Jugements de la Cour suprême

Informations sur la décision

Contenu de la décision

  

 

COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Borowiec, 2016 CSC 11, [2016] 1 R.C.S. 80

Appel entendu : 20 janvier 2016

Jugement rendu : 24 mars 2016

Dossier : 36585

 

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

 

et

 

Meredith Katharine Borowiec

Intimée

 

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario,

Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes inc. et

Criminal Lawyers’ Association of Ontario

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 49)

Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Brown)

 

 

 


R. c. Borowiec, 2016 CSC 11, [2016] 1 R.C.S. 80

Sa Majesté la Reine                                                                                        Appelante

c.

Meredith Katharine Borowiec                                                                          Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes inc. et

Criminal Lawyers’ Association of Ontario                                              Intervenants

Répertorié : R. c. Borowiec

2016 CSC 11

No du greffe : 36585.

2016 : 20 janvier; 2016 : 24 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Brown.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Droit criminel — Infanticide — Éléments de l’infraction — Accusée déclarée coupable d’infanticide eu égard à ses nouveau‑nés décédés — Disposition pénale portant qu’une femme commet le crime d’infanticide lorsque, par un acte ou une omission volontaire, elle cause la mort de son enfant nouveau‑né alors qu’elle n’est pas complètement remise d’avoir donné naissance à l’enfant et si, de ce fait ou par suite de la lactation conséquente à la naissance de l’enfant, son esprit est alors déséquilibré — Sens juridique de la proposition « son esprit est alors déséquilibré » — Le juge du procès a-t-il omis d’appliquer la norme juridique établie par le libellé de la disposition et d’apprécier la preuve de l’état d’esprit de l’accusée? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 233 .

                    En octobre 2010, un enfant nouveau‑né a été trouvé en pleurs dans une benne à ordures. B a avoué avoir donné naissance à l’enfant. Elle a avoué par la suite avoir donné naissance à deux autres bébés, en 2008 et 2009 respectivement, et les avoir laissés tous deux dans une benne à ordures. B a été accusée de deux chefs de meurtre au deuxième degré eu égard aux nouveau‑nés décédés. Le juge du procès a acquitté B des accusations de meurtre et l’a déclarée coupable de deux chefs d’infanticide. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel formé par le ministère public.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    L’infanticide est une forme d’homicide coupable qui s’applique dans les circonstances très restreintes où (1) une mère, par un acte ou une omission volontaire, cause la mort de son enfant nouveau‑né et où (2) au moment de l’acte ou de l’omission, l’esprit de la mère est « déséquilibré » soit parce qu’elle n’est pas complètement remise d’avoir donné naissance ou du fait de la lactation. 

                    La question du sens de la proposition « son esprit est alors déséquilibré » en est une d’interprétation législative. Le sens ordinaire et grammatical des mots, leur place dans le Code criminel , l’historique législatif de la disposition et son évolution, de même que la jurisprudence qui a interprété la proposition « son esprit est alors déséquilibré », n’appuient pas la conclusion selon laquelle le législateur voulait limiter l’application du concept d’esprit déséquilibré aux personnes atteintes d’« un grave trouble psychologique ». La proposition « son esprit est alors déséquilibré » doit plutôt être ainsi appliquée : a) le mot « déséquilibré » n’est pas un terme juridique ou médical technique; il faut plutôt l’appliquer dans son sens ordinaire et grammatical; b) lorsqu’il s’agit de déterminer si un esprit est déséquilibré, ce mot peut vouloir dire « mentalement agité », « mentalement instable » ou « frappé de confusion mentale »; c) le déséquilibre n’a pas à constituer un trouble mental ou psychologique défini ou encore une maladie mentale; il n’a pas non plus à constituer un « trouble mental » au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 16  du Code criminel  ni ne suppose un affaiblissement important des facultés de raisonnement de l’accusée; d) le déséquilibre doit être présent au moment de l’acte ou de l’omission causant la mort de l’enfant nouveau‑né et cet acte ou cette omission doit survenir à un moment où l’accusée n’est pas complètement remise d’avoir donné naissance ou de la lactation; e) il n’est pas nécessaire de prouver que l’acte ou l’omission découle du déséquilibre, lequel fait partie de l’actus reus de l’infanticide et non pas de sa mens rea; f) le déséquilibre doit avoir résulté « du fait » que l’accusée n’était pas complètement remise d’avoir donné naissance ou de la lactation consécutive à la naissance de l’enfant.

                    Le juge du procès, se fondant sur l’avis de l’experte de la défense et sur l’ensemble de la preuve, a conclu que l’esprit de B était « déséquilibré » du fait qu’elle n’était toujours pas complètement remise d’avoir donné naissance. Le résumé du droit de l’infanticide qu’a fait le juge du procès ne contenait aucune erreur. Vu son appréciation de la preuve, le juge du procès pouvait conclure que l’esprit de B était « déséquilibré » au moment des infractions malgré les indices de comportement rationnel et d’aveuglement volontaire; il pouvait aussi avoir un doute raisonnable à cet égard.

Jurisprudence

                    Arrêt approuvé : R. c. L.B., 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365, conf. (2008), 237 C.C.C. (3d) 215, autorisation d’appel refusée, [2011] 3 R.C.S. x; arrêts mentionnés : R. c. Coombs, 2003 ABQB 818, 343 A.R. 212; R. c. Guimont (1999), 33 C.R. (5th) 160; R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871; R. c. Leung, 2014 BCSC 558.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 2  « enfant nouveau‑né » ou « nouveau‑né », « troubles mentaux », 16, 233, 663b), 672.11c).

Code criminel, S.C. 1953‑54, c. 51, art. 204.

Code criminel , S.R.C. 1927, c. 36, art. 262.

Coroners and Justice Act 2009 (R.‑U.), c. 25, art. 57.

Infanticide Act, 1922 (R.‑U.), 12 & 13 Geo. 5, c. 18, art. 1(1).

Infanticide Act, 1938 (R.‑U.), 1 & 2 Geo. 6, c. 36, art. 1(1).

Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1948, c. 39, art. 7.

Doctrine et autres documents cités

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. V, 4e sess., 20e lég., 14 juin 1948, p. 5329‑5332.

Davies, D. Seaborne. « Child‑Killing in English Law » (1937), 1 Mod. L. Rev. 203.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.

Grand Robert de la langue française, 2e éd., Paris, Le Robert, 2001, « déséquilibré ».

Oxford English Dictionary, 2nd ed., Oxford, Clarendon Press, 1989, « disturbed ».

Royaume‑Uni. House of Lords. Hansard, series 5, vol. 50, May 25, 1922, pp. 758‑59, 761‑62, 765 and 768 (en ligne : http://hansard.millbanksystems.com/lords/1922/may/25/child-murder-trial-bill).

 

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Côté, McDonald et Wakeling), 2015 ABCA 232, 21 Alta. L.R. (6th) 301, 326 C.C.C. (3d) 438, 22 C.R. (7th) 132, [2015] A.J. No. 752 (QL), 2015 CarswellAlta 1237 (WL Can.), qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusée pour infanticide. Pourvoi rejeté.

                    Julie Morgan et Joanne Dartana, pour l’appelante.

                    Andrea L. Serink et Alias Amelia Sanders, pour l’intimée.

                    Jocelyn Speyer, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Jessica Orkin, Kim Stanton et Frances Mahon, pour l’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes inc.

                    Jonathan Dawe et Michael Dineen, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Cromwell —

I.              Introduction

[1]                              En l’espèce, nous sommes appelés à étudier un aspect particulièrement sombre du droit criminel, le droit de l’infanticide. Aux termes de l’art. 233  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46  (« C. cr. »), « [u]ne personne de sexe féminin commet un crime d’infanticide lorsque, par un acte ou une omission volontaire, elle cause la mort de son enfant nouveau‑né, si au moment de l’acte ou de l’omission elle n’est pas complètement remise d’avoir donné naissance à l’enfant et si, de ce fait ou par suite de la lactation consécutive à la naissance de l’enfant, son esprit est alors déséquilibré ». Le nœud du pourvoi réside dans le sens juridique de la proposition « son esprit est alors déséquilibré », qui n’est pas définie dans le Code criminel  et au sujet de laquelle la jurisprudence donne peu d’explications.

[2]                              À mon avis, le législateur voulait donner à la notion d’esprit « déséquilibré » dans le contexte de cette infraction son sens ordinaire, pour qu’elle constitue une norme juridique générale et souple qui sert l’intérêt de la justice dans les circonstances particulières de ces cas difficiles. Bien que nous puissions donner quelques précisions aux juges de première instance et aux jurés, le reste est laissé, par les soins du législateur, à leur bon jugement.

II.           Aperçu des faits, questions en litige et historique judiciaire

[3]                              En octobre 2010, un enfant nouveau‑né a été trouvé en pleurs dans une benne à ordures. L’intimée, qui était assise à proximité, a admis avoir donné naissance à l’enfant. Elle a avoué par la suite avoir donné naissance à deux autres bébés, en 2008 et 2009 respectivement, et les avoir laissés tous deux dans une benne à ordures.

[4]                              L’intimée a été accusée de deux chefs de meurtre au deuxième degré eu égard aux nouveau‑nés décédés. Deux experts ont été cités à témoigner au procès et ont exprimé des opinions opposées sur la question de savoir si l’esprit de l’intimée était déséquilibré au moment où les infractions ont été commises.

[5]                              Le Dr Kenneth Hashman, cité par le ministère public, s’est dit d’avis que l’intimée n’était pas [traduction] « mentalement déséquilibrée » — expression qui figure à l’al. 672.11c) du C. cr. — au moment où les infractions auraient été commises en 2008 et 2009. La Dre Jeannette Smith, citée par la défense, a conclu pour sa part que les gestes de l’intimée s’expliquaient par le déséquilibre de son esprit du fait qu’elle n’était toujours pas complètement remise d’avoir donné naissance.

[6]                              Au procès et en appel, la principale question était celle de savoir si la preuve soulevait un doute raisonnable quant à savoir si l’esprit de l’intimée, au moment où ont été posés les actes qui ont entraîné la mort des enfants, était déséquilibré parce qu’elle n’était pas complètement remise d’avoir donné naissance ou par suite de la lactation.

[7]                              Le juge du procès a donné foi à l’opinion de la Dre Smith. En rejetant celle du Dr Hashman, il a noté que l’expert avait omis de faire référence dans son rapport final à un [traduction] « important symptôme » (soit que l’intimée avait souffert d’une « dépersonnalisation avancée » dont témoignent ses déclarations selon lesquelles elle n’avait « aucune maîtrise » de ses gestes et qu’elle « avait observé » son propre corps « de l’extérieur »). Selon le juge du procès, le DHashman avait en outre mal appliqué le terme « mentalement déséquilibré » qui figure à l’al. 672.11c) du C. cr., en plus, enfin, d’exiger que l’intimée souffre d’un trouble mental pour que son esprit ait été déséquilibré.

[8]                              Outre l’opinion de la Dre Smith, le juge du procès a examiné le dossier dans son ensemble, y compris le fait que l’intimée n’avait ni antécédents judiciaires ni tendances psychopathes ou sociopathes. Le juge du procès a conclu que, compte tenu de l’opinion de la Dre Smith ainsi que des [traduction] « gestes bizarres » posés par l’intimée, l’esprit de cette dernière était déséquilibré par suite des naissances. En conséquence, il a conclu que le ministère public n’avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que l’esprit de l’intimée n’était pas déséquilibré. Le juge du procès a donc acquitté l’intimée des accusations de meurtre et l’a déclarée coupable de deux chefs d’infanticide.

[9]                              Quant à l’appel formé par le ministère public contre l’acquittement prononcé au terme du procès, la Cour d’appel a été partagée. Les juges majoritaires ont maintenu les acquittements quant aux chefs de meurtre au deuxième degré. Les juges Côté et McDonald, qui ont rédigé l’opinion majoritaire, ont conclu que le législateur avait délibérément défini l’infanticide en termes vagues et qu’il souhaitait fixer un [traduction] « critère très peu exigeant » en utilisant le terme « déséquilibré » : 2015 ABCA 232, 21 Alta. L.R. (6th) 301, par. 45, citant R. c. Coombs, 2003 ABQB 818, 343 A.R. 212, par. 32 et 37. Les juges majoritaires ont également conclu que, même si l’art. 233 ne fait pas référence à une accusée [traduction] « mentalement déséquilibrée », il était improbable que le législateur ait voulu une différence significative entre cette formulation et l’expression « esprit déséquilibré » qui figure à l’art. 233 : par. 50. Même si le juge du procès avait eu tort sur ce point, les juges majoritaires ont ultimement conclu qu’il n’avait commis aucune erreur dans son analyse du droit de l’infanticide et ont rejeté l’appel.

[10]                          Le juge Wakeling, dissident, a jugé pour sa part qu’une femme n’a l’esprit « déséquilibré » que si sa santé psychologique est gravement compromise du fait qu’elle a donné naissance peu de temps auparavant et qu’elle doit prendre soin d’un nouveau‑né et que, en conséquence, sa capacité de prendre des décisions rationnelles dans l’intérêt de son enfant est considérablement affaiblie. Le juge Wakeling a conclu que le juge du procès et les experts n’avaient pas appliqué cette norme (ou quelque autre norme que ce soit) et il était d’avis d’accueillir l’appel et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

[11]                          La principale question en litige dans l’appel subséquent interjeté devant la Cour est celle du sens juridique de la proposition « son esprit est alors déséquilibré ». Je situerai tout d’abord cette question dans le contexte du droit de l’infanticide, puis traiterai du sens à lui donner.

III.        Analyse

A.           Aperçu du droit de l’infanticide

[12]                          Le droit de l’infanticide a été examiné de fond en comble par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. L.B., 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365, demande d’autorisation d’appel refusée, [2011] 4 R.C.S. x. Je n’ai pour ma part qu’à en résumer les conclusions principales.

[13]                          Défini à l’art. 233 du C. cr., l’infanticide est une forme d’homicide coupable qui s’applique dans les circonstances très restreintes où (1) une mère, par un acte ou une omission volontaire, cause la mort de son enfant nouveau‑né (de moins d’un an, selon la définition qu’en donne l’art. 2 du C. cr. sous l’entrée « enfant nouveau‑né ou nouveau‑né ») et où (2) au moment de l’acte ou de l’omission, l’esprit de la mère est « déséquilibré » soit parce qu’elle n’est pas complètement remise d’avoir donné naissance ou du fait de la lactation : L.B., par. 58.

[14]                          Selon cette définition, [traduction] « il doit exister une relation mère‑enfant entre la victime et l’auteure du crime » : L.B., par. 59. De plus, « l’esprit de [cette dernière], soit la mère, doit être déséquilibré et ce déséquilibre doit être lié aux effets de l’accouchement ou de la lactation » : ibid. « Pour être en présence d’un infanticide, il n’est pas nécessaire qu’il existe un lien de cause à effet entre le déséquilibre de l’esprit de la mère et la décision de poser le geste qui cause la mort de l’enfant » : ibid.; R. c. Guimont (1999), 33 C.R. (5th) 160 (C.A. Qc), p. 162-163. Le déséquilibre fait partie intégrante de l’actus reus de l’infraction et non de sa mens rea : L.B., par. 59.

[15]                          L’infanticide peut constituer à la fois une infraction autonome et, comme en l’espèce, une défense partielle en réponse à une accusation de meurtre : L.B., par. 99 et 104; Guimont, p. 165. Lorsque la preuve donne une vraisemblance à la défense d’infanticide, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable qu’elle ne s’applique pas : L.B., par. 137.

[16]                          La mens rea de l’infanticide est la même que celle requise pour conclure à la perpétration d’un homicide involontaire : L.B., par. 114. Ainsi, [traduction] « pour faire la preuve d’un infanticide, le ministère public doit établir la mens rea associée à l’acte illégal qui a causé la mort de l’enfant ainsi que la prévisibilité objective du risque que l’enfant subisse des lésions corporelles par suite de l’agression » : ibid., par. 121. Comme l’a souligné la Cour d’appel, c’est « l’actus reus unique de l’infanticide qui le distingue du meurtre et de l’homicide involontaire » : ibid.

[17]                          Lorsque l’infanticide est invoqué à titre de défense partielle en réponse à une accusation de meurtre ou d’homicide involontaire, le jury doit être instruit tel qu’il est énoncé dans L.B., par. 139. Si le ministère public prouve que l’accusée a commis un homicide coupable, le jury doit examiner la nature de cet homicide et se demander s’il s’agit d’un infanticide. Si le ministère public ne parvient pas à prouver l’inexistence d’au moins un des éléments constitutifs de l’infanticide hors de tout doute raisonnable, le juge du procès doit donner comme directive au jury de déclarer l’accusée non coupable de meurtre, mais coupable d’infanticide : ibid.

B.            L’esprit déséquilibré

[18]                          La question du sens de la proposition « son esprit est alors déséquilibré » en est une d’interprétation législative. Pour y répondre, nous appliquons l’approche « moderne » souvent reprise qui consiste à interpréter les mots dans leur [traduction] « contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » : E. A. Driedger, Construction of Statutes (2éd. 1983), p. 87. Je vais donc me pencher sur le sens ordinaire et grammatical des mots, sur leur place dans le Code criminel , sur l’historique législatif de la disposition et sur son évolution. Enfin, j’analyserai la jurisprudence qui a interprété cette proposition.

(1)           Sens ordinaire et grammatical

[19]                          L’adjectif « déséquilibré » signifie « [q]ui n’a pas ou n’a plus son équilibre mental, psychique » : Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 2001), p. 1344.

[20]                          La version anglaise de la disposition législative prévoit qu’une femme commet un infanticide « if at the time of the act or omission she is not fully recovered from the effects of giving birth to the child and by reason thereof or of the effect of lactation consequent on the birth of the child her mind is then disturbed ». Selon The Oxford English Dictionary (2e éd. 1989), p. 872, « disturbed » signifie : « [d]isquieted; agitated; having the settled state, order, or position interfered with » et « emotionally or mentally unstable or abnormal ».

[21]                          Le sens ordinaire et grammatical des mots employés à l’art. 233 permet de conclure que le législateur n’entendait pas restreindre la possibilité de porter des accusations d’infanticide aux situations où la santé psychologique de la femme a été gravement compromise ou à celles dans lesquelles des troubles mentaux ont été établis.

[22]                          Le libellé de la disposition démontre également qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un lien de causalité entre le déséquilibre de l’esprit de l’accusée et l’acte ou l’omission entraînant la mort de l’enfant. Par contre, il doit y avoir un lien entre le déséquilibre et le fait que l’accusée ne soit pas complètement remise d’avoir donné naissance à l’enfant ou de la lactation consécutive à la naissance de l’enfant; dans les deux cas, le déséquilibre doit résulter « de ce fait ».

(2)           Contexte législatif

[23]                          La notion d’esprit « déséquilibré » est propre à l’infanticide et n’apparaît nulle part ailleurs dans le Code criminel . Sur le plan conceptuel, la notion d’esprit « déséquilibré » doit se distinguer de celle de « troubles mentaux » — dont il est question à l’art. 16 du C. cr. —, lesquels, lorsqu’ils sont établis selon la prépondérance des probabilités, peuvent entraîner un verdict de non‑responsabilité criminelle. L’esprit déséquilibré doit également se distinguer de l’automatisme sans aliénation mentale qui fait de l’acte de l’accusé un geste involontaire : R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871, p. 896.

[24]                          Nous pouvons déduire de ce qui précède que le déséquilibre dont il est question dans les dispositions sur l’infanticide n’a pas à être grave au point de fournir le moyen de défense visé à l’art. 16 du C. cr., c’est‑à‑dire résulter de troubles mentaux (définis comme étant « [t]oute maladie mentale » à l’art. 2 du C. cr.) qui rendent l’accusée incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était répréhensible. Nous pouvons aussi en déduire que le volet de l’infanticide relatif au déséquilibre n’exige pas que les actes ou omissions de l’accusée soient involontaires, contrairement à ce que requiert l’automatisme.

(3)           Historique et évolution de la loi

[25]                          L’article 233 du C. cr. tire son origine de la loi anglaise Infanticide Act, 1922 (R.‑U.), 12 & 13 Geo. 5, c. 18. Cette loi a été remplacée par l’Infanticide Act, 1938 (R.‑U.), 1 & 2 Geo. 6, c. 36, qui, elle, a été modifiée en 2010 par la Coroners and Justice Act 2009 (R.-U.), c. 25, art. 57.

[26]                          L’Infanticide Act, 1922 a instauré la nécessité qu’[traduction] « au moment de l’acte ou de l’omission [la mère] ne s’était pas complètement remise d’avoir donné naissance à cet enfant et que, de ce fait, son esprit était alors déséquilibré » : par. 1(1). L’Infanticide Act, 1938 a introduit des modifications qui sont toujours en vigueur aujourd’hui, notamment la disposition aux termes de laquelle [traduction] « l’esprit de la [mère] » peut être « déséquilibré du fait qu’elle ne s’est pas complètement remise d’avoir donné naissance à l’enfant ou par suite de la lactation consécutive à la naissance de l’enfant » : par. 1(1).

[27]                          L’Infanticide Act, 1922 a été adoptée pour remédier à la réticence des juges et des jurys à reconnaître coupable de meurtre une mère qui avait tué son nouveau‑né, étant donné qu’elle risquait forcément la peine de mort : House of Lords, Hansard, series 5, vol. 50, 25 mai 1922 (en ligne) (le « Child Murder (Trial) Bill »), p. 758-759; voir aussi D. Seaborne Davies, « Child‑Killing in English Law » (1937), 1 Mod. L. Rev. 203, p. 211 et 217-219; et L.B., par. 67‑68. Les conditions dans lesquelles survenait l’infraction d’infanticide suscitaient énormément de sympathie au sein du public. On estimait qu’il s’agissait d’un crime commis la plupart du temps par des [traduction] « mères illégitimes » tentant de dissimuler leur honte, un motif qui, de l’avis général, rendait le crime moins odieux. En outre, on reconnaissait que les auteures d’infanticides éprouvaient souvent des difficultés financières qui les avaient amenées à passer à l’acte : Davies, p. 221-222.

[28]                          Les rédacteurs de l’Infanticide Act, 1922 l’ont délibérément formulée en termes généraux. À la Chambre des lords, le lord chancelier a fait remarquer que les mots exprimant la nécessité que l’esprit de la mère soit déséquilibré n’étaient [traduction] « pas des termes techniques ». Les notions désignées par ces « néologismes » étaient plutôt censées se distinguer de celles visées par les mots « réservés à l’expression consacrée “aliénation mentale” proprement dite et des troubles mentaux causés par l’ivresse ». Il a en outre précisé qu’il valait mieux établir une formule « qui pourrait se traduire par des décisions judiciaires raisonnables » et donnerait effet à l’intention qui sous‑tend la loi proposée : Child Murder (Trial) Bill, p. 761-762.

[29]                          Les termes employés supposaient cependant l’application de certaines restrictions. Lord Carson a recommandé que la loi n’offre pas de voie de recours à n’importe quelle femme ayant donné naissance. La loi devait plutôt s’appliquer dans des situations où la preuve montrait que [traduction] « le crime, au moment de sa perpétration, était imputable au déséquilibre de l’esprit de [la mère] » : Child Murder (Trial) Bill, p. 765. Le lord chancelier a reconnu qu’il fallait établir « un trouble et un déséquilibre exceptionnels » : p. 768.

[30]                          Au Canada, l’infanticide est apparu pour la première fois dans le Code criminel  en 1948 : Code criminel , S.R.C. 1927, c. 36, art. 262, modifié par la Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1948, c. 39, art. 7. Dans la version anglaise de la loi, le législateur a repris le terme « balance of the mind » employé dans l’Infanticide Act, 1922. Les dispositions en matière d’infanticide ont été modifiées en 1954 : Code criminel, S.C. 1953-54, c. 51. Le législateur a notamment substitué au terme « balance of the mind », dans la version anglaise de la loi, la règle selon laquelle l’esprit de la mère doit être « then disturbed » et a ajouté la lactation, en plus du fait de donner naissance, comme cause éventuelle de cet état : art. 204. Bien que les mots anglais « balance of the mind » figurent encore dans d’autres dispositions de la version anglaise du Code criminel  relatives à l’infanticide, à savoir les al. 663b) et 672.11c), il n’y a aucune différence marquante entre ces mots et l’exigence énoncée à l’art. 233 du C. cr. que l’esprit de la mère « [be] then disturbed ». Dans les versions françaises des dispositions successives pertinentes du Code criminel , les expressions équivalentes en cause se sont lues ou se lisent « son esprit était alors déséquilibré » (dans la disposition sur l’infanticide de la loi de 1927 de même qu’à l’al. 663b) du C. cr.), « son esprit est alors déséquilibré » (dans la disposition sur l’infanticide de la loi de 1954) et « mentalement déséquilibrée » (à l’al. 672.11c) du C. cr.). Là encore, j’estime que les expressions utilisées par le législateur ont toutes servi à désigner essentiellement l’état d’esprit requis de la mère.

[31]                          Les préoccupations à l’origine de l’Infanticide Act, 1922 au R.‑U. se sont aussi révélés des facteurs mobilisateurs au Canada. En effet, des jurys sympathiques ont maintes fois refusé de déclarer coupables des mères qui avaient tué leurs enfants nouveau‑nés. La disposition sur l’infanticide devait permettre d’obtenir plus facilement une condamnation lorsqu’il s’agissait d’homicide, mais non de meurtre ni d’homicide involontaire : Débats de la Chambre des communes, vol. V, 4e sess., 20e lég., 14 juin 1948, p. 5329-5332.

[32]                          Les procès‑verbaux des débats indiquent aussi que, comme la loi du R.‑U., la disposition devait s’appliquer « lorsque la confusion mentale ne va pas jusqu’à la folie » et que « [c]ela ne va pas aussi loin que le jugement rendu dans l’affaire MacNaughton [qui établit un critère juridique d’aliénation] » : Débats de la Chambre des communes, p. 5330 (l’honorable J. L. Ilsley, alors ministre de la Justice). On a ajouté que la disposition s’appliquerait à « une mère en détresse et quelque peu troublée » qui se rendrait autrement coupable de meurtre : p. 5332.

[33]                          Les débats au R.‑U. et au Canada entourant l’adoption des dispositions sur l’infanticide démontrent que la disposition en cause avait pour objet de créer une infraction moins grave que le meurtre dans les cas d’infanticide et de fixer une norme générale et souple qui s’appliquerait au cas par cas.

(4)           La jurisprudence

[34]                          L’infanticide et, en particulier, le sens du fait d’avoir l’esprit « déséquilibré » au moment de commettre l’acte ou l’omission menant à la mort de l’enfant, a été peu étudié dans la jurisprudence tant anglaise que canadienne. Cela dit, d’après cette dernière, le critère applicable pour conclure à l’existence d’un déséquilibre mental est [traduction] « très peu exigeant » ou « assez peu exigeant » et ne nécessite pas la preuve que l’accusée souffre de troubles mentaux : Coombs, par. 36-37; R. c. Leung, 2014 BCSC 558, par. 26 et 32 (CanLII); R. c. L.B. (2008), 237 C.C.C. (3d) 215 (C.S.J. Ont.), par. 59, conf. par 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365 (dans cette affaire, toutefois, le juge du procès a précisé que la norme ne doit pas être minimale au point de déconsidérer la mémoire de l’innocente victime ou de lui manquer de respect). Dans Leung, le jury avait aussi reçu la directive de donner au mot « déséquilibré » qui figure à l’art. 233 son sens ordinaire et commun : voir m.a., par. 80 (note de bas de page 119).

C.            Conclusion sur le sens de la proposition « son esprit est alors déséquilibré »

[35]                          L’examen auquel je viens de procéder m’empêche de retenir la conclusion du juge dissident de la Cour d’appel selon laquelle le législateur voulait limiter l’application du concept d’esprit déséquilibré aux personnes atteintes d’[traduction] « un grave trouble psychologique » : par. 140. Je conclus plutôt que la proposition « son esprit est alors déséquilibré » doit être ainsi appliquée :

a)            Le mot « déséquilibré » n’est pas un terme juridique ou médical technique; il faut plutôt l’appliquer dans son sens ordinaire et grammatical.

b)            Lorsqu’il s’agit de déterminer si un esprit est déséquilibré, ce mot peut vouloir dire « mentalement agité », « mentalement instable » ou « frappé de confusion mentale ».

c)            Le déséquilibre n’a pas à constituer un trouble mental ou psychologique défini ou encore une maladie mentale. Il n’a pas à constituer un « trouble mental » au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 16 du C. cr., ni ne suppose un affaiblissement important des facultés de raisonnement de l’accusée.

d)            Le déséquilibre doit être présent au moment de l’acte ou de l’omission causant la mort de l’enfant nouveau‑né et cet acte ou cette omission doit survenir à un moment où l’accusée n’est pas complètement remise d’avoir donné naissance ou de la lactation.

e)            Il n’est pas nécessaire de prouver que l’acte ou l’omission découle du déséquilibre, qui fait partie de l’actus reus de l’infanticide et non pas de sa mens rea.

f)            Le déséquilibre doit avoir résulté « du fait » que l’accusée n’était pas complètement remise d’avoir donné naissance ou de la lactation consécutive à la naissance de l’enfant.

D.           Application

(1)           Les motifs du juge du procès

[36]                          Le juge du procès a examiné la jurisprudence peu abondante sur l’infanticide et la définition de l’esprit « déséquilibré », qui établit notamment que, pour être en présence d’un tel esprit, il n’est pas nécessaire qu’un diagnostic de trouble mental ait été posé et elle fixe un critère très peu exigeant.

[37]                          Le juge du procès a rejeté le témoignage du Dr Hashman, estimant que l’expert du ministère public avait fait erreur dans son rapport final en mentionnant le test de l’accusée « mentalement déséquilibrée », en exigeant la preuve de troubles mentaux et en ne parlant pas d’un symptôme important décrit par l’intimée qui étayait la thèse de la dépersonnalisation et de la dissociation mentale, même s’il en avait fait mention dans sa correspondance antérieure.

[38]                          La Dre Smith, en revanche, a mentionné dans son rapport les fois où l’intimée avait décrit comment elle s’était sentie lors des accouchements ainsi que les renseignements semblables qu’elle avait fournis aux policiers sur son état émotionnel. Par exemple, elle a fait remarquer que l’intimée avait dit se sentir [traduction] « coupée de la réalité et ne pas penser », comme si elle « rêvait tout en étant absente » et avait affirmé que les accouchements s’étaient passés « hors de son corps » : d.a., vol. VI, p. 93. Selon la Dre Smith, ces propos « cadraient tout à fait avec une dissociation mentale et une dépersonnalisation » : p. 93-94. Au procès, elle a également parlé des descriptions données par l’intimée et a jugé que celles‑ci s’accordaient avec « une dépersonnalisation avancée ».

[39]                          Se fondant sur l’avis de la Dre Smith et sur le dossier considéré dans son ensemble, le juge du procès a conclu que l’esprit de l’intimée était « déséquilibré » du fait qu’elle n’était toujours pas complètement remise d’avoir donné naissance. 

(2)           Les erreurs de droit reprochées au juge du procès

a)              Le juge du procès a-t-il omis d’appliquer un test juridique?

[40]                          Le ministère public soutient que le juge du procès n’a appliqué aucun test juridique pour décider si l’esprit de l’intimée était « déséquilibré » au moment des accouchements. Toujours selon le ministère public, le juge du procès a conclu à tort que l’expression de langue anglaise « balance of the mind » désignait autre chose qu’un « esprit déséquilibré » et n’a pas suggéré en quoi consistait le test ni quel degré de déséquilibre serait suffisant.

[41]                          Je ne suis pas d’accord pour dire que le juge du procès n’a pas appliqué de test ou de norme juridique. Comme l’ont conclu les juges majoritaires de la Cour d’appel, le résumé du droit de l’infanticide qu’a fait le juge du procès ne contenait aucune erreur. Ce dernier a appliqué la bonne norme, soit celle qui est établie par le libellé de l’art. 233 du C. cr. Bien que le juge du procès ait cru à tort qu’il existait une différence marquée entre l’expression anglaise « balance of the mind » figurant dans les dispositions connexes et le libellé de l’art. 233 selon lequel l’esprit de la mère doit être « déséquilibré », cette erreur n’a eu d’incidence ni sur son analyse de la preuve ni sur son application de la bonne norme juridique à cette preuve. Le juge du procès a rejeté le témoignage du Dr Hashman pour plusieurs raisons, y compris son omission de mentionner dans son rapport final un symptôme que le juge du procès estimait important et l’impression que le Dr Hashman exigeait la preuve de troubles mentaux.

[42]                          Le ministère public souhaite que soit imposé un critère plus exigeant que celui établi par l’art. 233 du C. cr. lorsqu’il prétend que la mère ne peut avoir l’esprit « déséquilibré » que si sa santé psychologique est [traduction] « gravement compromise » du fait qu’elle a récemment donné naissance. Comme je l’ai signalé précédemment, il ne s’agit pas de la norme juridique voulue par le législateur en ce qui a trait à l’art. 233 du C. cr.  

b)             Le juge du procès a‑t‑il déduit l’état d’esprit de l’intimée uniquement de sa conduite?

[43]                          Le ministère public affirme que le juge du procès s’est servi de la conduite de l’intimée pour établir son état d’esprit. Autrement dit, il soutient que le juge du procès a adopté un raisonnement circulaire en concluant que l’esprit de l’intimée devait être déséquilibré parce que ses gestes étaient [traduction] « bizarres » et « allaient parfaitement à l’encontre des soins dont a besoin l’espèce humaine pour se reproduire » : m.a., par. 99.

[44]                          Cet argument doit lui aussi être rejeté. Manifestement, le juge du procès n’a pas conclu que le comportement de l’intimée répondait aux exigences de la définition de l’infanticide du simple fait qu’elle avait tué deux de ses enfants. Il s’est appuyé non seulement sur le vécu de l’intimée et sur les circonstances des infractions (ce qui comprend la nature des actes eux‑mêmes), mais également sur l’avis d’expert de la Dre Smith. Ce faisant, le juge du procès disposait d’éléments de preuve lui permettant de conclure que le ministère public n’avait pas démontré que l’esprit de l’intimée n’était pas déséquilibré au moment des infractions et il ne s’est pas fondé sur le raisonnement circulaire que lui impute le ministère public.

c)              Le juge du procès a‑t‑il omis d’apprécier la preuve de l’état d’esprit?

[45]                          Enfin, le ministère public ajoute que le juge du procès n’a pas tenu compte du [traduction] « récit détaillé de chaque naissance donné par l’intimée, du fait qu’elle poursuivait un objectif, de sa situation personnelle outre le fait qu’elle n’avait ni antécédents judiciaires ni tendances psychopathes, ainsi que de ses habitudes de comportement rationnel et d’aveuglement volontaire » lorsqu’il s’est demandé si le niveau de dépersonnalisation satisfaisait à la norme d’infanticide : m.a., par. 103 (en  italique dans l’original). Bref, le ministère public prétend que, par son comportement, l’intimée a fait preuve d’une pensée rationnelle et d’un esprit équilibré.

[46]                          À supposer même que cet argument soulève une question de droit, je ne pourrais le retenir. Le juge du procès a pris en considération le rapport de la Dre Smith, lequel reposait sur les déclarations que l’intimée lui avait faites ainsi qu’à la police au sujet de son comportement, sur le vécu de l’intimée et sur les circonstances des infractions. 

[47]                          La Dre Smith estimait que la [traduction] « panique extrême associée à l’accouchement a fait apparaître des symptômes importants de dissociation, tout particulièrement la dépersonnalisation, ce qui a nui à [l]a capacité [de la prévenue] de penser clairement, d’être consciente de sa situation et d’en juger avec acuité, de prendre des décisions raisonnables et de maîtriser son comportement ». Elle a conclu que l’esprit de l’intimée était déséquilibré du fait que cette dernière n’était pas complètement remise d’avoir donné naissance : d.a., vol. VI, p. 94.

[48]                          Le juge du procès a aussi examiné le dossier dans son ensemble, y compris les faits constitutifs des infractions et le fait que l’intimée n’avait ni antécédents judiciaires ni tendances psychopathes ou sociopathes. Vu son appréciation de la preuve, le juge du procès pouvait conclure que l’esprit de l’intimée était « déséquilibré » au moment des infractions malgré les indices de comportement rationnel et d’aveuglement volontaire; il pouvait aussi avoir un doute raisonnable à cet égard.

IV.        Dispositif

[49]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Pourvoi rejeté.

                    Procureur de l’appelante : Procureur général de l’Alberta, Calgary.

                    Procureurs de l’intimée : Serink Law Office, Calgary; Alias Amelia Sanders, Calgary.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes inc. : Goldblatt Partners, Toronto; Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes inc., Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Dawe & Dineen, Toronto.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.