son résultat, de préserver l’honneur de la Couronne.  En l’espèce, l’obligation s’applique, et j’en viens maintenant à l’examen de son contenu.

G.     Le contenu de l’obligation de consulter

 

[72]                          Le pourvoi incident de la première nation porte sur le caractère adéquat de la consultation.  Ce qui s’est passé (ou ne s’est pas passé) entre les parties doit être évalué à la lumière du rôle et de la fonction de la consultation au regard des faits de l’espèce, et de la question de savoir si cet objectif a été rempli au regard des faits.

[73]                          La Loi sur les terres du Yukon et la Loi du Yukon sur les terres territoriales ont institué un pouvoir discrétionnaire de concession de terres, mais sans préciser la base sur laquelle ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé.  Il ne faisait de doute que la demande de M. Paulsen était susceptible d’avoir des incidences négatives sur le droit d’accès aux 65 hectares conféré par le traité PNLSC pour la « récolte » de poissons et d’animaux sauvages à des fins de subsistance, incidences comprenant l’usage bénéficiaire par la première nation des terres de la Couronne avoisinantes auxquelles ses membres continuent d’avoir un droit d’accès en vertu du traité.  Il existait au moins une possibilité que ces incidences soient importantes sur les plans économique et culturel.  Le directeur était par conséquent tenu, pour se conformer à l’obligation juridique de consulter fondée sur l’honneur de la Couronne et au nom de l’équité procédurale, d’être informé de la nature et de la gravité de telles incidences avant de prendre une décision, pour déterminer (entre autres choses) si des accommodements étaient nécessaires ou appropriés.  La consultation n’avait pas pour objet de rouvrir le traité PNLSC ou de renégocier la possibilité de concéder les terres à des fins agricoles.  Cette possibilité était déjà prévue au traité.  La consultation était requise afin de faciliter la gestion de la relation importante entre le gouvernement et la communauté autochtone en conformité avec la préservation de l’honneur de la Couronne.

[74]                          Cette approche au « bas du continuum » est conforme au traité PNLSC lui‐même, qui précise les éléments considérés par les parties elles‐mêmes comme constituant une consultation appropriée (lorsqu’une consultation est nécessaire) :

« consulter » ou « consultation » La procédure selon laquelle :

a)  un avis suffisamment détaillé concernant la question à trancher doit être communiqué à la partie devant être consultée afin de lui permettre de préparer sa position sur la question;

b) la partie devant être consultée doit se voir accorder un délai suffisant pour lui permettre de préparer sa position sur la question, ainsi que l’occasion de présenter cette position à la partie obligée de tenir la consultation;

c)  la partie obligée de tenir la consultation doit procéder à un examen complet et équitable de toutes les positions présentées.

(Traité PNLSC, chapitre 1)

Lors de l’audition du pourvoi, l’avocat de la première nation a soutenu que le gouvernement territorial doit [traduction] « s’efforcer, de concert avec les peuples autochtones, de comprendre quels seront les effets, et ensuite il doit essayer de les réduire au minimum » (transcription, p. 48 (je souligne)).  Il est vrai que ces traités ont été négociés avant les arrêts Nation haïda et Première nation crie Mikisew, mais il devait être évident pour les négociateurs qu’il existe une différence substantielle entre, d’une part, le fait d’imposer à un décideur une obligation de procéder à « un examen complet et équitable » des « positions » de la première nation, et, d’autre part, une obligation de s’efforcer [traduction] « de comprendre quels seront les [effets,  et ensuite [. . .] essayer] de les réduire au minimum ».  C’est la première de ces obligations que les parties ont considérée comme suffisante et appropriée.  Même en l’absence de clauses au traité, l’application des arrêts Nation haïda et Première nation crie Mikisew aurait produit un résultat semblable.

[75]                          À mon avis, la définition négociée constitue un énoncé raisonnable du contenu de la consultation « au bas du continuum ».  Le traité ne régit pas directement le processus d’approbation des concessions de terres, qui ne relève pas d’un traité, mais il indique de façon utile ce que les parties elles‐mêmes jugeaient équitable, et il est conforme à la jurisprudence des arrêts Nation haïda et Première nation crie Mikisew.

H.     Il y a eu une consultation adéquate en l’espèce

 

[76]                          La première nation reconnaît avoir reçu un avis suffisant et l’information utile.  Sa lettre d’opposition datée du 27 juillet 2004 faisait état de ses préoccupations au sujet des incidences de la concession de la parcelle sur le territoire de piégeage n143, sur une cabane appartenant à Roger Rondeau (chez qui, d’après la lettre, [traduction] « la demande [ne suscitait] aucune inquiétude ») ainsi que sur la cabane de Johnny Sam, et sur [traduction] « des zones pouvant présenter un intérêt patrimonial et culturel » mais qui n’avaient pas « été identifiées » ou n’avaient pas « fait l’objet de recherches ».  La lettre recommandait qu’on procède à cette fin à une reconnaissance archéologique (reconnaissance qui a eu lieu par la suite, avant l’examen et l’approbation, par le directeur, de la demande de M. Paulsen).  Nulle part dans la lettre d’opposition de la première nation n’était‐il fait mention d’une possible non‐conformité avec le PGRHF, ou de la nécessité de préserver les 65 hectares à des fins éducatives.

[77]                          Les préoccupations soulevées dans la lettre d’opposition de la première nation datée du 27 juillet 2004 ont été évoquées lors de la réunion du CEDAT tenue le 13 août 2004 (à laquelle la première nation n’était pas représentée) et ont été décrites, pour l’essentiel, dans le procès‐verbal de cette réunion, à l’intention des personnes qui étaient absentes.  Il est mentionné dans le procès‐verbal qu’[traduction] « [i]l y aura une certaine perte au plan de l’habitat faunique dans la région, mais elle n’est pas importante. »  Il y est également souligné que Johnny Sam avait droit à une indemnisation en vertu du traité PNLSC dans la mesure où la valeur du territoire de piégeage no 143 se trouvait diminuée.  La PNLSC, en tant que membre du CEDAT, pouvait consulter le procès‐verbal.

[78]                          La première nation se plaint de ce que ses préoccupations n’aient pas été prises au sérieux.  Elle dit par exemple que le fait que Johnny Sam ait droit à une indemnisation témoigne d’une incompréhension de l’importance du territoire de piégeage n143 aux plans culturel et éducatif.  Il veut conserver le territoire de piégeage dans son intégralité, et non toucher une indemnisation.  L’enjeu était cependant important pour Larry Paulsen également.  Le directeur avait le pouvoir discrétionnaire d’approuver ou de ne pas approuver sa demande et il n’était pas obligé de trancher la question en faveur de la position défendue par la première nation.  Il n’était pas non plus légalement tenu d’attendre le résultat du PGRHF.  Le directeur connaissait les préoccupations de la première nation et la réponse des autres membres du CEDAT.  Il était en droit de conclure que la concession à M. Paulsen de la parcelle en question n’avait pas d’incidences importantes sur les intérêts de la première nation.

[79]                          Il importe de signaler que la première nation ne nie pas avoir reçu un avis suffisant de la demande de M. Paulsen, et avoir eu l’occasion d’exposer, dans toute l’ampleur et la précision jugées appropriées, ses préoccupations au décideur ultime dans le cadre des procédures du CEDAT.  De plus, contrairement à la situation en cause dans l’affaire Première nation crie Mikisew, la première nation en l’espèce a été consultée dans le cadre du CEDAT en tant que première nation et non en tant que membre du grand public.  Si l’équité procédurale est une notion souple et prend en compte les aspects qui, dans la décision que doit prendre le directeur, touchent directement les Autochtones, il n’en demeure pas moins que cette doctrine s’applique en droit administratif pour encadrer les relations entre les décideurs gouvernementaux et tous les habitants du Yukon, Autochtones comme non‐Autochtones, et M. Paulsen comme la première nation.  Au vu du dossier et pour les raisons exposées précédemment, les exigences de l’équité procédurale ont été respectées, tout comme celles de l’obligation de consulter.

[80]                          Il est impossible de parcourir le dossier de cette affaire sans voir dans la demande de M. Paulsen la petite étincelle qui allait faire éclater le mécontentement accumulé par la première nation face à la bureaucratie du gouvernement territorial.  Le rejet de cette demande, cependant, ferait simplement porter le poids de ce problème cumulatif à l’infortuné Larry Paulsen (qui attend toujours l’issue d’une demande présentée il y a plus de huit ans).  Ce résultat serait injuste.

I.       L’obligation d’accommoder

 

[81]                          La première nation avance que dans la présente affaire, il y avait une obligation juridique non seulement de tenir une consultation au plan procédural, mais d’offrir des mesures concrètes d’accommodement.  Il est précisé dans Nation haïda et dans Première nation crie Mikisew que l’obligation de consulter peut, dans certains cas, exiger des accommodements.  Le critère ne consiste pas, comme on a parfois semblé le soutenir dans l’argumentation, dans une obligation d’accommoder jusqu’au point où la population non autochtone subit une contrainte excessive.  Une consultation adéquate ayant eu lieu, il incombe à la Cour d’examiner la façon dont le directeur a exercé son pouvoir discrétionnaire, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des intérêts pertinents, y compris les droits de la première nation ainsi que la nature et la gravité de l’incidence, sur ces droits, de la mesure proposée à laquelle la première nation s’oppose.

[82]                          La parcelle de 65 hectares avait déjà été redélimitée à la demande pressante du gouvernement pour tenir compte de certaines préoccupations.  La première nation n’a suggéré aucune autre délimitation qui lui aurait été plus acceptable (bien qu’elle ait mentionné à un certain moment que toute activité agricole devait être de nature biologique).  Dans le cas présent, l’accommodement doit inévitablement, à ses yeux, entraîner le rejet de la demande de M. Paulsen.  Toutefois, le traité lui‐même ou l’ensemble des circonstances ne donnent en aucun cas ouverture à une obligation d’accommodement.  Le gouvernement « prenait » des terres de la Couronne cédées pour qu’elles servent à l’agriculture, ce que le traité envisageait.

[83]                          Les préoccupations soulevées par la première nation étaient certes importantes, mais la question soumise au directeur constituait dans une certaine mesure une décision touchant à la Politique agricole pour 1991 ainsi qu’à la question de savoir si, d’après les faits, les incidences sur les intérêts de la première nation étaient aussi graves que celle‐ci le prétendait.  Il devait alors mettre dans la balance ces préoccupations et l’intérêt de Larry Paulsen à la lumière des obligations juridiques (issues de traités ou non) du gouvernement envers les Autochtones.  Bon nombre, sinon la plupart, des demandes de concession de terres éloignées propres à l’élevage du bétail susciteront des préoccupations au chapitre de l’habitat faunique, et de nombreuses concessions de terres nuisant aux territoires de piégeage et aux activités économiques traditionnelles auront aussi une dimension culturelle et éducative.  La première nation souligne que le bâtiment proposé par M. Paulsen entraînerait la création d’une [traduction] « zone d’interdiction de chasse » qui entraverait l’utilisation par Johnny Sam de sa cabane (et de son territoire de piégeage).  Cependant, le développement a nécessairement pour conséquence des restrictions en matière de chasse, et le traité PNLSC n’est pas un document anti‐développement.

[84]                          Il doit y avoir quelqu’un qui met un terme à la consultation et soupèse les intérêts respectifs en jeu en tenant compte de la politique du Yukon favorable au développement de l’agriculture là où le climat rigoureux le permet.  Or, le directeur est la personne à qui a été délégué le pouvoir de décider s’il y a lieu d’approuver la concession de terres déjà cédées par la première nation.  La consultation avait pour but de garantir que la décision du directeur était prise en connaissance de cause.

[85]                          Le directeur n’a pas commis d’erreur de droit en concluant qu’en l’espèce, la consultation avec la première nation était adéquate.

[86]                          Selon l’avis reçu de ses fonctionnaires par le directeur après la consultation, les incidences ne seraient pas importantes.  Rien n’indique que les préoccupations de la première nation n’ont pas fait l’objet d’un « examen complet et équitable » de sa part.  Les documents déposés par les parties lors de la demande de contrôle judiciaire ne révèlent l’existence d’aucune erreur de fait manifeste dans sa conclusion.

[87]                          Il semble que le directeur était simplement mécontent de mettre en veilleuse le cas de M. Paulsen alors que le gouvernement et la première nation tentaient d’aplanir certaines difficultés liées à la transition dans le cadre de leur relation.  Il avait le droit d’agir comme il l’a fait.

[88]                          Le fait qu’un tribunal judiciaire aurait éventuellement pu arriver à une conclusion différente à partir des mêmes faits n’est pas pertinent.  La décision d’approuver ou de ne pas approuver la concession de la parcelle de terre a été confiée par l’assemblée législative au ministre qui, de la façon habituelle, a délégué ce pouvoir au directeur.  La décision prise par ce dernier n’était pas déraisonnable.

IV.    Conclusion

 

[89]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et le pourvoi incident, avec dépens.

                    Les motifs des juges LeBel et Deschamps ont été rendus par

[90]                          La juge Deschamps — La Cour a maintes fois invité les gouvernements et les peuples autochtones à négocier la définition précise et les modalités d’exercice des droits ancestraux de ces peuples.  Afin de protéger l’intégrité du processus de négociation, la Cour a formulé, à partir de ce qui n’était à l’origine qu’une étape de la justification des atteintes aux droits ancestraux, une obligation de consultation préalable à la prise de mesures pouvant porter atteinte à ces droits non encore définis. Plus tard, elle a élargi le contenu obligationnel minimal d’un traité lorsque celui-ci omettait de prévoir la façon dont la Couronne peut exercer les droits que lui reconnaît un traité et qui ont une incidence sur ceux conférés à la partie autochtone par ce même traité.

[91]                          Au Yukon, les parties se sont assises ensemble.  Un accord-cadre et 11 ententes particulières ont été conclus par des premières nations, le gouvernement du Yukon et le gouvernement du Canada.  Ces ententes constituent la concrétisation de la prise en charge par les premières nations concernées de leur destinée. Il va de soi que tout n’est pas prévu dans ces ententes, qui portent tout particulièrement sur les terres et les ressources. En revanche, ce qui l’est lie les parties.  L’exercice par la Couronne des droits qui lui sont conférés par le traité fait l’objet dans celui-ci de dispositions concernant la consultation. C’est faire affront à l’objectif même de la négociation d’un traité que d’ajouter à ces dispositions une obligation additionnelle de consultation. Une telle approche constitue un recul, qui a pour effet de saper les engagements pris par les parties l’une à l’égard de l’autre et de miner l’objectif de réconciliation par la négociation. Cet affront met en péril les processus de négociation actuellement en cours d’un bout à l’autre du pays. Si, à l’instar du juge Binnie, je suis d’avis de rejeter l’appel principal et l’appel incident, je le fais cependant pour des motifs fort différents.

[92]                          La demande de M. Paulsen constituait un projet soumis au processus d’évaluation prévu au chapitre 12 de l’Entente définitive de la Première nation de Little Salmon/Carmacks (« Entente définitive »).  Ce processus n’avait pas été mis en œuvre, mais le chapitre 12 l’avait été, y compris les règles de droit provisoire y figurant.  En vertu de ces règles, tout processus existant d’évaluation des activités de développement demeurait en vigueur.  Ces processus prévoyaient non seulement la consultation de la nation autochtone concernée, mais aussi sa participation à l’évaluation du projet.  Une telle participation impliquait un niveau de consultation supérieur à celui qui aurait été fondé sur l’obligation faite par la jurisprudence à cet égard.  En conséquence, rien, en l’espèce, ne saurait justifier le recours à une obligation externe à celle prévue par l’Entente définitive.

[93]                          L’obligation constitutionnelle qui incombe à la Couronne de consulter de façon spéciale les Autochtones est apparue à l’origine comme facteur d’évaluation d’une atteinte à un droit autochtone (Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335), puis a été établie en tant que composante du critère de vérification du caractère justifié des atteintes portées par la première aux droits constitutionnels des seconds : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. Les affaires Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, et Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, ont ensuite posé la question de savoir si une telle obligation de consultation pouvait être mise en œuvre avant que soit établie l’existence d’un droit ancestral ou issu de traité. La réponse positive qu’a donnée notre Cour était fondée sur une volonté de favoriser la négociation de traités entre la Couronne et les peuples autochtones plutôt que le recours aux tribunaux.

[94]                          Si, contrairement au juge Binnie, je ne dis pas que l’obligation constitutionnelle de consultation dégagée par la jurisprudence s’applique dans tous les cas, peu importe les stipulations du traité en cause, je ne dis pas non plus, comme le font les appelants, qu’on peut affirmer qu’une obligation externe de consultation ne saurait jamais s’appliquer aux parties à un accord moderne de règlement de revendication territoriale globale et que l’Entente définitive constitue un code complet. À mon avis, il ressort de l’arrêt Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, que l’obligation constitutionnelle de consultation des Autochtones établie par la jurisprudence ne s’applique aux parties à un traité que si celles-ci ont été silencieuses à cet égard relativement au droit que la Couronne cherche à exercer en vertu du traité. En outre, il est capital de signaler que, dans un tel contexte, un pas est franchi et que la consultation change alors de sens. Lorsqu’elle est prévue par les dispositions d’un traité, la consultation ne constitue plus une mesure visant à prévenir des atteintes à un ou plusieurs droits, comme dans l’affaire Nation haïda, mais plutôt une obligation touchant les modalités d’exercice, par la Couronne, des droits que la partie autochtone lui reconnaît par traité. Cela veut donc dire que dans les cas où, comme dans Mikisew, l’obligation jurisprudentielle de consultation intervient relativement à des droits issus d’un traité nonobstant l’existence de celui-ci — en raison du défaut des parties à ce traité d’avoir stipulé à cet égard —, c’est à titre de contenu obligationnel minimal.

[95]                          Le juge Binnie a exposé les faits.  Je n’y reviendrai que pour y ajouter les précisions qui me paraîtront s’imposer.  Pour l’instant, il suffit de rappeler que la thèse des appelants repose sur le fait qu’il s’agit d’un traité moderne. Ils soutiennent que, en présence d’un tel traité, l’obligation de consultation se limite strictement aux modalités dont les parties ont expressément convenu, et que si rien n’a été prévu, il n’y a pas d’obligation. Selon eux, pour pouvoir conclure à l’existence d’une obligation de consulter, il faut que celle-ci ait été explicitement formulée par les parties. Les appelants ne demandent pas l’infirmation de la conclusion ultime de la Cour d’appel, mais plutôt une déclaration sur la portée de l’obligation de consulter. Les intimés, qui sont aussi appelants incidents, sollicitent pour leur part la cassation du jugement de la Cour d’appel.  Ils voudraient que soit confirmé le jugement de la Cour suprême du Yukon qui a cassé la décision autorisant la cession de la terre à M. Paulsen.  Les intimés soutiennent que l’obligation qu’a la Couronne de les consulter puise sa source à l’extérieur du traité, soit exclusivement dans les valeurs constitutionnelles et les principes de la common law. Pour eux, le traité n’a pas pour objet de définir leurs relations constitutionnelles avec la Couronne et l’obligation constitutionnelle ne sert pas à combler un hiatus dans le traité (m.i., par. 11). Ils soutiennent que l’obligation jurisprudentielle de consultation s’applique parce que la demande de M. Paulsen affecte leurs intérêts.  Ils invoquent trois intérêts : un droit d’accès aux fins de récolte non commerciale à la terre faisant l’objet de la demande, leur intérêt dans la gestion des ressources halieutiques et fauniques prévue au traité et la diminution de valeur de la ligne de piégeage que détient l’intimé Johnny Sam.

[96]                          À mon avis, la réponse aux questions qui sont posées à la Cour se trouve d’abord dans les principes généraux du droit relatif aux Autochtones puis dans les stipulations du traité. Pour expliquer ma conclusion, je dois revenir sur l’origine, la nature, la fonction ainsi que l’objet précis de l’obligation invoquée et sur ce qu’une lecture attentive du traité révèle.

I.  Principes généraux

[97]                          À l’occasion du Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 48-82, notre Cour a dégagé quatre principes qui sous-tendent l’ensemble de notre Constitution et de son évolution : (1) le constitutionnalisme et la primauté du droit; (2) la démocratie; (3) le respect des droits des minorités; (4) le fédéralisme. Ces quatre principes structurants s’articulent dans trois pactes fondamentaux : (1) pacte entre l’État et les personnes au sujet des droits et libertés fondamentaux de ces dernières; (2) pacte entre la population allochtone et les peuples autochtones sur le respect des droits ancestraux des seconds et des traités conclus avec eux; (3) « pacte fédératif » entre les provinces. Le pacte qui nous intéresse tout spécialement en l’espèce est le deuxième, dont nous verrons qu’il est, dans les faits, porteur d’un cinquième principe sous-jacent à notre Constitution : l’honneur de la Couronne.

[98]                          Notre Loi constitutionnelle de 1982, par. 35(1), reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones du Canada. Le constituant a également jugé bon de préciser, à l’art. 25 de cette même loi, que le fait qu’il reconnaisse des droits et libertés fondamentaux aux personnes et citoyens ne devait pas être jugé en soi incompatible avec la reconnaissance de droits spéciaux aux peuples autochtones. Autrement dit, lorsqu’on interprète les premier et deuxième pactes, il ne faut pas le faire de sorte qu’ils entrent en conflit, mais plutôt qu’ils se complètent. Enfin, le par. 35(4) confirme que, nonobstant toute autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1982 , les droits ancestraux ou issus de traités reconnus et confirmés par le par. 35(1) « sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Le pacte relatif aux droits spéciaux des peuples autochtones s’harmonise donc avec les deux autres pactes fondamentaux et avec les quatre principes structurants de notre ordre constitutionnel.

[99]                          En l’espèce, les parties sont toutes, d’une manière ou d’une autre, liées par l’Entente définitive qui porte règlement de la revendication territoriale globale de la Première nation de Little Salmon/Carmacks. Justement, le par. 35(3)  de la Loi constitutionnelle de 1982  précise que les « droits issus de traités », « dont il est fait mention au paragraphe (1) », comprennent « les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis. » Les appelants assoient leur position sur un tel accord.

[100]                      Entendant bien s’appuyer sur l’arrêt Mikisew, les intimés n’invoquent quant à eux que l’obligation jurisprudentielle qu’a la Couronne de consulter les Autochtones et non l’accord, à l’égard duquel ils n’allèguent aucune violation, selon ce que révèle la transcription de l’audience (p. 46), et prétendent, en l’espèce, qu’il n’avait pas pour objet de définir les obligations constitutionnelles des parties.

[101]                      À l’origine, la consultation préalable a été utilisée comme critère d’évaluation de la violation d’un droit autochtone (Guerin, p. 389), puis comme un facteur militant en faveur du caractère justifié de la restriction apportée au droit constitutionnel — ancestral ou issu de traité — des Autochtones concernés (Sparrow, p. 1119). Si la Couronne ne consultait pas les Autochtones, c’était pour ainsi dire à ses risques et périls si les mesures qu’elle prenait devait, en cas de preuve de l’existence d’un titre aborigène ou d’un droit ancestral ou issu de traité, se révéler attentatoires à ce droit.

[102]                      Les affaires Nation haïda et Taku River ont ensuite posé la question de l’existence d’une telle obligation de consultation, indépendamment de l’établissement  complet et définitif d’un droit ancestral au terme d’une instance judiciaire ou d’un processus d’aménagement de ses modalités d’exercice dans un traité. Une réponse négative à cette question aurait notamment eu pour effet de nier que, en vertu de l’art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 , les droits ancestraux des peuples autochtones bénéficient de la protection de la Constitution, même s’ils n’ont pas encore fait l’objet d’une déclaration judiciaire ou d’un engagement à n’être exercés que conformément aux stipulations d’un traité. Une réponse négative aurait aussi eu pour conséquence d’accroître le recours aux tribunaux plutôt qu’à la négociation et de ne laisser que l’injonction interlocutoire comme seul remède en cas de menace à des droits ancestraux dont les modalités d’exercice n’ont pas encore été formellement définies. C’est un tel scénario qu’a résolument voulu écarter la Cour dans Nation haïda et Taku River. Ce qui précède se dégage clairement des motifs rédigés par la Juge en chef dans l’affaire Nation haïda (par. 14 et 26).

[103]                      L’obligation constitutionnelle de consulter les Autochtones vise donc trois objectifs : à court terme, assurer la protection « provisoire » ou « interlocutoire » des droits constitutionnels des peuples autochtones; à moyen terme, favoriser la négociation des modalités d’exercice de tels droits plutôt que leur définition par les tribunaux; enfin, à plus long terme, permettre la réconciliation des intérêts respectifs des Autochtones et des autres parties concernées. Comme l’a d’ailleurs récemment souligné un auteur, l’obligation constitutionnelle de consultation des Autochtones a notamment, sinon principalement, pour raison d’être de contribuer à l’objectif ultime de réconciliation par la négociation de traités, en particulier d’accords de règlement de revendications territoriales globales (D. G. Newman, The Duty to Consult : New Relationships with Aboriginal Peoples (2009), p. 18 et 41). Cet objectif de réconciliation suppose bien entendu l’exercice, par les Autochtones, d’un rôle actif de nature constituante lors de la négociation de traités plutôt qu’un rôle forcément plus passif et une attitude antagoniste en cas de contentieux constitutionnel (Nation haïda, par. 14; S. Grammond, Aménager la coexistence : Les peuples autochtones et le droit canadien (2003), p. 247). L’obligation de consultation peut faire l’objet d’une forme ou une autre d’exécution forcée. Les tribunaux doivent toutefois veiller à ce que cette obligation de consultation ne soit pas dénaturée et invoquée d’une manière qui compromette la négociation au lieu de la favoriser. C’est ce qui se produirait, à mon avis, si on retenait l’argument des intimés selon lequel les traités, et plus particulièrement l’Entente définitive, n’ont pas pour objet de définir les obligations constitutionnelles des parties, y compris les modalités de la consultation de la partie autochtone par la partie étatique avant l’exercice par cette dernière des droits que lui reconnaît le traité.

[104]                      Les différents objectifs — à court, moyen et long terme — de l’obligation constitutionnelle de consultation des Autochtones procèdent tous d’un même principe fondamental en ce qui concerne les droits des peuples autochtones : l’honneur de la Couronne, qui est toujours en jeu dans les rapports entre l’État et les peuples autochtones (R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, par. 24). De toute évidence, lorsque ces rapports portent sur les droits constitutionnels spéciaux de ces peuples, l’honneur de la Couronne devient alors source d’obligations et de droits constitutionnels, comme c’est le cas pour l’obligation de la Couronne de consulter les Autochtones relativement aux droits ancestraux ou issus de traités de ces derniers (R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 6).

[105]                      Dans notre jurisprudence, le principe de l’honneur de la Couronne tend à se substituer à une notion qui possède à la fois une portée se limitant à certains types de rapports n’intéressant pas toujours les droits constitutionnels des Autochtones et des relents de paternalisme, à savoir l’obligation de fiduciaire (St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. The King, [1950] R.C.S. 211, p. 219; Guerin; Sparrow; Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159, p. 183; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; Nation haïda; Première nation Tlingit de Taku River; Mitchell c. M.R.N., 2001 CSC 33, [2001] 1 R.C.S. 911, par. 9, la juge en chef McLachlin; Mikisew, par. 51). Avant d’être élevé au rang de principe constitutionnel, l’honneur de la Couronne s’est d’abord entendu du caractère « sacré » de la [traduction] « parole de l’homme blanc » (R. c. White (1964), 50 D.L.R. (2d) 613 (C.A.C.-B.), p. 649, conf. par (1965), 52 D.L.R. (2d) 481 (C.S.C.); voir également R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, p. 1041, et Province of Ontario c. Dominion of Canada (1895), 25 R.C.S. 434, p. 511-512, le juge Gwynne (dissident)). L’honneur de la Couronne est ainsi devenu un principe cardinal d’interprétation des traités conclus avec les Autochtones (R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, par. 24 et 46; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, par. 78, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef), dissidente, mais non sur cette question; Mikisew, par. 51).

[106]                      Associer l’honneur de la Couronne au respect des traités dûment négociés suppose une certaine valorisation du processus de négociation de ces traités. Or, la valeur juridique même du traité dépend de la capacité de celui-ci d’être respecté par les deux parties. Le principe de l’honneur de la Couronne ne dispense pas la partie autochtone de l’obligation d’honorer ses propres engagements. Il en va du respect de la capacité des peuples autochtones de prendre une part active à la définition de leurs droits constitutionnels spéciaux, du respect de leur autonomie de jugement.

[107]                      Permettre à une partie de revenir unilatéralement sur son engagement constitutionnel en y superposant des droits et obligations additionnels portant sur des matières déjà prévues au traité risque de se traduire par un mépris juridique paternaliste, de compromettre le processus national de négociation de traités et de nuire à la poursuite de l’objectif ultime de réconciliation. Voilà le péril auquel nous expose ce qui me semble être une malheureuse prise en otage du principe constitutionnel de l’honneur de la Couronne et du principe en découlant, l’obligation de consulter les Autochtones.

[108]                      La Couronne se montre assurément honorable lorsqu’elle négocie de bonne foi avec une nation autochtone un traité précisant les modalités d’exercice des droits spéciaux de celle-ci sur son territoire traditionnel. Le respect du principe de l’honneur de la Couronne exige aussi que, en cas de négociation, cette dernière consulte avec une intensité variable la partie autochtone et, dans certains cas, trouve le moyen de l’« accommoder » avant de prendre des mesures ou décisions susceptibles d’attenter à des droits constitutionnels spéciaux dont elle a justement accepté de négocier les modalités d’exercice (Nation haïda; Taku River). En réalité, étant davantage un concept juridique normatif qu’un concept descriptif de l’action réelle de la Couronne, l’honneur de la Couronne implique l’obligation pour celle-ci de consulter les Autochtones non seulement au sujet des droits ancestraux effectivement visés par les négociations, mais également au sujet de tout droit ancestral dont la connaissance ou l’existence potentielle peut lui être imputée, pour autant, bien entendu, que les dispositions qu’elle envisage de prendre seraient susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur de tels droits (Nation haïda, par. 35). Ce même principe commande aussi, comme nous l’avons vu, que la Couronne tienne parole et respecte ses engagements une fois un traité conclu.

[109]                      Dans le cadre de la conclusion d’un traité, il n’y a rien de déshonorant pour la Couronne à s’entendre avec une communauté autochtone sur un régime détaillé et multiforme de consultation relative à l’exercice des droits de cette communauté : consultation au sens strict, participation à l’évaluation environnementale et socioéconomique, cogestion, etc. En outre, dans un tel cas — et c’est normalement ce qui se produit depuis la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1975 — lors de la conclusion de tout accord de règlement d’une revendication territoriale fondée sur des droits ancestraux, il n’y a rien non plus de déshonorant de la part de la Couronne à exiger de la partie autochtone qu’aucun régime parallèle relatif à une matière prévue au traité ne permette à celle-ci de revenir sur ses engagements. En effet, la sécurité juridique est l’objectif premier de toutes les parties à un accord portant règlement de revendication territoriale globale.

[110]                      On a parfois affirmé, à tort selon moi, que, dans la négociation d’un traité, la partie étatique et la partie autochtone divergeaient profondément d’opinions relativement à cet objectif de sécurité juridique, ou « certitude », dont seul l’État aurait à cœur la poursuite. Il ne faut pas accorder un poids démesuré aux thèses avancées par les parties en l’espèce, qui ont arrêté des positions sans nul doute polarisées par le contexte contradictoire de la présente instance.

[111]                      En effet, des travaux commandés par l’Organisation des Nations Unies ont révélé que (1) le déficit de précision de leurs droits spéciaux demeurait le problème le plus important pour les peuples autochtones, en même temps que (2) l’importance capitale que revêt aux yeux de ces peuples la conclusion de traités avec les États (M. Saint-Hilaire, « La proposition d’entente de principe avec les Innus : vers une nouvelle génération de traités? » (2003), 44 C. de D. 395, p. 397-398). On fait également fausse route, à mon avis, lorsqu’on affirme que la conception relationnelle que se font les Autochtones des traités est incompatible avec la poursuite d’un objectif de sécurité juridique. Suivant cette conception de la [traduction] « négociation de traités » (« treaty making »), ces instruments viseraient principalement à établir une relation qui serait appelée à évoluer (M. L. Stevenson, « Visions de certitude : question d’hypothèses », dans Commission du droit du Canada, dir., Parlons franchement à propos des traités (2001), 123, p. 132; R. A. Williams, Linking Arms Together (1997)). Or, la notion d’« accord sûr » ne coïncide pas avec celle d’« accord définitif », ni même avec celle d’« accord complet ». Il ne saurait y avoir de sécurité juridique si une des parties à un traité pouvait — unilatéralement et sans que cela ne soit prévu au traité — revenir sur ses engagements à l’égard d’une matière prévue à ce traité. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas exister de matières dont les parties n’auront pas traité et à l’égard desquelles la partie autochtone pourra ne pas avoir renoncé à d’éventuels droits ancestraux. La sécurité juridique n’exclut pas non plus la possibilité de prévoir, dans un traité, un mécanisme équitable de réexamen.

[112]                      En ce sens, il devrait être évident que la meilleure façon pour les tribunaux de contribuer à ce qu’un traité favorise, comme le souhaite  le juge Binnie, « une relation à long terme harmonieuse entre les collectivités autochtones et non autochtones » (par. 10), consiste d’abord et avant tout à s’assurer que les parties ne puissent revenir unilatéralement sur leurs engagements. Et il se trouve que, en aval de sa poursuite en tant qu’objectif partagé à l’étape de la négociation, la sécurité juridique ne saurait, à l’étape de la mise en œuvre d’un traité, opérer à sens unique.  Au contraire, la sécurité des droits d’une partie implique nécessairement que celle-ci s’acquitte de ses obligations et respecte les droits de l’autre partie. S’étant toutes deux échinées, dans leur intérêt commun, à substituer un système juridique précis à un régime normatif incertain, la partie autochtone et la partie étatique ont toutes deux intérêt à ce que leur œuvre produise ses effets.

[113]                      Sauf en ce qui concerne la prise de mesures susceptibles d’enfreindre unilatéralement des droits reconnus par traité à un peuple autochtone, il est contre-productif d’affirmer, comme le font les intimés, que l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel demeure toujours applicable, même en présence d’un traité. Cela dit, la thèse des appelants va beaucoup trop loin.  Comme je l’explique plus amplement ci-dessous, le fait qu’un traité ait été signé et qu’il s’agisse de l’entente complète sur certains aspects de la relation des Autochtones avec les non-Autochtones ne signifie pas qu’il s’agit d’un code complet couvrant tous les aspects de cette relation. En l’espèce, c’est justement parce que l’accord en cause traite bel et bien des différentes formes de consultation auxquelles a droit la partie autochtone concernant les droits que la Couronne veut exercer qu’il faut se garder de superposer à ce régime des droits et obligations qui lui sont étrangers, et non pas simplement, comme le prétendent les appelants, parce qu’il s’agit d’un traité « moderne » constituant un accord portant règlement de revendications territoriales.

[114]                      Il est vrai que le par. 35(3)  de la Loi constitutionnelle de 1982  reconnaît l’existence d’une catégorie de traités, appelés « accords sur des revendications territoriales », dont la loi constitutionnelle confirme qu’ils créent des droits « issus de traités » visés au par. 35(1). Cela dit, les tribunaux prendront certes acte du contexte des négociations de chaque traité, mais ils éviteront, par exemple, de dégager des règles particulières pour chaque catégorie de traités reconnue par la doctrine ou l’administration publique (p. ex. traités « de paix et d’amitié », traités « préconfédératifs », traités « numérotés », traités « modernes »).

[115]                      Dans Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557, le juge LeBel et moi avons rejeté la date de conclusion comme critère déterminant les règles d’interprétation des traités conclus avec les Autochtones : « . . . le choix de la méthode d’interprétation se rattache au contexte de la négociation et de la signature d’un accord, et non à la date à laquelle il a été signé » (par. 114). Cette conclusion procédait d’un refus de reconnaître une signification juridique autonome ou immédiate aux diverses catégories de traités que la doctrine et l’administration publique ont établies sur la base d’un découpage historique. Cette approche a aussi été défendue par la juge McLachlin, dissidente sur une autre question, qui a affirmé, dans l’arrêt Marshall, que « chaque traité doit être examiné à la lumière de son contexte historique et culturel particulier », principe qui « tend à indiquer » que la pratique consistant à « classer les traités en diverses catégories, dont chacune aurait ses propres règles d’interprétation [. . .] devrait être évitée » (par. 80).

[116]                      Dans les cas où les tribunaux se sentiront davantage libres de prendre une certaine distance critique par rapport au texte d’un traité et pourront, de ce fait, l’interpréter d’une manière favorable à la partie autochtone, ce sera parce que la preuve, y compris la preuve historique et orale, aura établi qu’il est probable que la version écrite de l’échange de promesses ne consigne pas fidèlement tous les droits de la partie autochtone et toutes les obligations de la Couronne qu’a créés cet échange.  Il est vrai que, pour certaines époques, le contexte de conclusion des accords suggérera plus facilement l’existence d’une telle infidélité du texte. Mais cela ressortit davantage aux faits qu’au droit applicable, lequel s’attache en dernière analyse à l’intention commune des parties.  Du point de vue juridique, les accords de règlement de revendications territoriales globales demeurent des traités. Et rien, pas même l’appartenance du traité à une « catégorie » donnée, ne dispense de lire et d’interpréter ce traité à la lumière du contexte de sa conclusion afin de dégager l’intention commune des parties. La Cour a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler que, même lorsqu’il s’agit de traités plus anciens, l’interprétation « doit être réaliste et refléter l’intention des deux parties et non seulement celle [de la première nation] » (Sioui, p. 1069). Je dirais même qu’il serait erroné de penser que le pouvoir de négociation des Autochtones est directement fonction de l’époque du traité, car certaines nations autochtones étaient très puissantes au début de la colonisation et les arrivants européens ne pouvaient se passer d’alliances avec elles.

[117]                      Ma conclusion au sujet de l’interprétation des traités vaut tout autant en ce qui concerne la relation entre ceux-ci et le droit qui leur est extérieur, autrement dit, au sujet de l’application aux traités des règles relatives aux conflits de lois : le simple fait qu’un traité appartienne à l’une ou l’autre des « catégories » ne saurait assujettir celui-ci à un régime distinct à cet égard. L’invitation des appelants doit donc être déclinée : même lorsque le traité en cause est un accord portant règlement de revendications territoriales, la Cour doit d’abord dégager l’intention commune des parties; elle se prononcera ensuite sur l’application, à la partie autochtone, du régime jurisprudentiel relatif à l’obligation constitutionnelle de consultation.

[118]                      C’est donc sur une autre base que la simple appartenance du traité en cause à la catégorie des accords modernes de règlement de revendications territoriales que la présente affaire se distingue de l’affaire Mikisew. Comme le rappelle en l’espèce le juge Binnie (par. 53), le traité en cause dans Mikisew était silencieux sur les modalités d’exercice du droit reconnu à la Couronne de requérir ou prendre des terrains « de temps à autre [. . .] pour des fins d’établissements, de mine, d’opérations forestières, de commerce ou autres objets ». Il s’agissait là d’une omission, car, en l’absence de balises, l’exercice d’un tel droit par la Couronne risquait de rendre inopérant le droit des Mikisew « de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche » que le même traité leur reconnaissait par ailleurs. Par conséquent, en présence d’un traité, l’obligation jurisprudentielle de consultation ne s’appliquera qu’en cas d’omission des parties au traité d’avoir prévu cette matière.

[119]                      Par ailleurs, lorsque, comme dans l’affaire Mikisew, l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel doit être mobilisée afin de combler une lacune du traité, cette obligation connaît alors un phénomène de différenciation. En effet, en présence d’un traité, l’obligation jurisprudentielle de consultation remplit une fonction bien distincte de celle de l’obligation de consultation en cause dans les affaires Nation haïda et Taku River, si bien qu’il serait trompeur d’assimiler ces deux obligations. Certes, il s’agit dans les deux cas d’une obligation constitutionnelle, fondée sur le principe de l’honneur de la Couronne qui doit présider aux relations entre celle-ci et les peuples autochtones lorsque les droits constitutionnels — ancestraux ou issus de traités — des seconds sont en jeu. Cependant, il est important de bien distinguer, d’une part, l’obligation de consultation qui s’impose à la Couronne préalablement à la prise de mesures ou dispositions qui risquent d’enfreindre les droits ancestraux d’un peuple autochtone et, d’autre part, l’obligation minimale en matière de consultation de la partie autochtone qui s’applique impérativement à la Couronne relativement à l’exercice par celle-ci des droits que la première lui a reconnus par traité. Voilà, à mon avis, la signification précise et véritable du passage suivant de l’arrêt Mikisew, selon lequel l’« honneur de la Couronne existe également en tant que source d’obligation indépendante des traités » (par. 51). C’est dans ce sens précis que doit être également compris le passage suivant de l’arrêt Nation haïda selon lequel la « jurisprudence de la Cour étaye le point de vue selon lequel l’obligation de consulter et d’accommoder fait partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au-delà du règlement formel des revendications » (par. 32).

[120]                      Lorsque, autrement que dans l’exercice d’un droit découlant d’un traité, la Couronne restreint unilatéralement un droit conféré par ce traité à un peuple autochtone, une telle atteinte est forcément grave et l’obligation qu’a alors la Couronne consiste à prendre des mesures d’accommodement raisonnable. Et cette norme rejoint d’ailleurs celle de l’atteinte minimale, contexte dans lequel l’arrêt Sparrow a reconnu l’obligation de consulter.

[121]                      La consultation requise en vue de l’exercice de droits reconnus à la Couronne par un traité, lorsqu’il y a atteinte à un droit des Autochtones, comportera : (1) soit les mesures prévues par le traité à cet égard; (2) soit, à défaut de telles mesures dans le traité, au degré de consultation que le régime jurisprudentiel établit et qui est fonction des circonstances, notamment la gravité des effets potentiels sur les droits que le traité reconnaît à la partie autochtone (Nation haïda, par. 39; Mikisew).

[122]                      Une précision importante doit toutefois être apportée ici. Lorsqu’un traité établit des mesures de consultation de la partie autochtone en vue de l’exercice par la partie étatique des droits que lui reconnaît ce traité, par exemple la participation de la partie autochtone concernée à l’évaluation environnementale et socioéconomique des projets de développement, ce que le traité a pour effet d’écarter dans un tel cas est bien l’obligation jurisprudentielle de consultation du peuple autochtone, non pas toute obligation de consulter individuellement le titulaire d’un droit pouvant découler du principe général du droit administratif qu’est l’équité procédurale. L’obligation constitutionnelle de consultation des Autochtones procède du principe de l’honneur de la Couronne, lequel concerne la relation toute particulière qu’entretiennent avec l’État les Autochtones en tant que peuples (Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 59-60). C’est d’ailleurs cette relation particulière, fondée à l’origine sur la reconnaissance d’ordres autochtones préexistants à l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté, qui explique que, en tant que peuples, les Autochtones peuvent conclure des traités avec l’État. Les règles générales du droit administratif ne font normalement pas partie des matières prévues dans les accords de règlement de revendications territoriales globales.

[123]                      Au fond, l’erreur qui vicie la thèse des appelants selon laquelle tout traité moderne écarte, de par sa nature, l’obligation jurisprudentielle de consultation est qu’ils confondent la notion d’« accord sûr » et celle d’« accord complet ». L’impératif de sécurité juridique qui est à la base de la négociation d’un traité moderne et qui appelle au respect de la volonté des parties ne saurait rendre les tribunaux aveugles aux omissions de ces dernières.  La complétude d’un accord ne se présume pas, elle se constate.

[124]                      La Cour ne peut évidemment pas se lier pour l’avenir et tenir pour acquis que tout traité moderne ne comporte aucune omission ou autre lacune en matière de consultation. La possibilité que, dans un traité moderne, on ait pu omettre une matière aussi importante peut sembler à première vue étonnante, mais nous verrons que la présente affaire démontre qu’une telle éventualité est pourtant bien réelle. En effet, si ce n’était des dispositions de droit provisoire que contient le chapitre 12, il y aurait probablement eu lacune en l’espèce et, à titre exceptionnel dans l’univers juridique des traités modernes au point de vue empirique, l’obligation jurisprudentielle de consultation aurait pu dûment s’appliquer pour combler cette lacune. Mais aucune lacune de ce genre ne peut être constatée dans la présente affaire. Il se trouve que c’est précisément une telle « lacune procédurale » (« procedural gap », par. 38) que le juge Binnie affirme être confirmée en l’espèce, et ce, sans se pencher sur le droit provisoire prévu au traité, dispositions qui, selon moi, apportent la réponse aux questions posées par les pourvois. Rejetant la thèse de l’existence, en l’espèce, d’un tel hiatus procédural, je ne souscris pas davantage à la surimposition au traité du régime jurisprudentiel de l’obligation de consultation. Voilà donc ce qui nous sépare pour l’essentiel.

[125]                      Dans son appel, le Yukon prétend en outre que l’existence d’une obligation de consultation ne pourra être inférée d’un traité que suivant les stipulations expresses de celui-ci. Une fois de plus, il s’agit d’un argument qui va trop loin et ne correspond d’aucune manière aux principes généraux d’interprétation des traités avec les peuples autochtones, même lorsque ces principes sont appliqués aux traités modernes. Comme nous le verrons, le traité lui-même contient des dispositions interprétatives qui précisent qu’il ne faut pas s’en tenir aux stipulations expresses, et notamment qu’il faut lire ses dispositions en corrélation et, au besoin, résoudre les ambiguïtés à la lumière des objectifs énoncés au début de chaque chapitre.

[126]                      Il serait possible, sur la seule base des considérations d’ordre général qui précèdent, de rejeter l’appel principal. Cependant, les dispositions de l’Entente définitive confirment elles aussi cette conclusion. Leur examen est d’ailleurs nécessaire pour évaluer la thèse des intimés.

II.      Traité en cause

 

[127]                      L’analyse du traité que requiert la présente affaire comporte trois volets. Il faudra d’abord en discerner le régime général et en dégager les notions clés. Il s’agira ensuite de déterminer les droits matériels issus de traités qui sont ici en jeu, c’est-à-dire, d’une part, le droit de la partie étatique dont l’exercice soulève la question de la consultation et, d’autre part, le droit ou les droits de la partie autochtone qui, du fait de cet exercice risque de se retrouver limités par celui du droit de la Couronne. Enfin, élément déterminant, il sera question des droits et obligations formels qui résultent du processus de consultation prévu au traité.

A.     Régime général

 

[128]                      Les accords portant règlement de revendications territoriales autochtones dites « globales » font partie de notre corpus constitutionnel. Qui plus est, par l’effet de leur loi de mise en œuvre, ces accords lient normalement les tiers. Ils sont d’habitude le fruit de nombreuses années d’intenses négociations. Les documents qui les consignent commandent donc le plus grand respect.

[129]                      Notre Cour a récemment été appelée à interpréter pour la première fois la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, quelque 35 ans après sa signature en 1975.  Or, depuis cette date, c’est 19 autres accords du genre qui ont été conclus à travers le pays. Ensuite, et pour prendre l’exemple le plus fort, si à ce jour une seule revendication globale a fait l’objet d’un accord de règlement définitif en Colombie-Britannique et si sept autres seulement y sont à un stade plus ou moins avancé de négociation, en revanche pas moins de 52 autres revendications y ont été acceptées pour négociation par la Commission des traités.

[130]                      C’est au terme d’une vingtaine d’années de négociations que, le 29 mai 1993, était signé l’Accord-cadre définitif entre le gouvernement du Canada, le Conseil des Indiens du Yukon et le gouvernement du Yukon (« Accord-cadre »). La Première nation de Little Salmon/Carmacks était alors membre du Conseil des Indiens du Yukon. Elle l’est toujours, avec neuf autres premières nations. L’Accord-cadre prévoyait la conclusion, suivant ses stipulations, d’ententes particulières avec les diverses  premières nations du Yukon (art. 2.1.1).

[131]                      Tandis que l’Accord-cadre « n’a pas pour effet de créer des droits légaux ou de porter atteinte à de tels droits » (art. 2.1.2), en revanche « [l]es ententes portant règlement constituent des accords sur des revendications territoriales au sens de l’article 35  de la Loi constitutionnelle de 1982  » (art. 2.2.1). De plus, l’Accord-cadre précise que « [t]oute entente définitive conclue par une première nation du Yukon doit inclure les dispositions de l’Accord-cadre définitif ainsi que les dispositions spécifiques applicables à cette première nation du Yukon » (art. 2.1.3). La lecture des ententes définitives en question révèle que cet engagement a été tenu par les parties. On a même repris, dans les 11 ententes définitives conclues jusqu’à maintenant conformément à l’Accord-cadre, la numérotation des dispositions de cet accord. Ces 11 ententes représentent ainsi plus de la moitié de la totalité des accords de règlement de revendications territoriales « globales » (c’est-à-dire fondée sur l’allégation de droits ancestraux) conclus au pays. L’Entente définitive qui nous intéresse a été signée près de Carmacks, le 21 juillet 1997, et ultérieurement ratifiée et mise en œuvre par des lois, dernière étape qui constituait une condition de validité (art. 2.2.11 et 2.2.12).

[132]                      Certaines notions structurent l’ensemble de l’Accord-cadre. Soulignons d’entrée de jeu que celui-ci vise un territoire plus grand que ne le fait, comme tel, le règlement des revendications dont il est porteur. En effet, il y est question, outre d’une « terre visée par le règlement » ou « terre visée par un règlement » (« Settlement Land ») coïncidant avec, « [s]elon le cas, les terres visées par le règlement de catégorie A, les terres visées par le règlement de catégorie B ou les terres visées par le règlement détenues en fief simple », d’une « terre non visée par un règlement » ou « terre non visée par le règlement » (« Non-Settlement Land »), expression qui s’entend ici « de terres et d’eaux du Yukon qui ne sont pas des terres visées par un règlement » ainsi que des « mines et [des] minéraux — à l’exclusion des matières spécifiées — des terres visées par le règlement de catégorie B et des terres visées par le règlement détenues en fief simple » (chapitre 1). La nature de cette distinction sera utile lorsque nous examinerons les dispositions relatives à la sécurité juridique ou certitude (section 2.5.0). Mais signalons déjà que le régime prévu par l’accord varie considérablement selon qu’il est question de terres relevant de l’une ou l’autre de ces deux grandes catégories. Il convient aussi de souligner que, aux termes de l’accord, une « terre de la Couronne » — telle celle dont la cession à M. Paulsen le 18 octobre 2004 est ici en cause — est une terre qui, par définition, n’est pas une terre visée par le règlement. L’Accord-cadre utilise aussi la notion de « territoire traditionnel » qui dépasse l’opposition entre les terres visées par le règlement de la revendication et celles qui ne le sont pas (chapitre 1 et section 2.9.0). Cette notion de « territoire traditionnel » n’intéresse pas seulement la question du possible chevauchement des revendications de différentes premières nations du Yukon, mais aussi de leur débordement au-delà des limites du Yukon et de la négociation d’accords transfrontaliers (section 2.9.0). Comme nous le verrons, cette notion est également au cœur du régime de cogestion des ressources halieutiques et fauniques instauré par le chapitre 16 de l’entente définitive. La terre qui, le 18 octobre 2004, faisait l’objet de la décision du directeur de l’agriculture relativement à la demande de M. Paulsen se situe à l’intérieur du territoire traditionnel de la Première nation de Little Salmon/Carmacks, plus précisément dans sa partie nord, sur une portion qui chevauche le territoire traditionnel de la Première nation de Selkirk.

[133]                      La thèse des appelants repose entièrement sur le principe de l’« accord sûr ». Plus exactement, elle repose sur une interprétation imperméable à ce qui le distingue de celui d’« accord complet ». C’est ce qui explique comment ils en arrivent à détacher de son contexte une disposition générale fort importante de l’entente définitive pour en donner une interprétation qui ne me convainc pas. La clause de l’« entente complète » (« entire agreement clause ») (art. 2.2.15), dont la source matérielle est l’Accord-cadre et sur laquelle les appelants se fondent, est rédigée ainsi : « Chaque entente portant règlement constitue l’entente complète intervenue entre les parties à cette entente et il n’existe aucune autre assertion, garantie, convention accessoire ou condition touchant cette entente que celles qui sont exprimées dans cette dernière. » Il s’agit ici de la dimension transaction ou « règlement à l’amiable » des  accords porte règlement de revendications territoriales globales. Or, celle-ci n’est pas la seule, de sorte qu’il faut replacer une telle clause dans le contexte plus général de l’entente définitive, et notamment de ses dispositions relatives à la sécurité juridique — ou « certitude » — ou, comme ici, relative aux « Précisions » (section 2.5.0).

[134]                      Sur cette question essentielle de la sécurité juridique, l’Accord-cadre et, par la suite, toutes les ententes définitives négociées suivant les stipulations de celui-ci, ont été conclus conformément à la politique fédérale de 1986 sur les revendications globales (Saint-Hilaire, p. 407-408, note 45). En fait, on peut ici se reporter à la politique de 1993, puisque sur cette question celle-ci n’apportait aucune modification à la politique de 1986. Depuis 1986, la politique fédérale officielle indique à cet égard que « ne seront pas touchés par l’échange » les droits de nature foncière qui sont compatibles avec l’accord ni les « droits ancestraux qui ne sont pas liés aux terres et aux ressources ou à d’autres points négociés » (Affaires indiennes et du Nord Canada, Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones (1993), p. 10). En somme, la politique de 1986 annonçait un comportement honorable en visant des échanges équitables c’est-à-dire « orthodoxes » (Saint-Hilaire, p. 407). Autrement dit, le principe promu par la politique fédérale depuis 1986 établit une distinction entre la notion d’« accord sûr » et celle d’« accord complet ». Voilà pour le principe général qui préside à la section relative aux « Précisions » de l’accord qui nous occupe. Voyons maintenant plus en détail les modalités précises de l’échange de droits établi par l’Entente définitive.

[135]                      L’Accord-cadre prévoit (art. 2.5.1) que, en contrepartie des promesses, conditions et réserves prévues par l’entente définitive conclue par une première nation du Yukon :

2.5.1.1      sous réserve de la section 5.14.0 [qui prévoit une procédure de désignation de « sites spécifiques » auxquels la section 2.5.0 ne s’appliquera pas], cette première nation du Yukon et toutes les personnes qui sont admissibles en tant qu’Indiens du Yukon représentées par cette première nation — à la date d’entrée en vigueur de cette entente définitive — renoncent, en faveur de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, à l’ensemble de leurs revendications, droits, titres et intérêts ancestraux :

a)         concernant les terres non visées par le règlement et les autres terres et eaux — y compris les mines et les minéraux — relevant de la souveraineté ou de la compétence du Canada, à l’exception des Territoires du Nord-Ouest, de la Colombie-Britannique et des terres visées par le règlement;

b)         concernant les mines et les minéraux se trouvant à l’intérieur des terres visées par le règlement;

c)         concernant les terres visées par le règlement détenues en fief simple;

2.5.1.2      cette première nation du Yukon et toutes les personnes admissibles en tant qu’Indiens du Yukon représentées par cette première nation — à la date de cette entente définitive — renoncent, en faveur de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, à l’ensemble de leurs revendications, droits, titres et intérêts ancestraux à l’égard des terres visées par le règlement de catégorie A et de catégorie B et des eaux qui s’y trouvent, dans la mesure où ces revendications, droits, titres et intérêts sont incompatibles ou entrent en conflit avec quelque disposition d’une entente portant règlement . . .

Aux termes de l’accord portant règlement de sa revendication globale, la Première nation de Little Salmon/Carmacks a donc « renonc[é] » à tous ses possibles droits ancestraux relatifs aux terres, eaux, mines et minéraux, (1) sous réserve de la procédure de désignation de « sites spécifiques » — dont deux se situent à proximité de la terre faisant l’objet de la demande de Paulsen —, (2) sauf dans la mesure où ces droits s’étendraient aux Territoires du Nord-Ouest ou à la Colombie-Britannique et (3) à l’exception de ceux qui porteraient sur des terres et eaux visées par le règlement, mais cela dans la seule mesure où ils ne seraient pas incompatibles avec celui-ci et ne s’étendraient ni à des terres détenues en fief simple ni aux mines et minéraux — ce qui précise la définition des terres non visées par un règlement. Pour plus de sûreté, l’Entente définitive ajoute qu’en conséquence :

2.5.1.4      ni cette première nation du Yukon ni aucune personne admissible en tant qu’Indien du Yukon représentée par cette première nation, ou leurs héritiers, descendants et successeurs, ne feront valoir ou présenteront, selon le cas, après la date d’entrée en vigueur de cette entente définitive, quelque cause d’action, action déclaratoire, réclamation ou demande de quelque nature que ce soit — passée, actuelle ou future — à l’encontre soit de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, soit du gouvernement d’un territoire ou d’une province, ou de quelque autre personne, et qui serait fondée, selon le cas :

 

a)         sur quelque revendication, droit, titre ou intérêt  ancestral visé par la renonciation prévue aux articles 2.5.1.1 et 2.5.1.2;

 

b)         sur quelque revendication, droit, titre ou intérêt ancestral relatif à des terres visées par le règlement qui a été ou sera perdu, ou qui a fait, fait ou fera l’objet d’une renonciation . . .

[136]                      Il est également important de souligner la disposition générale 2.2.4, qui reprend le nouveau principe des échanges orthodoxes introduit par la politique fédérale de 1986, laquelle a présidé à la négociation de l’Accord-cadre :

Sous réserve des sections 2.5.0, 5.9.0 [effets de l’enregistrement, de l’octroi, de la déclaration ou de l’expropriation d’un intérêt inférieur à l’intérêt complet dans une parcelle de terre visée par le règlement] et 25.2.0 [négociation de la dimension transfrontalière des revendications] et de l’article 5.10.1 [effets de l’enregistrement, de l’octroi ou de l’expropriation du titre en fief simple dans une parcelle de terre visée par le règlement], les ententes portant règlement n’ont pas pour effet de porter atteinte à la capacité des peuples autochtones du Yukon d’exercer des droits constitutionnels — existants ou futurs — qui sont reconnus aux peuples autochtones et qui s’appliquent à eux ou de tirer parti de tels droits.

[137]                      L’esprit de l’Entente définitive ressort déjà à la lecture de ces dispositions relatives à l’objectif de sécurité juridique : sauf exception prévue par l’entente elle-même, celle-ci substitue au régime jurisprudentiel relatif aux droits ancestraux celui qu’elle instaure pour les matières dont elle dispose. Mais il y a plus.

[138]                      L’Entente définitive comporte également des dispositions générales et interprétatives, notamment la disposition générale 2.2.5, qui a comme tant d’autres été reprise de l’Accord-cadre et qui précise que « [l]es ententes portant règlement ne portent pas atteinte aux droits des Indiens du Yukon en tant que citoyens canadiens ni à leur droit de jouir de tous les droits, avantages et protections reconnus aux autres citoyens. » La section 2.6.0 de l’Accord-cadre contient elle aussi des dispositions pertinentes :

2.6.1   Les dispositions de l’Accord-cadre définitif, les dispositions spécifiques de l’entente définitive conclue par une première nation du Yukon ainsi que l’accord transfrontalier applicable à chaque première nation du Yukon doivent être lus en corrélation.

2.6.2   La loi de mise en œuvre doit renfermer des dispositions portant que:

2.6.2.1    sous réserve des articles 2.6.2.2 à 2.6.2.6, les règles de droit fédérales, territoriales et municipales s’appliquent aux Indiens du Yukon, aux premières nations du Yukon et aux terres visées par un règlement;

2.6.2.2    les dispositions d’une entente portant règlement l’emportent sur les dispositions incompatibles d’une règle de droit fédérale, territoriale ou municipale;

2.6.2.3    les dispositions de l’Accord-cadre définitif l’emportent sur les dispositions spécifiques incompatibles, applicables à une première nation du Yukon;

2.6.2.4    les dispositions de la loi de mise en œuvre l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre mesure législative;

. . .

2.6.3   Il n’existe aucune présomption que les expressions ambiguës d’une entente portant règlement doivent être interprétées en faveur soit d’une partie à cette entente soit de quelque personne en bénéficiant.

. . .

2.6.5   Les ententes portant règlement n’ont pas pour effet d’empêcher une partie de faire valoir, devant les tribunaux, sa position quant à l’existence, à la nature ou à l’étendue des rapports fiduciaires ou autres qui existeraient entre la Couronne et les premières nations du Yukon.

2.6.6   Les ententes portant règlement sont interprétées conformément à la Loi d’interprétation , L.R.C. (1985) ch. I-21 , avec les adaptations nécessaires.

2.6.7   Les objectifs figurant dans une entente portant règlement constituent l’énoncé des intentions des parties à cette entente et doivent être utilisés dans l’interprétation des expressions douteuses ou ambiguës.

2.6.8   Les mots et expressions définis et utilisés dans l’Accord-cadre définitif ont le sens qui leur est attribué dans la définition correspondante.

De ces stipulations interprétatives se dégagent notamment le principe d’égalité des parties (art. 2.6.3) et le principe d’une interprétation contextuelle fondée sur l’économie générale des dispositions, sections, chapitres et de l’ensemble du traité suivant sa nature systématique (art. 2.6.1). Ce dernier principe est confirmé par la règle voulant que, en cas d’ambiguïté, l’interprétation des dispositions du traité tienne compte des objectifs énoncés au début de certains chapitres de celui-ci (art. 2.6.7). Le caractère systématique du traité est également confirmé par la règle selon laquelle les mots et expressions définis sont porteurs de ces définitions lorsqu’ils sont utilisés (art. 2.6.8). Pour le reste, ce sont les règles établies par la loi fédérale d’interprétation qui s’appliquent (art. 2.6.6). Voilà donc le régime interprétatif dont les parties au traité ont elles-mêmes convenu. Plus exactement, ce régime a d’abord été élaboré par les parties à l’Accord-cadre, puis repris par les parties aux différentes ententes définitives conclues conformément aux stipulations de cet accord. Advenant toute incompatibilité, ce régime l’emporte sur les principes dégagés par la jurisprudence en matière d’interprétation de traités conclus par les gouvernements et les peuples autochtones.

[139]                      Les dispositions interprétatives et générales que nous venons de voir posent aussi certaines normes relatives aux rapports qu’entretiennent l’Accord-cadre et toute entente définitive conclue conformément à ses stipulations, non seulement entre eux, mais avec le reste du droit également. On peut noter à cet égard la norme énonçant la prépondérance — en cas d’incompatibilité constatée — de l’Accord-cadre sur les ententes conclues suivant ses stipulations (art. 2.6.2.3). À première vue, cette norme surprend, dans la mesure où les parties à l’Accord-cadre ont bien pris soin de préciser que, à lui seul, ce dernier « n’a pas pour effet de créer des droits légaux ou de porter atteinte à de tels droits » (art. 2.1.2). L’article 2.6.2.3 souffre donc d’une imprécision. Il ne peut s’agir que des dispositions de l’entente définitive dont la source matérielle (et non pas formelle) est l’Accord-cadre, lesquelles ont préséance sur les dispositions dites « spécifiques ». La loi de mise en œuvre, nommément la Loi sur le règlement des revendications territoriales des premières nations du Yukon , L.C. 1994, ch. 34 , précise d’ailleurs que ce sont « [l]es dispositions de l’accord-cadre reprises dans un accord définitif en vigueur [qui] l’emportent sur les dispositions incompatibles qui sont propres à la première nation » (par. 13(4)). Le reste des stipulations du traité relatives à cette question des « conflits de loi » est également repris dans la loi fédérale de mise en œuvre (art. 13) ainsi que dans son équivalent territorial (art. 5). Les règles pertinentes peuvent donc être résumées par le principe selon lequel l’Entente définitive l’emporte sur toute autre règle de droit infraconstitutionnel, sous réserve du fait que ses dispositions ne doivent pas être interprétées d’une manière portant atteinte aux droits des « Indiens du Yukon » en tant que citoyens canadiens ni à leur droit de jouir de tous les droits, avantages et protections reconnus aux autres citoyens (art. 2.2.5). En somme, donc, sauf exception le traité se substitue aux droits ancestraux relativement aux matières dont il dispose et il a préséance, en cas d’incompatibilité, sur le reste du droit infraconstitutionnel.

[140]                      Il importe de souligner ici que, dans certaines circonstances, le traité fait également intervenir le principe de substitution plutôt que le principe de préséance à l’égard d’un texte infraconstitutionnel donné, en l’occurrence la Loi sur les Indiens , L.R.C. 1985, ch.  I-5 , pour ce qui est des réserves (art. 4.1.2).

[141]                      En ce qui a trait à la relation entre le traité en cause et le reste de notre droit constitutionnel au-delà du seul régime jurisprudentiel des droits ancestraux, un tel traité ne saurait évidemment à lui seul modifier la « Constitution du Canada » au sens de l’art. 52 et de la partie V de la Loi constitutionnelle de   1982 . Il ne pourrait donc pas, par exemple, modifier à lui seul la protection des droits et libertés prévue à la partie I de cette dernière loi, c’est-à-dire la Charte canadienne des droits et libertés  (ce qui tend à être confirmé par l’art. 2.2.5 de l’Entente définitive dont il a été question plus haut), ou la répartition fédérative des compétences prévue à la partie VI de la Loi constitutionnelle de 1867 . Ensuite, relativement à la question qui nous intéresse particulièrement en l’espèce, dans la mesure où le droit d’être consulté qui est corrélatif de l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel (1) dépasse l’opposition entre droits ancestraux et droits issus de traité, (2) qu’il n’est donc pas un droit ancestral et encore moins un droit ancestral aux terres et aux ressources et (3) que, par conséquent, il ne saurait avoir fait l’objet d’une renonciation en vertu de la section 2.5.0, il convient de se demander si le traité qui nous occupe contient quelque chose d’explicite au sujet de la façon dont les parties entendent régir cette obligation. Autrement dit, l’Entente définitive contient-elle des dispositions qui auraient une incidence sur le principe général dégagé plus haut, selon lequel l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel ne s’appliquera qu’en cas d’omission des parties au traité d’avoir prévu cette matière? Je ne vois aucune disposition à cet effet.

[142]                      Il est utile de rappeler qu’un peuple autochtone ne saurait, par traité, renoncer à son droit constitutionnel d’être consulté avant la prise de mesures étatiques d’une manière non prévue par un traité et susceptible de violer, d’enfreindre ou de restreindre un droit reconnu aux Autochtones par ce même traité. Par analogie avec le droit des contrats, une telle renonciation constituerait une sorte de clause abusive. Or, ce n’est pas tant cette règle comme telle qui est en cause ici que le contenu minimal impératif de l’obligation dans le cas de traités conclus avec les peuples autochtones. Comme il a été souligné ci-dessus, l’art. 2.6.5 de l’Entente définitive — qui a été repris de l’Accord-cadre — précise que « [l]es ententes portant règlement n’ont pas pour effet d’empêcher une partie de faire valoir, devant les tribunaux, sa position quant à l’existence, à la nature ou à l’étendue des rapports fiduciaires ou autres qui existeraient entre la Couronne et les premières nations du Yukon ». L’obligation de fiduciaire n’a cependant pas toujours un caractère constitutionnel.  De plus, elle ne coïncide pas avec l’obligation de consultation qu’implique le principe de l’honneur de la Couronne que celle-ci se doit de préserver dans ses relations avec les peuples autochtones en leur qualité de titulaires de droits constitutionnels spéciaux. Par exemple, l’obligation de fiduciaire peut naître des rapports qu’entretient la Couronne avec les Indiens dans sa gestion des terres de réserve et, de façon plus générale, dans l’administration de la Loi sur les Indiens  (Guerin; Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 R.C.S. 746).

[143]                      En réalité, l’art. 2.6.5 vise à rappeler deux choses. Premièrement le règlement de la revendication globale d’une nation autochtone n’emporte pas nécessairement règlement de toute revendication particulière que pourrait avoir cette même nation et qui reposerait, par exemple,  non pas sur des droits ancestraux, mais sur la Loi sur les Indiens , le plus souvent sur le fondement de l’obligation de fiduciaire de la Couronne. Une revendication particulière pourrait aussi être basée sur un traité « historique ». En l’occurrence cependant, la Première nation de Little Salmon/Carmacks a renoncé expressément, dans l’accord de règlement de sa revendication globale que constitue l’Entente définitive, à tout éventuel « réclamation, droit ou cause d’action, passé, actuel ou futur » qui serait issu du Traité no 11 (art. 2.5.1.3, 2.5.1.4c) et 2.5.2). Enfin, contrairement à une revendication globale, une revendication particulière ne porte pas toujours uniquement sur des terres ou ressources. Il était donc normal de rappeler que la seule existence du règlement de la revendication globale d’une première nation du Yukon ne permet pas, sans autre forme de vérification, de conclure au règlement de toute revendication particulière que pourrait avoir cette première nation.

[144]                      Deuxièmement, l’article 2.6.5 vise aussi à rappeler un principe d’ordre plus général. En effet, il prévoit qu’une entente définitive n’empêche pas une partie de défendre en justice l’existence de rapports non seulement fiduciaires mais également « autres » entre la Couronne et les premières nations du Yukon. Il ne s’agit là en réalité que d’une manifestation du principe équitable visant des échanges d’une qualité supérieure entre les peuples autochtones et la Couronne — que celle-ci veut plus  orthodoxes — qui a d’abord été exprimé dans la politique fédérale de 1986.

[145]                      L’article 2.6.5 de l’Entente définitive n’est donc nullement incompatible avec le principe général qui a été dégagé plus haut et suivant lequel, comme contenu obligationnel minimal impératif, l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel ne s’appliquera, nonobstant la présence d’un traité, que dans les cas d’omission claire des parties à ce traité d’avoir stipulé à cet égard. En effet, tout dépendra de ce que les parties auront ou non convenu sur la question, auquel cas le traité, sauf bien sûr renvoi à l’effet contraire dans celui-ci, aura écarté l’application entre les parties de tout régime parallèle, y compris le régime jurisprudentiel.

[146]                      En somme, en stipulant à l’art. 2.2.4 que, sous certaines réserves, « les ententes portant règlement n’ont pas pour effet de porter atteinte à la capacité des peuples autochtones du Yukon d’exercer des droits constitutionnels — existants ou futurs — qui sont reconnus aux peuples autochtones et qui s’appliquent à eux ou de tirer parti de tels droits », les parties ne pouvaient avoir à l’esprit qu’un échange orthodoxe de droits. Elles n’avaient assurément pas l’intention de prévoir l’application d’un régime de consultation parallèle à celui qu’elles pouvaient être en train d’établir par traité. Si le traité qui nous occupe énonce les modalités d’exercice par la Couronne des droits qu’il lui confère en instaurant une forme ou une autre de consultation de la partie autochtone, alors la clause de l’entente complète figurant à l’art. 2.2.15 aura pour effet d’écarter tout régime parallèle, y compris celui qui a été élaboré par la jurisprudence de notre Cour.

B.      Droits matériels en cause

 

(1)   Droit de cession et droit d’accès aux terres de la Couronne

 

[147]                      C’est le chapitre 6 sur les droits d’accès qui doit d’abord retenir  notre attention en l’espèce relativement à la question du droit de la Couronne dont l’exercice est susceptible d’affecter l’exercice des droits de la partie autochtone. J’ai mentionné précédemment que l’accord en cause établit deux grandes catégories de terres, les terres visées par le règlement (« Settlement Lands ») et les autres (« Non-Settlement Lands ») qui comprennent les terres de la Couronne, parmi lesquelles se trouvait la terre faisant l’objet de la demande de M. Paulsen. Le principe qui structure le chapitre 6 est celui des droits d’accès de la partie autochtone et des tiers aux terres inoccupées de la Couronne d’une part (« unoccupied Crown Land ») et des droits d’accès de la Couronne et des tiers aux terres visées par le règlement qui n’ont pas été « mises en valeur » (« undeveloped Settlement Land ») de l’autre. Il s’agit d’un principe général qui peut certes connaître des exceptions.

[148]                      C’est à la section 6.2.0 que les parties à l’Accord-cadre, soit le Canada, le Yukon et le Conseil des Indiens du Yukon, ont prévu la confirmation dans les ententes définitives du droit de chaque Indien et première nation du Yukon d’accéder aux terres de la Couronne. La reprise de cette disposition dans les diverses ententes définitives a pour effet de conférer à chaque Indien et première nation du Yukon concerné un droit d’accès à des fins non commerciales (art. 6.2.1), droit qui est invoqué ici. Or, c’est en examinant ce droit qu’on arrive à cerner celui de la Couronne dont l’exercice est ici en cause et qui s’impose comme une exception au premier.

[149]                      En effet, le droit des premières nations d’accéder aux terres de la Couronne à des fins non commerciales est étroitement limité, en plus d’être assorti de conditions et d’exceptions. Il est limité en ce qu’il ne confère qu’un accès « occasionnel et négligeable » (art. 6.2.1.1) ou ayant « pour but la récolte de poissons ou d’animaux sauvages conformément aux dispositions du Chapitre 16 — Ressources halieutiques et fauniques » (art. 6.2.1.2), chapitre sur lequel je reviendrai. Les conditions applicables sont prévues à l’art. 6.2.4 — par exemple, une interdiction de porter atteinte de façon importante à l’utilisation et à la jouissance paisible de ces terres par d’autres personnes. Enfin, au sujet des exceptions qui sont pertinentes ici, le droit d’accès en cause ne s’applique pas aux terres de la Couronne « dont l’accès ou l’utilisation par le public est restreint ou prohibé » (art. 6.2.3.2) ou « faisant l’objet d’un contrat de vente, d’un permis ou d’un bail de surface », et ce, sauf « dans la mesure où le permis ou le bail de surface accorde un droit d’accès au public » ou « si le titulaire du contrat de vente ou encore du permis ou du bail de surface en permet l’accès » (art. 6.2.3.1 (je souligne)).

[150]                      Cette dernière disposition est précisément celle sur laquelle se fonde la décision sur la demande de M. Paulsen. Il s’agit donc de vérifier si, aux termes du traité, avant d’exercer son droit de céder des terres lui appartenant, d’une manière susceptible de restreindre un ou plusieurs droits que le traité reconnaît à la partie autochtone, la Couronne doit au préalable consulter cette dernière. Comme je l’explique ci-dessous, le traité en cause contient des dispositions régissant précisément cette question.

[151]                      Le droit de la Couronne est cependant clair. En effet, cette exception au droit d’accès des premières nations aux terres de la Couronne suppose de toute évidence le maintien du droit général de la Couronne de céder des terres lui appartenant. Les terres de la Couronne sur lesquelles les Autochtones du Yukon ont renoncé à tout droit ancestral ou issu du Traité no 11 et qui ne font pas partie des terres visées par le règlement de leur revendication territoriale globale sont définies dans l’accord même comme des terres « dont la propriété est dévolue à Sa Majesté du chef du Canada — que le commissaire du Yukon ait ou non pleine autorité sur celle-ci » (chapitre 1). Or, sauf exception, la propriété d’un bien implique le droit d’en disposer. Ce droit de la Couronne de céder des terres lui appartenant est confirmé non seulement par l’art. 6.2.3.1 du traité, mais aussi par l’art. 6.2.7 qui limite ce droit en indiquant que « [l]e gouvernement ne peut aliéner des terres de la Couronne attenantes à une pièce de terres visées par un règlement si cela aurait pour effet de couper cette pièce de terres soit des terres de la Couronne qui lui sont adjacentes, soit d’une route ou d’un chemin public. » Le droit issu de traité qu’invoque précisément la Première nation de Little Salmon/Carmacks relativement à l’accès aux terres de la Couronne s’arrête clairement là où commence le droit de celle-ci de céder de telles terres.

[152]                      Par ailleurs, en invoquant le droit que reconnaît l’art. 6.2.1.2 à chaque Indien et première nation du Yukon d’accéder aux terres de la Couronne pour s’adonner à « la récolte de poissons ou d’animaux sauvages conformément aux dispositions du Chapitre 16 », les intimés font également intervenir le chapitre relatif à la gestion des ressources halieutiques et fauniques. Ils soutiennent aussi que la cession de terre en cause diminuerait la valeur de la ligne de piégeage dont l’un d’entre eux, Johnny Sam, est titulaire en vertu de la Loi sur la faune, L.R.Y. 2002, ch. 229, et — de manière plus immédiate, mais assurément non moins importante — de ce même chapitre 16 de l’Entente définitive. Ce chapitre est donc en cause en l’espèce et il y a lieu de l’examiner plus en détail.

(2)   Gestion des ressources halieutiques et fauniques

 

[153]                      Le chapitre 16 de l’Entente définitive instaure un régime de cogestion des ressources halieutiques et fauniques. Il vient confirmer de manière générale le droit des Indiens du Yukon 

de récolter, à des fins de subsistance, dans les limites de leur territoire traditionnel et, avec le consentement de celle-ci, sur le territoire traditionnel d’une autre première nation du Yukon, toute espèce de poisson et d’animal sauvage, pour eux-mêmes et pour leur famille, en toute saison et sans limite de prises, sur des terres visées par un règlement et sur des terres de la Couronne où ils bénéficient d’un droit d’accès conformément à la section 6.2.0 . . . [art. 16.4.2]

Cependant, la portée réelle de ce principe général est limitée dans la mesure où la même disposition se termine par les mots suivants : « . . . sous réserve seulement des limites prévues par les ententes portant règlement » (art. 16.4.2). Ces limites sont importantes et vont au-delà de l’exception au droit d’accès conféré par la section 6.2.0 que constitue l’exercice par la Couronne de son droit de céder des terres lui appartenant. L’exercice des droits reconnus à la partie autochtone par le chapitre 16 est assujetti non seulement aux restrictions prévues par les dispositions des ententes définitives, mais aussi aux « mesures législatives édictées à des fins de conservation, de santé publique ou de sécurité publique » (art. 16.3.3), mesures qui « doivent être compatibles avec les dispositions du présent chapitre, être raisonnablement nécessaires à la réalisation des fins susmentionnées et ne limiter les droits en question que dans la mesure nécessaire à la réalisation de ces fins » (art. 16.3.3.1).

[154]                      Outre l’article 16.3.3, d’autres dispositions du chapitre 16 de l’Entente définitive viennent encadrer de diverses manières le droit des Indiens du Yukon d’exploiter les ressources halieutiques et fauniques, notamment en permettant l’instauration de quotas, en l’occurrence des « récolte[s] totale[s] autorisée[s] », « [l]orsque les possibilités de récolter du poisson d’eau douce ou des animaux sauvages sont limitées pour des raisons de conservation, de santé publique ou de sécurité publique » (art. 16.9.1.1). Ce même chapitre prévoit aussi les principes de répartition de ces récoltes « entre les Indiens du Yukon et les autres personnes exerçant des activités de récolte » (art. 16.9.1). Dans l’ensemble, la logique présidant aux principes de répartition des quotas vise à « satisfaire en priorité les besoins pour fins de subsistance des Indiens du Yukon, tout en répondant aux besoins raisonnables des autres personnes qui s’adonnent à des activités de récolte » (art. 16.9.1.1).

[155]                      Au-delà des seules fins d’établissement et de répartition de quotas, le chapitre 16 de chacune des ententes définitives entend encadrer l’exercice par les Indiens du Yukon de leurs droits d’exploitation des ressources halieutiques et fauniques par la mise en place d’une structure de gestion à plusieurs niveaux conjuguant les principes de participation des premières nations concernées et de décentralisation. Les organes composant cette structure sont, dans chaque cas, la première nation concernée, le conseil des ressources renouvelables (« conseil ») compétent sur le territoire traditionnel de cette première nation, la Commission de gestion des ressources halieutiques et fauniques (« Commission ») (et son sous-comité du saumon) — qui a compétence à l’échelle du territoire du Yukon — et, enfin, le ministre responsable de la matière en question. Les conseils et la Commission sont des organismes paritaires; « [s]ous réserve des dispositions des accords transfrontaliers et des ententes définitives conclues par les premières nations du Yukon, chaque conseil est formé de six membres dont trois sont choisis par la première nation du Yukon visée et trois par le ministre » (art. 16.6.2), et « [l]a Commission est formée de six personnes choisies par les premières nations du Yukon et de six autres choisies par le gouvernement » (art. 16.7.2). Relativement à la composition des conseils, les dispositions spécifiques des ententes définitives ne font qu’ajouter la possibilité pour la première nation et le ministre de proposer chacun un membre supplémentaire à titre de membre suppléant (art. 16.6.2.1 à 16.6.2.3). Le président de chaque conseil et celui de la Commission sont choisis parmi les membres de l’organe en question, conformément à la procédure de sélection établie par celui-ci (art. 16.6.3 et 16.7.3). Si cela n’est pas fait dans un délai de 30 ou 60 jours, suivant le cas et respectivement, le ministre, après consultation de l’organe concerné, désigne l’un des membres de celui-ci comme président (art. 16.6.3.1 et 16.7.3.1).

[156]                      Hormis le ministre, les organes prévus au chapitre 16 sont très rarement investis de pouvoirs décisionnels. L’un de ces rares cas est l’attribution à la première nation de la « compétence en dernier ressort en ce qui concerne la répartition des lignes de piégeage de catégorie 1 » (art. 16.11.10.6 et 16.5.1.2) — signalons qu’il ne s’agit pas de la catégorie à laquelle appartient la ligne de piégeage de Johnny Sam. La première nation est aussi seule compétente pour « tracer ou modifier le tracé des lignes de piégeage de catégorie 1 ou encore grouper ces lignes de piégeage, si ces mesures n’ont aucune incidence sur les lignes de piégeage de catégorie 2 » (art. 16.5.1.3).

[157]                      La première nation détient en outre, plus généralement, les pouvoirs décisionnels suivants :

. . . gérer, administrer, répartir ou réglementer de quelque autre façon que ce soit l’exercice, par les personnes énumérées ci-après, des droits des Indiens du Yukon prévus par la section 16.4.0 [relativement au prélèvement des ressources halieutiques et fauniques], dans la région qui relève de la compétence du conseil établi pour son territoire traditionnel :

 

a)   les Indiens du Yukon inscrits en application de son entente définitive;

 

b)   les autres Indiens du Yukon qui exercent des droits prévus par l’article 16.4.2;

 

c) sauf disposition contraire d’un accord transfrontalier, les membres d’un groupe revendicateur transfrontalier qui exercent, sur son territoire traditionnel, des activités de récolte conformément à cet accord transfrontalier . . . [art. 16.5.1.1]

Or, le dernier alinéa de cette même disposition donne la précision suivante : « . . . en respectant les mesures de réglementation de ces droits qui sont appliquées par le gouvernement conformément à l’article 16.3.3 et aux autres dispositions du présent chapitre » (art. 16.5.1.1, in fine). Le fait est que, sauf en matière de répartition de droits individuels à partir d’une allocation de prélèvement de groupe, il est surtout question au chapitre 16 d’activités de gestion qui relèvent, en fin de processus, du ministre. Les organes mentionnés au chapitre 16 — à l’exception du ministre — se voient parfois confier un pouvoir quasi décisionnel, mais il ne s’agit le plus souvent que d’un simple pouvoir consultatif prédécisionnel.

[158]                      C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’argument des intimés relatif au plan de gestion des ressources halieutiques et fauniques de la Première nation de Little Salmon/Carmacks — Community-based Fish and Wildlife Management Plan : Little Salmon/Carmacks First Nation Traditional Territory, 2004-2009 (2004). Il est question de tels plans de gestion au chapitre 16 des diverses ententes définitives et, plus particulièrement, pour les fins qui nous intéressent, aux art. 16.6.10 et 16.6.10.1, qui prévoient ce qui suit :

Sous réserve des dispositions des ententes définitives conclues par les premières nations du Yukon et sans restreindre la portée générale de l’article 16.6.9 [relatif aux attributions générales des Conseils], chaque conseil peut :

 

16.6.10.1   présenter au ministre des recommandations quant au besoin d’établir des plans de gestion du poisson d’eau douce et des animaux sauvages, à la teneur de ces plans et au moment de leur production, notamment en ce qui concerne les plans de récolte, les récoltes totales autorisées et la répartition du reste de la récolte totale autorisée [en vertu de l’article 16.9.4], à l’égard des espèces autres que celles visées à l’article 16.7.12.2 [espèces visées par des accords internationaux, espèces menacées ou déclarées par le ministre comme étant d’intérêt territorial, national ou international, populations transplantées et espèces exotiques] . . .

[159]                      Un plan de gestion tel celui invoqué par les intimés constitue un énoncé de politique faisant état d’actes juridiques projetés, le plus souvent des décisions ou des textes réglementaires devant être pris en vertu de la loi. Comme l’indique son titre, ce plan ne fait donc que consigner une entente administrative sur la façon dont les partenaires prévoient exercer leurs pouvoirs juridiques.

[160]                      Le passage pertinent du plan de gestion auquel renvoient les intimés est le suivant :

[traduction] Préoccupation : Il faut protéger le fleuve Yukon, de Tatchun Creek jusqu’à Minto, puisqu’il s’agit d’un habitat important pour le saumon, les orignaux et d’autres animaux sauvages. 

Cette partie du fleuve Yukon contient un certain nombre de faux chenaux et d’îles, et elle est considérée comme un habitat important pour les orignaux pendant le vêlage, l’été et l’hiver.  On y voyait couramment des orignaux dans les années 1960, alors qu’on en observe plus rarement au cours des dernières années.  Le faux chenal Dog Salmon (« Dog Salmon  Slough ») était un endroit particulièrement reconnu comme un habitat important.  Les ours pêchent à cet endroit.  C’est peut-être en raison de l’accroissement de la circulation maritime pendant l’été que les orignaux se tiennent loin des corridors fluviaux.  Il faut, dans le cadre du processus d’examen des demandes d’aliénation de terres dans cette région, tenir compte de l’importance de ces habitats pour le poisson et les animaux sauvages.

 

Solution : Conserver l’habitat important pour les orignaux et le saumon le long du fleuve Yukon, de Tatchun Creek jusqu=à Minto. 

 

Demander la désignation de la région entre Tatchun Creek et Minto, le long du fleuve Yukon, comme région de protection de l’habitat sous le régime de la Loi sur la faune

La communauté et les gouvernements doivent se concerter pour décider quels types d’activités devraient être menées dans cet habitat faunique important.  Il s’agit d’un territoire qui chevauche celui de la Première Nation de Selkirk, et le CRRC [Conseil des ressources renouvelables de Carmacks] doit consulter cette première nation.  Un garde-faune [de la Première nation de Little Salmon/Carmacks] pourrait aussi aider à l’évaluation de la région devant être désignée et fournir des lignes directrices en matière de gestion. [p. 32-33]

[161]                      Deux préoccupations ressortent donc : la protection du poisson et des animaux sauvages et la désignation des sites. Comme je l’expliquerai plus loin, le processus menant à la cession de terre pouvait prendre en considération la protection du poisson et des animaux sauvages et, de fait, il le faisait. Pour ce qui est d’une désignation d’aire protégée, ce qui aurait pu éventuellement conduire à soustraire à toute cession la terre visée par la demande de M. Paulsen, il s’agissait d’un processus complexe. Une telle désignation aurait requis que trois étapes soient franchies avec succès : (1) une recommandation de désignation formulée par la Première nation de Little Salmon/Carmacks après consultation avec la Première nation de Selkirk et le conseil des ressources renouvelables conformément aux dispositions pertinentes du plan de gestion; (2) une désignation effectuée par le commissaire en conseil exécutif au moyen d’un règlement pris en vertu de l’art. 187 de la Loi sur la faune, désignation qui a tout simplement pour effet d’ouvrir la possibilité de soustraire les terres à la cession; (3) la soustraction comme telle des terres à la cession par décret du commissaire en conseil exécutif pris en vertu de l’al. 7(1)a) de la loi du Yukon intitulée Loi sur les terres, L.R.Y. 2002, ch. 132, une telle mesure étant prise dans les cas où ce dernier l’estime conforme à l’intérêt public. De telles étapes restaient à franchir et, dans l’intervalle, aucune suspension provisoire du traitement des demandes portant sur des terres de la région visée n’avait été convenue, malgré une suggestion à cet effet formulée lors d’une rencontre qui avait eu lieu en septembre 2004, soit quelques semaines avant la décision sur la demande de M. Paulsen, et qui portait sur la révision de la politique agricole et réunissait des représentants de la première nation et de la Direction de l’agriculture.

[162]                      En somme, les dispositions du chapitre 16 qui concernent la gestion des ressources halieutiques et fauniques instaurent un régime par lequel les premières nations sont généralement invitées à participer à la gestion des ressources halieutiques et fauniques sur une base prédécisionnelle. Notamment, l’invitation qui leur est faite de proposer des plans de gestion des ressources halieutiques et fauniques peut être considérée comme une consultation.

(3)   Ligne de piégeage

 

[163]                      Les intimés soutiennent que la cession de terre en cause diminuera la valeur de la ligne de piégeage dont est titulaire Johnny Sam en vertu de la Loi sur la faune et à laquelle se rapporte la section 16.11.0 de l’Entente définitive relative à la gestion et à l’utilisation des lignes de piégeage. Au-delà des principes relatifs à la répartition d’éventuels contingents entre les premières nations et les autres exploitants, le chapitre 16 des ententes définitives du Yukon assujettit le piégeage d’animaux à fourrure à des règles particulières. En fait, la section 16.11.0 renvoie avec les adaptations nécessaires au régime d’octroi de lignes, ou « concessions » de piégeage individuelles que prévoit la Loi sur la faune. Les modifications qu’apportent les ententes définitives à ce régime d’application générale concernent pour l’essentiel la répartition des lignes de piégeage au sein du territoire traditionnel des premières nations concernées.

[164]                      En effet, l’art. 16.11.2 des diverses ententes définitives conclues aux termes de l’Accord-cadre avec les premières nations du Yukon stipule que :

Dans l’établissement, conformément aux articles 16.6.10.6 [portant délégation d’un pouvoir réglementaire en vertu de la Loi sur la faune] et 16.6.10.7 [attribuant un pouvoir de recommandation auprès du ministre et de la première nation], des critères locaux en matière de gestion et d’utilisation des animaux à fourrure, les conseils doivent viser les objectifs suivants :

16.11.2.1      le maintien et la mise en valeur de l’industrie de la fourrure d’animaux sauvages au Yukon et la conservation de cette ressource;

16.11.2.2      le maintien de l’intégrité du système de gestion fondé sur l’identification des lignes de piégeage individuelles, y compris des lignes de piégeage individuelles situées dans des secteurs de piégeage collectif.

[165]                      L’Entente définitive contient une disposition spécifique relative à la répartition des lignes de piégeage entre Autochtones et allochtones sur le territoire traditionnel de la Première nation de Little Salmon/Carmacks. Il s’agit de l’art. 16.11.4.1, qui précise que  « [l]e nombre total de lignes de piégeage qui sont situées dans une proportion de plus de 50 % dans la partie du territoire traditionnel de la première nation de Little Salmon/Carmacks qui ne coïncide pas avec le territoire traditionnel d’une autre première nation est de onze lignes de piégeage détenues par les Indiens du Yukon et de trois lignes de piégeage détenues par d’autres résidents du Yukon. » La ligne de piégeage dont est titulaire Johnny Sam n’est pas visée par cette répartition, dans la mesure où elle se situe entièrement dans cette portion du territoire traditionnel de la Première nation de Little Salmon/Carmacks qui chevauche celui de la Première nation de Selkirk.

[166]                      En outre, tel qu’il est mentionné ci-dessus, l’Entente définitive établit deux catégories de lignes de piégeage. Une fois octroyée à un individu, une ligne de piégeage se situant dans le territoire traditionnel d’une première nation peut, avec le consentement écrit de son détenteur inscrit, être désignée ligne de piégeage de catégorie 1 (art. 16.11.8). À défaut, la ligne sera donc de catégorie 2. Une telle  désignation a pour effet de conférer compétence à la première nation en ce qui concerne — notamment en cas de vacance ou de sous-utilisation — sa réattribution (art. 16.5.1.2 et 16.11.10.6) ou encore son tracé ou son groupage avec une autre ligne « si ces mesures n’ont aucune incidence sur les lignes de piégeage de catégorie 2 » (art. 16.5.1.3). Les lignes de catégorie 2 relèvent quant à elles non pas de la première nation mais du ministre (art. 16.3.1 et 16.11.10.7 et section 16.8.0). Les décisions des juridictions inférieures indiquent que la ligne de piégeage détenue par Johnny Sam appartient à la catégorie 2.

[167]                      L’article 16.11.13 établit le droit des « Indiens du Yukon qui détiennent des lignes de piégeage et dont les possibilités de récolte d’animaux à fourrure diminueront en raison d’autres activités de mise en valeur des ressources [d’]être indemnisés ». Ce droit va au-delà de ce que prévoit l’art. 82 de la Loi sur la faune en faveur du titulaire d’une ligne de piégeage, c’est-à-dire le droit d’être indemnisé pour seule cause de révocation ou refus de renouvellement, aux fins de protection de la faune ou de l’intérêt public, sans préavis d’au moins deux ans. Relativement aux conséquences que peut avoir la cession d’une terre à une personne sur le droit de trappe d’une autre, je signale que la Loi sur la faune (par. 13(1)) précise qu’« [i]l est interdit de chasser ou de piéger une espèce faunique dans un rayon d’un kilomètre d’une maison d’habitation, que les occupants soient présents ou non à ce moment, à moins d’avoir la permission de ces derniers. »

[168]                      Après avoir exposé la répartition de droits et d’obligations effectuée au chapitre 16 de l’Entente définitive invoqué par les intimés, il faut maintenant se demander si ce chapitre instaure une procédure particulière de consultation de la première nation signataire par le gouvernement du Yukon, préalablement à l’exercice par ce dernier de son droit de céder des terres de la Couronne relevant du Territoire (du Yukon). La réponse est négative. En effet, la consultation prévue aux art. 16.3.3.2, 16.5.4 et 16.7.16 se rapporte à la gestion des ressources halieutiques et fauniques et non pas aux répercussions qu’une mesure est susceptible d’entraîner en ce domaine. En revanche, les art. 16.5.3, 16.6.11 et 16.7.13 disposent que la première nation, le conseil des ressources renouvelables et la Commission de gestion des ressources halieutiques et fauniques, respectivement, ont qualité, en tant que partie intéressée, pour participer aux audiences publiques d’une agence, d’un office ou d’une commission relativement à des questions ayant une incidence sur la gestion et la conservation des ressources halieutiques et fauniques et de leurs habitats dans le territoire traditionnel concerné. Or, cette « agence », cet « office » ou cette « commission », ce seront notamment les organes dont il est question au chapitre 12 de l’Entente définitive, lequel prévoit une procédure de consultation des premières nations signataires concernées en garantissant leur participation à l’évaluation environnementale et socioéconomique des activités de  développement, comme l’est l’activité qui résulte de l’approbation de la demande de M. Paulsen.

[169]                      Je tiens tout de même à signaler que la ligne de piégeage conférait des droits à Johnny Sam.  Ce dernier bénéficiait en effet des droits que possède tout administré en matière d’équité procédurale.  Il avait aussi le droit d’être indemnisé conformément aux dispositions de l’art. 16.11.13.  Or, les intimés n’invoquent ni un manquement à l’équité procédurale ni leur droit à une indemnité.  Ce qu’ils réclament c’est la cassation de la décision sur la demande de M. Paulsen, au motif que la Couronne avait, selon la jurisprudence pertinente, l’obligation de les consulter (m.i. en appel incident, par. 86). Il est donc déterminant, à mon avis, d’examiner les droits que confère l’Entente définitive en matière de consultation lors d’une décision comme celle en cause en l’espèce.

C.     Droits et obligations formels en cause

 

[170]                      Les appelants écartent l’application du chapitre 12, au motif qu’il n’aurait pas été mis en œuvre au moment des faits pertinents. Par ailleurs, du point de vue des intimés, le processus prévu par le chapitre 12 se serait appliqué s’il avait été mis en vigueur mais ne représente qu’une forme de consultation parmi toutes celles qui seraient applicables — l’obligation jurisprudentielle de consultation ne serait pas exclue. Le juge Binnie, quant à lui, propose aussi le maintien de l’obligation jurisprudentielle de consultation lors de l’exercice par la Couronne d’un droit prévu par le traité et ce, même en présence de dispositions relatives à la consultation relativement à ce droit. Je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il en va du respect de l’autonomie des parties de respecter les stipulations dont elles ont convenu pour sceller leurs relations sur une matière donnée. Pour cette raison je ne peux accepter qu’on fasse fi des stipulations des parties concernant le droit transitoire.

[171]                      L’Accord-cadre et l’Entente définitive ici en cause prévoient que la loi de mise en œuvre devra indiquer que l’entente portant règlement lie les tiers (art. 2.4.2.3), et la Loi sur le règlement des revendications territoriales des premières nations du Yukon  précise qu’« [i]l est entendu [que tout accord — définitif ou transfrontalier — en vigueur] a force obligatoire pour toute personne et tout organisme qui n’y sont pas parties » (par. 6(2)). Cet accord et cette entente lient non seulement les parties, mais aussi les tiers. Par conséquent, je suis d’avis que notre Cour ne saurait écarter l’examen des dispositions du chapitre 12.

[172]                      Le chapitre 12 de l’Accord-cadre, qu’on retrouve aussi dans les ententes définitives, n’a pas fait que jeter les bases d’un processus d’évaluation environnementale et socioéconomique qui devait être mis en œuvre au moyen d’une loi distincte de la loi de mise en œuvre générale de ces ententes — ce qui fut fait par la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon , L.C. 2003, ch. 7 LÉESY  ») — mais il contient également des dispositions de droit provisoires relatives aux obligations des parties à l’Accord-cadre et aux ententes définitives qui s’appliquent même avant la promulgation de cette loi de mise en œuvre du processus qu’il envisage.

[173]                      En réalité, les ententes définitives du Yukon prévoient que leur mise en œuvre et mise en vigueur se font par loi ou par décret, selon le cas, et que leur mise en vigueur constitue une condition de leur validité (art. 2.2.11 et 2.2.12). On pourrait donc être amené à croire que, dans la mesure où il requiert la promulgation d’une loi de mise en œuvre spécifique, le chapitre 12 constitue une exception à la mise en vigueur générale d’une entente définitive, de telle sorte que, tant que n’a pas été promulguée cette loi, le chapitre 12 n’est porteur d’aucun droit ou obligation juridique. Or, ce n’est pas ce qui ressort du texte de l’Entente définitive.

[174]                      Aux termes de la section 12.2.0 de l’instrument qui nous occupe, l’expression « [loi] sur l’évaluation des activités de développement » s’entend de la « mesure législative édictée pour assurer la mise en œuvre du processus d’évaluation des activités de développement défini dans le présent chapitre » (je souligne). Cette définition ne renvoie donc pas à une loi de mise en œuvre particulière du chapitre 12 dans son ensemble, mais à la mise en œuvre du processus prévu à ce chapitre. Cette conclusion est confirmée par l’art. 12.3.1, qui prévoit que « [l]e gouvernement assure, au moyen d’une mesure législative, la mise en œuvre d’un processus d’évaluation des activités de développement conforme aux dispositions du présent chapitre ». Par conséquent, en toute logique, même si le processus d’évaluation n’a pas encore été mis en œuvre, l’entrée en vigueur d’une entente définitive conclue aux termes de l’Accord-cadre avec les premières nations du Yukon donne effet à plusieurs dispositions de ce chapitre 12 que toutes les ententes définitives ont en commun, notamment ses dispositions établissant le droit provisoire applicable.

[175]                      L’article 12.19.5 dispose que le chapitre 12 « n’a pas pour effet de porter atteinte à tout processus existant d’évaluation des activités de développement au Yukon avant l’entrée en vigueur de la [loi] sur l’évaluation des activités de développement. »  Cette disposition établit le droit provisoire applicable avant l’entrée en vigueur de la LÉESY et signifie que, avant son entrée en vigueur, les lois et règlements existants en la matière établissent le minimum auquel ont droit les premières nations du Yukon, de sorte que ces textes ne sauraient être modifiés d’une manière qui réduirait le niveau de protection reconnu à ces dernières.  Par ailleurs, durant ce même intervalle aucune modification de ce même droit existant n’est exigée par le chapitre 12.

[176]                      En outre, l’art. 12.3.4 prévoit que « [l]e gouvernement recommande au Parlement ou à l’Assemblée législative, selon le cas, l’édiction d’une mesure législative sur l’évaluation des activités de développement qui soit compatible avec les dispositions du présent chapitre et ce, dès que possible ou au plus tard deux ans après la date d’entrée en vigueur de la loi de mise en œuvre. »  Cette toute dernière loi de mise en œuvre n’est de toute évidence pas la loi de mise en œuvre du processus envisagé au chapitre 12, mais bien la loi de mise en œuvre dont il est question à la section 2.4.0 — la loi de mise en œuvre de l’entente définitive concernée. Tant la loi territoriale de mise en œuvre des premières ententes définitives que la loi fédérale correspondante sont entrées en vigueur en 1995. Quant à la mise en œuvre spécifique du processus prévu au chapitre 12, c’est finalement le Parlement qui y a procédé avec la LÉESY .

[177]                      Relativement au droit provisoire, c’est-à-dire au droit qui était applicable avant l’entrée en vigueur de la LÉESY , outre l’art. 12.19.5 vu plus haut, l’art. 12.3.6 de l’Entente définitive prévoyait ceci :

Avant l’édiction de la législation sur l’évaluation des activités de développement, les parties à l’Accord-cadre définitif s’efforcent d’élaborer et d’incorporer au plan de mise en œuvre prévu à l’article 12.19.1 des mesures provisoires d’évaluation des projets qui soient conformes à l’esprit du présent chapitre et respectent les limites existantes établies par les règles de droit applicables et les organismes réglementaires. [Je souligne.]

Aucun plan de mise en œuvre de la nature de celui visé à l’art. 12.19.1 n’a été produit en l’espèce.  Du reste, l’art. 12.19.4 précisait que le chapitre 12 n’avait « pas pour effet d’empêcher le gouvernement, en consultation avec les premières nations du Yukon, de prendre des mesures afin d’améliorer les procédures existantes en matière socio-économique ou environnementale au Yukon, en l’absence d’un plan détaillé approuvé [« approved detailed design »] du processus d’évaluation des activités de développement ». Aucune preuve n’a été déposée en l’espèce à l’égard d’une telle mesure.  Par conséquent, conformément à l’art. 12.19.5, le régime provisoire applicable correspondait au « processus existant d’évaluation des activités de développement au Yukon avant l’entrée en vigueur de la [loi] sur l’évaluation des activités de développement ».

[178]                      Il convient cependant de noter que le régime provisoire, qui ne devait  s’appliquer que pendant une période relativement courte, s’est prolongé plus longtemps que prévu.  En effet, je dois souligner que le projet qui est à l’origine de la loi de mise en œuvre du processus envisagé au chapitre 12 n’a été déposé que le 3 octobre 2002, soit plus de cinq ans et demi après l’échéance du 14 février 1997 prévue à l’art. 12.3.4 de l’Entente définitive. En fait, lorsque cette entente a été signée en 1997, cette échéance était déjà dépassée. Comme il ressort de l’économie des dispositions du chapitre 12 que, avant l’entrée en vigueur de la LÉESY , les parties à l’Accord-cadre devaient s’efforcer de faire en sorte que les premières nations du Yukon bénéficient de l’esprit de ce chapitre dans les meilleurs délais, il importe, dans un premier temps, de vérifier ce à quoi aurait eu droit la Première nation de Little Salmon/Carmacks en vertu de la LÉESY  si le processus que celle-ci met en œuvre s’était appliqué à la demande de M. Paulsen, et ce, dans le but, non pas de rendre applicable la lettre de la LÉESY , mais de bien saisir l’esprit du chapitre 12, dont certaines autres dispositions qui étaient quant à elles applicables prévoyaient expressément qu’on devait provisoirement s’efforcer d’y faire honneur.

(1)   Processus permanent : LÉESY 

 

[179]                      Le chapitre 12 des ententes définitives conclues avec les premières nations du Yukon a notamment pour objectif d’assurer la mise en place d’un processus d’évaluation des activités de développement « garantissant la participation des Indiens du Yukon au processus d’évaluation des activités de développement et faisant appel à leurs connaissances et à leur expérience » (art. 12.1.1.2). Ce régime devait intégrer à la fois la participation des premières nations et un certain niveau, sinon de décentralisation, du moins de déconcentration administrative. Ces objectifs sont assurés par la composition des organes établis par le chapitre 12 des ententes définitives et la LÉESY , ainsi que par le droit de regard de ces organes sur les activités de développement prévues sur le territoire touché. Ce dispositif intégré était appelé, sous réserve d’exceptions, à devenir la procédure d’évaluation par défaut au Yukon. La relation entre le processus établi au chapitre 12 et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale , L.C. 1992, ch. 37 , est précisée à l’art. 63  de la LÉESY . Outre le principe de l’évaluation unique, le chapitre 12 (art. 12.14.1.2 et 12.14.3.2) et sa loi de mise en œuvre (par. 82(1), 83(1) et 84(1)) reprennent celui de l’évaluation préalable (à toute autorisation d’un projet donné).

[180]                      Le processus dont le chapitre 12 jette les fondations est constitué de deux organes principaux : la Commission d’évaluation des activités de développement du Yukon et l’ensemble des « organismes désignés » au niveau local. Dans la LÉESY, la Commission devient un « Office » et les organismes des « bureaux ». La composition de l’Office est prévue à l’art. 8  de la LÉESY . L’Office se veut paritaire. Son comité de direction — appelé « comité exécutif » dans les ententes définitives — est composé d’un membre proposé par le Conseil des Indiens du Yukon, d’un membre proposé par le gouvernement et d’un président nommé par le ministre après consultation des deux premiers. Le ministre y nomme ensuite des membres supplémentaires de façon à ce que, exclusion faite du président, la moitié des membres soient des personnes dont la nomination a été proposée par le Conseil des Indiens du Yukon et l’autre moitié par le gouvernement. Quant aux bureaux désignés, en vertu de la LÉESY , ils sont des antennes de l’Office. Leur personnel « est formé des personnes que l’Office y affecte parmi son propre personnel » (par. 23(1)).

[181]                      Le chapitre 12 établit deux grandes catégories d’évaluation : les évaluations obligatoires et les évaluations facultatives, lesquelles sont effectives sur demande du gouvernement ou d’une première nation, mais dans ce dernier cas, sauf exceptions et conditions prévues, avec l’assentiment du gouvernement (art. 12.8.1.4, 12.8.1.5, 12.8.1.8, 12.8.1.9 et 12.8.1.10 de l’Entente définitive et art. 60  de la LÉESY ). Les évaluations facultatives relèvent de l’Office. Un projet peut aussi être simplement exclu de l’évaluation (par. 47(2)  LÉESY ). Les évaluations obligatoires relèvent quant à elles soit du bureau désigné de la circonscription où le projet doit être réalisé, soit de l’Office si le bureau de circonscription le lui réfère (par. 50(1)  LÉESY ) ou si un tel projet a fait l’objet d’une telle classification par règlement (al. 122 c )  LÉESY ). En somme, si un projet (1) n’est pas exclu de toute évaluation, (2) ne fait pas l’objet d’une évaluation facultative acceptée ou (3) n’est pas soumis par règlement à une évaluation par l’Office ou ne lui a pas été déféré par le bureau de la circonscription du projet, il fera l’objet d’une évaluation par ce dernier.

[182]                      Si le processus d’évaluation environnementale et socioéconomique prévu au chapitre 12, en fait, à la LÉESY  qui le met en œuvre, s’était appliqué au moment des faits, alors la demande de M. Paulsen aurait dû obligatoirement être évaluée par le bureau désigné de la circonscription de Mayo, créée avec cinq autres (pour un total de six) par arrêté ministériel en vertu du par. 20(1)  de la LÉESY . En effet, un projet comme celui faisant l’objet de la demande de M. Paulsen n’a pas été exclu par règlement, ni fait l’objet d’une précision pour évaluation par l’Office.  L’article 2 du Règlement sur les activités susceptibles d’évaluation, les exceptions et les projets de développement soumis au comité de direction, DORS/2005-379, renvoie à l’annexe 1 de celui-ci concernant les « activités qui pourraient [. . .] être assujetties à l’évaluation » au sens de l’art. 47  de la LÉESY . Cette annexe, à l’art. 27 de sa partie 13, intitulée « Divers », fait état de l’activité suivante :

Sur une terre dont le commissaire du Yukon a la gestion et la maîtrise ou sur une terre désignée, construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou abandon d’une structure ou installation agricole, récréative commerciale ou publique, touristique, de télécommunication, de piégeage ou destinée aux guides de chasse au gros gibier d’une espèce prévue par règlement du Yukon pris en vertu de la Loi sur la faune, L.R.Y. 2002, ch. 229.

[183]                      Enfin, l’article 5 du Règlement sur les activités susceptibles d’évaluation, les exceptions et les projets de développement soumis au comité de direction indique que « [l]es projets de développement pour lesquels des propositions doivent être soumises au comité de direction en application du paragraphe 50(1) de la [LÉESY ] sont précisés à l’annexe 3. » Or, comme rien dans cette annexe ne correspond à la demande de M. Paulsen, il faut donc en conclure que l’évaluation aurait ressorti au bureau désigné de Mayo, même si ce dernier aurait pu déférer le projet à l’Office.

[184]                      Comme le projet Paulsen appartient à la catégorie des projets impliquant une évaluation obligatoire par un bureau de circonscription, il est possible de répondre précisément à la question de savoir quelles sont les mesures auxquelles auraient eu droit les intimés si la lettre du processus prévu au chapitre 12 de l’Entente définitive s’était appliquée à la demande de M. Paulsen.

[185]                      Il faut d’abord constater que ni l’Entente définitive ni la LÉESY  ne prévoient la participation directe de la première nation au travail d’évaluation comme tel. La première nation n’aurait participé à l’évaluation de la demande de M. Paulsen que par l’intermédiaire du Conseil des Indiens du Yukon, plus exactement par le truchement de ceux des membres détachés par l’Office au bureau de Mayo qui auraient été nommés sur proposition de ce conseil. D’ailleurs, ni les ententes définitives ni la LÉESY  ne précisent la proportion d’évaluateurs autochtones en cas d’évaluation par les bureaux désignés. Tout ce que nous savons à cet égard est que l’Entente définitive et la LÉESY  exigent la parité dans la composition d’ensemble de l’Office.

[186]                      Au sujet du droit des parties intéressées, non pas de prendre part activement à l’évaluation elle-même, mais d’être entendues, l’Entente définitive prévoit ceci : « Conformément à la législation sur l’évaluation des activités de développement, les organismes désignés [.  . .] font en sorte que les parties intéressées aient l’occasion de participer au processus d’évaluation » (art. 12.6.1.3). D’ailleurs, les organes composant le système de cogestion des ressources halieutiques et fauniques mis en place par le chapitre 16 de l’Entente définitive — soit les premières nations, le conseil des ressources renouvelables et la Commission de gestion des ressources halieutiques et fauniques — ont, comme je l’ai mentionné plus tôt, qualité pour participer à titre de partie intéressée aux audiences publiques tenues par une agence, un office ou une commission relativement à des questions ayant une incidence sur la gestion et la conservation des ressources halieutiques et fauniques et de leurs habitats dans le territoire traditionnel concerné (art. 16.5.3, 16.6.11 et 16.7.13). Aussi, l’alinéa 55(1) b) de la LÉESY  précise que, « [s]aisi d’une proposition relative à un projet de développement en application du paragraphe 50(1), le bureau désigné [. . .] établit si le lieu de réalisation se trouve dans le territoire d’une première nation ou si le projet est susceptible d’avoir, dans un tel territoire, des effets importants sur l’environnement ou la vie socioéconomique. »  Il faut savoir que le par. 2(1) de cette même loi définit ainsi le terme « territoire » : « En ce qui touche les premières nations qui sont parties à un accord définitif en vigueur, leur territoire traditionnel ainsi que leurs terres désignées situées à l’extérieur de celui-ci mais au Yukon ». Une fois faite, la détermination prévue à l’al. 55(1) b), la LÉESY  précise en conséquence, au par. 55(4), que

[l]e bureau désigné ne formule ses recommandations [. . .] qu’après avoir, d’une part, demandé l’avis de la première nation dont le territoire est touché aux termes de l’alinéa (1)b) et des autorités publiques, organismes administratifs autonomes et premières nations l’ayant avisé de leur intérêt dans le projet de développement ou dans les projets de même catégorie et, d’autre part, cherché à obtenir d’eux l’information qu’il estime nécessaire à l’examen.

Aux termes du processus prévu au chapitre 12 de l’Entente définitive et des dispositions de la LÉESY , la Première nation de Little Salmon/Carmacks n’aurait donc eu droit que d’être entendue lors de l’évaluation de la demande de M. Paulsen, et non pas d’y prendre part activement en y déléguant des évaluateurs.

[187]                      Voilà donc ce à quoi auraient eu droit les intimés comme mesure de consultation collective relativement à la demande de M. Paulsen si le processus prévu au chapitre 12 de l’Entente définitive et mis en œuvre par la LÉESY  s’était appliqué à cette demande. Cela devrait maintenant nous permettre de répondre à la question que pose la présente affaire en dernière analyse, soit celle de savoir si, à défaut d’applicabilité de la lettre de ce processus, les intimés ont pu bénéficier de l’esprit de celui-ci, comme ils y avaient droit en vertu de l’économie des dispositions provisoires du chapitre 12 de l’Entente définitive. Pour ce faire, il faudra nous rappeler que, même si ces dispositions de droit provisoire conféraient une responsabilité particulière à la partie étatique, elles n’étaient pas pour autant silencieuses quant à la participation de la partie autochtone. En effet, l’art. 12.3.6 parle à cet égard des efforts qui sont dus non seulement de la part du « gouvernement », mais de celle de toutes les parties à l’Accord-cadre.

(2)   Droit provisoire : tout « processus existant » avant l’entrée en vigueur de la LÉESY 

 

[188]                      Au sens des dispositions de droit provisoire, c’est-à-dire les art. 12.3.6 et 12.19.5 de l’Entente définitive, le « processus existant » était, en ce qui concerne la demande de M. Paulsen, celui prévu à la Loi sur l’évaluation environnementale, L.Y. 2003, ch. 2, et à la politique agricole yukonnaise de 1991 qui renvoyait d’ailleurs aussi à la législation sur l’environnement (Agriculture for the 90s : A Yukon Policy (1991) (la « politique agricole »), section II, par. 6(1)). Comme les parties n’ont pas invoqué cette loi, je me limiterai à mentionner que l’évaluation prévue par celle-ci a été complétée, mais plus de cinq mois après la date de la décision sur la demande de M. Paulsen, et ce, même s’il s’agissait d’une évaluation  préalable obligatoire.

[189]                      Aux termes de la politique agricole de 1991, la demande de M. Paulsen a d’abord fait l’objet d’un examen préliminaire par le Secrétariat des revendications territoriales et de la mise en œuvre, par la Direction des terres ainsi que par la Direction de l’agriculture. Cet examen préliminaire devait consister en un contrôle de recevabilité de la demande, et notamment de son caractère complet, de la disponibilité de la terre visée, de la compétence territoriale sur celle-ci, d’éventuelles revendications territoriales autochtones dont elle pouvait faire l’objet, de son potentiel agricole et, plus généralement, de la conformité a priori de la demande à la politique en vigueur.

[190]                      La demande de M. Paulsen devait ensuite faire l’objet d’un examen davantage technique par le Comité d’examen des demandes d’aliénation de terres agricoles (« CEDATA »). Il s’agit d’un comité intersectoriel et interministériel qui procède notamment à l’examen du plan d’exploitation exigé de toute personne sollicitant l’obtention d’une terre à des fins agricoles (politique agricole, section II, al. 9(1)c)). L’examen de la demande de M. Paulsen par le CEDATA avait été initialement prévu pour le 26 juin 2002. Toutefois, comme le demandeur n’avait toujours pas produit de plan d’exploitation à cette date, cet examen n’a pas pu avoir lieu au moment prévu.

[191]                      Le 10 juin 2002, une analyse effectuée par la Direction de l’agriculture a révélé que, si elle était acceptée suivant la délimitation proposée, la demande de M. Paulsen ne constituerait pas une utilisation optimale du sol. Le 20 octobre 2003, M. Paulsen a revu la délimitation de la terre qui faisait l’objet de sa demande. Le 24 février 2004, le CEDATA a recommandé que sa demande soit évaluée par le Comité d’examen des demandes d’aliénation de terres (« CEDAT »).

[192]                      Le CEDAT se compose de représentants du gouvernement du Yukon et, suivant les cas, des premières nations du Yukon, des municipalités du Yukon et/ou du ministère fédéral des Pêches et Océans (Land Application Review Committee (LARC) : Terms of Reference, section 4.0 : Membership/Public Participation, d.a., vol. II, p. 29). Il est présidé par un fonctionnaire territorial. Une première nation y est  représentée si la demande à examiner peut avoir des conséquences sur la gestion de son « territoire traditionnel », ce qui était le cas en l’espèce.

[193]                      Le CEDAT a notamment pour mandat d’[traduction]  « examiner d’un point de vue technique de gestion du territoire certains aspects des demandes d’aliénation de terres, conformément aux lois, aux ententes définitives et accords d’autonomie gouvernementale des premières nations et aux critères prévus par certaines politiques relatives aux demandes d’aliénation de terres » (Land Application Review Committee (LARC) : Terms of Reference, section 6.0 : Land Application & Policy Development Procedures — Mandate, d.a., vol. II, p. 32).

[194]                      Le 26 mars 2004, la demande de M. Paulsen a fait l’objet de publicité et le public a été invité à formuler ses observations par écrit dans les 20 jours suivant cette date. Le 28 avril 2004, la Direction de l’agriculture a communiqué une version résumée de la demande de M. Paulsen à la Première nation de Little Salmon/Carmacks (d.a., vol. II, p. 6), accompagnée d’une lettre informant celle-ci que la demande serait examinée par le CEDAT et l’invitant à présenter ses observations écrites dans les 30 jours suivant cette date. Une trousse d’information contenant notamment la date prévue de la réunion du CEDAT, en l’occurrence le 13 août 2004, a aussi été envoyée à la première nation.

[195]                      Le 27 juillet 2004, la directrice des terres et ressources de la Première nation de Little Salmon/Carmacks, Susan Davis, a fait parvenir à la Direction des terres du Yukon une lettre exprimant les préoccupations de la première nation relativement à la demande de M. Paulsen (d.a., vol. II, p. 22). Les préoccupations exprimées étaient de trois ordres. La première nation s’inquiétait d’abord des répercussions de la demande sur la ligne de piégeage. Elle se préoccupait des conséquences à prévoir sur les terres visées par le règlement de la revendication territoriale globale de la première nation, notamment sur deux sites spécifiques (notion vue ci-haut) ainsi que sur le refuge de trappe du titulaire de la ligne de piégeage, qui se trouve sur l’un de ces sites. Enfin, la première nation invitait l’administration yukonnaise à prendre en considération la présence possible de sites pouvant revêtir une valeur patrimoniale ou archéologique, dont un sentier historique, sur la terre faisant l’objet de la demande d’aliénation à des fins agricoles.

[196]                      Le CEDAT a procédé à l’examen de la demande de M. Paulsen le 13 août 2004.  Pour des raisons non précisées dans le présent dossier, sans prévenir d’avance les autres membres, la Première nation de Little Salmon/Carmacks n’a pas pris part à la réunion et n’a pas demandé l’ajournement de l’examen du 13 août 2004 auquel elle avait été invitée à titre de membre du CEDAT. Le procès-verbal de cette réunion atteste toutefois que, en dépit de l’absence de représentants de la première nation, les préoccupations de celles-ci ont été prises en compte, et ce, même avant la réunion en question. Je reproduis ci-après les extraits pertinents du procès-verbal :

[traduction] La parcelle rectangulaire originale a été reconfigurée en octobre 2003.  Le rapport d’inspection de l’agent des ressources naturelles d’avril de cette année recommandait sa reconfiguration afin d’en retirer une partie, qui constitue une zone potentielle d’attribution de permis de coupe de bois visant des sources ponctuelles. Par suite de l’opposition manifestée par la première nation, ce projet a été abandonné.

 

. . .

 

La Première nation de Little Salmon/Carmacks [PNLSC] s’est dite préoccupée par le fait que la demande vise une terre se trouvant à l’intérieur de la concession de piégeage no 143 dont est titulaire un aîné [Johnny Sam].  Des incendies de forêt ont endommagé ce territoire et il n’en reste qu’une petite bande de terre entre la route Klondike et le fleuve Yukon, laquelle est considérée propice à l’agriculture.  À la suite du rapport, plusieurs demandes d’aliénation de terres à des fins agricoles ont été présentées afin d’obtenir des terres dans la région en vue d’y élever du bétail et d’y construire des maisons.  L’effet conjugué d’activités agricoles et d’activités de récolte du bois sur cette ligne de piégeage par ailleurs déjà endommagée nuirait de façon appréciable à la capacité du trappeur de continuer ses activités traditionnelles.  Il y a, dans la région en question, deux zones utilisées à des fins personnelles ou traditionnelles, sites spécifiques S-4B et S-127B, qui sont considérées comme des terres visées par le règlement de la PNLSC.  Ces deux emplacements se trouvent près de la zone concernant la demande de permis de coupe de bois visant des sources ponctuelles.  L’effet des activités envisagées sur les sites et les usagers serait une réduction de la quantité d’animaux pouvant être chassés dans la région. Le site S-4B est aussi l’emplacement du camp de base et de la cabane du trappeur de la concession de piégeage no 143.

 

. . .

 

D’autres préoccupations exprimées par la PNLSC se rapportaient à des sites culturels : il y aurait certains endroits susceptibles de présenter de l’intérêt du point de vue culturel et patrimonial qui pourraient être touchés par les activités de récolte de bois.  Un sentier historique de la première nation suit la ligne de crête dans la région.  [A]ctuellement, aucun de ces sites n’a été identifié ou n’a fait l’objet de recherches.  Il faudrait procéder à une reconnaissance archéologique pour confirmer la présence ou l’absence de tels sites.

 

Des fonctionnaires du ministère de l’Environnement ont affirmé avoir marché dans le site en question et y avoir découvert un vieux piège en haut de la falaise, face au fleuve Yukon.  Le propriétaire de la ligne de piégeage no 143 aura le droit de demander d’être indemnisé.  Il est recommandé de créer une zone tampon adéquate de 30 mètres à partir de la falaise.  Certains éléments indiquaient la présence d’ours et d’orignaux.  Il y aura une certaine perte au plan de l’habitat faunique dans la zone visée, mais peu importante.

 

. . .

 

Recommandation : Approbation de principe.  Zone tampon de 30 mètres à partir de la falaise [. . .] Il faudra faire approuver le lotissement.  Le trappeur pourra demander une indemnisation, sur la base de la réduction des possibilités de piégeage.

[197]                      Le 2 septembre 2004, l’archéologue du gouvernement territorial a rapporté n’avoir pu relever aucune trace d’artefact préhistorique sur la terre faisant l’objet de la demande d’aliénation à des fins agricoles, mais par prudence a recommandé à son tour la création d’une zone tampon de 30 mètres de largeur entre la falaise et la terre qui serait éventuellement cédée.

[198]                      À certains égards, la conduite des autorités territoriales soulève des interrogations. C’est notamment le cas en ce qui a trait au fait que, en sa qualité de directeur de l’agriculture, l’appelant M. Beckman n’a signifié que le 27 juillet 2005 à la première nation intimée sa décision du 18 octobre 2004. En vertu du par. 81(1)  de la LÉESY , le bureau désigné et, le cas échéant, le comité de direction de l’Office auraient eu droit de recevoir une copie de cette décision, et ce, on peut le supposer, à l’intérieur d’un délai raisonnable. L’équivalent fonctionnel du bureau désigné est ici le CEDAT. Même si les représentants de la première nation intimée ne se sont pas présentés à la réunion du 13 août, on se serait attendu à ce que le directeur de l’agriculture informe cette première nation de sa décision dans un délai raisonnable. Ce délai, survenu après la décision, n’a cependant pas affecté la qualité de la consultation préalable.

[199]                      La décision qu’a prise l’administration territoriale, au terme de l’examen préalable, de poursuivre le traitement de la demande de M. Paulsen malgré la consultation qui avait cours dans le cadre du plan de gestion des ressources halieutiques et fauniques de la première nation intimée n’est pas davantage un exemple de bonne pratique. La politique agricole yukonnaise de 1991 prévoyait pourtant à ce sujet que les [traduction] « [d]emandes d’acquisition de terres à des fins agricoles seraient examinées par la Direction de la faune et du poisson en vue de protéger la faune », que des « [m]esures seraient prises pour éviter que, dans l’attribution de terres à des fins agricoles, on empiète sur des habitats essentiels pour la faune » et qu’en particulier tout « habitat essentiel pour faune serait exclu des terres susceptibles d’aliénation à des fins agricoles, sauf dans les cas où la Direction de la faune et du poisson juge qu’il est possible d’atténuer les effets préjudiciables sur la faune » (section II, al. 6(3)b)). Cependant, comme on a pu le constater, Susan Davis n’a pas exprimé cette préoccupation dans sa lettre du 27 juillet 2004 à la Direction des terres du Yukon.  De plus, comme le démontre le procès-verbal de la réunion du 13 août 2004, les préoccupations de la Première nation de Little Salmon/Carmacks concernant la conservation des ressources ont été prises en considération.  Au surplus, la consultation qui avait cours dans le cadre du plan de gestion des ressources halieutiques et fauniques était beaucoup plus limitée que celle à laquelle donnait droit la participation de la première nation au CEDAT qui était chargé d’évaluer le projet spécifique faisant l’objet du présent pourvoi.  De surcroît, la première nation, le conseil des ressources renouvelables et le ministre ne s’étaient pas entendus sur la suspension provisoire du traitement de toute demande d’aliénation de terres dans la région visée.

[200]                      Au-delà de ces aspects critiquables du cheminement de la demande de M. Paulsen, l’ensemble des faits révèle que les intimés ont reçu des appelants ce à quoi ils avaient droit de la part de ceux-ci en matière de consultation à titre de première nation. En réalité, ils ont même obtenu à certains égards davantage que ce que leur aurait procuré la LÉESY . En effet, comme on a pu le constater précédemment, le seul droit qu’aurait obtenu la première nation en vertu de la LÉESY  est celui d’être entendue à titre de personne intéressée (par. 55(4)) par le bureau de circonscription. Il s’agissait là d’une consultation minimale, alors que, dans le contexte de l’application de la politique agricole de 1991, la première nation a été invitée à participer directement, à titre d’évaluateur membre du CEDAT, à l’évaluation de la demande de M. Paulsen.

[201]                      Il est vrai que les représentants de la première nation ne se sont pas présentés à la réunion du 13 août 2004. Cela est survenu sans qu’ils ne préviennent au préalable les autres membres du CEDAT et sans demander l’ajournement de la réunion, mais ils avaient néanmoins fait des commentaires par lettre.

[202]                      Par conséquent, le processus qui a mené à la décision du 18 octobre 2004 relativement à la demande de M. Paulsen respectait les dispositions de droit provisoire prévues au chapitre 12 de l’Entente définitive. Il n’existe aucun motif juridique permettant de conclure que l’obligation de consultation de la Couronne a été violée.

III.  Conclusion

 

[203]                      Si, jusqu’ici, les litiges ont mis en cause une action unilatérale de la Couronne qui déclenchait une obligation de consulter dont les modalités n’avaient pas été négociées, le présent dossier, tout comme celui dans lequel la Cour a récemment été appelée à étudier la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, indique que les parties sont maintenant passées à une autre étape.  Les processus formels de consultation font maintenant résolument partie de l’univers juridique des traités. L’Entente définitive n’en est qu’un exemple. Donner leur plein effet aux stipulations d’un traité comme l’Entente définitive c’est renoncer à toute approche paternaliste à l’égard des peuples autochtones.  Il s’agit d’une façon de reconnaître leur pleine capacité juridique. Méconnaître les stipulations d’un tel traité ne peut qu’encourager le recours aux tribunaux, nuire aux négociations futures et compromettre la réalisation de l’objectif ultime de réconciliation.

[204]                      L’appel principal visait à obtenir une déclaration portant que la Couronne n’avait pas d’obligation de consultation en vertu de l’Entente définitive en relation avec la demande de M. Paulsen. L’interprétation que font les appelants de l’Entente définitive n’est appuyée ni par les principes interprétatifs applicables, ni par le contexte de l’Entente définitive ou les stipulations de celle-ci. Par ailleurs, l’appel incident est fondé sur la survivance, malgré l’entrée en vigueur de l’Entente définitive, de l’obligation de consultation de source jurisprudentielle. Comme je l’ai expliqué précédemment, je suis d’avis qu’il n’existe aucun hiatus dans l’Entente définitive concernant l’obligation de consultation.  Ses dispositions concernant la  consultation en relation avec la gestion des ressources halieutiques et fauniques étaient en vigueur. La Première nation de Little Salmon/Carmacks a d’ailleurs présenté ses observations dans le cadre du processus prévu à cet effet. Par ailleurs, les droits de Johnny Sam, en tant qu’administré, ne sont régis ni par l’obligation de consultation de régime jurisprudentiel ni par l’Entente définitive. Si la Première nation de Little Salmon/Carmacks a raison de soutenir qu’elle avait le droit d’être consultée en ce qui a trait à la demande de M. Paulsen, ce n’est pas en vertu du régime jurisprudentiel. C’est que, conformément à l’Entente définitive la cession à M. Paulsen constituait un projet de développement agricole assujetti aux dispositions du chapitre 12 de ce traité et que ses dispositions provisoires établissaient le régime applicable.

[205]                      En l’espèce, le recours au processus existant pour l’évaluation de la demande de M. Paulsen, compte tenu du fait que cette demande aurait relevé d’une évaluation obligatoire par le bureau de circonscription locale, permet de conclure que les intimés ont bénéficié d’un régime supérieur à celui auquel ils auraient eu droit en vertu de la LÉESY  en matière de consultation.   

[206]                      Pour ces motifs, je rejetterais les pourvois principal et incident, avec dépens dans les deux cas.

                    Pourvoi et pourvoi incident rejetés avec dépens.

                    Procureurs des appelants/intimés au pourvoi incident : Lawson Lundell, Vancouver.

 

                    Procureurs des intimés/appelants au pourvoi incident : Pape Salter Teillet, Vancouver.

 

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Vancouver.

 

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Québec.

 

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de Terre‐Neuve‐et‐Labrador : Procureur général de Terre‐Neuve‐et‐Labrador, St. John’s.

 

                    Procureurs des intervenants le Conseil tribal des Gwich’in et Sahtu Secretariat Inc. : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

 

                    Procureurs de l’intervenant le Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee)/Administration régionale crie : Gowling Lafleur Henderson, Montréal.

 

                    Procureurs de l’intervenant le Conseil des Premières nations de Yukon : Boughton Law Corporation, Vancouver.

 

                    Procureurs de l’intervenante la Première nation de Kwanlin Dün : Arvay Finlay, Vancouver.

 

                    Procureurs de l’intervenante Nunavut Tunngavik Inc. : Rosenbloom Aldridge Bartley & Rosling, Vancouver.

 

                    Procureur de l’intervenant le gouvernement tlicho : John Donihee, Calgary.

 

                    Procureurs de l’intervenante les Nations Te’Mexw : Janes Freedman Kyle Law Corporation, Victoria.

 

                    Procureurs de l’intervenante l’Assemblée des Premières Nations : Hutchins Caron & Associés, Montréal.

 

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