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Supreme Court of Canada

Husband and wife—Life insurance policy—Wife as beneficiary—Transfer by husband and wife as security for debts of husband—Validity—Arts. 1265, 1801 C.C.—Act respecting life insurance by husbands and parents, R.S.Q., 1909, Art. 7405; R.S.Q., 1925, с. 244, s. 30.

The transfer of an insurance policy, issued on the life of the husband for the benefit of his wife at his death but also payable to him if living at a certain specified date, which transfer was made jointly by the husband and the wife to secure reimbursement of advances made to the husband by a bank, is illegal and void, as to the wife, such transfer being in contravention of the provisions of article 1301 C.C.

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The legislature, in enacting article 7405 R.S.Q. 1909, now article 30 of R.S.Q. 1925, c. 244 (An Act respecting life insurance by husbands and parents), although authorising in general terms the transfer of a life insurance policy by the insured and the beneficiaries, did not intend to make any change as to the provisions of the Civil Code which deal with personal incapacities and contraventions of public order, and notably as to the prohibition contained in article 1301 C.C.

Laframboise v. Vallières ([1927] S.C.R. 193), Кlоск v. Chamberlin (15 Can. S.C.R. 325) and Rodrigue v. Dostie ([1927] S.C.R. 563) discussed.

Judgment of the Court of King’s Bench (Q.R. 47 K.B. 104) affirmed in part.

APPEAL from the decision of the Court of King’s Bench, appeal side, province of Quebec[1], reversing the judgment of the Superior Court, Letellier J. and maintaining the respondent’s action.

The material facts of the case are stated in the judgment now reported.

Alex. Gérin-Lajoie K.C. and R. Taschereau K.C. for the appellant.

J. A. Prévost K.C. and A. Savard K.C. for the respondent.

The judgment of the court was delivered by

Rinfret, J.L’époux de l’intimée a obtenu de The Ætna Life Insurance Company quatre polices d’assurance sur sa vie, de mille piastres ($1,000) chacune, portant les numéros 346132, 370928, 456653 et 456654.

La police n° 346132 est datée du 30 avril 1904. Elle stipule que,

at the end of the policy-year falling nearest to age eighty-four, if the insured is then living, or, on receipt and approval of the proofs of the death of the said insured,

la compagnie paiera la somme de mille piastres ($1,000) à l’assuré lui-même, si le terme de paiement échoit sa vie durant; à ses exécuteurs, administrateurs ou ayants cause, si le montant de la police devient payable par suite de son décès. Toute somme payable en vertu de la police, du vivant de l’assuré, soit à titre de “cash surrender value”, soit à titre de dividende, devra également appartenir à l’assuré lui-même. Le bénéficiaire de la police peut en

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tout temps être changé, “provided the policy is not then assigned”. La police est, en outre, subordonnée à certaines conditions qui sont imprimées au verso et dont nous n’avons pas besoin de nous occuper pour les fins de cette cause.

La police n° 370928 porte la date du 17 janvier 1906. Elle contient les mêmes stipulations que la police précédente, sauf que l’âge fixé pour l’échéance durant la vie de l’assuré est quatre-vingt-cinq ans, au lieu de quatre-vingt-quatre ans.

Le 25 mai 1910, l’assuré (comme chacune des polices lui en donnait le droit, et s’autorisant, en plus, de la loi relative à l’assurance sur la vie des maris et parents(S.R.Q. 1888, arts. 5580 et seq.; S.R.Q. 1909, arts. 7377 et seq.) attribua à son épouse, l’intimée, le bénéfice de ces deux polices

in case of my death previous to hers only, any value payable under this contract during my lifetime being payable to myself, to the exclusion of all other persons.

Les polices 456653 et 456654 stipulent que;

upon receipt of due proof of the death of Joseph E. Poulin (le mari) * * * during the continuance of this policy within the term of fifty-five years from the date hereof; or * * * at the end of said term, if the insured is then living,

la compagnie paiera la somme de $1,000 à l’assuré lui-même, si le terme échoit sa vie durant; et, si le montant de la police devient payable par suite du décès de l’assuré, la compagnie paiera à ľintimée, pourvu qu’elle survive à ce dernier, ou aux exécuteurs, administrateurs et ayants cause de l’assuré, si elle ne lui survit pas. Mais, dans le cas d’incapacité permanente absolue de l’assuré, les bénéfices ci-dessus sont remplacés par des montants mensuels payables à l’assuré lui-même. Il y a également des stipulations pour une cash surrender value” et pour des attributions de dividendes en faveur de l’assuré.

Il est constaté au dossier que l’assuré a jusqu’ici acquitté toutes les primes dues sur chacune des quatre polices, et même que les polices n08 346132 et 370928 sont maintenant en vigueur comme pleinement acquittées et ne requièrent plus aucun paiement subséquent de prime.

Le 3 août 1918, l’assuré et son épouse ont cédé à la Banque Nationale chacune des polices ci-dessus, au moyen

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ďun document qui est semblable dans chacun des cas et dont il suffira, par conséquent, de reproduire celui qui a trait à la police n° 346132:

Original Assignment

To be attached and retained with the policy.

For value received, we hereby transfer, assign and set over absolutely unto La Banque Nationale St. Roch’s branch of Quebec, province of Quebec, all our right, title and interest in policy no. 346,132 issued by the Ætna Life Insurance Company, of Hartford, Conn., on the life of Joseph E. Poulin and all benefit and advantage to be derived therefrom, dividends included.

Each and every person executing this assignment represents to said company that, according to the laws of the province of domicile, he or she is legally capable of executing this form, that no proceedings in insolvency have been instituted by or against him (or her), and that said policy has been given to no one, by marriage contract or otherwise.

Witness our hand and seal at Quebec, province of Quebec, this 3rd day of August, 1918.

Witness: Oscar Morin.

Joseph E. Poulin.

Blanche Carette Poulin.

Plus de neuf ans après, ľintimée a intenté la présente action contre ľappelante qui, par acte du parlement du Canada, avait substitué son nom actuel, La Banque Canadienne Nationale, à celui de La Banque ďHochelaga, et qui avait acquis les droits et obligations de la Banque Nationale.

Par son action, ľintimée conclut à ce que les quatre transports signés par elle et son mari à Québec, le 3 août 1918, en faveur de la Banque Nationale, soient déclarés illégaux et nuls;

(a) Parce qu’ils sont une contravention à l’article 1265 du code civil, qui interdit aux époux de s’avantager entre vifs; et que ľintimée s’est départie de ses droits en faveur de son mari, et pour son unique bénéfice et avantage;

(b) Parce qu’ils sont une contravention à l’art. 1301, qui frappe de nullité toute obligation assumée par la femme avec ou pour son mari, autrement qu’en qualité de commune; et qu’en les signant avec son mari, la demanderesse s’est portée garante sur ses biens conjointement avec son mari;

(c) Parce que la demanderesse n’a rien reçu de la banque comme considération des dits transports;

(d) Parce qu’ils ont été signés en garantie collatérale d’un billet de $10,000 de la compagnie Wedgerite Piston Ring, qui a été payé depuis longtemps, et qui serait, à tout événement, prescrit.

Elle demande donc que la banque reçoive ľordre de lui remettre les quatre polices d’assurance, et qu’à défaut par

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elle de ce faire elle soit condamnée à payer purement et simplement à l’intimée la somme de $4,000, valeur de ces polices.

La défense est que les polices

ont été transportées sans restriction pour les dettes de Joseph Poulin, qui, au moment du transport, étaient considérables et dépassaient de beaucoup le montant qu’elles représentent;

que ľintimée ne s’est pas obligée avec ou pour son mari; qu’il n’a été fait en l’occurrence aucun changement aux conventions matrimoniales; et qu’à tout événement le transport des polices était autorisé par la loi relative à l’assurance sur la vie des maris et parents.

La Cour Supérieure a débouté l’intimée des fins de son action, avec dépens. La majorité de la Cour du Banc du Roi a infirmé le jugement et a déclaré les transports nuls comme étant en contravention à l’article 1301 du code civil. Elle a condamné l’appelante à remettre à l’intimée les polices d’assurance dans les quinze jours de la signification du jugement; et, à défaut par elle de ce faire dans ce délai, à payer à l’intimée la somme de $4,000, avec dépens, tant de la Cour Supérieure que de la Cour du Banc du Roi; monsieur le juge Bernier étant dissident.

Nous pouvons, dès l’abord, disposer de trois des moyens soulevés dans l’action de ľintimée, c’est-à-dire de ceux que nous avons indiqués ci-dessus comme moyens (a), (c) et (d

Il est acquis au dossier que la demanderesse n’a rien reçu personnellement de la banque comme considération du transport des polices d’assurance.

En outre, il n’est plus discuté que, nonobstant leurs termes qui comportent une cession des polices à la banque sans aucune restriction, les transports ont été signés seulement en garantie collatérale des dettes du mari. Il y avait divergence entre les parties sur le point de savoir si la garantie fut donnée uniquement à l’égard du billet de $10,000 de la compagnie Wedgerite, dont le mari était responsable, ou à l’égard de toutes les dettes du mari envers la banque. La Cour Supérieure a trouvé que la preuve ne permettait pas de décider que les polices avaient été données seulement en garantie du billet Wedgerite. La Cour du Banc du Roi a été du même avis. Sur ce point, nous

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sommes d’accord avec ces deux cours; et d’ailleurs, les termes généraux des transports en faveur de la banque nous paraissent décisifs.

D’autre part, M. Morency, qui était un des inspecteurs de la Banque Nationale à l’époque où elle a accepté les transports, a témoigné que les quatre polices étaient mentionnées dans son rapport d’inspection d’octobre 1919 comme étant détenues non pas en paiement pro tanto, mais en garantie générale du compte de Poulin, le mari de l’intimée. En plus, la banque, dans son factum, admet

que les polices d’assurance en question ont été données à la Banque Canadienne Nationale par J.-Ed. Poulin, le mari de l’intimé, pour garantir son compte général.

Il en résulte que le litige doit être envisagé du point de vue d’un transport par une femme mariée en garantie des dettes de son mari, et non pas, ainsi que la plaidoirie écrite lavait d’abord soumis, comme un transport pur et simple d’une femme mariée en paiement des dettes de son mari.

Cette distinction est très importante; car, comme nous l’avons fait remarquer entre autres dans la cause de Laframboise v. Vallières[2],

l’on est d’accord, en effet, pour interpréter l’article 1301 du code civil comme une prohibition à la femme mariée de cautionner, de garantir, de s’engager pour l’avenir “avec ou pour son mari”; et il est admis que l’acte juridique ainsi proscrit par le législateur est le contrat de garantie ou de sûreté. Le mot s’obliger”, dans cet article, doit s’entendre comme indiquant seulement le contrat de cautionnement.

(Lehel v. Brodin[3]). Par conséquent, si l’intimée avait cédé purement et simplement ses droits dans les polices, la question de l’application de l’article 1301 C.C. se présenterait sous un jour tout différent. Nous tenons à bien définir ce point immédiatement pour éviter toute ambiguïté sur ce que nous pourrons dire au sujet de cet article par la suite de notre jugement.

Nous devons écarter également l’article 1265 du code civil. Le contrat de mariage entre les époux Poulin ne fait pas mention de ces polices d’assurance; et ces dernières n’ont pas été prises pour le bénéfice de l’épouse intimée en exécution des conventions matrimoniales. Dans ce contrat, il est fait don à la future épouse, à titre de donation entre vifs et irrévocable, d’une somme de $5,000 courant, qu’elle a droit d’exiger une fois pour toutes

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et ce par elle à prendre sur les plus clairs et apparents biens, tant mobiliers, immobiliers, polices d’assurance de vie que autres généralement quelconques du futur époux, soit de son vivant ou à la mort de ce dernier, au choix de la future épouse et sur sa première demande;

mais lorsque Poulin attribua à son épouse le bénéfice des polices d’assurance, il ľa fait, suivant son propre aveu, “pour protéger son épouse et ses enfants d’une façon générale”. Il ne le fit pas en paiement de la donation contenue au contrat de mariage et cela ne fut pas accepté comme tel par ľintimée. En transportant ces polices à la banque, l’intimée n’a donc fait aucun changement aux conventions matrimoniales contenues au contrat de mariage. C’est ce que la Cour du Banc du Roi a unanimement décidé, d’accord en cela avec la Cour Supérieure; et l’intimée l’a si bien vu qu’elle a déclaré dans son factum qu’elle n’insiste pas sur cette prétention devant cette honorable cour”.

Cependant, l’admission que les transports des polices d’assurance ont été faits par ľintimée non pas en cession pure et simple à la banque, mais seulement en garantie collatérale des dettes du mari, entraîne comme conséquence l’application de l’article 1301 du code civil en vertu duquel

la femme ne peut s’obliger avec ou pour son mari qu’en qualité de commune; toute autre obligation qu’elle contracte ainsi en autre qualité est nulle et sans effet, sauf les droits des créanciers qui contractent de bonne foi.

La banque a prétendu que la prohibition contenue dans cet article ne visait que la garantie personnelle de la femme mariée et ne comprenait pas la garantie réelle. L’honorable juge LaFontaine, le présent juge-en-chef de la province de Québec, dans la cause de Joubert et Turcotte v. Kieffer[4] a fait de cette question une étude approfondie, à laquelle nous ne saurions rien ajouter, et où il a démontré que par le mot s’obligeril faut entendre

tout engagement quelconque par lequel une femme mariée prend à sa charge le paiement d’une dette de son mari, soit qu’elle contracte une obligation personnelle, comme dans le cautionnement, ou qu’elle engage ses biens seulement, comme dans le contrat d’hypothèque ou de gage.

C’est ce que cette cour a décidé dans la cause de Klock v. Chamberlin[5], et de nouveau dans la cause de Rodrigue v. Dostie[6]. Nous croyons que la Cour du Banc du Roi a

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eu raison d’appliquer ces arrêts; et nous approuvons à cet égard les raisons données par M.M. les juges Dorion et Rivard.

L’on a pu voir, par l’analyse que nous en avons faite, comme d’ailleurs par les termes mêmes des transports à la banque, que tous les droits et avantages inhérents aux polices du vivant du mari vont à ce dernier et sont réservés en sa faveur. Le capital lui-même des polices appartiendra au mari, s’il écheoit pendant sa vie. Il en est ainsi des dividendes et de tout paiement de la valeur au comptant (“cash surrender value”), au cas où elle serait réclamée, à certaines périodes fixées, avant la mort de l’assuré. Les droits de l’épouse intimée se limitent au montant qui deviendrait dû par suite du décès du mari, et à la condition qu’elle lui survive. Ce sont là, il est vrai, des droits aléatoires et incertains; mais ce sont des droits tout de même. Ils font partie des biens éventuels de l’intimée. Elle n’y a pas renoncé, comme le prétend la banque. Cette prétention serait exacte si les transports devaient être pris à la lettre; mais nous avons vu que la véritable transaction entre la banque, l’intimée et son mari a été seulement une garantie donnée à la banque pour les dettes du mari.

Dans la cause de Laframboise v. Vallières[7], dont l’appelante s’est beaucoup réclamée, le mari, dans le contrat de mariage, avait donné à sa femme la jouissance et l’usufruit d’un immeuble, et en plus une somme de $1,800 garantie par hypothèque sur cet immeuble. Plus tard, lorsque le mari vendit l’immeuble à un tiers, l’épouse renonça

spécialement à tous droits qu’elle avait sur ledit immeuble, y compris ceux pouvant lui résulter de son contrat de mariage.

Elle renonçait donc à la jouissance et usufruit éventuels de l’immeuble, et à l’hypothèque qui garantissait le don de $1,800.

Cette cour a décidé que la donation de la jouissance et usufruit de l’immeuble, qui devait prendre effet après le décès du mari, était une donation à cause de mort, qui n’empêchait pas le mari d’aliéner l’immeuble à titre onéreux et pour son propre avantage”, en vertu de l’article 823 du code civil. L’intervention de l’épouse dans l’acte de vente pour abandonner à l’acquéreur cette jouissance et usufruit n’avait donc rien ajouté au titre que le mari avait

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le droit de conférer à cet acquéreur. D’autre part, la cour a également décidé que la renonciation en faveur du même acquéreur à l’hypothèque garantissant le don de $1,800, et qui laissait subsister l’obligation personnelle du mari, ne constituait pas une contravention à l’article 1265 du code civil. Mais c’est là tout l’effet de ce jugement.

L’appelante ne peut donc invoquer en sa faveur cet arrêt de Laframboise v. Vallières (1), avec lequel le présent litige n’a aucune analogie. Ici, d’ailleurs, il n’y a pas eu de renonciation de la part de l’épouse. Il n’y a eu ni abandon, ni cession de ses droits. Elle a engagé ses droits en garantie des dettes de son mari; elle s’est donc obligée sur ces biens; et, comme le fait remarquer M. le juge Dorion en Cour du Banc du Roi, l’obligation personnelle, dans l’évolution de notre droit, n’est rien autre chose, en définitive, qu’un engagement sur les biens seulement”. La seule différence entre une promesse de payer et un transport en garantie est que, dans ce dernier cas, l’obligation se réduit à la valeur du bien donné en gage; mais il n’en constitue pas moins un engagement de payer. Dans le cas qui nous occupe, l’épouse a engagé ses biens avec l’idée de retour. Les biens qu’elle transportait à la banque devaient retourner à elle si les dettes du mari étaient payées et lorsqu’elles le seraient. Elle n’a pas aliéné. Elle a engagé l’avenir”.

Il faut dire, par conséquent, que les transports d’assurance dont l’intimée demande la nullité tombent sous le coup de l’article 1301 du code civil; et, de tous les moyens soulevés devant la Cour Supérieure et la Cour du Banc du Roi, il ne reste donc que le suivant:

L’article 7405 des statuts refondus de Québec de 1909, qui était la loi en vigueur lorsque les transports furent effectués par l’intimée, a-t-il pour effet de les soustraire à l’application de l’article 1301 du code civil?

L’article 7405 fait partie de la loi dont nous avons déjà parlé, De l’assurance sur la vie des maris et parents”, et se lit comme suit:

7405. Les polices d’assurance effectuées ou appliquées en vertu de la présente section, sont insaisissables pour les dettes des personnes assurées ou qui doivent en bénéficier.

Pendant qu’il est entre les mains de la compagnie, le montant de l’assurance est aussi insaisissable pour les dettes de l’assuré, ainsi que pour celles des bénéficiaires, et doit être payé en conformité de la police, de la déclaration d’application ou de toute révocation qui s’y rapportent.

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Cette insaisissabilité ne s’applique cependant pas à une police, en tout ou en partie, qui peut être retournée et appartenir à l’assuré.

L’assuré et les parties avantagées peuvent de concert transférer la police.

Une règle fondamentale est que les statuts doivent être interprétés, autant que possible, en harmonie avec le droit commun. Le législateur n’est pas présumé avoir eu l’intention de modifier le droit commun au delà de ce qu’il en déclare expressément.

It is a sound rule to construe a statute in conformity with the common law rather than against it, except where or so far as the statute is plainly intended to alter the course of the common law. (The Queen v. Morrìs[8]).

L’article 1301 du code civil a pour but la protection de la femme mariée contre le danger d’engager ses biens ou sa responsabilité personnelle, où elle pourrait se laisser entraîner sous l’influence de son mari ou même par simple affection pour lui. La loi de l’assurance sur la vie des maris et parents procède également d’une idée de protection. Lorsqu’elle fut adoptée, en 1865, elle était intitulée: “Acte pour assurer aux femmes et aux enfants le bénéfice des assurances sur la vie de leurs maris et de leurs parents” (29 V., c. 17). Déjà à cette époque, lors du décès de ľassuré, le montant de l’assurance dû sur la police était payable au bénéficiaire sans qu’il pût être “réclamé par aucun créancier, ou créanciers, que ce soit” (art. 5).

Le principe de l’article 1301 du code civil existait dès lors dans la loi du Bas-Canada. Sans doute, l’origine en remonte au sénatus-consulte velléien; mais il a été exprimé, dans l’ancien droit antérieur au code civil, au statut 4 V., c. 30, art. 36 (1841), reproduit avec modifications dans les statuts refondus du Bas-Canada (1861, c. 37, art. 55) et plus tard dans le code, où il est demeuré jusqu’à ce jour.

La première loi d’assurance sur la vie des maris et parents ne contenait pas de clause d’incessibilité; mais il est évident que les avantages résultant de ces sortes d’assurances en faveur de la femme mariée restaient subordonnés à la prohibition qui lui défendait de les engager pour le compte de son mari. En d’autres termes, ces avantages étaient régis par la loi générale.

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En 1869, par la loi 32 V., c. 39, il fut permis à

toute personne dont la vie est assurée * * * par acte notarié ou autre instrument par écrit, et sans aucun endossement sur la police (de) céder et transporter à titre de sûreté collatérale, pour toute somme de deniers ou autrement, aucune partie des droits qu’elle possède dans la dite police, pourvu qu’elle ne soit pas moindre que le quart du montant d’icelle.

Par là ľassuré était autorisé à transporter ses droits; mais ceux des bénéficiaires restaient intacts.

En 1870, par la loi 33 V., c. 21, le législateur permit à la personne assurée “d’emprunter, sous la garantie de la police, telle somme qui sera nécessaire pour maintenir la dite police en vigueur”. Il fut décrété que les sommes ainsi empruntées constitueraient

la première charge sur les polices, nonobstant toute telle indication de paiement en faveur de la femme ou des enfants * * * pourvu que les sommes ainsi empruntées n’excèdent pas le montant de la prime d’une année.

Mais, en 1878 (41-42 V., c. 13), les lois antérieures furent abrogées. Le pouvoir de l’assuré d’emprunter sur la garantie de la police la somme nécessaire pour la maintenir en force fut accordé sous une forme nouvelle. Cependant, l’autorisation à l’assuré de céder ses droits à titre de sûreté collatérale pour toute autre somme de deniers (contenue dans la loi de 1869) ne fut pas conservée dans la nouvelle loi; et, au contraire, il y fut décrété (art. 26) que les polices d’assurance régies par la loi

ne seront pas saisissables pour dettes dues soit par le personne assurée, soit par les personnes devant bénéficier de la police, et seront incessibles par toutes telles personnes.

Cette insaisissabilité et cette incessibilité furent maintenues dans les statuts refondus de Québec de 1888 (art. 5604) et demeurèrent en vigueur jusqu’en 1898. Pendant tout ce temps, par conséquent, non seulement les avantages de la femme mariée résultant de ces polices d’assurance tombaient sous le coup de l’article 1301 du code civil, mais il était même défendu à toute personne intéressée dans ces polices, soit comme assurée, soit comme bénéficiaire, de les céder à qui que ce soit.

C’est alors que la législature, par la loi 61 V., c. 40 (1898), a fait disparaître de l’article 5604 des statuts refondus de 1888 les mots et sont également incessibles par ces personnes”, et a ajouté, à la fin de l’article, l’alinéa suivant:

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L’assuré et les parties avantagées peuvent de concert transférer la police.

Et c’est depuis ce temps que la loi existe telle qu’elle se lit dans l’article 7405 des statuts refondus de 1909 et encore maintenant dans l’article 30 du chapitre 244 des statuts refondus de 1925. Jusqu’à 1898, il n’est pas douteux que l’article 1301 du code civil s’appliquait à ce genre de transaction. La loi spéciale de l’assurance des maris allait même plus loin que cet article. En 1898, les polices qui étaient jusqu’alors incessibles sont devenues cessibles. C’est tout ce que le législateur a décrété. Il n’a pas changé le droit commun. Par exemple, on ne peut déduire de cette législation qu’on ait voulu autoriser un incapable, tel que le mineur ou l’interdit, à céder la police autrement que par les voies prévues dans le code civil et le code de procédure civile. On ne peut, non plus, en déduire que le législateur ait voulu priver la femme mariée de la protection édictée à l’article 1301, surtout dans une loi comme celle des assurances qui s’inspire essentiellement de l’idée de protection pour l’épouse et les enfants.

La Cour du Banc du Roi et le Conseil Privé dans la cause de Trust & Loan v. Gauthier[9] et la Cour Suprême du Canada dans la cause de Klock v. Chamberlin[10] et dans celle de Rodrigue v. Dostie[11] ont affirmé que l’article 1301 du code civil contient une règle d’ordre public. Il n’est pas possible de penser que si le législateur avait voulu mettre cette règle de côté, il ne l’eût pas fait d’une façon absolument expresse.

To alter any clearly established principle of law, a distinct and positive enactment is necessary. (Craies On Statute Law, 3rd Ed., p. 112.)

Le législateur, par l’amendement de 1898, n’a pas modifié la loi générale. Il a fait disparaître l’incessibilité des polices d’assurance qui existait jusque-là. Il a autorisé, entre autres, la femme mariée, de concert avec son mari, à transférer les polices d’assurance dont il s’agit; mais il n’a nullement déclaré qu’il entendait écarter la règle contenue dans l’article 1301 C.C.

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Et en ľabsence d’une déclaration expresse à cet égard, surtout dans une matière ďordre public comme celle-ci, il ne nous est pas permis de prêter aux termes du législateur une intention plus étendue que celle qui apparaît par le langage qu’il a employé. (Vacher v. London Society of Compositors)[12]. Il ne faudrait rien moins qu’un texte bien positif pour y trouver une dérogation à un article que tous les tribunaux ont appliqué jusqu’ici avec un soin jaloux. La rédaction actuelle du statut autorise le transfert de la police par toutes les personnes avantagées agissant de concert. Elle permet au mari de céder ou engager ses droits dans la police. Elle permet à la femme mariée de céder ses droits conformément au droit commun; mais elle ne valide pas une infraction à l’article 1301 du code civil. La distinction signalée par Pothier subsiste. (Laframboise v. Vallières[13]; Rodrigue v. Dostie)[14].

Toutefois, l’article 1301 du code civil ne contient de prohibition que contre la femme; il n’en contient pas contre le mari. Si les transports attaqués par ľintimée sont nuls quant à elle, ils valent pour les droits du mari. Nous avons vu que les polices d’assurance contenaient en faveur de ce dernier des bénéfices très appréciables. L’intimée, pour les raisons qu’elle a invoquées, pouvait conclure à l’annulation des transports seulement en ce qui la concerne. Le mari lui-même n’est partie dans la cause que pour autoriser son épouse. Il n’a pas pris de conclusions personnelles. Il n’est pas mis en cause. Les transports effectués par le mari en faveur de la banque conservent leur plein effet pour tous les avantages qui lui reviennent et pourraient même entraîner le paiement du capital dės polices d’assurance, s’il écheoit du vivant du mari.

Le jugement de la Cour du Banc du Roi va trop loin en annulant ces transports dans leur entier et en ordonnant à la banque de livrer et remettre à l’intimée les polices dont il s’agit dans les quinze jours de la signification du jugement, ou, à défaut par elle de ce faire dans ce délai, en la condamnant à payer à l’intimée la somme de $4,000 avec dépens. Ce jugement doit être modifié.

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Les transports sont annulés quant à ľintimée seulement. En conséquence, ľappelante a le droit de garder les polices d’assurance et ne peut être appelée à payer la somme de $4,000 si elle ne les remet pas à ľintimée. Nous ne voyons pas bien, d’ailleurs, la raison de cette condamnation alternative de $4,000. La possession d’une police d’assurance n’emporte pas en soi le droit au paiement du montant de l’assurance. Les polices, en l’espèce, ne sont que des documents qui prouvent les contrats. Le montant de l’assurance est payable à la personne que ces contrats désignent, quel que soit celui qui a les polices en sa possession. En vertu de ces contrats, c’est The Ætna Life Insurance Company qui doit payer la somme de $4,000. Au moyen des transports, les bénéficiaires lui avaient indiqué de payer à la Banque Nationale. Le résultat du présent jugement est tout simplement que cette indication de paiement est annulée quant à l’intimée. Les droits de cette dernière pourront être sauvegardés à l’égard de la compagnie d’assurance par la signification du jugement, si toutefois elle n’est pas suffisamment liée par suite du fait qu’elle est mise-en-cause.

Cette modification n’entraîne pas de changement dans l’adjudication des frais faite par la Cour du Banc du Roi; mais l’intimée devra payer les frais d’appel devant cette cour.

Appeal allowed in part with costs.

Solicitors for the appellant: Taschereau, Parent, Taschereau & Cannon.

Solicitors for the respondent: Prévost, Taschereau & Bresse.



[1] (1929) Q.R. 47 K.B. 104.

[2] [1927] Can. S.C.R. 193, at p. 197.

[3] (1913) 19 R.L.n.s. 16.

[4] Q.R. 51 S.C. 152.

[5] (1887) 15 Can. S.C.R. 325.

[6] [1927] S.C.R. 563.

[7] [1927] Can. S.C.R. 193.

[8] L.R. 1 С.C.R. 90, at p. 95.

[9] Q.R. 13 К.B. 281; [1904] A.C. 94.

[10] 15 Can. S.C.R. 325.

[11] [1927] Can. S.C.R. 563.

[12] [1913] A.C. 107.

[13] [1927] Can. S.C.R. 193, at p. 197.

[14] [1927] Can. S.C.R. 563, at p. 570.

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