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Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143

 

Robert Cunningham    Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

et le directeur du pénitencier de Kingston                                       Intimés

 

Répertorié:  Cunningham c. Canada

 

No du greffe:  22451.

 

1993:  29 janvier; 1993:  22 avril.

 

Présents:  Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, McLachlin et Iacobucci.

 

en appel de la cour d'appel de l'ontario

 

                   Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Liberté de la personne ‑‑ Justice fondamentale ‑‑ Libération conditionnelle ‑‑ Liberté surveillée ‑‑ Loi sur la libération conditionnelle modifiée de façon à changer les conditions de mise en liberté surveillée ‑‑ La modification équivaut‑elle à une atteinte à la liberté du détenu en contravention des principes de justice fondamentale? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 7  ‑‑ Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P‑2, art. 21.3(3)a)(ii).

 

                   Prisons ‑‑ Libération conditionnelle ‑‑ Liberté surveillée ‑‑ Loi sur la libération conditionnelle modifiée de façon à changer les conditions de mise en liberté surveillée ‑‑ La modification équivaut‑elle à une atteinte à la liberté du détenu en contravention des principes de justice fondamentale? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 7  ‑‑ Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P‑2, art. 21.3(3)a)(ii).

 

                   En 1981, l'appelant a été condamné à une peine d'emprisonnement de 12 ans pour homicide involontaire coupable.  Aux termes de la Loi sur la libération conditionnelle en vigueur à l'époque, il avait droit d'être mis en liberté surveillée après avoir purgé environ les deux tiers de sa peine, à la condition d'avoir fait preuve de bonne conduite.  En 1986, la Loi a été modifiée de façon à permettre au commissaire aux services correctionnels, dans les six mois de la «date prévue pour la libération», de renvoyer un cas à la Commission nationale des libérations conditionnelles lorsqu'il a des motifs de croire, sur le fondement de renseignements obtenus dans ces six mois, que le détenu commettra vraisemblablement, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un tort considérable.  La Commission des libérations conditionnelles peut, si elle le juge à propos, refuser de libérer le détenu.  Peu de temps avant la date de sa libération, l'appelant a reçu un avis selon lequel le commissaire avait décidé de demander sa détention continue.  Par suite d'une audience, il a été ordonné qu'il soit détenu jusqu'à l'expiration de sa peine, sous réserve de révisions annuelles.  La Cour suprême de l'Ontario a refusé sa demande en vue d'obtenir un bref d'habeas corpus.  La Cour d'appel a confirmé le jugement.  Le présent pourvoi vise à déterminer si la modification de 1986 à la Loi sur la libération conditionnelle équivaut à une atteinte à la liberté de l'appelant allant à l'encontre des principes de justice fondamentale aux termes de l'art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ; le cas échéant, si elle est justifiée aux termes de l'article premier de la Charte  et si le commissaire a agi de façon légitime lorsqu'il a renvoyé l'appelant devant la Commission dans les six mois précédant la date de sa libération.

 

                   Arrêt:  Le pourvoi est rejeté.

 

                   L'appelant a été privé de liberté.  Bien qu'il n'y ait pas eu d'effet sur la durée de la restriction de son droit à la liberté, il y a eu un effet sur la manière dont il peut purger une partie de cette peine.  La privation est suffisamment grave pour justifier la protection de la Charte .  Il y a une immense différence entre la vie en prison et la liberté plus grande qui existe à l'extérieur en liberté surveillée.  La modification de 1986 à la Loi sur la libération conditionnelle n'a toutefois pas porté atteinte aux principes de justice fondamentale qui touchent, non seulement au droit de la personne qui soutient que sa liberté a été limitée, mais également à la protection de la société.  Du point de vue du fond, la modification de la loi établit un juste équilibre entre ces intérêts.  Le droit à la liberté du détenu n'est restreint que dans la mesure où l'on démontre que cela est nécessaire pour la protection du public.  La procédure établie aux termes de la Loi et du Règlement ne porte pas atteinte non plus aux principes de justice fondamentale.  La nouvelle procédure prévoit une audience et le détenu a le droit de se faire entendre à toutes les étapes.  Les documents à l'égard desquels l'affaire peut être renvoyée pour examen sont limités et il y a aussi des dispositions prévoyant de nouvelles audiences pour examiner la détention dans l'avenir.  Ces exigences fournissent des garanties contre les ordonnances arbitraires et vexatoires et font en sorte que la restriction de la mise en liberté surveillée ne se matérialise que lorsque cela est nécessaire pour protéger le public et alors, seulement après que l'on a entièrement et équitablement pris en compte les intérêts du détenu à l'égard de la mise en liberté.

 

                   Le commissaire n'a pas violé la Loi sur la libération conditionnelle lorsqu'il a renvoyé le cas de l'appelant à la Commission des libérations conditionnelles.  Bien que certains renseignements sur lesquels il s'est fondé se trouvaient dans les dossiers établis avant la période de six mois précédant la date prévue pour la libération du détenu, cela ne devrait pas empêcher le commissaire de se fonder sur des rapports récents et révisés qui arrivent aux mêmes conclusions lorsqu'ils lui sont présentés dans la période de six mois.

 

Jurisprudence

 

                   Arrêts mentionnés:  Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459; R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; Greenholtz c. Inmates of Nebraska Penal and Correctional Complex, 442 U.S. 1 (1979); Board of Pardons c. Allen, 482 U.S. 369 (1987); Board of Regents of State Colleges c. Roth, 408 U.S. 564 (1972); Re Ross and Warden of Kent Institution (1987), 34 C.C.C. (3d) 452; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Renvoi:  Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869; Re Evans and The Queen (1986), 30 C.C.C. (3d) 313.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 .

 

Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P‑2, art. 21.3(3) [aj. ch. 34 (2e suppl.), art. 5].

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, No 113/89, 18 octobre 1990, qui a confirmé le jugement du juge Smith, No 241/89, 2 août 1989, qui avait rejeté la demande de l'appelant en vue d'obtenir un bref d'habeas corpus.  Pourvoi rejeté.

 

                   R. Peter Napier, pour l'appelant.

 

                   Terrence Joyce, c.r., et John B. Edmond, pour les intimés.

 

//Le juge McLachlin//

 

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

 

                   Le juge McLachlin ‑‑ Le 14 février 1981, l'appelant a été condamné à une peine d'emprisonnement de 12 ans pour homicide involontaire coupable par suite d'un meurtre brutal commis à Chatham Head (Nouveau‑Brunswick).  Aux termes de la Loi sur la libération conditionnelle en vigueur à l'époque de la détermination de sa peine, il avait droit d'être mis en liberté surveillée après avoir purgé environ les deux tiers de sa peine, le 8 avril 1989, à la condition d'avoir fait preuve de bonne conduite.

 

                   En 1986, la Loi sur la libération conditionnelle a été modifiée de façon à permettre au commissaire aux services correctionnels, dans les six mois de la «date prévue pour la libération», de renvoyer un cas à la Commission nationale des libérations conditionnelles lorsqu'il a des motifs de croire, sur le fondement de renseignements obtenus dans ces six mois, que le détenu commettra vraisemblablement, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un tort considérable:  Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P‑2, art. 21.3(3)a)(ii) (aj. ch. 34 (2e suppl.), art. 5).  La Commission des libérations conditionnelles peut, si elle le juge à propos, refuser de libérer le détenu.

 

                   L'appelant a eu une bonne conduite en prison.  En 1988, son agent des libérations conditionnelles a recommandé sa mise en liberté conditionnelle et a demandé la tenue d'une enquête communautaire, étant donné que l'appelant avait indiqué qu'il retournerait à l'endroit d'où il est originaire, près du lieu du crime.  L'appelant s'attendait à être libéré le 8 avril 1989.

 

                   Toutefois, il ne l'a pas été.  Peu de temps avant la date de sa libération, l'appelant a reçu un avis selon lequel le commissaire avait décidé de demander sa détention continue aux termes des modifications de 1986 de la Loi sur la libération conditionnelle.  La collectivité d'où il était originaire, avertie de la libération par l'enquête communautaire, a manifesté de l'inquiétude à l'égard de sa libération anticipée en raison de la violence du crime.  Il ressort d'autres enquêtes effectuées au cours des six mois qui ont précédé la date prévue pour la libération anticipée qu'il avait encore des tendances meurtrières en état d'ébriété.  Il y aurait 50 pour 100 de risques qu'il se remette à boire et 50 pour 100 de risques que, en état d'ébriété, il commette un acte de violence.  On a également démontré qu'il était assez instable et qu'il n'avait pas accepté sa responsabilité à l'égard du crime.  Bien que ces éléments de preuve aient été présentés dans les six mois qui ont précédé la date prévue de sa libération, on peut trouver des observations semblables dans les dossiers de la prison au cours des années précédentes.

 

                   Par suite d'une audience relative à la détention, il a été ordonné que l'appelant soit détenu jusqu'à l'expiration de sa peine le 13 février 1993, sous réserve de révisions annuelles.  L'appelant a intenté une action devant la Cour suprême de l'Ontario en vue d'obtenir un bref d'habeas corpus.  La demande a été refusée.  Il a interjeté appel à la Cour d'appel de l'Ontario, mais son appel a été rejeté.  Il se pourvoit maintenant devant notre Cour.

 

                   Trois questions sont soulevées devant nous:

 

1.  La modification de 1986 apportée à la Loi sur la libération conditionnelle qui change les conditions de mise en liberté surveillée équivaut‑elle à une atteinte à la liberté de l'appelant allant à l'encontre des principes de justice fondamentale aux termes de l'art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

 

2.  S'il y a eu violation des droits que l'art. 7 reconnait à l'appelant, celle‑ci peut‑elle être justifiée aux termes de l'article premier de la Charte ?

 

3.  Le commissaire a‑t‑il agi de façon légitime conformément à la loi lorsqu'il a renvoyé l'appelant devant la Commission nationale des libérations conditionnelles dans les six mois précédant la date de sa libération?

 

1.Y a‑t‑il eu violation des droits que l'art. 7  de la Charte  reconnait à l'appelant?

 

                   Pour que l'appelant ait gain de cause sur cet argument, il doit établir deux choses:

 

(1)qu'il a été privé de sa liberté par la modification de la Loi sur la libération conditionnelle qui a amené le refus de sa mise en liberté surveillée;

 

(2)que sa privation de liberté était contraire aux intérêts fondamentaux de la justice.

 

                   Selon moi, bien qu'on puisse dire que les modifications apportées à la Loi sur la libération conditionnelle aient pu avoir des conséquences défavorables à l'égard de la liberté de l'appelant, la privation n'était pas contraire aux principes de justice fondamentale.

 

                   La première question est de savoir si l'appelant a subi une privation de liberté contre laquelle le protège l'art. 7  de la Charte .  Il en découle deux questions subsidiaires:  (1) L'appelant a‑t‑il démontré qu'il avait été privé de liberté?  (2) Dans l'affirmative, la privation est‑elle suffisamment grave pour que la protection conférée par la Charte  s'applique?

 

                   À mon avis, l'appelant a démontré qu'il a été privé de liberté.  L'argument voulant que, puisque l'appelant a été condamné à purger une peine d'emprisonnement de 12 ans, il ne peut y avoir d'autre atteinte à sa liberté pendant cette période est contraire à la jurisprudence et simplifie à l'extrême le concept de liberté.  Notre Cour ainsi que d'autres tribunaux ont reconnu qu'il existe différents types de droits à la liberté dans le contexte du droit correctionnel.  Dans l'arrêt Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459, à la p. 464, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a mentionné trois sortes de privation de liberté:  (1) la privation initiale de liberté; (2) une modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté; et (3) la continuation de la privation de liberté.  Dans l'arrêt R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, à la p. 645, notre Cour a conclu, à la majorité, par la voix du juge Wilson (avec l'appui des juges Lamer et L'Heureux‑Dubé) que le droit à la liberté visé par la suppression de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle peut être protégé par l'art. 7  de la Charte :

 

. . . le maintien de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle pendant une période de 25 ans prive l'appelante d'un droit résiduel important à la liberté qui relève de l'art. 7 et auquel il peut être remédié à bon droit par voie d'habeas corpus si elle est jugée illégale.

 

                   La jurisprudence américaine va dans le même sens.  Dans l'arrêt Greenholtz c. Inmates of Nebraska Penal and Correctional Complex, 442 U.S. 1 (1979), aux pp. 9 et 10, la Cour suprême des États‑Unis a conclu, par la voix du juge en chef Burger, qu'une expectative de liberté qui découle d'une loi sur la libération conditionnelle créait un droit à la liberté sous forme de libération conditionnelle, protégé par la clause d'application régulière de la loi du Quatorzième amendement.  Cette conclusion a été confirmée dans l'arrêt Board of Pardons c. Allen, 482 U.S. 369 (1987).  Nonobstant une dissidence vigoureuse du juge O'Connor (avec l'appui du juge en chef Rehnquist et du juge Scalia) dans cette affaire, se fondant sur l'arrêt Board of Regents of State Colleges c. Roth, 408 U.S. 564 (1972), cela est l'état du droit aux États‑Unis.

 

                   À mon avis, il est inutile de se demander si le droit à la liberté était «dévolu» ou non.  Les seules questions qui se posent aux termes de la Charte  sont de savoir si un droit à la liberté garanti est restreint et, le cas échéant, si cette restriction est conforme aux principes de justice fondamentale.  La caractérisation d'un droit comme «dévolu» ou non ne fait pas réellement avancer le débat, sauf dans le sens qu'un droit dévolu pourrait être considéré comme plus important ou digne d'être protégé que celui qui ne l'est pas.  Dans un tel cas, je crois qu'il est préférable de parler directement de l'importance du droit, plutôt que d'introduire le concept de droit dévolu qui provient du droit des biens.  Par ailleurs, il est important de reconnaître que le droit à la liberté peut viser tout un éventail allant du moins important au fondamental.  Une restriction qui touche la manière dont une peine est purgée, la question en litige ici, peut être moins grave que ne le serait une augmentation de la peine après le fait.

 

                   En l'espèce, l'appelant a été condamné à une peine d'emprisonnement de 12 ans et était tenu aux termes de son mandat d'incarcération, avant et après la modification de la Loi sur la libération conditionnelle, de purger cette peine au complet.  Par conséquent, il n'y a pas eu d'effet sur la durée de la restriction de son droit à la liberté.  Comme le juge Lamer l'a conclu au nom de la Cour dans l'arrêt Dumas, précité, à la p. 464:  «Dans le contexte de la libération conditionnelle, la détention continue d'un détenu ne deviendra illégale que s'il a acquis le statut de libéré conditionnel.»  L'appelant n'a pas acquis ce statut et sa peine, contrairement aux arguments de son avocat, n'a pas été augmentée.

 

                   Toutefois, il y a eu un effet sur la manière dont il peut purger une partie de cette peine, qui constitue le deuxième droit à la liberté identifié par le juge Lamer dans l'arrêt Dumas, précité.  Une personne jouit de «plus» de liberté ou d'une meilleure qualité de liberté, lorsqu'elle purge sa peine en liberté surveillée plutôt qu'en prison.  L'appelant nourrissait de grands espoirs, sous réserve de sa bonne conduite, qu'il serait mis en liberté surveillée le 8 avril 1989, si la Loi sur la libération conditionnelle n'avait pas été modifiée; en fait, il aurait automatiquement été mis en liberté surveillée à cause de sa bonne conduite.  La modification de 1986 de la Loi sur la libération conditionnelle a eu pour effet de réduire cette attente de liberté, dans le sens qu'elle réduisait la probabilité de sa mise en liberté surveillée.  Cette situation résultait du nouveau pouvoir du commissaire de renvoyer certains cas à la Commission des libérations conditionnelles en se fondant sur des événements survenus et sur les renseignements obtenus dans les six mois précèdent immédiatement la date prévue de la libération.  Comme la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique l'a dit dans l'arrêt Re Ross and Warden of Kent Institution (1987), 34 C.C.C. (3d) 452, à la p. 454:  [traduction] «Les modifications de 1986 ont eu pour effet [. . .] de modifier le droit d'un détenu de purger une partie de sa peine en liberté surveillée en restreignant ce droit.»  (Je souligne.)

 

                   Je conclus que l'appelant a été privé de liberté.  La question suivante est de savoir si la privation est suffisamment grave pour justifier la protection de la Charte .  La Charte n'assure pas une protection contre les restrictions insignifiantes ou «négligeables» à l'égard des droits:  R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 759 (le juge en chef Dickson); R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, à la p. 314; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, à la p. 259; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pp. 168 et 169.  Il en découle que la restriction de l'attente d'un détenu en matière de liberté ne fait pas nécessairement intervenir l'application de l'art. 7  de la Charte .  La restriction doit être suffisamment importante pour justifier une protection constitutionnelle.  Exiger que toutes les modifications apportées à la manière dont une peine est purgée soient conformes aux principes de justice fondamentale aurait pour effet de banaliser les protections conférées par la Charte .  Selon le juge Lamer dans l'arrêt Dumas, précité, à la p. 464, il doit y avoir une «modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté».

 

                   La modification dans la manière dont la peine a été purgée en l'espèce satisfait à ce critère.  Il y a une immense différence entre la vie en prison et la liberté plus grande qui existe à l'extérieur en liberté surveillée.  Dans l'arrêt Gamble, précité, une telle modification a été jugée digne de jouir de la protection conférée par l'art. 7.

 

                   Ayant conclu que l'appelant a été privé d'un droit à la liberté garanti par l'art. 7  de la Charte , nous devons déterminer si cela est contraire aux principes de justice fondamentale aux termes de l'art. 7  de la Charte .  À mon avis, bien que la modification de la Loi sur la libération conditionnelle visant à éliminer la mise en liberté surveillée automatique ait restreint le droit à la liberté de l'appelant, elle n'a pas porté atteinte aux principes de justice fondamentale.  Ces principes touchent non seulement au droit de la personne qui soutient que sa liberté a été limitée, mais également à la protection de la société.  La justice fondamentale exige un juste équilibre entre ces droits, tant du point de vue du fond et que de celui de la forme (voir Renvoi:  Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, aux pp. 502 et 503, le juge Lamer; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 212, le juge Wilson; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869 à la p. 882, le juge Iacobucci).  À mon avis, l'équilibre obtenu en l'espèce satisfait à cette exigence.

 

                   La première question est de savoir si, du point de vue du fond, la modification de la loi établit un juste équilibre entre les droits de l'accusé et les intérêts de la société.  Il n'est pas nécessaire de souligner l'intérêt qu'a la société d'être protégée contre les actes de violence qui pourraient survenir par suite de la mise en liberté anticipée de détenus dont la peine n'a pas été purgée au complet.  Par ailleurs, il faut également tenir compte du droit du détenu à une mise en liberté anticipée sous condition.

 

                   L'équilibre est atteint par la restriction de l'attente qu'a le détenu par rapport à la façon dont la peine doit être purgée.  L'attente relative à la mise en liberté surveillée est changée par la modification accordant le pouvoir discrétionnaire d'interdire une mise en liberté anticipée lorsque les intérêts de la société sont menacés.  Une modification de la façon dont une peine est purgée, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'endroit du détenu, n'est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale.  En fait, notre système de justice a toujours permis aux autorités correctionnelles d'apporter des modifications appropriées à la manière dont une peine doit être purgée, en ce qui a trait au lieu, aux conditions, aux installations de formation ou au traitement.  Un grand nombre de modifications des conditions dans lesquelles les peines sont purgées sont apportées de façon administrative pour répondre aux besoins immédiats ou au comportement du détenu.  D'autres modifications sont d'ordre plus général.  Par exemple, à l'occasion, une loi ou un règlement introduit de nouvelles méthodes en droit correctionnel.  Ces initiatives modifient la manière dont certains détenus dans le système purgent leurs peines.

 

                   La question suivante est de savoir si la nature de cette modification particulière des règles relatives à la manière de purger la peine, viole la Charte .  À mon avis, la réponse est négative.  La modification découle directement de l'intérêt public dans la protection de la société contre les personnes susceptibles de causer un tort considérable si elles sont mises en liberté surveillée.  Le commissaire ne peut renvoyer l'affaire devant la Commission des libérations conditionnelles pour qu'elle l'examine que s'il est convaincu d'après les faits qui lui sont présentés que ce pourrait être le cas.  De plus, la Commission ne peut ordonner le maintien de l'incarcération du détenu que si elle est convaincue qu'il y a un risque important de récidive.  Par conséquent, le droit à la liberté du détenu n'est restreint que dans la mesure où l'on démontre que cela est nécessaire pour la protection du public.  Il est difficile de contester la justesse de l'attribution d'un pouvoir discrétionnaire limité pour l'examen de demandes de libération conditionnelle de personnes susceptibles de commettre une infraction qui cause un tort considérable ou la mort.  Essentiellement, l'équilibre est suffisamment atteint.

 

                   La procédure établie aux termes de la Loi et du Règlement ne porte pas atteinte non plus aux principes de justice fondamentale.  La modification a été apportée par la législation.  La nouvelle procédure prévoit une audience afin d'examiner si l'attente de mise en liberté surveillée était justifiée.  Le détenu a le droit de se faire entendre à toutes les étapes.  Les documents à l'égard desquels l'affaire peut être renvoyée pour examen sont limités.  En vertu du par. 21.3(3) de la Loi sur la libération conditionnelle, le renvoi doit être effectué, avec les renseignements utiles, au plus tard six mois avant le date prévue pour la libération.  La seule exception à cette règle générale survient quand le comportement du détenu ou des renseignements obtenus pendant ces six mois justifie un examen.  Il y a aussi des dispositions prévoyant de nouvelles audiences pour examiner la détention dans l'avenir.  Ces exigences fournissent des garanties contre les ordonnances arbitraires et vexatoires et font en sorte que la restriction de la mise en liberté surveillée ne se matérialise que lorsque cela est nécessaire pour protéger le public et alors, seulement après que l'on a entièrement et équitablement pris en compte les intérêts du détenu à l'égard de la mise en liberté.

 

                   Les cours d'appel sont arrivées à la même conclusion dans des arrêts antérieurs qui ont examiné les modifications de 1986 apportées à la Loi sur la libération conditionnelle et au Règlement sur la libération conditionnelle.  Relativement aux nombreux articles de la Loi et du Règlement qui prévoient des garanties procédurales, le juge Robins a dit dans l'arrêt Re Evans and The Queen (1986), 30 C.C.C. (3d) 313 (C.A. Ont.), à la p. 316:

 

[traduction]  Ces garanties assurent l'application d'une procédure équitable et servent à protéger les détenus qui normalement seraient admissibles à la mise en liberté surveillée contre toute décision arbitraire à l'égard de leurs droits.

 

Le juge Hinkson est arrivé à une conclusion semblable dans l'arrêt Re Ross and Warden of Kent Institution, précité, à la p. 460.

 

                   Je conclus que l'appelant n'a pas démontré que les modifications apportées à la Loi sur la libération conditionnelle l'ont privé de sa liberté en contravention des principes de justice fondamentale.  Comme aucune violation de l'art. 7 n'a été démontrée, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments fondés sur l'article premier de la Charte .

 

2.Le commissaire a‑t‑il agi de façon légitime?

 

                   J'examine la dernière question, qui est de savoir si le renvoi par le commissaire du cas de l'appelant à la Commission des libérations conditionnelles était illégale et contraire à la loi.  Aux termes du par. 21.3(3), le commissaire peut renvoyer le cas d'un détenu à la Commission au plus tard six mois avant la «date prévue pour la libération» surveillée.  Une exception à cette règle générale est permise lorsque, en raison du comportement du détenu ou de renseignements reçus dans les six mois, le commissaire a des motifs de croire que le détenu commettra vraisemblablement, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un tort considérable.  Le commissaire doit fonder sa conclusion sur «des renseignements obtenus pendant ces six mois» (sous‑al. 21.3(3)a)(ii)).

 

                   Le commissaire a renvoyé le cas de l'appelant en tant que «renvoi du commissaire fondé sur des renseignements nouveaux» et a émis l'opinion que [traduction] «sans traitement, il y a des motifs raisonnables de croire que ce détenu commettra vraisemblablement une infraction causant la mort ou un tort considérable avant la date d'expiration du mandat».  La note de service du commissaire comprenait deux rapports de psychiatres, une lettre du substitut du procureur général et un rapport à jour de la GRC.  Tous ces renseignements ont été obtenus dans les six mois avant la date prévue pour sa libération.  On soutient que, bien qu'ils aient matériellement vu le jour dans les six mois avant la date prévue pour la mise en liberté surveillée de l'appelant, les renseignements sur lesquels s'est fondé le commissaire ne constituent, en fait, rien de plus qu'une mise à jour des renseignements contenus au dossier de l'appelant avant cette période.  Il est vrai que les références à l'instabilité de l'appelant, à son problème d'alcool, à son refus d'accepter la culpabilité et à sa tendance à être violent en état d'ébriété se trouvent dans les dossiers établis avant la période de six mois.  Toutefois, à mon avis, cela ne devrait pas empêcher le commissaire de se fonder sur des rapports récents et révisés qui arrivent aux mêmes conclusions lorsqu'ils lui sont présentés dans la période de six mois avant la date prévue pour la libération du détenu.  En fait, il serait inhabituel que des renseignements obtenus pendant la période de six mois avant la libération ne se retrouvent pas dans le dossier carcéral antérieur, étant donné que les problèmes qui caractérisent habituellement ces cas existent depuis longtemps.

 

                   Je suis d'accord avec le juge des requêtes qu'il y a lieu d'appliquer un critère objectif.  La question dont notre Cour est saisie est de savoir si l'on peut dire que les renseignements sont «nouveaux» quant au fond, plutôt que simplement dans le temps.  Après avoir examiné tous les documents, le juge des requêtes a conclu en vertu d'un critère objectif qu'il n'avait pas été démontré que le commissaire avait agi illégalement dans le sens qu'il n'avait pas formé son opinion sur le fondement de renseignements obtenus dans les six mois.  D'après mon examen du dossier, je ne suis pas convaincue qu'il avait tort.

 

                   À mon avis, le commissaire n'a pas violé la Loi lorsqu'il a renvoyé le cas de l'appelant à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour qu'elle examine de nouveau son admissibilité à la mise en liberté surveillée.

 

                   Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

 

                   Pourvoi rejeté.

 

                   Procureurs de l'appelant:  O'Connor, Bailey & Napier, Kingston.

 

                   Procureur des intimés:  John C. Tait, Ottawa.

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