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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725

Date : 20140919

Dossier : 35009

 

Entre :

Banque de Montréal

Appelante

et

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

Président de l’Office de la protection du consommateur

Intimés

Et entre :

Citibanque Canada

Appelante

et

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

Président de l’Office de la protection du consommateur

Intimés

Et entre :

Banque Toronto‑Dominion

Appelante

et

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

Président de l’Office de la protection du consommateur

Intimés

Et entre :

Banque Nationale du Canada

Appelante

et

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

Président de l’Office de la protection du consommateur

Intimés

Et entre :

Réal Marcotte et Bernard Laparé

Appelants

et

Banque de Montréal, Banque Amex du Canada, Banque Royale du Canada,

Banque Toronto‑Dominion, Banque Canadienne Impériale de Commerce,

Banque de Nouvelle‑Écosse, Banque Nationale du Canada, Banque Laurentienne du Canada, Citibanque Canada et procureur général du Canada

Intimés

- et -

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,

procureur général du Québec, procureur général de l’Alberta,

Président de l’Office de la protection du consommateur et

Association des banquiers canadiens

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner

 

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 117)

Les juges Rothstein et Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Cromwell et Moldaver)

 

 

 


banque de montréal c. marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725

Banque de Montréal                                                                                      Appelante

c.

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

président de l’Office de la protection du consommateur                                Intimés

- et -

Citibanque Canada                                                                                        Appelante

c.

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

président de l’Office de la protection du consommateur                                Intimés

- et -

Banque Toronto-Dominion                                                                           Appelante

c.

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

président de l’Office de la protection du consommateur                                Intimés

- et -

Banque Nationale du Canada                                                                       Appelante

c.

Réal Marcotte, Bernard Laparé, procureur général du Québec et

président de l’Office de la protection du consommateur                                Intimés

- et -

Réal Marcotte et Bernard Laparé                                                                Appelants

c.

Banque de Montréal, Banque Amex du Canada, Banque

Royale du Canada, Banque Toronto-Dominion, Banque

Canadienne Impériale de Commerce, Banque de

Nouvelle-Écosse, Banque Nationale du Canada, Banque

Laurentienne du Canada, Citibanque Canada et

procureur général du Canada                                                                           Intimés

et

Procureur général du Canada, procureur général de

l’Ontario, procureur général du Québec, procureur général

de l’Alberta, président de l’Office de la protection du

consommateur et Association des banquiers canadiens                          Intervenants

Répertorié : Banque de Montréal c. Marcotte

2014 CSC 55

No du greffe : 35009.

2014 : 13 février; 2014 : 19 septembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Procédure civile — Recours collectifs — Qualité pour agir — Recours collectif intenté par les représentants des demandeurs contre des émettrices de cartes de crédit au motif que ces dernières n’avaient pas indiqué les frais de conversion imposés sur les opérations par carte de crédit en devises étrangères — Les représentants des demandeurs n’ont pas une cause d’action directe contre chaque défenderesse ou un lien de droit avec chacune d’elles — Les demandeurs ont-ils le statut pour poursuivre l’ensemble des défenderesses? — Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 55.

                    Protection du consommateur — Contrats de crédit — Contrats de crédit variable — Cartes de crédit — Obligation d’indiquer les frais applicables dans un contrat — Réparation appropriée en cas de manquement à cette obligation — Frais de conversion sur les opérations en devises étrangères imposés par des institutions financières aux titulaires de cartes de crédit — Recours collectifs — Les frais de conversion imposés constituent-ils des « frais de crédit » ou du « capital net » au sens de la loi? — Les banques ont-elles omis d’indiquer les frais de conversion aux titulaires de cartes? — Le remboursement des frais de conversion perçus des membres du groupe qui sont des consommateurs doit-il être ordonné? — Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, ch. P-40.1, art. 12, 68, 69, 70, 272.

                    Protection du consommateur — Recours — Dommages-intérêts punitifs — Obligation d’indiquer les frais applicables dans un contrat — Réparation appropriée en cas de manquement à cette obligation — Les membres du groupe ont-ils droit d’obtenir des dommages-intérêts punitifs? — Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, ch. P-40.1, art. 272.

                    Droit constitutionnel — Partage des compétences — Banques — Doctrine de l’exclusivité des compétences — Prépondérance fédérale — Loi québécoise sur la protection du consommateur régissant la mention des frais de conversion applicables dans les contrats de crédit — La loi provinciale est-elle constitutionnellement inapplicable ou inopérante à l’égard des cartes de crédit émises par des banques en raison des doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(15) Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, art. 16 , 988  — Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, ch. P-40.1, art. 12, 272.

                    Des consommateurs ont intenté un recours collectif pour obtenir le remboursement des frais de conversion imposés sur les opérations par carte de crédit en devises étrangères par plusieurs institutions émettrices de telles cartes (les « banques ») au motif que ces frais contrevenaient à la Loi sur la protection du consommateur du Québec (« L.p.c. »).  Les banques ont fait valoir les arguments suivants : (1) les représentants n’avaient pas une cause d’action directe contre chacune des banques et n’avaient donc pas le statut pour poursuivre l’ensemble de celles-ci; (2) elles étaient soustraites à l’application de la L.p.c. en raison de la Loi constitutionnelle de 1867 ; (3) elles n’étaient pas tenues au remboursement des frais de conversion.  La Cour supérieure a accueilli le recours collectif et conclu que la L.p.c. s’appliquait aux banques.  Selon elle, les frais de conversion étaient des « frais de crédit » dans le cadre des contrats de crédit variable; elle a ordonné à toutes les banques de les rembourser.  Elle a de plus condamné BMO, BNC, Citibanque, TD et Amex (les « banques du groupe A ») à verser des dommages-intérêts punitifs pour avoir omis d’indiquer les frais de conversion.  La Cour d’appel a conclu que les frais de conversion constituaient du « capital net » et a accueilli l’appel des banques n’appartenant pas au groupe A.  Elle a confirmé l’ordonnance défavorable aux banques du groupe A, mais a annulé la condamnation aux dommages-intérêts qui avait été prononcée contre Amex ainsi que la condamnation aux dommages-intérêts punitifs prononcée contre l’ensemble des banques du groupe A, sauf TD.

                    Arrêt : Les appels interjetés par les banques du groupe A sont rejetés.  L’appel interjeté par les représentants est accueilli en partie.

                    Les représentants ont le statut pour poursuivre toutes les banques.  La loi permet le recours collectif lorsque le représentant n’a pas une cause d’action directe contre chaque défendeur ou un lien de droit avec chacun d’eux.  En fait, l’art. 55 du Code de procédure civile (« C.p.c. »), qui exige du demandeur un « intérêt suffisant » dans l’action, doit être interprété en harmonie avec les dispositions relatives aux recours collectifs et conformément au principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 4.2 C.p.c.  Ce raisonnement a été adopté dans la plupart des autres juridictions canadiennes et est conforme à l’économie du C.p.c.; il prévient le gaspillage des ressources judiciaires, favorise l’accès à la justice et évite le risque de jugements contradictoires sur une même question de droit ou de fait.  De plus, l’analyse de la question de savoir si les demandeurs ont le statut doit aboutir au même résultat qu’elle soit entreprise à l’étape de l’autorisation du recours collectif ou après, parce que, dans un cas comme dans l’autre, le tribunal doit tenir compte des critères d’autorisation énoncés à l’art. 1003 C.p.c.

                    Différentes obligations s’appliquent selon que l’on qualifie les frais de conversion de frais de crédit ou de capital net.  Conformément à la L.p.c., si les frais de conversion sont des frais de crédit, ils doivent être mentionnés à part et entrer dans le calcul du taux de crédit indiqué, et un délai de grâce s’applique.  Si les frais de conversion sont du capital net, ils n’entrent pas dans le calcul du taux de crédit, et le délai de grâce ne s’applique pas, mais ils doivent quand même être mentionnés en application de l’art. 12 L.p.c., qui prévoit généralement ce qui doit l’être.  En l’espèce, les frais de conversion constituent une somme pour laquelle le crédit est effectivement consenti au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 68 L.p.c., et il vaut mieux les assimiler au capital net.  Ils n’entrent dans aucune des catégories énumérées à l’art. 70 L.p.c.  Assimiler les frais de conversion aux frais d’administration ou commissions visés aux al. 70d) et f) L.p.c., et donc aux frais de crédit, ne permettrait pas que soient atteints les objectifs de la L.p.c. en rétablissant l’équilibre entre les commerçants et le consommateur ou en améliorant la capacité du consommateur à faire des choix éclairés.  Les commerçants devraient alors mentionner une large fourchette de taux de crédit — ce qui ne ferait qu’ajouter à la confusion des consommateurs — ou faire payer à tous les titulaires de cartes, à leur insu, les services accessoires que seuls certains utilisent, ce qui n’avantagerait que certains consommateurs au détriment d’autres et empêcherait les consommateurs de faire des choix éclairés.  Comme aucune de ces formules ne bénéficie au consommateur et que l’art. 17 L.p.c. et l’art. 1432 du Code civil du Québec disposent qu’en cas de doute ou d’ambiguïté le contrat doit être interprété en faveur du consommateur, les frais de conversion ne sauraient être assimilés à des frais de crédit.  De plus, les frais de conversion ne constituent pas une somme que le consommateur doit payer en vertu du contrat pour avoir accès au crédit au sens de l’art. 69 L.p.c.  En fait, il s’agit de frais additionnels pour un service optionnel auquel l’accès au crédit n’est pas subordonné.

                    La doctrine de l’exclusivité des compétences ne s’applique pas.  Les articles 12 et 272 L.p.c., qui concernent la mention des frais et les recours possibles en cas de manquement à ces obligations, n’entravent pas la compétence fédérale sur les banques.  Bien que le prêt d’argent, au sens large, appartienne au contenu essentiel des opérations des banques, on ne peut prétendre que l’obligation de mentionner certains frais accessoires à un type de crédit à la consommation entrave ou porte une atteinte importante à l’exercice de la compétence fédérale qui permet de légiférer en matière de prêt bancaire.

                    La doctrine de la prépondérance fédérale ne s’applique pas non plus.  Si l’on présume que l’un des objectifs de la Loi sur les banques  est l’établissement de normes nationales exclusives, on ne peut conclure que les art. 12 et 272 L.p.c. empêchent la réalisation de cet objectif ou y nuisent, parce qu’ils n’établissent pas de normes applicables aux produits et services bancaires offerts par les banques.  Ces dispositions établissent plutôt une norme contractuelle analogue aux règles de fond en matière contractuelle établies par le Code civil.  De telles règles ne sauraient empêcher la réalisation de l’objectif fédéral qui consiste à établir des normes complètes et exclusives, et les règles générales sur la mention des frais et les recours qui s’y rattachent appuient le régime fédéral; elles ne lui nuisent pas.  En outre, les art. 12 et 272 L.p.c. ne sont pas incompatibles avec les art. 16  et 988  de la Loi sur les banques  et n’empêchent donc pas la réalisation de l’objectif fédéral plus étroit qui vise à éviter l’annulation du contrat bancaire même si une banque contrevient à son obligation de mentionner les frais.  Les demandeurs sollicitent la restitution des frais de conversion et des dommages-intérêts punitifs, et non l’annulation de leurs contrats ou des clauses précises en litige. 

                    Les banques du groupe A ont contrevenu à l’art. 12 L.p.c. en ne mentionnant pas les frais de conversion.  Cette violation n’est pas liée aux modalités de paiement ni au calcul ou à l’indication des frais ou du taux de crédit, qui sont expressément visés par l’art. 271 L.p.c.  Il s’agit d’une violation de fond qui va à l’encontre de l’objectif de la L.p.c. de permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés, et qui résulte, à tout le moins, d’un comportement d’ignorance ou d’insouciance.  L’article 272 L.p.c. s’applique et il convient d’accorder la réduction des obligations des titulaires de cartes correspondant au montant des frais de conversion imposés pendant les périodes où ils n’étaient pas indiqués. Vu la présomption absolue de préjudice applicable aux cas de violation ouvrant droit aux réparations prévues à l’art. 272, la compétitivité des frais de conversion imposés n’a aucune importance.

                    De plus, il y a lieu de rétablir le jugement de première instance en ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs.  Le seuil d’octroi de dommages-intérêts punitifs n’est pas plus élevé dans le cas d’un recours collectif où le tribunal a ordonné qu’il soit procédé par recouvrement collectif plutôt que par voie de réclamations individuelles.  Le mode de recouvrement ne fait pas partie des facteurs énoncés dans la jurisprudence sur l’analyse servant à déterminer l’opportunité d’une condamnation aux dommages-intérêts punitifs, et il ne serait pas non plus raisonnable de l’inclure dans cette analyse.  De plus, le montant des dommages-intérêts punitifs accordés en l’espèce a un lien rationnel avec les objectifs de leur octroi.  En fait, il n’est pas nécessaire d’établir un comportement antisocial ou répréhensible pour que des dommages-intérêts punitifs soient attribués en vertu de la L.p.c.  Il faut plutôt examiner le comportement global du commerçant avant, pendant et après la violation, pour déterminer s’il a adopté une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur et de leurs propres obligations, ou un comportement d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse.  En l’espèce, les banques du groupe A ont enfreint la L.p.c. sans explication pendant des années, et cette négligence prévaut sur leur décision inexpliquée de mentionner aux consommateurs des frais qui leur étaient auparavant imposés à leur insu.

Jurisprudence

                    Arrêt appliqué : Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265; arrêt rejeté : Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, [2006] R.J.Q. 2349; distinction d’avec l’arrêt : Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536; arrêts mentionnés : Marcotte c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, 2014 CSC 57, [2014] 2 R.C.S. 806; Banque Amex du Canada c. Adams, 2014 CSC 56, [2014] 2 R.C.S. 788; Regroupement des CHSLD Christ-Roi (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, 2007 QCCA 1068, [2007] R.J.Q. 1753; MacKinnon c. National Money Mart Co., 2004 BCCA 472, 33 B.C.L.R. (4th) 21; Service aux marchands détaillants ltée (Household Finance) c. Option consommateurs, 2006 QCCA 1319 (CanLII), autorisation d’appel refusée, [2007] 1 R.C.S. xi; Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2007 QCCA 694 (CanLII); General Motors du Canada ltée c. Billette, 2009 QCCA 2476, [2010] R.J.Q. 66; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3; Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113; États-Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462; Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168.

Lois et règlements cités

Code civil du Québec, art. 1422, 1432, 1621.

Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 4.2, 55, 59, 67, livre IX, 1003, 1015, 1048, 1051.

Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91(15) .

Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada , L.C. 2001, ch. 9 .

Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, ch. P-40.1, titre I, art. 12, 17, chapitre III, section III, 68, 69 « frais de crédit », 70, 72, 126, 127, 271, 272.

Loi sur les banques , L.C. 1991, ch. 46 , préambule [aj. 2012, ch. 19, art. 525], art. 16, 452, 988.

Règlement sur le coût d’emprunt (banques), DORS/2001-101.

Doctrine et autres documents cités

Bulmer, John. « Les systèmes de paiement : le marché de la carte de crédit au Canada ». Étude générale PRB 09-10F, préparée pour la Bibliothèque du Parlement, Service d’information et de recherche parlementaires, 24 septembre 2009 (en ligne : http://www.parl.gc.ca/content/lop/researchpublications/prb0910-f.pdf).

Masse, Claude.  Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires.  Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1999.

                    POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Forget, Dalphond et Bich), 2012 QCCA 1396, [2012] R.J.Q. 1541, [2012] AZ-50881449, [2012] J.Q. no 7428 (QL), 2012 CarswellQue 7796, qui a infirmé en partie une décision du juge Gascon, 2009 QCCS 2764, [2009] AZ-50560820, [2009] J.Q. no 5771 (QL), 2009 CarswellQue 6515.  Pourvois interjetés par la Banque de Montréal, Citibanque Canada, la Banque Toronto-Dominion et la Banque Nationale du Canada rejetés et pourvoi interjeté par Réal Marcotte et Bernard Laparé accueilli en partie.

                    Mahmud Jamal, Sylvain Deslauriers, Silvana Conte, Alberto Martinez, W. David Rankin, Anne-Marie Lizotte et Alexandre Fallon, pour les appelantes/intimées la Banque de Montréal, Citibanque Canada, la Banque Toronto-Dominion et la Banque Nationale du Canada, et pour les intimées la Banque Amex du Canada, la Banque Royale du Canada, la Banque Canadienne Impériale de Commerce, la Banque de Nouvelle-Écosse et la Banque Laurentienne du Canada.

                    Bruce W. Johnston, Philippe H. Trudel, André Lespérance et Andrew E. Cleland, pour les intimés/appelants Réal Marcotte et Bernard Laparé.

                    Jean-François Jobin, Francis Demers et Samuel Chayer, pour l’intimé/intervenant le procureur général du Québec.

                    Marc Migneault et Joël Simard, pour l’intimé/intervenant le président de l’Office de la protection du consommateur.

                    Bernard Letarte et Pierre Salois, pour l’intimé/intervenant le procureur général du Canada.

                    Janet E. Minor et Robert A. Donato, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Robert J. Normey, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    John B. Laskin et Myriam M. Seers, pour l’intervenante l’Association des banquiers canadiens.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Les juges Rothstein et Wagner —

I.              Introduction

[1]                              Les cartes de crédit sont si omniprésentes et dusage si répandu quil est facile doublier leurs nombreuses utilités. La possibilité de régler par une carte de crédit fournie par un émetteur canadien des achats en devises étrangères en est un exemple. Ce service de conversion peut se substituer au change de la devise canadienne en une devise étrangère, à lachat et à lencaissement de chèques de voyage ou au retrait de fonds en devises étrangères au moyen dune carte bancaire.

[2]                              La Cour est saisie en lespèce et dans les pourvois connexes Marcotte c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, 2014 CSC 57, [2014] 2 R.C.S. 806, et Banque Amex du Canada c. Adams, 2014 CSC 56, [2014] 2 R.C.S. 788, de lappel de décisions sur le bien-fondé de trois recours collectifs. Ces recours en remboursement des frais de conversion imposés sur les opérations par carte de crédit en devises étrangères par plusieurs institutions financières émettrices de telles cartes avaient été entrepris principalement au motif que ces frais de conversion contrevenaient à la Loi sur la protection du consommateur du Québec, RLRQ, ch. P-40.1 (« L.p.c. »). Les institutions financières soutiennent que la L.p.c. ne sapplique pas à elles en raison de la Loi constitutionnelle de 1867  et quelles ne sont pas tenues au remboursement des frais de conversion, quelle que soit la manière dont ceux-ci ont été présentés dans les contrats de carte de crédit.

[3]                              Pour les motifs qui suivent, nous concluons que la L.p.c. sapplique aux émettrices de cartes de crédit. Les frais de conversion imposés sans indication suffisante au titulaire de la carte doivent être remboursés.

II.           Les faits

[4]                              Est jointe en annexe une liste des définitions des termes techniques employés dans les présents motifs.

A.           Cartes de crédit et frais de conversion — survol

[5]                              Selon un modèle simplifié, un paiement par carte de crédit au Canada fait intervenir quatre parties : le titulaire, le commerçant, lémetteur de la carte (en général une banque, une coopérative de crédit ou un magasin) et la société de carte de crédit (Visa, MasterCard et American Express). Voici les différentes étapes du paiement :

1.         Le titulaire présente sa carte de crédit au commerçant.

2.         Le commerçant transmet à lémetteur de la carte les données de cette dernière afin dobtenir une autorisation.

3.         Une fois lautorisation obtenue, le commerçant porte le montant de lachat au compte de la carte.

4.         Lémetteur de la carte verse au commerçant des fonds équivalant au montant de lachat facturé, déduction faite des frais dinterchange, dont le taux est fixé par la société de carte de crédit, mais que lémetteur conserve.

5.         Lémetteur de la carte verse à la société de carte de crédit des frais de réseau à chaque transaction. Ces frais sont inférieurs aux frais dinterchange.

6.         Le titulaire paie lémetteur de la carte.

(J. Bulmer, « Les systèmes de paiement : le marché de la carte de crédit au Canada », Bibliothèque du Parlement, étude générale PRB 09-10F, 24 septembre 2009 (en ligne))

Par souci de simplicité, nous avons exclu de la description qui précède le rôle de lacquéreur, assumé par une entreprise qui agit comme intermédiaire entre le commerçant et lémetteur de la carte, étant donné quil nest pas pertinent pour les présents pourvois.

[6]                              La carte de crédit délivrée par un émetteur canadien peut servir à faire des achats en devises étrangères. La conversion est effectuée par la société de carte de crédit de la manière suivante :

1.        Le montant de lachat est converti en dollars canadiens selon le taux interbancaire. La conversion est faite soit directement de la devise étrangère à la devise canadienne, soit après une conversion initiale en dollars américains.

2.        On obtient les frais de conversion en appliquant le taux de conversion, exprimé en pourcentage, au produit de la première étape.

3.        La somme du produit de la première étape et des frais de conversion est alors portée au compte de la carte. Cest ce nombre qui figure au relevé mensuel.

B.            Conventions régissant lutilisation de la carte

[7]                              De nombreuses conventions régissant lutilisation de la carte sont en cause dans les présents pourvois. Chaque institution financière émettrice délivre plusieurs cartes. Les conventions relatives à chacune delles ont été modifiées au fil des ans. On peut cependant les répartir en deux groupes : (1) celles qui indiquent quun taux de change ou un taux de conversion est appliqué aux achats en devises étrangères sans mentionner les frais de conversion ou sans donner de détail à leur sujet et (2) celles qui décrivent non seulement les frais de conversion, mais aussi le taux de change applicable. La clause suivante, qui figure dans la convention dadhésion du titulaire de la carte MasterCard (Citibanque), est un exemple du groupe 1 :

                    Opérations faites à létranger : Les achats et avances de fonds (et les remboursements) en devises étrangères sont convertis en dollars canadiens. Le montant porté au compte est calculé daprès un taux de change reflétant le coût de la devise au moment de lopération et inclut des frais dadministration pour le traitement de lopération par lentremise du réseau MasterCard International Incorporated. Ces frais sont imputés aussi bien aux crédits quaux débits. [Nous soulignons.]

En comparaison, on trouve un exemple de clause utilisée par le groupe 2 dans la convention régissant lutilisation de la carte Visa Banque Royale du Canada, que voici :

                    Frais de conversion de devises : Tout découvert qui na pas été créé en dollars CAN est converti dans cette monnaie au taux en vigueur le jour où [lémettrice de la carte] débit[e] le compte du montant converti. [Lémettrice de la carte] per[çoit] également des frais de conversion de 1,8 % sur le montant converti. [Nous soulignons.]

[8]                              Le formulaire de demande initiale, la convention régissant lutilisation de la carte, le « porte-carte » qui sert à livrer la carte à son titulaire, le relevé mensuel et les mises à jour et modifications apportées à la convention présentent aux titulaires des renseignements sur leur carte de crédit.

C.            Historique procédural

[9]                              Réal Marcotte est le représentant qui a été proposé dans la requête, datée du 17 avril 2003, pour obtenir lautorisation (équivalent au Québec de la « certification » dans les recours collectifs de common law) dexercer un recours collectif contre la Banque de Montréal (« BMO »), la Banque Amex du Canada (« Amex »), la Banque Royale du Canada (« RBC »), la Banque Toronto-Dominion (« TD »), la Banque Canadienne Impériale de Commerce (« CIBC »), la Banque de Nouvelle-Écosse (« Scotia »), la Banque Nationale du Canada (« BNC »), la Banque Laurentienne du Canada (« Laurentienne ») et Citibanque Canada (collectivement, les « banques »), ainsi que contre la Fédération des caisses Desjardins du Québec (« Desjardins ») (le « recours contre BMO »). M. Marcotte est titulaire de cartes BMO et Desjardins. Bernard Laparé, titulaire dune carte Amex, a été constitué représentant après quAmex ait déposé une requête en rejet de linstance au motif que M. Marcotte navait pas le statut pour la poursuivre (MM. Marcotte et Laparé sont ci-après appelés les « demandeurs »). Amex est la seule banque à avoir déposé une telle requête.

[10]                          M. Marcotte a entrepris un recours collectif distinct à lencontre de Desjardins, une coopérative de crédit, (le « recours contre Desjardins ») après que les banques eurent indiqué quelles présenteraient un argument constitutionnel fondé sur la compétence fédérale sur les banques prévue au par. 91(15)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Les recours contre BMO et Desjardins ont été instruits ensemble. Si les banques ont consenti à ne pas contester la requête pour autoriser lexercice du recours collectif en échange de la réunion dactions, elles se sont toutefois réservé le droit de soulever la question de labsence de statut des demandeurs à légard des banques de qui ils ne détenaient pas de carte.

[11]                          Un an et demi après que les demandeurs aient intenté leur poursuite contre les banques et Desjardins, un deuxième recours collectif a été intenté contre Amex (le « recours contre Amex »). Contrairement aux groupes qui exercent leur recours contre BMO et Desjardins, celui qui exerce le recours contre Amex est constitué de consommateurs et de non-consommateurs titulaires de cartes de crédit et de cartes de paiement. Le même juge, en loccurrence le juge Gascon, maintenant juge de notre Cour, a présidé laudition des recours contre BMO, Desjardins et Amex, linstruction de ce dernier ayant eu lieu peu après celle des recours contre BMO et Desjardins, entendus ensemble. Les trois jugements ont été prononcés le même jour.

III.        Historique judiciaire

[12]                          Bien que des jugements distincts en première instance et en appel aient été rendus à lissue des recours entrepris contre BMO, Desjardins et Amex, les motifs renvoient à plusieurs reprises les uns aux autres. Les résumés des décisions de première instance et dappel qui suivent concernent le recours contre BMO, mais renvoient au besoin aux recours contre Desjardins et Amex.

A.           Cour supérieure du Québec, 2009 QCCS 2764 (CanLII)

[13]                          Le juge Gascon a refusé de rejeter le recours collectif pour le motif invoqué, soit que les demandeurs navaient pas le statut pour poursuivre lensemble des banques. Selon lui, une fois le recours collectif autorisé, il faut le considérer du point de vue du groupe plutôt que de celui du représentant. En lespèce, les contextes juridique et factuel en cause étaient les mêmes pour toutes les banques. Cest pourquoi exiger dentreprendre un recours collectif distinct à lencontre de chaque banque, a-t-il conclu, constituerait un gaspillage de ressources, alors que permettre au recours contre BMO de suivre son cours ne causerait aucun préjudice aux banques.

[14]                          Le juge Gascon a conclu que les frais de conversion sont des « frais de crédit » au sens de lart. 69 L.p.c., suivant lequel les frais qui ne sont pas du capital net sont des frais de crédit. Selon lui, la preuve nétayait pas la thèse selon laquelle les frais de conversion appartiennent au capital net puisquils ne sont pas versés au commerçant étranger et quils ne font pas partie du taux de change. La preuve démontrait plutôt que les frais de conversion étaient perçus en échange de services liés à la carte de crédit et quils constituaient donc des frais de crédit. Cest la société de carte de crédit, et non lémetteur de la carte, qui procède à la conversion. Aux termes de la L.p.c., les frais de crédit sentendent des frais accessoires ainsi que des frais directement liés au crédit consenti.

[15]                          Le juge Gascon a conclu en fait que cinq des banques — BMO, BNC, Citibanque, TD et Amex (les « banques du groupe A ») — navaient pas indiqué les frais de conversion. Les demandeurs nont pas contesté la mention de ces frais par les quatre autres banques — RBC, CIBC, Scotia et Laurentienne (les « banques du groupe B »). Le juge Gascon a conclu quen payant les frais de conversion, les titulaires de cartes navaient pas renoncé à leur droit daction ou à la protection de la L.p.c.

[16]                          Selon le juge Gascon, le délai de prescription auquel étaient assujettis les titulaires des cartes émises par les banques du groupe B dont le contrat initial a été formé avant le 17 avril 2000 — soit trois ans avant lexercice du recours collectif — nétait pas expiré parce quun nouveau contrat est formé chaque fois quune carte est renouvelée. Le délai de prescription des titulaires des cartes émises par les banques du groupe A a été suspendu jusquà ce quelles commencent à indiquer les frais.

[17]                          Le juge Gascon a rejeté largument constitutionnel soulevé par les banques, à savoir quelles échappaient à lapplication de la L.p.c. en raison de la doctrine de lexclusivité des compétences. Il estimait que les contrats de carte de crédit ne font pas partie du contenu essentiel, ou du cœur, des opérations des banques et que la L.p.c. nentrave pas le régime bancaire fédéral. Il a également rejeté largument semblable fondé sur la doctrine de la prépondérance fédérale, concluant à labsence de conflit dapplication ou dentrave à la réalisation dun objectif fédéral.

[18]                          Le remboursement des frais de conversion a donc été ordonné en application de lart. 272 L.p.c. à titre de sanction appropriée. Dans la mesure du possible, le juge Gascon a ordonné le recouvrement collectif de tous les frais de conversion imposés au cours des périodes visées par les recours collectifs, ce qui représente, pour chaque banque, un versement forfaitaire. Il a ordonné le recouvrement individuel lorsque la preuve ne permettait pas quil soit procédé au recouvrement collectif, ce qui signifie que chaque membre du groupe a le droit de réclamer le remboursement des frais de conversion quil a payés au cours de la période pertinente. Cétait le cas des titulaires de cartes émises par les banques du groupe B, étant donné que le délai de prescription applicable variait en fonction de la date à laquelle chacun avait renouvelé sa carte pour la première fois après le 17 avril 2000. En outre, le recouvrement individuel a été ordonné dans le cas de TD, puisque la preuve produite par cette dernière nétait pas suffisante pour quil soit procédé au recouvrement collectif. Les cinq banques du groupe A ont en plus été condamnées à verser à chaque membre du recours 25 $, à titre de dommages-intérêts punitifs, pour avoir omis dindiquer les frais de conversion.

B.            Cour dappel du Québec, 2012 QCCA 1396, [2012] R.J.Q. 1541

[19]                          Le juge Dalphond a confirmé la conclusion du juge Gascon selon laquelle les demandeurs pouvaient assurer une représentation adéquate des membres du groupe, et ce à légard de toutes les banques. Selon lui, autoriser les recours collectifs de cette nature respectait les dispositions générales du Code de procédure civile du Québec, RLRQ, ch. C-25 (« C.p.c. »), dont certaines dispositions prévoient la possibilité dentreprendre un recours pour le compte dautrui, ainsi que lesprit du livre IX C.p.c., qui régit les recours collectifs. Ce nest pas un intérêt juridique personnel que doit détenir le représentant, mais un intérêt suffisant. Le statut du représentant se distingue de lintérêt des membres quil représente. Sil existe un véritable sous-groupe de membres ayant un intérêt opposable à chacun des défendeurs, ces derniers ne sauraient invoquer linsuffisance de lintérêt juridique du représentant autorisé pour demander le rejet de laction. En lespèce, le recours collectif a été autorisé, et MM. Marcotte et Laparé ont été désignés à titre de représentants. Largument avancé par les banques sattarde au statut des représentants, non pas à lexistence dun véritable sous-groupe de membres ayant un intérêt opposable à chaque banque, et cest à bon droit quil a été rejeté au procès.

[20]                          Le juge Dalphond a reconnu que ni la doctrine de lexclusivité des compétences ni celle de la prépondérance fédérale nempêchaient la L.p.c. de sappliquer aux banques. Le crédit auquel donnent accès les cartes de crédit ne relève pas du par. 91(15)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . La doctrine de la prépondérance fédérale sapplique sil existe une plainte auprès de lOffice de la protection du consommateur à propos dune banque — seule lAgence de la consommation en matière financière du Canada (« ACFC ») est habilitée à recevoir les plaintes de consommateurs au sujet de banques — mais, puisque les frais de conversion constituent du capital net, les régimes fédéral et provincial sappliquent de façon harmonieuse. Les recours civils prévus à la L.p.c. et au Code civil du Québec (« C.c.Q. ») peuvent être exercés.

[21]                          Comme la expliqué le juge Dalphond dans la décision portant sur le recours contre Desjardins, les frais de conversion appartiennent au capital net au sens de la L.p.c., non pas aux frais de crédit. La L.p.c. qualifie les frais liés à un contrat de crédit variable (tel quun contrat de carte de crédit) soit de capital net, soit de frais de crédit. Les frais de crédit sont les frais associés à laccès au crédit, soit aux étapes préalables à lobtention dune carte de crédit, comme les frais dadhésion, soit aux étapes subséquentes, comme les intérêts ou les primes dassurance. Les autres frais imposés dans le cadre dun contrat de carte de crédit, à titre dexemple ceux exigés pour la copie dun relevé mensuel perdu ou lutilisation dun guichet automatique appartenant à une autre institution financière, ne sont pas des frais de crédit. À linstar des frais de conversion, ces frais sont perçus en contrepartie dun service dont le titulaire se prévaut, mais ne sont pas liés à laccès au crédit.

[22]                          Selon le juge Dalphond, assimiler les frais de conversion aux frais de crédit contreviendrait à lobjet de la L.p.c. Le taux de crédit annuel qui devrait être indiqué aux consommateurs dans le contrat de carte de crédit, conformément à la L.p.c., varierait de 18 % à 900 %, ce qui risque de confondre le consommateur bien plus que de linformer. Le délai de grâce de 21 jours sappliquerait aux frais de conversion de sorte que les consommateurs qui acquitteraient leur solde avant lexpiration de ce délai ne seraient pas tenus de les payer. Les émettrices devraient donc, pour financer le service de conversion, augmenter les frais dadhésion ou le taux de crédit général, et les titulaires de cartes se verraient ainsi imposer des frais cachés pour un service que seuls certains dentre eux utilisent. Le juge Dalphond a conclu que les frais de conversion devaient être considérés comme du capital net, sagissant de « frais facturés à loccasion de lutilisation, au seul choix du consommateur, dun service accessoire à la carte [de crédit], non rattaché à loctroi même du crédit en dollars canadiens disponible en vertu [du contrat de carte de crédit] » (2012 QCCA 1395, [2012] R.J.Q. 1526, par. 60).

[23]                          Appliquant la conclusion tirée du recours contre Desjardins à celui contre BMO, le juge Dalphond a précisé que les frais de conversion ne sont assimilés ni aux coûts demprunt ni aux taux demprunt définis dans le régime fédéral instauré par la Loi sur les banques , L.C. 1991, ch. 46 . En conséquence, il a accueilli les appels interjetés par les banques du groupe B, qui avaient, selon le juge de première instance, indiqué les frais de conversion aux titulaires de cartes.

[24]                          Pour les mêmes motifs que ceux quil a exprimés dans le recours contre Amex, le juge Dalphond a conclu que les banques du groupe A avaient contrevenu à la L.p.c. et au C.c.Q. en ne mentionnant pas les frais de conversion aux titulaires de cartes. Dans le recours contre Amex, le juge Dalphond a appliqué la conclusion de fait tirée en première instance selon laquelle Amex navait pas mentionné les frais de conversion en contravention à la L.p.c., aux principes de droit généraux contenus dans le C.c.Q., et à lart. 452  de la Loi sur les banques . Il partageait ainsi lavis du juge du procès, selon qui les frais de conversion nentraient pas dans le taux de change, mais étaient plutôt assimilés à des frais de service. Pendant 10 ans, ni les contrats de carte de crédit dAmex ni la pratique nobligeaient les titulaires de cartes à acquitter les frais de conversion. En conséquence, les dispositions relatives à la restitution de lindu permettaient le recouvrement des sommes payées. Que le taux de conversion fût raisonnable et concurrentiel nétait pas un motif suffisant pour que le tribunal refuse dordonner la restitution. Un tel refus relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, et [traduction] « Amex na pas démontré que le juge de première instance navait pas exercé judicieusement son pouvoir discrétionnaire », en « prouvant quil avait commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de la situation » (2012 QCCA 1394, [2012] R.J.Q. 1512, par. 47 et 50).

[25]                          En conséquence, dans le recours contre Amex, la Cour dappel, par ordonnance de recouvrement collectif, a condamné Amex à rembourser aux groupes définis les frais de conversion quelle avait perçus durant la période où elle navait pas indiqué ces frais. De même, dans le recours contre BMO, cette dernière, BNC et Citibanque ont été condamnées, par ordonnance de recouvrement collectif, au remboursement des frais de conversion perçus au cours des périodes pertinentes. Quant à TD, la Cour dappel a ordonné le remboursement des frais de conversion par recouvrement individuel, parce que la preuve produite par TD ne permettait pas de déterminer le total des frais de conversion imposés au cours de la période pertinente. La Cour dappel a annulé les dommages-intérêts auxquels Amex avait été condamnée dans le cadre du recours contre BMO, affirmant que cette réparation était déjà couverte dans les dommages-intérêts quAmex avait été tenue de payer dans le cadre du recours contre Amex. Seule TD a été condamnée à des dommages-intérêts punitifs, au motif quelle navait pas produit de preuve qui aurait permis dordonner le recouvrement collectif. La condamnation aux dommages-intérêts punitifs des autres banques du groupe A a été infirmée, car le recouvrement collectif comporte déjà un aspect punitif important, et ce type de dommages-intérêts ne servirait aucune fonction préventive.

[26]                          Ultimement, le juge Dalphond a rejeté les moyens soulevés par les banques du groupe A — la renonciation, la prescription et labsence de préjudice — en opposition à la restitution. Les titulaires de cartes ne pouvaient avoir renoncé à leur droit de contester les frais de conversion en payant leurs comptes, parce que les frais de conversion ne leur avaient pas été communiqués et quune renonciation nest valable que si elle est faite en pleine connaissance de cause. La prescription na commencé à courir que le jour où le défaut des banques du groupe A dindiquer les frais de conversion a été découvert. Labsence de préjudice ne sappliquait pas puisque les banques du groupe A nétaient pas en droit dimposer des frais de conversion et que la restitution ne conférerait aucun avantage indu aux titulaires de cartes.

[27]                          Dans le recours contre BMO, les banques du groupe A et les demandeurs interjettent appel de la décision de la Cour dappel devant notre Cour. Les banques appellent des conclusions tirées par le juge Dalphond : les doctrines de lexclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale ne sappliquent pas, les frais de conversion imposés par les banques du groupe A doivent être remboursés et les demandeurs ont le statut pour représenter le groupe à légard de toutes les banques. Pour leur part, les demandeurs appellent de la conclusion du juge Dalphond qui a assimilé les frais de conversion au capital net et non à des frais de crédit. Le 11 avril 2013, lautorisation de pourvoi a été accordée par la Cour dans les deux cas ainsi que dans les recours contre Desjardins et Amex ([2013] 2 R.C.S. v, vi et x).

IV.        Questions en litige

[28]                          Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :

a)         Les représentants ont-ils le statut pour exercer un recours collectif à lencontre de toutes les banques, y compris celles à légard desquelles ils nont aucun droit daction personnel?

b)         Les frais de conversion représentent-ils du capital net ou des frais de crédit au sens de la L.p.c.?

c)         Les articles 12 et 272 L.p.c. sont-ils constitutionnellement inapplicables à légard des cartes de crédit émises par des banques en raison de la doctrine de lexclusivité des compétences?

d)         Les articles 12 et 272 L.p.c. sont-ils constitutionnellement inopérants à légard des cartes de crédit émises par des banques en raison de la doctrine de la prépondérance fédérale?

e)         À quelles réparations, sil en est, les membres du groupe ont-ils droit?

V.           Analyse

A.           Les représentants ont le statut

[29]                          Les cinq banques du groupe A soutiennent que le juge de première instance et la Cour dappel ont commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient le statut pour intenter le recours collectif. Elles font valoir que la décision de la Cour dappel va à lencontre des art. 55 et 59 C.p.c., qui exigent respectivement des demandeurs quils aient un « intérêt suffisant » et un « intérêt commun » dans le litige. Les banques du groupe A invoquent larrêt Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, [2006] R.J.Q. 2349, pour affirmer que, dans le cadre dun recours collectif, le représentant doit avoir une cause daction contre chaque défendeur. Elles prétendent que la décision de la Cour dappel a pour effet de substituer à la règle claire énoncée dans larrêt Agropur [traduction] « un critère de connaissance élastique, fondé sur les circonstances de chaque cas » (m.a. (banques), par. 111).

[30]                          Les demandeurs, MM. Marcotte et Laparé, répliquent que larrêt Agropur ne sapplique pas, et ce pour deux raisons : dune part, laffaire a été décidée à létape de lautorisation et, dautre part, la présente affaire relève dune exception à cet arrêt reconnue par la Cour dappel dans larrêt Regroupement des CHSLD Christ-Roi (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, 2007 QCCA 1068, [2007] R.J.Q. 1753. Ils soutiennent en outre que le C.p.c. permet dagir pour le compte dautrui, que les banques nont subi aucun préjudice, que la plupart des tribunaux canadiens partagent lavis de la Cour dappel et, enfin, que la thèse avancée par les banques se traduirait par un gaspillage des ressources judiciaires.

[31]                          Certes, la thèse avancée par les banques se traduirait par un gaspillage des ressources judiciaires, comme en témoigne la déclaration suivante du juge du procès : « . . . on aurait fait tout cela pour rien, sans conséquence négative pour les membres et sans bénéfice clair pour les banques » (par. 200). Or, il ne sagit pas seulement de savoir sil est judicieux du point de vue de léconomie judiciaire de reconnaître le statut pour agir ni sil est inutile, à cette étape de linstance, de conclure le contraire. Il sagit également de savoir si la loi permet le recours collectif lorsque le représentant na pas une cause daction directe contre chaque défendeur ou un lien de droit avec chacun deux. Nous sommes davis que cest le cas. Il faut interpréter lart. 55 C.p.c. en harmonie avec le livre IX de sorte à favoriser le résultat qui répond le mieux aux objectifs des recours collectifs. Cependant, quelques points méritent des éclaircissements : linterprétation de larrêt Agropur et lapplication du principe de la proportionnalité mentionné à lart. 4.2 C.p.c.

[32]                          Commençons par la décision de la Cour dappel. À notre avis, le juge Dalphond a conclu à bon droit que lart. 55 C.p.c., qui exige du demandeur un « intérêt suffisant » dans laction, doit être adapté au contexte des recours collectifs conformément au principe de la proportionnalité énoncé à lart. 4.2 C.p.c. Soulignons en particulier lart. 1051 C.p.c. qui rend les autres dispositions du C.p.c. — y compris lart. 55 — applicables aux recours collectifs, mais de sorte que lesprit du livre IX C.p.c. soit respecté. Il faut que la nature de l« intérêt suffisant » soit envisagée à la lumière du caractère collectif et représentatif de ce type de recours. Le juge Dalphond a de plus établi à juste titre une distinction entre être en mesure dassurer une représentation adéquate et être en mesure dobtenir un jugement à lencontre dun défendeur. Dès lors que le représentant est en mesure dassurer une représentation adéquate du groupe, comme le veut lal. 1003d) C.p.c. et que les recours entrepris contre chaque défendeur soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes, comme le veut lal. 1003a), il est loisible au juge dautoriser le recours collectif. Une telle conclusion favorise léconomie des ressources judiciaires et laccès à la justice et évite le risque de jugements contradictoires sur une même question de droit ou de fait.

[33]                          Cest le raisonnement quont adopté la plupart des autres juridictions canadiennes. Dans larrêt MacKinnon c. National Money Mart Co., 2004 BCCA 472, 33 B.C.L.R. (4th) 21, la Cour dappel de la Colombie-Britannique a conclu quune cause daction contre chaque défendeur pouvait être détenue par les membres du groupe — plutôt que par le représentant (par. 51). LAlberta, le Manitoba et la Saskatchewan ont emboîté le pas (voir les motifs de la Cour dappel, par. 55-57).

[34]                          Ce raisonnement est aussi conforme à léconomie du C.p.c. Comme le dit le juge Dalphond, dans les motifs de la Cour dappel, lart. 55 exige, pour que lintérêt soit suffisant, un intérêt direct et personnel :

                        Cet intérêt peut découler dun lien contractuel entre le demandeur et le défendeur quil a assigné ou dun manquement extracontractuel de la personne assignée envers le demandeur. Cela ne signifie cependant pas que le demandeur doit toujours être la personne qui possède cet intérêt, comme la victime dune faute qui poursuit lauteur de cette dernière. En effet, notre droit reconnaît à certains la capacité de poursuivre au nom de la personne qui a lintérêt (par exemple : le tuteur pour le mineur (art. 159 C.C.Q.), le tuteur ad hoc (art. 190 C.C.Q.) ou le mandataire en vertu dun mandat dinaptitude (art. 2166 C.C.Q.)). Cette reconnaissance de la capacité dagir au nom dautrui découle soit dune habilitation législative expresse (par exemple : la tutelle des parents à légard de leurs enfants mineurs et non émancipés, art. 192 C.C.Q.), soit dune délégation (par exemple, art. 200 C.C.Q.) ou dune décision judiciaire (art. 205 C.C.Q.). [Nous soulignons; par. 61.]

Qui plus est, lart. 1048 C.p.c. autorise la personne morale de droit privé ou lassociation à agir comme représentant dans un recours collectif si un de ses membres est membre du groupe représenté et si lintérêt de ce membre opposable au défendeur est lié aux objets pour lesquels la personne morale ou lassociation a été constituée. Le C.p.c. habilite donc une entité ou une personne dépourvue dun intérêt direct et personnel opposable à certains défendeurs à représenter le groupe dans certaines circonstances.

[35]                          De plus, la malléabilité du critère de l« intérêt suffisant » ressort de lart. 1015, qui dispose que, « [m]algré lacceptation des offres du défendeur relativement à sa créance personnelle, le représentant est réputé conserver un intérêt suffisant. » Dans le même ordre didées, la Cour dappel du Québec a autorisé un recours collectif même si la créance personnelle du représentant était prescrite, alors que celle de la majorité des membres du groupe ne létait pas (Service aux marchands détaillants ltée (Household Finance) c. Option consommateurs, 2006 QCCA 1319 (CanLII), par. 66, autorisation d’appel refusée, [2007] 1 R.C.S. xi).

[36]                          Il faut donc maintenant déterminer comment concilier les arrêts Agropur et CHSLD Christ-Roi.

[37]                          Dans larrêt Agropur, la Cour dappel du Québec a confirmé le jugement, rendu sur la requête en autorisation, qui ne reconnaissait pas le statut de représentant à une personne dépourvue dune cause personnelle daction contre tous les défendeurs ou dun lien de droit avec chacun de ces derniers (par. 110 et 112). Le juge Pelletier a conclu que le représentant navait consommé que le lait dun seul des producteurs poursuivis et sest ainsi exprimé :

                        Dans les cas de recours collectifs impliquant plusieurs intimés, notre cour a confirmé implicitement la nécessité pour le requérant de faire valoir une cause daction à légard de chacun deux. Cette jurisprudence va dailleurs dans le même sens que celle qui sest établie en Ontario et aux États-Unis. Il convient à mon avis de dissiper toute ambiguïté à ce sujet et de réaffirmer clairement le principe de la nécessité pour un représentant détablir une cause daction contre chacune des parties visées par le recours. [Nous soulignons; par. 110.]

[38]                          Bien que larrêt Agropur semble établir une règle de démarcation nette interdisant le recours collectif à lencontre de plusieurs défendeurs si le représentant na pas de cause daction contre chacun deux, il ressort de décisions ultérieures que la Cour dappel na pas appliqué ce principe. En effet, elle a autorisé le recours dans larrêt CHSLD Christ-Roi, affirmant que cette affaire se distinguait de laffaire Agropur à deux égards : premièrement, dans Agropur, lautorisation même était contestée, alors que dans CHSLD Christ-Roi, la décision sur le fond rendue en première instance était portée en appel; deuxièmement, contrairement à la situation dans laffaire Agropur où intervenaient plusieurs causes daction, une seule cause daction était commune à lensemble du groupe dans CHSLD Christ-Roi.

[39]                          Dans larrêt CHSLD Christ-Roi, la Cour dappel a jugé que lal. 1003d) C.p.c. mettait laccent sur le caractère représentatif du demandeur et sur sa capacité à sacquitter adéquatement de son rôle de représentation des membres du groupe, et que le statut de représentant du demandeur était établi dès lors quil appartient à un groupe dont le recours avait déjà été autorisé sur la base dune cause daction unique et légitime (par. 27). Par ailleurs, la cour estimait que les conséquences du refus de reconnaître à lappelant le statut de représentant iraient à lencontre des objectifs visés par la procédure du recours collectif :

                          La présence de défendeurs multiples nexige pas en lespèce quil y ait autant de représentants quil y a de CHSLD. En effet, la question en litige est commune à tous les établissements, privés conventionnés ou publics, qui noffrent pas à leurs usagers le service de buanderie auquel ils prétendent avoir droit en vertu de la loi. Procéder comme les appelants le suggèrent signifierait quil y aurait autant de recours collectifs quil y a détablissements, ce qui se traduirait par des frais importants, sinon considérables, et une lourdeur procédurale qui exigerait du système judiciaire plus de ressources que nécessaire. Imposer aux usagers des centres de soins de longue durée la contrainte dintenter autant de recours collectifs quil y a détablissements pourrait avoir pour effet de les dissuader de faire valoir leurs droits en justice, ce qui irait à lencontre des objectifs visés par la procédure de recours collectif. Retenir la proposition des établissements publics tendrait, dans un cas comme celui-ci, à stériliser la procédure de recours collectif et miner sa vocation sociale. [par. 31]

[40]                          Dans létat actuel du droit au Québec, il nest pas clair quil est possible dexercer un recours collectif contre de multiples défendeurs lorsque le représentant na pas de cause daction directe contre chacun deux. Depuis larrêt Agropur, dans les cas où lexercice du recours collectif a été autorisé en semblable situation, la question du statut du représentant pour agir avait été soulevée à létape ultérieure à lautorisation et les tribunaux ont appuyé leurs décisions sur cette distinction (voir Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2007 QCCA 694 (CanLII), par. 22; General Motors du Canada ltée c. Billette, 2009 QCCA 2476, [2010] R.J.Q. 66, par. 50-51). En fait, dans les motifs exposés dans la présente affaire, le juge Dalphond a également écrit que le lien de droit entre chaque défendeur et les membres du sous-groupe pertinent avait été établi à létape de lautorisation, de sorte que les membres du groupe avaient une véritable cause daction à légard de tous les défendeurs (par. 71).

[41]                          Nous ne pouvons accepter que, dans le cadre dun recours collectif, le représentant dépourvu dune cause daction directe contre chaque défendeur na pas le statut pour agir si la question est soulevée à létape de lautorisation, alors quil obtient ce statut si la question est débattue après lautorisation. Les deux juridictions inférieures ont justifié ce résultat, signalant au passage que, dès lors que le recours collectif est autorisé, lanalyse est entreprise sous langle, non pas du représentant, mais du groupe parce quil existe alors un groupe doté dune cause daction valide. Nous sommes davis que la réponse à la question de savoir si le représentant a le statut pour agir contre des défendeurs à légard desquels il na pas de cause directe daction doit être la même, peu importe si cette question est soulevée à létape de lautorisation ou par la suite.

[42]                          En matière de recours collectif, le statut pour agir doit être analysé à la lumière des critères dautorisation énoncés au C.p.c. Cette analyse doit aboutir au même résultat quelle soit entreprise à létape de lautorisation du recours collectif ou après. Rappelons que pour déterminer sil est satisfait à lart. 55 C.p.c., il faut interpréter cette disposition en harmonie avec les critères dautorisation du recours collectif prévus à lart. 1003 dune manière qui tient compte de laspect collectif de ce type de recours. La nature de lintérêt que doit établir le représentant pour avoir le statut doit être appréciée sous langle de lintérêt commun du groupe proposé et non uniquement du point de vue du représentant. Les principes juridiques qui régissent la contestation du statut du représentant devraient être les mêmes, que cette dernière intervienne à létape de lautorisation ou à celle de lexamen au fond, parce que, dans un cas comme dans lautre, le tribunal tranche la question à la lumière des critères dautorisation énoncés à lart. 1003. Le problème quentraîne le raisonnement contraire est bien illustré en lespèce : suivant pareil raisonnement, le recours collectif en entier aurait pu prendre fin à létape de lautorisation si les banques avaient contesté le statut du représentant à cette étape, plutôt quà celle de lexamen au fond.

[43]                          Rien dans la nature du recours collectif ou dans les critères dautorisation prévus à lart. 1003 nexige une cause daction directe par le représentant contre chaque défendeur ou un lien de droit entre eux. Larticle 1003 C.p.c. appelle lanalyse suivante : Les recours soulèvent-ils des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes? Quelquun est-il en mesure dassurer une représentation adéquate des membres? Un nombre suffisant de faits justifient-ils la conclusion recherchée? Enfin, la situation rend-elle difficile le simple recours joint, prévu à lart. 67 C.p.c., ou le mandat, prévu à lart. 59 C.p.c.? Comme elle lindique dans larrêt Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, notre Cour privilégie une interprétation et une application larges des critères dautorisation du recours collectif et « la jurisprudence a clairement voulu faciliter lexercice des recours collectifs comme moyen datteindre le double objectif de la dissuasion et de lindemnisation des victimes » (par. 60). Lalinéa 1003d) exige cependant du représentant quil soit « en mesure dassurer une représentation adéquate des membres ». Cette disposition confère donc au tribunal le pouvoir de décider si le représentant proposé pourrait assurer une représentation adéquate des membres du groupe à légard des défendeurs contre lesquels il naurait pas en dautres circonstances le statut pour poursuivre.

[44]                          En outre, interpréter lart. 55 C.p.c. en harmonie avec les conditions de lart. 1003 sinscrit dans le sens de la jurisprudence de notre Cour sur lart. 4.2 et sur le critère de la proportionnalité en général. Dans larrêt Vivendi Canada Inc. c. DellAniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, la Cour a confirmé récemment limportance du principe de la proportionnalité dans la procédure civile, qui doit « être considéré dans lappréciation de chacun de ces critères » (au sujet de lart. 1003) (par. 66). Ce principe vient renforcer le pouvoir dappréciation déjà reconnu au juge par lart. 1003 (Vivendi, par. 33 et 68). Limportance de la proportionnalité prévue à lart. 4.2 a été soulignée dans larrêt Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, dans un passage qui semble particulièrement adapté aux recours collectifs :

                    Lexigence de proportionnalité dans la conduite de la procédure reflète dailleurs la nature de la justice civile qui, souvent appelée à trancher des litiges privés, remplit des fonctions dÉtat et constitue un service public. Ce principe veut que le recours à la justice respecte les principes de la bonne foi et de léquilibre entre les plaideurs et nentraîne pas une utilisation abusive du service public que forment les institutions de la justice civile. [par. 43]

[45]                          Autrement dit, le juge saisi de la requête en autorisation a lobligation de tenir compte de la proportionnalité — équilibre entre les parties, bonne foi, etc. — pour déterminer si le représentant proposé peut assurer une représentation adéquate, ou si le groupe compte suffisamment de membres dotés dune cause personnelle daction contre chacun des défendeurs.

[46]                          Les faits de la présente affaire font foi de limportance dattribuer le statut de représentant aux demandeurs même sils nont pas de cause daction personnelle contre chacun des défendeurs. Tout comme cétait le cas dans laffaire CHSLD Christ-Roi, laction de chaque membre du groupe à lencontre de chaque défendeur soulève des questions de droit identiques. Chaque banque se voit opposer à peu de chose près les mêmes questions dinterprétation et dapplication de la L.p.c. et répond par les mêmes arguments sur la constitutionnalité de son application. Qui plus est, au juge du procès qui leur a demandé sil devait ignorer la preuve produite par une banque concernant les autres, ces dernières ont répondu que cette preuve demeurait pertinente dans lanalyse des questions en litige au regard de chacune des banques et ne saurait être écartée, même si le tribunal concluait à limpossibilité pour MM. Marcotte et Laparé de représenter le groupe à légard de toutes les banques (motifs de première instance, par. 197).

[47]                          Nous sommes davis que le juge de première instance et la Cour dappel ont eu raison de conclure que les représentants ont le statut pour poursuivre toutes les banques défenderesses. Le recours collectif a été autorisé conformément aux critères énumérés à lart. 1003, et, pour les motifs susmentionnés, la contestation du statut des représentants doit être rejetée. Lapproche souple préconisée par la Cour dans les arrêts Infineon et Vivendi sur la procédure dautorisation appuie une approche proportionnée du statut pour agir dans le cadre du recours collectif qui entraîne léconomie des ressources judiciaires et favorise laccès à la justice. La contestation du statut ne devrait pas aboutir à des résultats différents selon quelle intervient à létape de lautorisation ou du fond. Pour ces motifs, nous estimons que les passages de larrêt Agropur qui traitent du statut du représentant ne doivent plus être retenus et en lespèce reconnaissons le statut des demandeurs pour exercer un recours collectif contre toutes les banques.

B.            Les frais de conversion représentent du capital net au sens de la L.p.c.

[48]                          En appel, le juge Dalphond a infirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle les frais de conversion représentent des frais de crédit au sens de la L.p.c. Devant la Cour, les parties reprennent pour lessentiel les arguments quelles ont avancés devant les juridictions inférieures. Les banques et Desjardins soutiennent quassimiler les frais de conversion à des frais de crédit conduirait à un résultat absurde qui irait à lencontre des objectifs de la L.p.c. Pour leur part, les demandeurs font valoir quassimiler les frais de conversion au capital net aurait pour effet de compromettre le régime normalisé établi par la L.p.c. qui prévoit ce qui doit être indiqué au consommateur pour lui permettre de comparer efficacement les options de crédit.

[49]                          La L.p.c. définit ainsi les termes « capital net » et « frais de crédit » dans le cadre des contrats de crédit variable (dont les contrats de carte de crédit) :

            68.    Le capital net est :

. . .

            b) dans le cas dun contrat assorti dun crédit ou dun contrat de crédit variable, la somme pour laquelle le crédit est effectivement consenti.

            Toute composante des frais de crédit est exclue de ces sommes.

            69. On entend par « frais de crédit » la somme que le consommateur doit payer en vertu du contrat, en plus :

            a) du capital net, dans le cas d’un contrat de prêt d’argent ou d’un contrat de crédit variable;

. . .

            70. Les frais de crédit doivent être déterminés en incluant leurs composantes dont, notamment :

            a) la somme réclamée à titre d’intérêt;

            b) la prime d’une assurance souscrite, à l’exception de la prime d’assurance-automobile;

            c) la ristourne;

            d) les frais d’administration, de courtage, d’expertise, d’acte ainsi que les frais engagés pour l’obtention d’un rapport de solvabilité;

            e) les frais d’adhésion ou de renouvellement;

            f) la commission;

            g) la valeur du rabais ou de l’escompte auquel le consommateur a droit s’il paye comptant;

            h) les droits exigibles en vertu d’une loi fédérale ou provinciale, imposés en raison du crédit.

Les catégories que sont le capital net et les frais de crédit sont exhaustives : tous droits ou frais que le consommateur est tenu de payer en vertu dun contrat de carte de crédit doivent appartenir à lune ou à lautre.

[50]                          Tous les frais de crédit autres que les frais dadhésion et la valeur des rabais pour paiement comptant entrent dans le calcul du taux de crédit (art. 72 L.p.c.). Le taux de crédit est appliqué sur tout solde impayé à lexpiration dun délai de grâce de 21 jours (art. 126 et 127). Si les frais de conversion sont des frais de crédit, ils doivent être mentionnés à part et entrer dans le calcul du taux de crédit indiqué, et le délai de grâce de 21 jours sapplique. En revanche, si les frais de conversion sont du capital net, ils nentrent pas dans le calcul du taux de crédit, et le délai de grâce de 21 jours ne sapplique pas, mais ils doivent quand même être mentionnés conformément à lart. 12 L.p.c., qui prévoit généralement ce qui doit lêtre.

[51]                          Lexamen qui permet de déterminer si des frais sont des frais de crédit ou du capital net se fait en deux étapes. La première étape consiste à déterminer si les droits ou frais en cause entrent dans lune des catégories de frais de crédit énumérées à lart. 70. Dans laffirmative, ce sont des frais de crédit. Dans le cas contraire, il faut passer à la deuxième étape et se demander si les droits ou frais représentent « la somme pour laquelle le crédit est effectivement consenti » (art. 68). Si cest le cas, il sagit de capital net. Sinon, il sagit de frais de crédit appartenant à une catégorie non énumérée (art. 69).

[52]                          Les frais de conversion nentrent dans aucune des catégories énumérées à lart. 70. Dans le cadre du recours contre Desjardins, le juge du procès les a assimilés à des frais dadministration ou à des commissions, qui constituent des catégories énumérées de frais de crédit (al. 70d) et f)). Toutefois, cette caractérisation est fondée sur la présomption que le législateur voulait éviter au consommateur de distinguer entre les frais dadministration ou les commissions liés à un service accessoire au contrat de crédit variable et les frais dadministration ou les commissions liés à loctroi même du crédit. Selon ce raisonnement, la distinction entre les frais accessoires et les frais directs créerait de lambiguïté et de lincertitude et contreviendrait alors aux objectifs de protection du consommateur et dinformation de la L.p.c.

[53]                          Il découle de ce raisonnement que tous les frais dadministration ou commissions mentionnés dans le contrat de carte de crédit, et non seulement ceux directement liés à loctroi du crédit, seraient assimilés à des frais de crédit. Les motifs du jugement rendu en première instance dans le recours contre Amex indiquent que selon lACFC les frais de conversion sont [traduction] « semblables aux frais de réimpression, aux frais davance de fonds, aux frais de dépassement de limite de crédit, aux frais de virement télégraphique ou de mandat ou aux frais pour paiements refusés » (2009 QCCS 2695, [2009] R.J.Q. 1746, par. 136). Dans larrêt rendu par la Cour dappel dans le recours contre Desjardins, le juge Dalphond a également souligné que ce type de frais comprendrait les frais de réimpression dun relevé mensuel ou de carte supplémentaire, darrêt du paiement dun chèque tiré sur une carte de crédit et dutilisation dun guichet automatique. Ces frais sapparentent aux frais de conversion, en ce sens quils sappliquent lorsque le titulaire de la carte utilise un service lié au recours à la carte de crédit.

[54]                          Si tous ces frais étaient des frais de crédit, ils devraient entrer dans le calcul du taux de crédit. Lémettrice pourrait procéder de lune ou lautre de deux façons. Dune part, elle pourrait les imposer à chaque transaction, auquel cas il lui faudrait indiquer une large fourchette de taux de crédit (dans la décision de la Cour dappel dans le recours contre Desjardins, au par. 55, le juge Dalphond donne lexemple de cette institution financière qui devrait mentionner aux titulaires de cartes Visa une fourchette de 18 % à 900 % si le taux de crédit englobait les frais de conversion). Selon cette formule, le délai de grâce de 21 jours sappliquerait, cest-à-dire que le titulaire de carte qui aurait payé le solde de son compte avant la fin du délai ne paierait pas les frais. Dautre part, lémettrice pourrait ne pas facturer ces services à chaque transaction. Il sensuivrait nécessairement que le coût de ce service serait financé par tous les titulaires de cartes, dont ceux qui ne se prévalent pas de ce service. Suivant cette formule, lexistence des frais de service et le fait quils seraient imposés aux titulaires qui ne sen prévalent pas seraient dissimulés, puisque ces frais ne seraient pas indiqués séparément.

[55]                          Aucune de ces formules ne permet datteindre les objectifs de la L.p.c. Comme notre Cour la expliqué dans un arrêt récent, les objectifs de la L.p.c. visent « le rétablissement dun équilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et le consommateur » et « lélimination des pratiques déloyales et trompeuses susceptibles de fausser linformation dont dispose le consommateur et de lempêcher de faire des choix éclairés » (Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, par. 160-161). Ni lun ni lautre moyen dassimiler les frais de conversion à des frais de crédit ne permettrait de rétablir léquilibre entre les commerçants et le consommateur ou daméliorer la capacité du consommateur à faire des choix éclairés. En mentionnant une large fourchette de taux de crédit — si les frais sappliquaient à chaque transaction —, on ne ferait quajouter à la confusion du consommateur. En faisant payer à tous les titulaires de cartes, à leur insu, les services accessoires que seuls certains utilisent, on empêcherait le consommateur de faire des choix éclairés et on avantagerait ainsi certains consommateurs au détriment dautres. Comme aucune de ces formules ne bénéficie au consommateur et que lart. 17 L.p.c. et lart. 1432 C.c.Q. disposent quen cas de doute ou dambiguïté le contrat doit être interprété en faveur du consommateur, les frais de conversion ne sauraient être assimilés à des frais de crédit.

[56]                          Larticle 69 de la L.p.c. définit les « frais de crédit » comme la somme que le consommateur « doit payer en vertu du contrat » en plus du capital net. Les frais de conversion ne constituent pas une somme que le consommateur « doit payer » pour avoir accès au crédit. En fait, il sagit de frais additionnels pour un service optionnel auquel laccès au crédit nest pas subordonné. En outre, à la différence dune carte supplémentaire ou de la réimpression dun relevé mensuel, les services de conversion peuvent être obtenus auprès dun tiers. Les frais de conversion sont encore moins liés à laccès au crédit que les autres frais applicables aux services accessoires énumérés par la Cour dappel. Pour ces motifs, il convient de distinguer entre les frais dadministration ou les commissions qui sont liés aux services accessoires au contrat et les frais dadministration ou les commissions qui sont liés à loctroi même du crédit.

[57]                          Si lassimilation des frais de conversion à des frais de crédit pose problème, un tel lien avec le capital net respecte le libellé de la L.p.c., et cette formule est dapplication facile. Lacheteur qui fait un achat en devises étrangères doit dabord convertir sa monnaie canadienne dans lautre devise. Les méthodes courantes de conversion, outre celles que permet une carte de crédit, sont le change, lachat de chèques de voyage, le retrait à un guichet automatique à létranger ou le recours à un service de conversion offert par le commerçant (appelé « conversion dynamique de devises »). En général, ces méthodes supposent toutes des frais de conversion. Il nest pas possible la plupart du temps pour le consommateur ordinaire de convertir des devises sans payer des frais ou un taux de change supérieur au taux interbancaire (appliqué par les sociétés de cartes de crédit à la conversion du montant des achats de la devise étrangère à la devise locale). Seules les grandes institutions financières négociant en millions de dollars peuvent se prévaloir directement du taux interbancaire.

[58]                          Larticle 68 L.p.c. définit le « capital net » (dans le contexte des cartes de crédit) comme « la somme pour laquelle le crédit est effectivement consenti ». Le professeur Claude Masse précise cette définition, affirmant que le capital net ne peut comprendre que des « sommes ou des valeurs dont le consommateur profite » (Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires (1999), p. 418). Cest du point de vue du consommateur, et non du commerçant, quil faut déterminer si la somme ou la valeur profite au consommateur. Ainsi, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les frais de conversion ne profitent pas au consommateur parce quils ne sont pas remis au commerçant étranger (Desjardins, motifs de première instance, 2009 QCCS 2743 (CanLII), par. 246). Dans le cas des frais de conversion, le consommateur profite de la conversion de sa monnaie dans une devise étrangère. Si le consommateur recourait au service de conversion dynamique de devises offert par un commerçant étranger et payait par carte de crédit, les frais de conversion seraient manifestement assimilés au capital net. Il ne serait guère logique de les qualifier de frais de crédit pour la simple raison quils sont imposés par lémettrice. Cest pourquoi nous estimons que les frais de conversion sont une somme pour laquelle le crédit est effectivement consenti et quil vaut mieux les assimiler au capital net.

[59]                          Il existe une autre raison justifiant lassimilation des frais de conversion au capital net. En effet, plutôt que dimposer des frais de conversion distincts, lémettrice pourrait définir le taux de change comme le taux interbancaire auquel sajouterait une majoration exprimée en pourcentage. Dans un tel cas, il ne fait aucun doute que le taux de change représenterait intégralement du capital net. Le résultat serait le même tant du point de vue du titulaire que de celui de lémettrice. Seul le libellé de la clause mentionnant le taux de change serait légèrement différent. Le juge du procès a tiré la conclusion correcte selon laquelle les frais de conversion en litige en lespèce ne pouvaient entrer dans le taux de change. Toutefois, il ne serait guère logique de considérer quun taux de change assorti de frais de conversion appartient en partie aux frais de crédit et en partie au capital net, mais quun taux de change qui inclut une majoration constitue du capital net seulement. Cette interprétation ne protège pas le consommateur et ne lui est pas bénéfique. 

[60]                          Il importe peu que la conversion des devises ne soit pas effectuée par lémettrice elle-même. Dune part cette dernière contracte avec lentreprise qui procède dans les faits à la conversion et dautre part elle contracte avec le titulaire de la carte, qui bénéficie du service de conversion. Du point de vue du titulaire, ce service découle de son contrat avec lémettrice. Lidentité de lentreprise qui convertit son argent nest pas pertinente.

[61]                          En résumé, les frais de conversion nentrent dans aucune des catégories de frais de crédit énumérées à lart. 70 et représentent bel et bien du capital net au sens de lart. 68. Comme la conclu à juste titre la Cour dappel, assimiler les frais de conversion aux frais de crédit poserait de nombreux problèmes, tant pratiques que conceptuels, et entraverait la réalisation des objectifs de la L.p.c. Cette conclusion nest pas le résultat dune analyse visant à déterminer sil est préférable de qualifier les frais de conversion de capital net, ce que font valoir les demandeurs, mais repose plutôt sur linterprétation quil convient de donner aux dispositions en litige.

C.            La doctrine de lexclusivité des compétences ne sapplique pas

[62]                          Les banques soutiennent quen raison de la doctrine de lexclusivité des compétences la L.p.c. ne sapplique pas à leurs activités relatives aux cartes de crédit. Lexclusivité des compétences a pour effet dempêcher que les lois adoptées par un ordre de gouvernement empiètent indûment sur le « contenu essentiel irréductible » de la compétence exclusive réservée à lautre ordre de gouvernement. Le paragraphe 91(15)  de la Loi constitutionnelle de 1867  confère au Parlement une compétence exclusive sur les banques. Lapplicabilité à ces dernières des dispositions pertinentes de la L.p.c. entraverait, de lavis des banques, le contenu essentiel ou le cœur de la compétence fédérale en la matière. Nous ne sommes pas daccord.

[63]                          Quoique lexclusivité des compétences demeure une doctrine constitutionnelle valide, la Cour a dénoncé le recours exagéré à celle-ci. Une application élargie de cette doctrine est à contre-courant de la conception moderne du fédéralisme coopératif qui préconise lapplication, dans la mesure du possible, des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement. Ainsi, dans larrêt Banque canadienne de lOuest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, la Cour conclut que cette doctrine devrait être appliquée « avec retenue » et « être limitée aux situations déjà traitées dans la jurisprudence » (par. 67 et 77). Mentionnons dailleurs quil nexiste aucune jurisprudence sur lapplication de cette doctrine aux activités bancaires liées aux cartes de crédit.

[64]                          Dans les rares circonstances où la doctrine de lexclusivité des compétences sapplique, la loi provinciale sera inapplicable dans la mesure où son application « entraverait » le contenu essentiel dune compétence fédérale. Il y a entrave lorsquil y a « atteinte grave ou importante » à la compétence fédérale, particulièrement à notre « époque de fédéralisme coopératif souple » (Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536 (« COPA »), par. 45). Se posent alors deux questions connexes : Dune part, le pouvoir de réglementer la mention des frais de conversion relève-t-il du contenu essentiel de la compétence fédérale sur les banques? Dautre part, si tel est le cas, les dispositions en cause de la L.p.c. entravent-elles lexercice du pouvoir fédéral ou y portent-elles une atteinte importante?

[65]                          Pour répondre à ces questions, il faut considérer seulement les art. 12 et 272 L.p.c., qui concernent la mention des frais et les recours possibles en cas de manquement aux obligations. Le régime général de réglementation établi par la L.p.c., cest-à-dire le rôle que joue lOffice de la protection du consommateur en matière dapplication de la loi, nest pas en cause. La seule question qui nous concerne est celle de savoir si les dispositions en vertu desquelles le consommateur peut entreprendre directement une poursuite civile sont applicables compte tenu de la doctrine de lexclusivité des compétences.

[66]                          Si lon oublie pour linstant la première question, à savoir si lune ou lautre de ces dispositions touche au contenu essentiel de la compétence fédérale sur les banques, la réponse à la deuxième question est claire : ni lune ni lautre des dispositions nentrave la compétence fédérale. Même si lon considère de façon générale quelles réglementent le prêt bancaire ou la conversion de devises étrangères, il nen reste pas moins quelles ne satisfont pas au volet du critère de larrêt COPA qui exige quil y ait une entrave. Bien que le prêt dargent, au sens large, appartienne au contenu essentiel des activités bancaires et ait été reconnu comme tel par la Cour dans des arrêts antérieurs, on ne peut prétendre que lobligation de mentionner certains frais accessoires à un type de crédit à la consommation porte une « atteinte importante » à lexercice de la compétence fédérale qui permet de légiférer en matière de prêt bancaire ou l« entrave ». Même si lobligation imposée par lart. 12 quant aux éléments devant être mentionnés et les recours civils énumérés à lart. 272 sappliquent au prêt bancaire, ces dispositions nentravent daucune façon toute activité « vitale ou essentielle à lentreprise bancaire », de sorte que le législateur pourrait devoir légiférer expressément de manière à écarter la loi provinciale (Banque canadienne de lOuest, par. 86). Exiger des banques quelles informent les consommateurs du cadre qui régit leurs rapports, faute de quoi elles feront lobjet de recours prévus à la loi, ne limite en rien leur capacité de définir les modalités de ces rapports, ni ne restreint par ailleurs leurs activités. Dans le même ordre didées, même sil était reconnu que la conversion de devises étrangères appartient au contenu essentiel de la compétence fédérale sur les banques, lobligation générale de mentionner les frais associés à ce service nentrave aucunement lexercice de cette compétence. En conséquence, la L.p.c. nentrave pas lexercice de la compétence fédérale sur les banques, et la doctrine de lexclusivité des compétences nentre pas en jeu.

[67]                          Cette conclusion sinscrit dans lhistorique des arrêts antérieurs de la Cour sur lapplication de la doctrine de lexclusivité des compétences dans le contexte du pouvoir fédéral sur les banques. Les observations suivantes formulées par la Cour dans larrêt Banque canadienne de lOuest illustrent particulièrement bien le principe suivant lequel le par. 91(15)  de la Loi constitutionnelle de 1867  ne confère pas au Parlement une compétence exclusive sur tous les aspects du prêt bancaire ou de la conversion de monnaie par les banques :

                    Toutefois, il nous faut réitérer que le simple fait pour le Parlement de pouvoir établir de nouvelles formes de financement ne signifie pas que le par. 91(15) attribue au Parlement la compétence exclusive den réglementer la promotion. [. . .] La démarcation tranchée que les banques cherchent à obtenir entre les règlements fédéraux et provinciaux risque non seulement de créer un vide juridique, mais de priver les législateurs des deux ordres de gouvernement de la souplesse nécessaire pour quils sacquittent de leurs responsabilités respectives. [En italique dans loriginal; par. 89.]

[68]                          Les banques recherchent le même type dimmunité floue qui a été rejetée dans larrêt Banque canadienne de lOuest. Elles ne peuvent éviter lapplication de toutes les lois provinciales qui touchent de près ou de loin à leurs activités, dont le prêt et la conversion de devises. Lensemble de la réglementation provinciale en matière dhypothèques, de sûretés et de contrats peut porter sur le prêt en général et aura parfois une incidence importante sur les activités bancaires. Or, ainsi que la Cour le souligne dans larrêt Banque canadienne de lOuest, cela ne suffit pas pour déclencher lapplication de la doctrine de lexclusivité des compétences. Les dispositions de la L.p.c. nempêchent pas les banques de prêter de largent ou de convertir des devises; elles exigent seulement que les frais de conversion soient mentionnés aux consommateurs.

[69]                          Les présents pourvois se distinguent de laffaire COPA. Dans cette cause, outre lexistence de précédents qui se rapportaient directement à la compétence fédérale en matière daéronautique, des dispositions législatives provinciales avaient pour effet dinterdire complètement, dans certaines circonstances, lexercice dune activité qui relevait du contenu essentiel de la compétence fédérale en semblable matière. Comme la Cour le souligne, lapplication de ces dispositions provinciales obligerait le Parlement à légiférer de manière à les écarter, à défaut de quoi lactivité ne pourrait être exercée. Il en va autrement des dispositions de la L.p.c. en cause en lespèce. Les dispositions qui prévoient la mention des frais et les recours possibles ont effectivement une incidence sur la façon dont les banques exercent un certain aspect de leurs activités, mais, comme nous lavons vu précédemment, cette incidence ne saurait être assimilée à une entrave. Il est difficile dimaginer comment ces dispositions pourraient forcer le Parlement à légiférer de manière à les écarter, à défaut de quoi sa capacité de réaliser lobjectif pour lequel la compétence exclusive sur les banques lui a été attribuée serait entravée. Pour ces motifs, nous sommes davis que la Cour dappel a eu raison de conclure que la doctrine de lexclusivité des compétences nétait pas applicable.

D.           La doctrine de la prépondérance fédérale ne sapplique pas

[70]                          Les banques font en outre valoir que les art. 12 et 272 L.p.c. sont inopérants à légard des banques en raison de la doctrine de la prépondérance fédérale. Celle-ci entre en jeu lorsquil y a conflit entre une loi provinciale et une loi fédérale validement adoptées. En pareil cas, la loi fédérale lemporte, et la loi provinciale devient inopérante dans la mesure du conflit. Lexistence dun conflit peut être établie lorsquil est impossible de se conformer aux deux textes de loi ou que la réalisation de lobjectif de la loi fédérale est empêchée (Banque canadienne de lOuest, par. 73). Les banques soutiennent que les dispositions de la L.p.c. empêchent la réalisation de lobjectif visé par le régime bancaire fédéral.

[71]                          Même lorsque lapplication simultanée de la loi fédérale et de la loi provinciale est possible, il arrivera dans certains cas que le respect de la loi provinciale empêche la réalisation de lobjectif de la loi fédérale. Larrêt Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, nous en donne un bon exemple. Il y était question dun régime législatif fédéral qui autorisait les non-avocats à comparaître devant les tribunaux administratifs de limmigration en contrepartie dune rémunération, et ce afin de favoriser le caractère informel, laccessibilité et la célérité du processus daudience. Par contre, une loi provinciale interdisait aux non-avocats de comparaître en leur qualité de procureur rémunéré. Même si lobligation de respecter la loi provinciale naboutissait pas à un manquement à la loi fédérale (le régime fédéral nexigeant pas la comparution par des non-avocats), elle empêchait néanmoins clairement la réalisation de lobjectif fédéral.

[72]                          Dans laffaire Mangat, la loi provinciale empêchait de toute évidence la réalisation de lobjectif de la loi fédérale en ce quelle contrecarrait le régime fédéral qui permettait la représentation par un non-avocat rémunéré. Toutefois, il faut prendre garde de ne pas conférer à cette doctrine une portée trop large dès quil y a entrave à lobjectif fédéral. Le simple fait que le Parlement ait légiféré sur une matière nempêche pas les provinces de légiférer sur la même matière, comme la Cour laffirme au par. 74 dans larrêt Banque canadienne de lOuest :

                    Le fait que le législateur fédéral ait légiféré sur une matière nentraîne pas la présomption quil a voulu, par là, exclure toute possibilité dintervention provinciale sur le sujet. Comme laffirmait récemment notre Cour, « on ne peut prêter au Parlement lintention de vouloir [traduction] “occuper tout le champ”, en labsence dun texte de loi clair à cet effet, sans sécarter de lattitude de retenue judiciaire pour les questions de prépondérance des lois fédérales que respecte la Cour depuis au moins larrêt OGrady » (Rothmans, par. 21).

[73]                          Cest à la partie qui cherche à invoquer la prépondérance fédérale, en loccurrence les banques, quincombe le fardeau de la preuve : elle « doit dabord établir lobjet de la loi fédérale pertinente et ensuite prouver que la loi provinciale est incompatible avec cet objet » (COPA, par. 66). Les banques font valoir quil y a empêchement à la réalisation de deux objectifs fédéraux. Lobjectif fédéral général, affirment-elles, consiste à établir des normes bancaires exclusivement fédérales. Le deuxième objectif, plus limité, vise à éviter lannulation du contrat bancaire même si une banque contrevient à lobligation de mentionner les frais.

[74]                          Avant de nous pencher sur le fond des arguments, un bref rappel des régimes fédéral et provincial applicables simpose. Les produits bancaires liés à la consommation relèvent du fédéral et sont assujettis à la Loi sur les banques , au Règlement sur le coût demprunt (banques), DORS/2001-101, et à la Loi sur l  Agence de la consommation en matière financière du Canada , L.C. 2001, ch. 9 , qui a constitué lACFC, lorganisme de réglementation fédéral. La protection du consommateur est un domaine de compétence provinciale et elle est régie au Québec par la L.p.c. dont lapplication relève de lOffice de la protection du consommateur. La L.p.c. énonce non seulement les règles générales qui régissent les contrats à la consommation, mais aussi les règles applicables aux contrats de crédit, lesquelles se trouvent au titre I, chapitre III, section III de la Loi (« section III »).

[75]                          Tant la section III de la L.p.c. que la Loi sur les banques  et le Règlement sur le coût demprunt (banques) établissent des règles détaillées sur le calcul, la réclamation et la mention des frais de cartes de crédit. Les deux ensembles de règles sont compatibles. Chaque régime prévoit lobligation de mentionner les « frais de crédit » (ou le « coût demprunt » dans le régime fédéral) sous la rubrique du « taux de crédit » (ou du « taux dintérêt » dans le régime fédéral). LACFC qualifie les frais de conversion de « frais non liés aux intérêts » dans le régime fédéral, ce qui saccorde avec la conception qui assimile ces frais au « capital net » pour lapplication de la L.p.c. Les dispositions régissant le délai de grâce et la date à laquelle lintérêt commence à courir sont également compatibles.

[76]                          Comme nous avons conclu que les frais de conversion relèvent du capital net, point nest besoin dexaminer les dispositions pertinentes de la section III de la L.p.c. dans lanalyse de la question de la prépondérance fédérale. Les banques du groupe B ont respecté aussi bien les exigences provinciales de la L.p.c. que les exigences fédérales. Quant aux banques du groupe A, elles ont accompli les mentions quexige la section III de la L.p.c., mais, comme nous le verrons plus loin, elles nont pas indiqué les frais de conversion, ce qui contrevient à lart. 12 L.p.c., qui sapplique à tous les contrats à la consommation. Les consommateurs poursuivent les banques du groupe A, sur la base de lart. 272 L.p.c., pour contravention à lart. 12. Les deux dispositions sappliquent aux contrats à la consommation en général. Aux termes de lart. 12, « [a]ucuns frais ne peuvent être réclamés dun consommateur, à moins que le contrat nen mentionne de façon précise le montant. » Larticle 272 prévoit les différents recours civils pour manquement à la Loi dont peut se prévaloir le consommateur, notamment lexécution de lobligation, la réduction de son obligation et la résiliation ou la nullité du contrat, ainsi que les dommages-intérêts punitifs.

[77]                          Passons maintenant aux deux objectifs fédéraux invoqués par les banques.

[78]                          Premièrement, les banques avancent que lun des objectifs du régime fédéral est détablir des « normes nationales claires, complètes et exclusives applicables aux produits et services bancaires offerts par les banques », citant le préambule de la Loi sur les banques . Ce texte a été adopté en 2012 (L.C. 2012, ch. 19, art. 525 ), soit peu avant que la Cour dappel ne rende sa décision en lespèce, de sorte quil est permis de douter de laffirmation suivant laquelle il peut servir rétroactivement daide à linterprétation législative (voir p. ex. États-Unis dAmérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462, par. 45-46). Or, même si nous présumons que lun des objectifs de la Loi sur les banques  est létablissement de normes nationales exclusives, il nen demeure pas moins que les art. 12 et 272 nen empêcheraient pas la réalisation.

[79]                          Les articles 12 et 272 nétablissent pas de « normes [. . .] applicables aux produits et services bancaires offerts par les banques »; ils établissent plutôt une norme contractuelle pour le Québec. Les commerçants sont tenus de porter à lattention des consommateurs les frais quils imposent, faute de quoi ils ne peuvent les réclamer. Cette obligation néquivaut pas à létablissement dune norme applicable aux produits bancaires. Elle est plutôt assimilée aux règles de fond en matière de contrat établies par le C.c.Q., dont lapplication nest pas contestée par les banques. Sil faut comprendre de largument des banques que le régime fédéral est censé constituer un code complet excluant lapplication de toute autre disposition, alors cet argument doit également être rejeté puisque le régime fédéral est assujetti aux règles fondamentales provinciales, telles celles en matière contractuelle. Ces dernières nempêchent pas la réalisation de lobjectif fédéral qui consiste à établir des normes complètes et exclusives, si tant est quun tel objectif existe; il en va de même des règles générales sur la mention des frais et les recours qui sy rattachent : elles appuient le régime fédéral; elles ne lui nuisent pas.

[80]                          Il est possible de soutenir que lexigence provinciale selon laquelle les frais de conversion doivent être calculés ou mentionnés de manière différente de ce que prévoit la loi fédérale commande lapplication de la doctrine de la prépondérance fédérale. Si la province avait prescrit un délai de grâce ou un mode de calcul de lintérêt différent ou un autre régime régissant les éléments devant être indiqués, il pourrait y avoir un conflit dapplication ou une atteinte à lobjectif fédéral détablissement de normes nationales exclusives (à supposer, sans en décider, quun tel objectif puisse être démontré). À lheure actuelle, cependant, les normes fédérales et provinciales sont identiques. Les chevauchements ne suffisent pas à faire jouer la doctrine de la prépondérance fédérale. Dans larrêt Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, le juge La Forest cite avec approbation, à la p. 151, le passage suivant de larrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 190, rédigé par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) à propos de lapplication concurrente de lois fédérale et provinciale qui se chevauchaient :

                    Il ny a pas vraiment incompatibilité dans le cas de dispositions qui se répètent simplement, puisquil nimporte pas de savoir quelle loi est appliquée; le but visé par le Parlement sera atteint, peu importe la loi sur laquelle se fonde le recours; lapplication de la loi provinciale na pas pour effet décarter lintention du Parlement.

[81]                          Pour ces motifs, il est impossible daffirmer que la réalisation de lobjectif détablissement de normes fédérales exclusives, même si pareil objectif était établi, serait empêchée en lespèce. Les articles 12 et 272 ne sauraient lentraver ou lui nuire. Cette conclusion trouve également appui dans larrêt connexe Amex, où nous ordonnons la restitution en faveur des non-consommateurs titulaires de cartes, sur la base des dispositions relatives à la réception de lindu prévues au C.c.Q.

[82]                          Les banques évoquent également un deuxième objectif, plus limité, de la Loi sur les banques  : éviter lannulation du contrat bancaire même si une banque contrevient à lobligation de mentionner les frais. Les articles 16 et 988 de cette loi prévoient que le contrat conclu en contravention dune disposition de la Loi nest pas nul pour autant. La Loi prévoit plutôt la possibilité de sanctions pénales infligées aux banques qui contreviennent à leurs obligations de communication. Selon les banques, cela démontre lintention du fédéral de protéger les contrats bancaires et dimposer des sanctions de nature pénale plutôt que civile aux banques qui contreviennent à leurs obligations de communication. Cet argument doit également être rejeté.

[83]                          Sagissant des art. 16 et 988, il suffit de dire que la réparation recherchée par les demandeurs est la réduction de la somme versée aux banques, et non lannulation de leurs contrats ou même des clauses précises en litige. La clause ou le contrat frappé de nullité est réputé navoir jamais existé, ce qui oblige chaque partie à restituer à lautre les prestations quelle a reçues (art. 1422 C.c.Q.). Cependant, comme les contrats des banques du groupe A ne mentionnaient pas les frais de conversion, ces frais nétaient pas imposés en vertu de quelque clause contractuelle que ce soit. En conséquence, le remboursement de ces frais ne saurait découler de la nullité des contrats ni en signaler la nullité. Il a plutôt été retenu par le juge du procès à titre de réparation adéquate pour linfraction à la L.p.c. Dans dautres cas, la doctrine de la prépondérance fédérale pourrait en fait rendre lart. 272 inopérant dans la mesure où il permet dannuler un contrat à la suite dune contravention à une disposition de la L.p.c. qui est semblable à une disposition de la Loi sur les banques . Or, il ne sagit pas de la question dont la Cour est saisie. Pour le moment, nous sommes seulement appelés à déterminer si cette doctrine a pour effet décarter lapplication de lart. 272, de sorte que le remboursement des frais de conversion et le versement de dommages-intérêts punitifs ne pourraient être ordonnés.

[84]                          Largument général soulevé par les banques, à savoir que les provinces ne peuvent ajouter aux sanctions fédérales, nous paraît semblable à celui de lexclusivité des compétences quelles invoquent à lappui dune immunité absolue les soustrayant à leffet des lois provinciales dapplication générale. De nombreuses lois provinciales prévoient différentes causes daction susceptibles dêtre opposées aux banques. Ce nest pas parce que la Loi sur les banques  est muette sur ce point que les recours civils sont incompatibles avec elle, en labsence de conflit avec les art. 16 et 988. En lespèce, il ny a pas de conflit, les demandeurs ne cherchant pas à faire annuler leur contrat. Comme la Cour laffirme au par. 24 de larrêt Banque canadienne de lOuest, « [les doctrines constitutionnelles] doivent faciliter et non miner ce que notre Cour a appelé un “fédéralisme coopératif” ». Nous concluons que les art. 12 et 272 L.p.c. ne sont pas incompatibles avec les art. 16  et 988  de la Loi sur les banques  et quils nempêchent aucunement la réalisation dun objectif fédéral. Ainsi, la doctrine de la prépondérance fédérale nentre pas en jeu.

E.            Les banques du groupe A sont tenues de rembourser les frais de conversion et de verser des dommages-intérêts punitifs

(1)         Remboursement des frais de conversion

a)Les banques du groupe A nont pas mentionné les frais de conversion

[85]                          Le juge Gascon a tiré des conclusions de fait détaillées au sujet de labsence des frais de conversion dans les conventions des banques du groupe A régissant lutilisation de la carte. À la lumière des conventions de chacune de ces banques, il a conclu que le « taux de conversion », le « taux de change » ou les « frais dadministration » qui y figurent ne pouvaient englober les frais de conversion ou que ces mentions nétaient pas assez précises pour être conformes à lart. 12 L.p.c.

[86]                          Les banques nont pas démontré que le juge Gascon avait commis une erreur manifeste et dominante en tirant la conclusion de fait que les banques du groupe A avaient contrevenu à lart. 12 L.p.c. en ne mentionnant pas les frais de conversion. Cette conclusion doit donc être maintenue.

b)      La réparation appropriée est le remboursement prévu à lart. 272

[87]                          Au procès, le remboursement des frais de conversion aux titulaires de cartes a été ordonné sur le fondement de lal. 272c) L.p.c. Larticle 272 prévoit les recours civils suivants :

            272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de larticle 314 ou dont lapplication a été étendue par un décret pris en vertu de larticle 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas :

            a) l’exécution de l’obligation;

            b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

            c) la réduction de son obligation;

            d) la résiliation du contrat;

            e) la résolution du contrat; ou

            f) la nullité du contrat,

            sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[88]                          Les banques soutiennent que cest lart. 271 L.p.c., et non lart. 272, qui sapplique au manquement à lart. 12 L.p.c. qui leur est reproché. Larticle 271 prévoit dautres recours civils, soit la nullité du contrat et la restitution des frais de crédit illégalement imposés. Ces recours peuvent être exercés si le commerçant ne respecte pas certaines dispositions, à moins que celui-ci ne prouve que le consommateur na subi aucun préjudice par suite de son manquement :

                    271. Si lune des règles de formation prévues par les articles 25 à 28 na pas été respectée, ou si un contrat ne respecte pas une exigence de forme prescrite par la présente loi ou un règlement, le consommateur peut demander la nullité du contrat.

                    Dans le cas dun contrat de crédit, lorsquune modalité de paiement ou encore le calcul ou une indication des frais de crédit ou du taux de crédit nest pas conforme à la présente loi ou à un règlement, le consommateur peut demander, à son choix, soit la nullité du contrat, soit la suppression des frais de crédit et la restitution de la partie des frais de crédit déjà payée.

                    Le tribunal accueille la demande du consommateur sauf si le commerçant démontre que le consommateur na subi aucun préjudice du fait quune des règles ou des exigences susmentionnées na pas été respectée.

[89]                          Dans larrêt Household Finance, la Cour dappel du Québec a conclu que les art. 271 et 272 sexcluent mutuellement. Si nous devions retenir largument des banques selon lequel leur manquement à lart. 12 entraîne lapplication de lart. 271, laction en dommages-intérêts punitifs ne pourrait être intentée et elles auraient la possibilité de démontrer que le remboursement nest pas justifié parce que les titulaires de cartes nont subi aucun préjudice.

[90]                          La Cour a analysé la portée des art. 271 et 272 dans larrêt Richard. Elle a souligné que « [lart. 271 L.p.c.] sanctionne la transgression de certaines règles de formation du contrat de consommation. Par contraste, lart. 272 L.p.c. ne vise pas simplement à sanctionner les manquements à des exigences formelles de la loi, mais toutes les violations préjudiciables au consommateur » (par. 112). Larticle 271 sapplique seulement lorsque le commerçant ne respecte pas les exigences formelles prescrites en matière de contrat à la consommation, y compris les modalités de paiement ainsi que le calcul et la mention des frais et du taux de crédit. En revanche, lart. 272 sapplique lorsquun manquement à une règle de fond prévue à la Loi cause un préjudice aux consommateurs.

[91]                          Dans larrêt Richard, la Cour énonce des lignes directrices permettant de déterminer les situations dans lesquelles une contravention à la L.p.c. ouvre la porte aux recours prévus à lart. 272. Quant aux dommages-intérêts punitifs, la Cour affirme que « les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à légard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner loctroi de dommages-intérêts punitifs [en vertu de lart. 272] » (par. 180 (nous soulignons)). Les consommateurs nont pas à « prouver lintention de tromper du commerçant » pour que lart. 272 sapplique (par. 128).

[92]                          La violation en cause dans les présents pourvois consiste, dans le cas des banques du groupe A, à navoir pas mentionné les frais de conversion, soit une contravention à lart. 12 L.p.c. Il sagit dune violation de fond qui va à lencontre de lobjectif de la Loi qui doit permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés. Elle ne concerne pas la formation du contrat de consommation. En lespèce, la contravention à lart. 12 surpasse le manquement aux exigences de forme prescrites par la L.p.c. Elle nest pas liée aux modalités de paiement ni au calcul ou à lindication des frais de crédit ou du taux de crédit, qui sont expressément visés par lart. 271. Elle résulte, à tout le moins, dun comportement dignorance ou dinsouciance, selon le critère établi dans larrêt Richard. Partant, cest lart. 272, et non lart. 271, qui sapplique.

[93]                          Comme les banques du groupe A ont complètement omis de mentionner les frais de conversion dans leurs conventions régissant lutilisation de la carte, il convient daccorder, en vertu de lart. 272, la réduction des obligations des titulaires de cartes correspondant au montant des frais de conversion imposés pendant les périodes où ils nétaient pas indiqués. Vu la « présomption absolue de préjudice » applicable aux cas de violation ouvrant droit aux réparations prévues à lart. 272 (Richard, par. 112), la compétitivité des frais de conversion imposés par les banques du groupe A na aucune importance.

[94]                          Puisque seul lart. 272 sapplique au manquement à la L.p.c. en cause en lespèce, point nest besoin de déterminer si les art. 271 et 272 sexcluent mutuellement.

(2)         Les banques du groupe A sont condamnées aux dommages-intérêts punitifs

[95]                          Les parties ont peu débattu de la question des dommages-intérêts punitifs. Les banques ont brièvement fait valoir quelles appuyaient la décision de la Cour dappel dannuler les dommages-intérêts punitifs auxquels BMO, BNC, Citibanque et Amex avaient été condamnées en première instance et ont soutenu quil fallait annuler ceux octroyés dans le cas de TD parce que les actes de cette dernière navaient pas été jugés [traduction] « répréhensibles, malveillants ou vexatoires » (m.a. (banques), par. 105). Les demandeurs nabordent pas directement la question des dommages-intérêts punitifs. Toutefois, puisquils demandent à la Cour de rétablir la décision de première instance, la question des dommages-intérêts punitifs auxquels les banques du groupe A avaient été condamnées à lissue du procès doit être examinée.

[96]                          Au procès, le juge Gascon a accordé des dommages-intérêts punitifs et en a ordonné la liquidation par réclamation individuelle au motif que les banques du groupe A navaient pas indiqué les frais de conversion. Sa conclusion ne reposait pas sur lassimilation de ces frais aux frais de crédit. Il a conclu que le défaut dindiquer les frais de conversion était un acte grave et contraire à un objectif fondamental de la L.p.c. : permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés. Selon lui, aucun fondement légitime ne justifiait pareille omission. Cest pourquoi il a qualifié le comportement des banques du groupe A de « répréhensible et inacceptable » justifiant loctroi de dommages-intérêts punitifs (par. 1260). De même, dans le recours contre Amex, le juge Gascon a accordé des dommages-intérêts punitifs compte tenu [traduction] « du mépris flagrant [quAmex] a démontré à légard de ses obligations » et de son incapacité à justifier son comportement par une « explication raisonnable ou une excuse légitime », ce qui vient étayer la conclusion qu« Amex peut fort bien avoir voulu dissimuler délibérément les [frais de conversion] dans le taux de change » (par. 425 et 427).

[97]                          La Cour dappel a annulé la condamnation aux dommages-intérêts punitifs qui avait été prononcée contre toutes les banques du groupe A, sauf TD, au motif que loctroi de dommages-intérêts supplémentaires dans un but préventif nétait pas justifié (par. 124; voir également les motifs de la Cour dappel (Amex), par. 61). Elle a souligné laspect punitif du recouvrement collectif, le fait que les banques du groupe A sétaient conformées à lart. 12 et labsence de preuve dun [traduction] « comportement antisocial ou répréhensible [. . .] nécessitant une certaine sanction, outre la restitution de tous les frais perçus » (ibid., par. 59).

[98]                          Dans larrêt Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168, notre Cour confirme quil nexiste que deux motifs autorisant une cour dappel à modifier le montant des dommages-intérêts punitifs établi par le tribunal de première instance :

                    (1) en présence dune erreur de droit; ou [. . .] (2) lorsque ce montant na pas de lien rationnel avec les objectifs de lattribution de dommages-intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation . . . [par. 134]

[99]                          À notre avis, il na été satisfait à aucun de ces critères en lespèce. De plus, on peut relever des erreurs significatives dans lanalyse de la Cour dappel. À la lumière des règles établies dans le C.c.Q. en matière de dommages-intérêts punitifs et des critères formulés par notre Cour, nous concluons quil y a lieu de rétablir le jugement de première instance en ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs.

a)         Erreur de droit

[100]                      Larticle 1621 C.c.Q. régit loctroi de dommages-intérêts punitifs en droit québécois, et il ne permet au tribunal den attribuer que « [l]orsque la loi [le] prévoit », auquel cas ceux-ci « ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». En lespèce, la seule disposition applicable qui prévoit loctroi de dommages-intérêts punitifs est lart. 272 L.p.c., qui indique que le consommateur « peut également demander des dommages-intérêts punitifs » si le commerçant « manque à une obligation que lui impose la [L.p.c.] ».

[101]                      Notre Cour sest penchée sur la question des dommages-intérêts punitifs accordés en vertu de lart. 272 L.p.c. dans larrêt Richard. Elle conclut quils doivent être accordés dans un contexte de prévention, cest-à-dire « pour décourager la répétition de comportements indésirables » (par. 180). Ils doivent être réservés aux actes « intentionnels, malveillants ou vexatoires » qui contreviennent à la L.p.c. ou aux comportements « dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse à légard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. », le tribunal devant apprécier « non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (sil en est) de son attitude envers le consommateur [. . .] après cette violation » (ibid., par. 177-178).

[102]                      Comme nous lavons vu, lart. 272 crée une présomption absolue de préjudice subi par le consommateur. Dans larrêt Richard, la Cour expose la méthode danalyse à adopter à légard des actions en dommages-intérêts punitifs fondées sur lart. 272 L.p.c. :

                   Les dommages-intérêts punitifs prévus par lart. 272 L.p.c. seront octroyés en conformité avec lart. 1621 C.c.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables;

                   Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la L.p.c., les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à légard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner loctroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier lensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant daccorder des dommages-intérêts punitifs. [Nous soulignons; par. 180.]

[103]                      Même si le juge du procès ne disposait pas de larrêt Richard de notre Cour, nous estimons quil na pas commis derreur de droit. Cet arrêt porte principalement sur la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs énoncée à lart. 1621 C.c.Q. et la nécessité de prendre en compte les objectifs de la loi autorisant loctroi de dommages-intérêts punitifs (par. 155-156). Le juge du procès renvoie à cette norme aux par. 1231 et 1234 de ses motifs. Bien que les règles aient été élargies et précisées — particulièrement à légard des objectifs de la L.p.c. qui se rapportent à lévaluation des dommages-intérêts punitifs et à la nécessité de tenir compte de la conduite du commerçant postérieure à la violation — nous concluons que le juge du procès a appliqué les bonnes lignes directrices.

[104]                      La Cour dappel, pour sa part, a conclu que le juge du procès avait omis à tort de prendre en considération le fait que le recouvrement collectif [traduction] « comporte souvent un aspect punitif important comparativement à la formule des réclamations individuelles » (motifs de la Cour dappel (Amex), par. 57; les motifs de la Cour dappel dans le recours contre Amex étaient censés sappliquer également aux dommages-intérêts punitifs auxquels ont été condamnées les banques du groupe A dans le recours contre BMO (voir les motifs de la Cour dappel (BMO), par. 124)). Avec égard, nous ne croyons pas que le juge du procès devait tenir compte de ce facteur. Aucun arrêt ne permet daffirmer que le tribunal peut considérer la nature du recouvrement collectif pour refuser daccorder des dommages-intérêts punitifs. La Cour dappel étaye sa conclusion sur la base de la seule opinion du professeur Lafond qui souligne les aspects correctif, préventif et dissuasif du recouvrement collectif. Bien quil puisse y avoir une part de vérité dans la thèse selon laquelle les objectifs et les effets du recouvrement collectif et ceux des dommages-intérêts punitifs se recoupent, ce recoupement ne saurait jouer dans lanalyse juridique servant à déterminer sil y a lieu daccorder des dommages-intérêts punitifs et leur montant. Selon le raisonnement de la Cour dappel, le seuil doctroi de dommages-intérêts punitifs serait plus élevé dans le cas dun recours collectif où le tribunal aurait ordonné quil soit procédé par recouvrement collectif plutôt que par voie de réclamations individuelles. À notre avis, il ny a aucune raison valable de tirer pareille conclusion. Après tout, le recouvrement collectif nest rien de plus que la pleine mesure de lobligation du défendeur si les demandeurs établissent le bien-fondé de leur réclamation. Le mode de recouvrement ne fait pas partie des facteurs énoncés dans la jurisprudence de la Cour sur lanalyse servant à déterminer lopportunité dune condamnation aux dommages-intérêts punitifs fondée sur le C.c.Q., et il ne serait pas non plus raisonnable de linclure dans cette analyse.

b)   Le montant des dommages-intérêts a un lien rationnel avec les objectifs de leur octroi

[105]                      Le juge du procès a tiré des conclusions de fait concernant loctroi de dommages-intérêts punitifs dans le recours contre BMO et dans celui contre Amex. Dans le premier cas, le juge a tenu les propos suivants sur linfraction à lart. 12 L.p.c. par les banques du groupe A :

                         Cette violation est sérieuse et fait fi dun objectif de protection fondamental de la LPC. Celui que le consommateur soit bien informé de toutes les conditions de son contrat pour quil puisse faire un choix éclairé en connaissant précisément ce à quoi il sengage.

                         Or, aucune des cinq banques concernées ne fournit dexplications ou de justifications à cette absence de divulgation de ces frais de conversion. Voilà qui étonne. À la différence des violations des articles 72, 83, 91 et 92 LPC déjà traitées, lon cherche en vain un fondement légitime à la pratique, que ce soit dun point de vue daffaires ou autrement.

                         À ce chapitre, le comportement décrié des cinq banques demeure répréhensible et inacceptable. Linsouciance à lendroit des consommateurs est sérieuse. La sanction supplémentaire des dommages punitifs se justifie dans cette mesure. [par. 1258-1260]

[106]                      Le juge du procès a tenu des propos tout aussi durs à légard dAmex pour navoir pas mentionné les frais :

                        [traduction] Certes, dans les circonstances, on ne peut guère qualifier la conduite dAmex dantisociale ou de particulièrement répréhensible ou intolérable, mais il nen demeure pas moins que, pendant 10 ans, elle a manifestement fait fi des obligations que lui impose la L.p.c.

                        À tout le moins, elle a fait preuve dun mépris flagrant à légard de ses obligations. À un point tel que lACFC a conclu quAmex était la seule banque à charte faisant affaire au Canada en 2002 qui nindiquait pas [les frais de conversion].

                        En outre, on na fourni ou donné aucune excuse légitime au comportement dAmex. Il est en effet difficile de comprendre pourquoi elle indiquait [les frais de conversion] jusquen 1993, mais a cessé pendant 10 ans, jusquà ce que lACFC lavise de cette irrégularité.

                        En labsence dexplication raisonnable ou dexcuse légitime, une inférence logique simpose. Amex peut fort bien avoir voulu dissimuler délibérément [les frais de conversion] dans le taux de change, ce qui empêche le consommateur den découvrir lexistence, et encore moins le montant. Cette éventualité serait assez troublante. [par. 424-427]

[107]                      Selon la Cour dappel, [traduction] « en juin 2009, il était inutile daccorder des dommages-intérêts punitifs pour décourager une pratique à laquelle Amex avait cessé de se livrer six ans auparavant et à laquelle avaient renoncé les autres banques même avant cela » (motifs de la Cour dappel (Amex), par. 58). Elle a aussi conclu que le demandeur ne sétait pas acquitté du fardeau « de prouver une conduite antisociale ou répréhensible » (ibid., par. 59).

[108]                      Avec égard, nous arrivons à une autre conclusion à la lumière des constats de fait tirés par le juge du procès. La L.p.c. est une loi dordre public; les obligations et les objectifs qui y sont prévus doivent entrer en ligne de compte dans la décision qui condamne une partie aux dommages-intérêts punitifs pour manquement à cette loi. Ces obligations et objectifs ont été examinés en détail dans larrêt Richard :

                        Dans la détermination des critères doctroi de dommages-intérêts punitifs en vertu de lart. 272 L.p.c., il est important de rappeler que la L.p.c. est une loi dordre public. Le consommateur ne peut renoncer à lavance aux droits que lui accorde la loi (art. 262 L.p.c.). Les commerçants et fabricants ne peuvent non plus y déroger, sauf pour offrir des garanties plus avantageuses (art. 261 L.p.c.). De même, les dispositions relatives aux pratiques interdites ont un caractère dordre public (LHeureux et Lacoursière, p. 443 et suiv.).

                        Lassujettissement des relations consommateurs-commerçants à des règles dordre public met en évidence limportance de ces dernières et la nécessité pour les tribunaux de veiller à leur application stricte. Les commerçants et fabricants ne peuvent donc adopter une attitude laxiste, passive ou ignorante à légard des droits du consommateur et des obligations que leur impose la L.p.c. Au contraire, lapproche adoptée par le législateur suggère quils doivent faire preuve dune grande diligence dans lexécution de leurs obligations. Ils doivent donc manifester le souci de sinformer de leurs obligations et de mettre en place des mesures raisonnables pour en assurer le respect.

                        Ainsi, selon nous, la L.p.c. cherche à réprimer chez les commerçants et fabricants des comportements dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse à légard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. Évidemment, le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à lart. 272 L.p.c. sapplique aussi aux actes intentionnels, malveillants ou vexatoires, par exemple.

                        Cependant, le simple fait dune violation dune disposition de la L.p.c. ne suffirait pas à justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Par exemple, on devrait prendre en compte lattitude du commerçant qui, constatant une erreur, aurait tenté avec diligence de régler les problèmes causés au consommateur. Ni la L.p.c., ni lart. 1621 C.c.Q. nexigent une attitude rigoriste et aveugle devant les efforts dun commerçant ou dun fabricant pour corriger le problème survenu. Ainsi, le tribunal appelé à décider sil y a lieu doctroyer des dommages-intérêts punitifs devrait apprécier non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (sil en est) de son attitude envers le consommateur, et les consommateurs en général, après cette violation. Seule cette analyse globale du comportement du commerçant permettra au tribunal de déterminer si les impératifs de prévention justifient une condamnation à des dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée. [par. 175-178]

[109]                      En conséquence, avec égard, il nest pas nécessaire détablir un comportement antisocial ou répréhensible pour que des dommages-intérêts punitifs soient attribués en vertu de la L.p.c. Il faut plutôt examiner le comportement global du commerçant avant, pendant et après la violation, pour déterminer sil a adopté une attitude « laxiste, passive ou ignorante à légard des droits du consommateur et [de leurs propres] obligations », ou un comportement « dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse ».

[110]                      Dans le recours contre BMO, le juge du procès a conclu que le manquement des banques du groupe A était grave, voire méprisait un objectif fondamental de la L.p.c., à savoir que le consommateur doit connaître les conditions de son contrat. Selon le juge, en nexpliquant pas les raisons de ce manquement, les banques ont fait preuve dun sérieux manque de préoccupation ou de diligence envers les consommateurs. Cela était répréhensible et inacceptable. Dans le recours contre Amex, il était davis que la banque avait fait fi des obligations que lui impose la L.p.c. et il a inféré quen supprimant les mentions du taux de conversion offert au consommateur, Amex avait peut-être délibérément dissimulé son taux pendant dix ans.

[111]                      Ni ces constatations de fait ni loctroi de dommages-intérêts punitifs sur la base de ces dernières ne sont entachés dune erreur manifeste ou dominante. Il était loisible au juge de première instance de conclure que la conduite des banques constituait de lignorance ou de linsouciance ou les deux. Pour ce qui est des banques du groupe A, elles ont enfreint la L.p.c. sans explication pendant des années. On ignore ce qui a incité chaque banque à indiquer finalement les frais de conversion. Leur collaboration dans le cadre de la poursuite — soit le fait davoir fourni linformation permettant le recouvrement collectif — ne suffit pas pour prouver la diligence dans la résolution du problème causé à ces consommateurs ou une attitude positive envers les consommateurs en général. Leur négligence au cours des années où les frais nétaient pas mentionnés prévaut sur leur décision inexpliquée de mentionner aux consommateurs des frais qui leur étaient auparavant imposés à leur insu. Les faits sont beaucoup plus accablants pour Amex. En mentionnant les frais jusquen 1993 pour ensuite les dissimuler au cours de la décennie qui a précédé la décision de lACFC, elle a démontré le contraire de la diligence et manifesté une attitude désobligeante et condescendante envers les consommateurs.

[112]                      Comme lindique notre Cour dans larrêt Richard, la L.p.c. vise deux objectifs : rétablir léquilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et les consommateurs et éliminer les pratiques déloyales et trompeuses susceptibles de fausser linformation dont dispose le consommateur et de lempêcher de faire des choix éclairés (par. 160-161). Ces deux objectifs revêtent une grande importance dans le présent contexte où les consommateurs sont souvent impuissants face à la modification de leur contrat de carte de crédit, dautant plus que refuser de payer risque de se traduire par des frais supplémentaires imposés sous la forme dintérêts additionnels. À notre avis, le juge du procès pouvait conclure que les banques du groupe A avaient manqué à leurs obligations et navaient pas respecté la L.p.c. et ses objectifs. Les précisions apportées dans larrêt Richard ne changent rien au fait quil existe un lien rationnel entre le montant des dommages-intérêts punitifs et lobjet de leur attribution. Le juge du procès na fait aucune erreur manifeste et dominante en accordant des dommages-intérêts punitifs comme mesure de prévention pour dissuader non seulement les banques mais aussi tous les commerçants de démontrer pareille insouciance.

[113]                      Les dommages-intérêts punitifs accordés par le juge du procès témoignent dun lien rationnel avec les objectifs de ce type dindemnisation. Il y a lieu de rétablir le jugement de première instance condamnant toutes les banques du groupe A à des dommages-intérêts punitifs.

(3)      Le cas dAmex

[114]                      Les conclusions précédentes sappliquent à toutes les banques du groupe A, y compris Amex à titre de défenderesse dans le recours contre BMO. Contrairement à laffirmation de la Cour dappel dans le recours entrepris contre BMO, les groupes impliqués dans ce recours et dans celui entrepris contre Amex ont été décrits soigneusement pour éviter tout chevauchement. Comme le signale le juge Gascon dans le jugement rendu dans le recours contre Amex, la description du groupe dans cette action a été modifiée en 2007 [traduction] « pour éviter les recoupements entre la description du groupe dans le [recours contre BMO] et celle du groupe en lespèce » (par. 7, note 6). En effet, la définition du groupe dans le recours contre BMO vise les frais de conversion imposés à compter du 17 avril 2000 aux titulaires de cartes de crédit à la consommation; tandis que celle du groupe dans le recours contre Amex ne vise que les frais de conversion imposés avant cette date aux titulaires de cartes de crédit à la consommation. Il ny avait aucun chevauchement des ordonnances rendues à lissue des deux recours.

[115]                      Cette question na pas été soulevée devant la Cour. Or, les demandeurs sollicitent le rétablissement du jugement rendu à lissue du procès. De plus, les demandeurs ont prié la Cour dappel de rectifier, à la lumière de labsence de chevauchement entre les deux groupes formés dans les recours contre BMO et Amex, lordonnance quelle avait irrégulièrement rendue. Les banques ne contestent pas labsence de chevauchement, mais font seulement valoir quil ny a aucune preuve au dossier sur les frais de conversion imposés par Amex au mois de janvier 2003 et, partant, quil convient de refuser le recouvrement collectif des sommes perçues pendant ce mois. La Cour dappel a rejeté la demande sans motiver sa décision.

[116]                      Nous sommes davis quil y a lieu de rétablir la condamnation prononcée en première instance contre Amex dans le recours entrepris contre BMO dans la mesure où ce jugement respecte la conclusion selon laquelle les frais de conversion appartiennent au capital net. Amex doit rembourser les frais de conversion imposés entre le 17 avril 2000 et le 31 janvier 2003, date à laquelle elle sest mise à indiquer les frais de conversion. La décision du juge Gascon dordonner le recouvrement individuel à légard de la période comprise entre le 17 avril 2000 et le 31 décembre 2002 est rétablie. En ce qui concerne le mois de janvier 2003, suivant le calcul employé par la Cour dappel dans le cas des autres banques du groupe A pour le recouvrement collectif, des dommages-intérêts dun montant de 87 078,33 $ sont ordonnés (soit le douzième du total des frais de conversion imposés par Amex en 2003 moins le taux moyen de mauvaises créances pour Amex (1 044 940 $)). Nous rétablissons la condamnation aux dommages-intérêts punitifs qui avait été prononcée contre Amex.

VI.        Conclusion

[117]                      Toutes les dispositions pertinentes de la L.p.c. sont, du point de vue constitutionnel, applicables et opérantes, et les demandeurs ont le statut pour entreprendre le présent recours collectif. Les frais de conversion appartiennent au capital net au sens de la L.p.c., et les banques du groupe B les ont légalement indiqués. Les banques du groupe A ont omis de les indiquer et doivent en conséquence rembourser ceux quelles ont perçus des titulaires de leurs cartes. Elles sont en outre condamnées à des dommages-intérêts punitifs. Pour ces motifs, les appels interjetés par les banques sont rejetés avec dépens devant la Cour. Lappel interjeté par les demandeurs est accueilli en partie sans dépens devant la Cour en raison du succès mitigé. Les dépens devant les juridictions inférieures adjugés par le juge Dalphond aux par. 151-154 de ses motifs dans le recours contre BMO sont confirmés, sauf dans le cas dAmex, à légard de laquelle lordonnance du juge de première instance quant aux dépens est rétablie.

ANNEXE

Glossaire

capital net (L.p.c.) : somme pour laquelle le crédit est effectivement consenti au titulaire de carte, par lentremise de sa carte de crédit; sont exclus les frais expressément qualifiés de frais de crédit. (net capital (CPA))

commerçant : fournit des biens ou des services au titulaire de carte en contrepartie dun paiement fait par carte de crédit. (merchant)

convention régissant lutilisation de la carte : contrat régissant lutilisation de la carte intervenu entre le titulaire de la carte et lémetteur. (cardholder agreement)

émetteur : institution, en général une banque, une coopérative de crédit ou un magasin, qui fournit la carte de crédit au titulaire, perçoit les frais dinterchange, paie les frais de réseau à la société de carte de crédit pour lutilisation de la carte. (card issuer)

frais dinterchange : taux fixé par les sociétés de carte de crédit, mais qui est perçu par les émetteurs. (interchange fee)

frais de réseau : frais dont le montant est fixé par les sociétés de cartes de crédit et que celles-ci perçoivent des émetteurs. (network access fee)

frais de conversion : pourcentage ajouté au montant des achats faits en devises étrangères une fois la somme originale convertie en dollars canadiens. (conversion charge)

frais de crédit (L.p.c.) : lun des deux types de frais dont limposition dans les conventions régissant lutilisation de la carte de crédit est autorisée par la L.p.c.; toute somme que le consommateur doit payer en vertu de la convention, en plus du capital net. (credit charge (CPA))

L.p.c. : Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, ch. P-40.1. (CPA)

société de carte de crédit : Visa, MasterCard et American Express; la société facture les frais de réseau et fixe le taux des frais dinterchange que perçoit lémetteur. (credit card company)

taux de crédit (L.p.c.) : tous les frais de crédit exigibles en vertu dune convention régissant lutilisation de la carte de crédit, sauf exception, exprimés sous la forme dun pourcentage annuel. (credit rate (CPA))

taux interbancaire : taux de change exclusivement offert aux grandes institutions financières négociant en millions de dollars. (interbank rate)

titulaire de carte : partie à la convention régissant lutilisation de la carte conclue avec lémetteur; le titulaire utilise la carte de crédit pour payer le commerçant et rembourse lémetteur à une date ultérieure. (cardholder)

                    Pourvois de la Banque de Montréal, Citibanque Canada, la Banque Toronto-Dominion et la Banque Nationale du Canada rejetés et pourvoi de Réal Marcotte et Bernard Laparé accueilli en partie.

                    Procureurs des appelantes/intimées la Banque de Montréal, Citibanque Canada, la Banque Toronto-Dominion et la Banque Nationale du Canada, et des intimées la Banque Amex du Canada, la Banque Royale du Canada, la Banque Canadienne Impériale de Commerce, la Banque de Nouvelle-Écosse et la Banque Laurentienne du Canada : Osler, Hoskin & Harcourt, Montréal et Toronto; Deslauriers & Cie, Montréal.

                    Procureurs des intimés/appelants Réal Marcotte et Bernard Laparé : Trudel & Johnston, Montréal; Lauzon Bélanger Lespérance inc., Montréal.

                    Procureurs de l’intimé/intervenant le procureur général du Québec : Bernard, Roy & Associés, Montréal.

                    Procureurs de l’intimé/intervenant le président de l’Office de la protection du consommateur : Allard, Renaud et Associés, Trois-Rivières; Office de la protection du consommateur, Trois-Rivières.

                    Procureur de l’intimé/intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Montréal.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association des banquiers canadiens : Torys, Toronto.

 

 

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