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Cour suprême du Canada

Droit criminelMeurtreRéduction possible à homicide involontaire coupableNégligence criminelleDirectives adéquates données au juryCode criminel, art. 212.

Lappelant a été déclaré coupable du meurtre non qualifié de son épouse, tuée dun coup de carabine. La Cour dappel de lOntario a confirmé le verdict. Un pourvoi est interjeté devant cette Cour, sur autorisation. Lappelant prétend que le juge du procès na pas donné au jury des directives appropriées sur la question de lhomicide involontaire coupable, alors que le décès était imputable à la négligence criminelle de lappelant en déchargeant une carabine.

Arrêt (le juge Spence étant dissident): Le pourvoi doit être rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré: Nous sommes daccord avec les motifs de la Cour dappel. Nous souscrivons à sa conclusion quaucune preuve valable ne permettait au jury daccepter la théorie que le décès était imputable à une négligence criminelle, alors que ce moyen navait pas été avancé au procès.

Le juge Spence, dissident: Même si la défense au procès était uniquement fondée sur largument que la décharge de larme à feu était un pur accident, le juge était tenu de traiter convenablement de toute autre façon denvisager les faits qui pourraient résulter de la preuve et qui réduiraient linfraction dun meurtre à un homicide involontaire coupable. La preuve révélait que (1) laccusé avait fréquemment été négligent dans le maniement dune arme à feu et (2) quil avait beaucoup bu, ce qui a amené le juge du procès à laisser au jury la possibilité de rendre un verdict dhomicide involontaire coupable, mais seulement si le jury concluait que laccusé avait intentionnellement déchargé la carabine, mais quen raison de son ivresse, il était incapable de former lintention nécessaire. La même ivresse qui justifierait le jury à réduire un meurtre à un homicide involontaire

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coupable, rendrait plus probable la négligence criminelle dans le cas dun homicide involontaire. Le pourvoi devrait être accueilli, la déclaration de culpabilité annulée et un nouveau procès devrait être ordonné.

[Arrêts mentionnés: Mancini v. Director of Public Prosecutions (1941), 28 Cr. App. R. 65; Kelsey v. R., [1953] 1 R.C.S. 220.]


POURVOI interjeté dun arrêt de la Cour dappel de lOntario, rejetant lappel dune déclaration de culpabilité prononcée par le juge OLeary et un jury sur une accusation de meurtre non qualifié. Pourvoi rejeté, le juge Spence étant dissident.

Edward L. Greenspan, pour lappelant.

J. David Watt, pour lintimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Judson, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE RITCHIECe pourvoi, interjeté sur autorisation, attaque un arrêt de la Cour dappel de lOntario qui a confirmé le verdict de culpabilité rendu contre lappelant pour le meurtre non qualifié de son épouse. Le verdict a été prononcé à son procès devant le juge OLeary, siégeant avec jury.

Lavocat de lappelant prétend dans ce pourvoi que le savant juge du procès a erré en droit en ne donnant pas au jury les directives appropriées sur la question de lhomicide involontaire coupable car, selon lui, le décès est imputable à la négligence criminelle de lappelant en déchargeant une carabine.

Je suis daccord avec les motifs de jugement de la Cour dappel, dont jadopte lalinéa suivant:

[TRADUCTION] La prétention que le juge du procès a erré en ne donnant pas au jury les directives appropriées sur linfraction dhomicide involontaire coupable comprise dans linculpation nest pas étayée par la preuve. A notre avis, il ny a aucune preuve valable permettant au jury daccepter la théorie, avancée pour la première fois devant cette Cour par lappelant, que le décès est imputable à une négligence criminelle. Cette théorie relève de la spéculation et la défense na pas le droit de présenter pareille théorie à lexamen du jury. A notre avis, il ny a pas de preuve de négligence criminelle par opposition à un accident.

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En conséquence, je suis davis de rejeter ce pourvoi.

LE JUGE SPENCE (dissident)Ce pourvoi, interjeté sur autorisation, attaque larrêt de la Cour dappel de lOntario, rendu le 12 mars 1975, qui rejetait un appel formé par laccusé contre sa déclaration de culpabilité par le juge OLeary pour meurtre non qualifié, suite au verdict dun jury.


Jai eu le privilège de lire les motifs rédigés par mon collègue le juge Ritchie. Je suis daccord que la seule question qui se pose à cette Cour est de savoir si le savant juge du procès a erré en ne laissant pas au jury la possibilité de prononcer un verdict dhomicide involontaire coupable fondé sur une très grande négligence dans le maniement dune arme à feu. Le savant juge du procès navait laissé au jury la possibilité dun verdict dhomicide involontaire coupable quau cas où le jury conclurait que laccusé avait effectivement déchargé larme à feu, mais que son état divresse lavait rendu incapable de former lintention nécessaire pour quil y ait meurtre au sens de lart. 212 du Code criminel en vigueur à lépoque. Toutefois, avec égards, mon opinion diffère de celle de mon collègue le juge Ritchie qui a considéré que la Cour dappel de lOntario avait eu raison de conclure que le savant juge du procès avait circonscrit à bon droit le verdict possible dhomicide involontaire. La Cour dappel a considéré la théorie selon laquelle le décès de la victime pouvait être imputable à la négligence criminelle de laccusé comme une pure spéculation non étayée par la preuve.

Il est exact que léminent avocat de laccusé sest fondé uniquement sur une tentative de convaincre le jury que la décharge de larme à feu était un pur accident et que, par conséquent, lhomicide ne résultant pas dun acte illégal, laccusé devait être acquitté. Les exposés des avocats au jury ne font pas partie du dossier dappel. Je ne peux donc pas savoir si, après avoir plaidé que larme à feu sétait déchargée accidentellement, lavocat de laccusé a engagé le jury à conclure, même sil trouvait que laccusé avait intentionnellement déchargé larme à feu, que laccusé, vu son état divresse, était incapable de former lintention nécessaire et que, par conséquent, son verdict devrait en être un

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dhomicide involontaire coupable. Indubitablement, le savant juge du procès a très clairement mentionné la possibilité dun verdict sur ce fondement dans ses instructions au jury.

Je ne trouve rien au dossier indiquant que lavocat de laccusé a suggéré quun verdict dhomicide involontaire coupable fondé sur la négligence criminelle, mais involontaire, dans le déchargement de larme à feu devrait être soumis au jury. Il est certain que le savant juge du procès a non seulement négligé de soumettre cette question au jury, mais la exclue dans les termes les plus clairs en disant:


[TRADUCTION] Maintenant, il ressort clairement de la défense, de laccusation et de ce que jai déjà déclaré, quil vous faut dabord décider si ce qui est arrivé était un accident. Si vous concluez quil sagissait dun accident, vous navez plus le choix et votre verdict doit être lacquittement. Si vous êtes convaincus, au-delà de tout doute raisonnable, que le coup de fusil nétait pas accidentel, mais quil était intentionnel, il vous restera à décider si votre verdict doit être coupable de meurtre ou dhomicide involontaire coupable.

Dans ce cas particulier, une seule chose peut vous amener à conclure à lhomicide involontaire coupable. Si vous décidez que lhomicidele coup de fusilétait intentionnelil vous restera encore à examiner si la défense divresse sapplique. La défense divresse réduira seulement le meurtre à un homicide involontaire coupable.

Depuis la décision du vicomte Simon, lord Chancelier, dans Mancini v. Director of Public Prosecutions[1], à la p. 72, il ne fait pas de doute que cest le devoir du juge du procès, même si la défense a fait valoir une théorie autre, et peut-être même contradictoire, [TRADUCTION] «de traiter convenablement de toute autre façon denvisager les faits qui pourrait raisonnablement résulter de la preuve et qui réduirait linfraction dun meurtre à un homicide involontaire coupable». La règle formulée par le lord Chancelier sapplique à [TRADUCTION] «dautres façons denvisager les faits qui pourraient raisonnablement résulter de la preuve» comme la dit cette Cour dans Kelsey c. La Reine[2]. Dailleurs, on a souvent répété quon ne pouvait

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prétendre à une telle directive que sil y avait au dossier une preuve susceptible de lappuyer. En lespèce, la Cour dappel, comme je lai dit, est davis que pareille théorie relève de la pure spéculation et nest pas fondée sur la preuve.


Je ne puis conclure en ce sens. Il est prouvé que les époux ont vécu ensemble pendant de nombreuses années et ont, ensemble, exploité une entreprise de nettoyage. Il ressort du témoignage de leurs deux fils adultes que le ménage de leurs parents était normal, sans vraies querelles, bien que lun des fils, Jean-Claude Charbonneau, ait sous-entendu que laccusé, quand il était ivre, avait tendance à se disputer avec son épouse. Le témoignage assez vague de ce fils pouvait laisser entendre que vers 9h, dans la matinée du décès, laccusé avait frappé son épouse avec un cendrier et lavait légèrement coupée à la naissance des cheveux. Toutefois, deux employés de lentreprise ont clairement témoigné que la victime était dapparence et dhumeur normales pendant toute la journée et quils lavaient vue se couper accidentellement à la tête sur un tiroir de caisse ouvert vers 18h30. Ces deux mêmes témoins et beaucoup dautres ont témoigné que les relations entre laccusé et la victime étaient normales. Lun des fils, Francis Charbonneau, a décrit comme suit leurs relations:

[TRADUCTION] Ce nest pas le parfait bonheur conjugal vous savez. Ce nest pas une atmosphère de lune de miel, mais ce nest ni les disputes continuelles ni la lune de miel; un ménage ordinaire.

En résumé le dossier nétablit pas vraiment de mobile. Évidemment, si le ministère public prouve lhomicide et lintention nécessaire, il na pas à établir le mobile. Toutefois, labsence de mobile tend à renforcer la présomption dinnocence de laccusé, en ce quil devient moins probable quil ait agi avec lintention nécessaire et, partant, quil ait déchargé la carabine quil avait en mains pour quelquautre raison.

Laccusé, après les coups de feu fatals, sest directement rendu au poste de police et, le trouvant vide, a erré jusquà un bar voisin et sy est assis lair visiblement hébété» pour consommer de la bière. Peu après, un ami, Maki, sest approché et, après quelques instants de conversation banale, laccusé lui a dit [TRADUCTION] «jai tiré sur Rose

 

 



[1] (1941), 28 Crim. App. R. 65.

[2] [1953] 1 R.C.S. 220.

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